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Date : 20151019


Dossier : T-1992-14

Référence : 2015 CF 1180

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MARIE MACHE RAMEAU

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Marie Mache Rameau (la demanderesse) se dit enfermée dans un cercle vicieux. Ayant déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) il y a déjà 12 ans, l’affaire aurait trouvé un dénouement lorsque les parties ont convenu d’un règlement (« settlement ») aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 (la Loi). Il appert que le règlement fait maintenant l’objet d’une dispute sur son interprétation et la demanderesse est à la recherche d’une instance pour dénouer le nœud gordien.

[2]               Pour ce faire, la demanderesse se tourne maintenant vers le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Par décision motivée du 26 août 2014, le Tribunal a décliné de se saisir de l’affaire. C’est de cette décision dont la demanderesse veut obtenir le contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7.

[3]               Le rôle d’une cour de justice est de disposer des litiges que les parties lui soumettent et non de fournir des avis juridiques. En l’espèce, la Cour ne peut que constater que le refus du Tribunal de donner une interprétation à une clause d’un règlement auquel il n’est aucunement partie et en l’absence d’une plainte instruite devant elle était approprié. À mon avis, le Tribunal n’avait pas le choix. C’est d’autant plus vrai que le règlement est devenu une ordonnance de cette Cour par décision du Juge Pinard, le 29 mai 2012, conformément au paragraphe 48(3) de la Loi. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

I.                   Faits

[4]               Les faits de cette affaire sont particuliers et l’utilisation d’une chronologie fournira l’aperçu voulu à la compréhension de la trame factuelle :

                     Juillet 2003 : plainte déposée par la demanderesse auprès de la Commission. On y allègue un traitement discriminatoire en raison de la race de la part de l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI);

                     23 décembre 2005 : son enquête complétée, la Commission recommande la constitution d’un tribunal afin d’instruire la plainte comme la Loi le permet;

                     29 novembre 2006 : la médiation suggérée par le Tribunal, qui se tient en vertu de procédures internes du Tribunal et sur la base de l’accord des parties, produit un protocole d’entente entre les parties avant que la plainte ne soit instruite. Il s’agit du règlement auquel allusion a été faite. Ce règlement prévoit que ce serait la Commission qui fera le suivi « afin d’assurer la mise en œuvre des modalités tel que convenues dans cette entente » (para 14). Le règlement contient son propre mécanisme de résolution de conflit puisque son article 16 prévoit expressément qu’ « (u)ne fois le règlement approuvé par la Commission, dans l’éventualité d’un désaccord concernant la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ses conditions, les parties conviennent de reprendre la médiation afin de renégocier les points en litige ».

                     16 janvier 2007 : la Commission confirme que le règlement a été approuvé en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi; la lettre, adressée au Tribunal, demande que celui-ci émette un avis de désistement. La demanderesse était mise en copie conforme. Par ailleurs, le 8 décembre 2006, le Tribunal l’avait avisée directement qu’il procèderait à l’émission d’une lettre arrêtant les procédures;

                     17 janvier 2007 : le Tribunal avise la demanderesse qu’il arrête ses procédures et ferme son dossier;

                     3 juillet 2009 : le règlement prévoyait que la demanderesse serait en affectation pour 12 mois auprès de la Commission de la fonction publique au niveau PE-4, qui était un niveau plus élevé que celui détenu à l’ACDI. Cette période de 12 mois était aux frais de l’ACDI. Ladite affectation à un niveau plus élevé était à titre intérimaire. La demanderesse est demeurée à la Commission de la fonction publique pour deux ans. La seconde année était aux frais de la Commission de la fonction publique. De retour à l’ACDI en février 2009, la demanderesse requit une nomination permanente à laquelle elle aurait droit selon son interprétation de la clause 6 du règlement. Le 3 juillet, elle avisait la Commission que l’ACDI ne respectait pas le règlement;

                     23 juin 2010 : les parties ayant convenu qu’en cas de désaccord au sujet de la mise en œuvre du règlement, elles reconnaissaient que la Commission ferait le suivi et qu’elles reprendraient la médiation pour renégocier les points en litige; la Commission demandait au Tribunal le 23 juin de présider une séance de médiation;

                     24 septembre 2010 : après délibération, le Tribunal conclut qu’il serait inapproprié de jouer ce rôle. Il note que le dossier est fermé depuis le 17 janvier 2007, que le membre qui avait, plusieurs années plus tôt, participé à la médiation originale n’était plus du Tribunal et que le règlement avait été approuvé par la Commission;

                     7 mars 2012 : à la suite du refus du Tribunal d’agir à titre de médiateur, une médiation a eu lieu sans l’assistance du Tribunal jusqu’à ce que l’ACDI s’en retire le 7 mars;

                     29 mai 2012 : c’est à l’initiative de la demanderesse que le règlement entre la demanderesse et l’ACDI, approuvé par la Commission le 29 novembre 2006, est devenu « assimilé à une ordonnance de la Cour fédérale » par ordonnance du juge Pinard, de cette Cour, rendue le 29 mai 2012;

                     2 novembre 2012 : prétendant à la violation du règlement devenu ordonnance de cette Cour, la procédure en outrage au Tribunal lancée par la demanderesse contre l’ACDI fait l’objet d’une décision de la Cour fédérale. Le juge Boivin rejette la demande avec dépens. Essentiellement, le juge Boivin constate que l’ordonnance de laquelle on dit qu’il y a eu contravention pouvant justifier une condamnation pour outrage n’a pas la clarté voulue. L’ambiguïté de la clause 6 fait en sorte qu’il ne peut y avoir une violation délibérée. Ainsi, le juge constate l’ambiguïté, ce qui suffit pour conclure que la requête doit être rejetée : il ne la résout pas. Aucun appel de cette décision n’est entrepris;

                     20 novembre 2012 : la demanderesse invite le défendeur à continuer en médiation, sans succès;

                     18 janvier 2013 : la demanderesse demande l’intervention du Tribunal « afin de trancher une question d’interprétation restreinte portant sur l’application du Protocole d’entente »;

                     26 août 2014 : Le Tribunal se déclarait incapable d’intervenir.

II.                La décision sous étude

[5]               La décision dont on recherche le contrôle judiciaire est celle du Tribunal en date du 26 août 2014. La demanderesse aurait voulu que le Tribunal se saisisse du désaccord portant sur la portée et l’interprétation de la clause 6 du Protocole d’entente qui constitue le règlement approuvé par la Commission.

[6]               Essentiellement, le Tribunal a rejeté la demande parce que d’avis qu’il n’a plus juridiction. Ainsi, il s’est déclaré functus officio. Le règlement intervenu entre les parties a fait en sorte que le Tribunal a fermé le dossier duquel il avait été saisi originellement.

[7]               De l’avis du Tribunal, sa compétence trouve son origine dans une plainte qui lui est référée par la Commission : aucune telle plainte n’existe. Par surcroît, le règlement approuvé par la Commission est devenu une ordonnance de la Cour fédérale en vertu de l’ordonnance du juge Pinard. La décision du Tribunal est bien résumée à son paragraphe 60 :

[60]      Tenant compte des dispositions légales pertinentes, et plus particulièrement les dispositions de l’article 48 (1) et 49 de la Loi dont [sic] j’ai fait référence antérieurement, de l’absence d’une plainte pendante devant le Tribunal, de même de l’absence de dispositions pertinentes dans le protocole d’entente devant permettre au Tribunal de garder sa compétence, je ne considère pas que le Tribunal peut intervenir suivant la demande formulée par la plaignante afin de régler tout différend relativement à l’entente intervenue entre les parties en date du 29 novembre 2006.

[8]               Finalement, la demanderesse invoque l’intérêt public pour faire en sorte que le Tribunal ait juridiction. Le Tribunal décline, notant que l’argument n’est soutenu par aucune autorité.

III.             Norme de contrôle

[9]               La demanderesse a allégué des erreurs de droit de la part du Tribunal dont elle veut le contrôle judiciaire de la décision sur la base de la décision correcte. Elle concède que les questions mixtes de droit et de fait sont soumises à la norme de la décision raisonnable.

[10]           La demanderesse s’en est remise à deux décisions de la Cour d’appel fédérale à l’appui de sa prétention que la norme de la décision correcte doit présider. Dans Canada (Procureur général) c Johnstone, 2014 CAF 110 [Johnstone], un banc de la Cour a conclu que les questions alors soumises faisaient l’objet de cette norme, malgré l’existence de la présomption selon laquelle les questions de droit touchant la loi qu’un tribunal administratif est chargé d’appliquer ont droit à la déférence de la part de la Cour en contrôle judiciaire. L’autre affaire citée est Canada (Procureur général) c Cruden, 2014 CAF 131 (Cruden).

[11]           Ces deux arrêts ne me semblent pas fournir assistance à la demanderesse pour obtenir que le contrôle judiciaire se fasse sur la base de la décision correcte. D’ailleurs, la demanderesse n’a que peu développé son argument autour des deux arrêts.

[12]           Depuis Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], il est connu que quatre types de questions de droit sont révisées selon la norme de la décision correcte :

i)                    la question de droit d’une importance capitale pour le système juridique et qui est étrangère au domaine d’expertise du tribunal administratif;

ii)                  les questions de droit touchant au partage des compétences entre les pouvoirs fédéral et provinciaux;

iii)                les questions de droit concernant véritablement la compétence et la constitutionalité. La Cour précise que « [l]a « compétence » s’entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question. » [para 59]

iv)                la délimitation des compétences de tribunaux concurrents sera aussi soumise à la norme de la décision correcte.

S’est ajouté à ces quatre types de questions le cas où le tribunal administratif et une cour peuvent statuer en première instance sur une même question de droit. Il serait incongru que la révision judiciaire d’une telle décision d’un tribunal administratif par la Cour soit sur la base de la raisonnabilité alors que l’appel de la décision de la Cour rendue en première instance serait en fonction de la décision correcte. La Cour Suprême a donc conclu dans Rogers Communications Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 RCS 283 [Rogers Communications], que la norme de la décision correcte s’applique sur une question de droit décidée par le tribunal administratif lorsque la même question pourrait être soumise à une cour de justice siégeant cette fois comme cour d’instance.

[13]           Outre ces cinq types de questions, la présomption continue de s’appliquer. La demanderesse n’a invoqué aucune des catégories dans son mémoire des faits et du droit, se reposant plutôt sur Johnstone, supra. Or, Johnstone me semble fondé sur un raisonnement qui est difficilement exportable au cas sous étude.

[14]           Dans Johnstone, la Cour, s’appuyant sur le fait que la présomption (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 (Alberta Teachers’)), selon laquelle l’interprétation par le tribunal administratif de sa propre loi constitutive commande la déférence n’est pas irréfragable, concluait que le sens à donner à« état matrimonial » , un motif de distinction illicite inscrit à la loi, et la définition du test à utiliser pour déterminer s’il y a discrimination au sens de la loi méritent la norme de la décision correcte. Rien de comparable n’est en jeu en l’espèce.

[15]           En effet, la Cour d’appel fédérale note que les deux questions alors sous étude sont relatives à la portée de la protection offerte par une loi quasi-constitutionnelle. Selon la Cour, la norme de contrôle qui vaut pour des questions constitutionnelles devrait prévaloir pour une loi quasi-constitutionnelle impliquant les droits fondamentaux.

[16]           De plus, plusieurs cours et tribunaux administratifs sont appelés à appliquer ces lois à caractère quasi-constitutionnel, ce qui suggère l’application de la norme de la décision correcte comme dans Rogers Communications, supra. En effet, il serait malheureux que des interprétations divergentes puissent être présentées devant différents tribunaux administratifs et cours.

[17]           La Cour d’appel fédérale considère aussi que les deux questions qui se posaient en l’espèce sont de la nature des questions d’importance capitale pour le système de justice (Johnstone, au para 51). Finalement, la Cour d’appel fédérale se réclame d’une jurisprudence antérieure favorisant la norme de la décision correcte pour ce qui est de la détermination touchant la portée et la définition de l’ « état matrimonial ».

[18]           Ceci dit avec égards, je vois mal comment on pourrait faire l’adéquation entre les questions soulevées dans Johnstone, supra, et celle sous étude en l’espèce. Nous sommes loin, me semble-t-il, de la définition de l’état matrimonial ou de ce qui constitue le test pour déterminer s’il y a discrimination lorsque nous traitons de la juridiction du Tribunal pour disposer de questions en dehors de l’instruction d’une plainte référée par la Commission. À mon avis, Johnstone ne peut être invoqué à l’appui de la proposition que toute question de droit qui se pose dans le cadre de l’interprétation de la Loi doit être contrôlée sur la base de la décision correcte.

[19]           Dans Cruden, une décision de la Cour d’appel fédérale rendue après Johnstone, supra, un banc différent de la Cour d’appel fédérale (un des trois juges siégeait sur les deux bancs) a noté l’existence de Johnstone sans l’endosser. Cette formation a plutôt conclu que la norme de contrôle n’avait pas d’importance puisqu’une seule interprétation pouvait prévaloir.

[20]           Comme il a été reconnu dans McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895 [McLean], il est possible que deux interprétations juridiques puissent survivre raisonnablement. Il est donc possible qu’une question de droit puisse recevoir deux interprétations qui soient raisonnables. Mais ce n’est pas nécessairement le cas (McLean, au para 38). Dans Cruden, supra, la Cour d’appel fédérale a donc décidé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur la norme de contrôle puisque le résultat ultime sera le même. Il n’y avait qu’une seule interprétation valide et raisonnable.

[21]           Dans la présente affaire, je conclurais comme l’a fait la Cour d’appel fédérale dans Cruden. À mon avis, le Tribunal avait raison d’affirmer qu’il ne pouvait disposer de la question d’interprétation que voulait lui soumettre la demanderesse. Je ne puis voir comment il pourrait en être autrement. Sa décision était correcte. Que la norme de contrôle fusse celle de la décision correcte ou de la décision raisonnable, le résultat est à mon avis le même.

[22]           Je n’aurais pas été enclin de faire droit à l’argument fait par la demanderesse sur la seule base de l’arrêt Johnstone, supra. Les questions décidées dans Johnstone ne sont tout simplement pas du même acabit que celle devant cette Cour, de telle sorte qu’on puisse parler d’une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Dans Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, la Cour suprême fournit un autre exemple de ce que constitue ce genre de questions :

[51]      Dans ses motifs concordants, la juge Abella se dit en désaccord avec ce traitement des normes de contrôle applicables en l’espèce. Pour ma part, dans le contexte de ce pourvoi, j’estime que la jurisprudence de notre Cour, au premier chef les arrêts Dunsmuir, Mowat et Rogers auxquels je renvoie, justifie d’assujettir à la norme distincte de la décision correcte la question de droit relative aux contours de l’obligation de neutralité de l’État qui découle de la liberté de conscience et de religion. L’importance de cette question pour le système juridique, sa portée large et générale et le souci de la trancher de manière uniforme et cohérente me semblent ici indéniables. Dans la Charte québécoise, le législateur a du reste conféré au Tribunal une compétence qu’il a voulue non exclusive sur le sujet; le Tribunal l’exerce d’ailleurs de façon concurrente avec les tribunaux de droit commun. Je considère que la présomption de déférence est donc repoussée au regard de cette question. Dans un arrêt récent (Tervita, par. 24 et 34-40), notre Cour confirme que les conclusions d’un tribunal administratif spécialisé peuvent parfois faire l’objet d’une révision judiciaire selon une norme qui varie en fonction des questions de droit, de fait ou mixtes de fait et de droit analysées.

[23]           Ici, la question à résoudre me semble tomber résolument du côté de celles à être réglées par ceux qui ont la connaissance et la sensibilité associées aux « personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes » (Dunsmuir, supra, au para 49). Ce n’est rien d’autre que de déterminer si la Loi permet de décider d’un genre particulier de question : le Tribunal doit tenir compte de sa raison d’être, de la nature de la question et de son expertise. La question en l’espèce ne sort aucunement de l’expertise du Tribunal par rapport à sa loi constitutive. Il s’agissait de décider si le Tribunal pouvait se saisir d’une question qui ne lui vient pas de l’instruction d’une plainte. J’aurais pensé que sa décision aurait mérité déférence.

[24]           La demanderesse n’a pas soulevé dans son mémoire des faits et du droit devant cette Cour la possibilité que la question qui se pose en l’espèce tombe dans la catégorie des questions véritablement de compétence outre que de déclarer au paragraphe 33 que les erreurs de compétence, lorsqu’elles sont manifestes, nécessitent que la décision soit annulée.

[25]           Pourtant, la demanderesse a fait de la question de la compétence son véritable cheval de bataille à l’audience. Invoquant les paragraphes 59 et 60 de l’arrêt Dunsmuir, la demanderesse argue qu’il s’agit en notre espèce d’une question de compétence même dans le sens strict articulé dans Dunsmuir de« la faculté du tribunal administratif de connaître de la question ». Comme le dit la majorité :

Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l'a investi l'autorisent à trancher une question. L'interprétation de ces pouvoirs doit être juste, sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d'exercer sa compétence...

Dunsmuir, au para 59

[26]           La difficulté qui me semble se poser est que l’interprétation de la loi constitutive à un tribunal administratif doit faire l’objet de déférence en contrôle judiciaire. Or, les questions de compétence sont aussi les questions d’interprétation de la loi constitutive. Quand passe-t-on de l’un à l’autre? Où est la limite? C’est peut-être pourquoi la majorité dans Alberta Teachers’ a questionné à voix haute si les questions de compétence continuent d’exister depuis Dunsmuir :

[34] La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l'interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d'accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s'est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l'espèce, je me contente d'affirmer que, sauf situation exceptionnelle -- et aucune ne s'est présentée depuis Dunsmuir --, il convient de présumer que l'interprétation par un tribunal administratif de "sa loi propre constitutive ou [d']une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie" est une question d'interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

Alberta Teachers’, au para 34

[27]           À l’audience, j’ai demandé à l’avocat de la demanderesse s’il pouvait référer la Cour à des autorités au soutien de sa proposition que nous avions affaire à une question de compétence selon le paragraphe 59 de Dunsmuir et malgré le paragraphe 34 de Alberta Teachers’. (Je note que la Cour a réitéré son scepticisme dans ATCO Gas and Pipelines Ltd. c Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45 au para 27). Aucune n’a été offerte.

[28]           Comme j’ai tenté de l’expliquer relativement à l’argument mis de l’avant sans grande conviction sur la base de l’arrêt Johnstone, la norme de contrôle n’a pas d’importance en l’espèce parce qu’une seule solution s’imposait dans notre cas. Même en appliquant la norme de la décision correcte, le tribunal n’avait aucune compétence pour se pencher sur la clause d’un règlement auquel il n’était pas partie.

IV.             Analyse

[29]           La demanderesse présente devant cette Cour le même argumentaire que devant le Tribunal. Elle prétend que sa plainte est toujours devant le Tribunal. Ainsi, pour elle, « la question en litige n’est pas celle d’une réouverture d’une décision du Tribunal, mais plutôt d’un traitement d’une question qui est inextricablement reliée à la référence de la plainte au Tribunal » (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, au para 37). Si je comprends bien l’argument, du fait que la plainte n’a pas fait l’objet d’une décision au mérite, il serait possible qu’une question découlant de l’interprétation du règlement entre la demanderesse et l’ACDI, qui mettait fin au litige, soit malgré tout référée au Tribunal pour adjudication. La demanderesse voudrait même renverser le fardeau de la preuve sur les épaules de la défenderesse afin de prouver que le Tribunal n’a pas compétence. Aucune autorité n’est citée pour justifier une telle assertion.

[30]           La Cour ne saurait suivre la demanderesse sur ce terrain. Tant la Commission que le Tribunal sont des créations de la Loi. Les parties me semblent convenir que la juridiction du Tribunal est tributaire d’une plainte ayant été déposée auprès du Tribunal par la Commission (paragraphe 44(3) de la Loi), à la suite d’une enquête. Mais il y a plus. La juridiction conférée au Tribunal est d’instruire une plainte. L’instruction de la plainte se fait selon les termes des articles 49 et 55 de la Loi. Cependant, aucune instruction de la plainte n’a eu lieu en notre espèce. De parler en termes d’un « traitement d’une question qui est inextricablement reliée à la référence de la plainte au Tribunal » ne fait qu’éluder la question. Il ne suffit pas que la plainte ait été référée. Encore faudrait-il qu’elle soit toujours devant le Tribunal où que l’exercice auquel le Tribunal est convié soit l’instruction de la plainte ou en fasse partie. Ce n’est pas le cas. Ce ne peut être le cas.

[31]           La raison en est fort simple. Les parties ont choisi de régler l’affaire comme il est possible de le faire. L’article 48 de la Loi se lit ainsi :

Présentation des conditions de règlement à la Commission

Referral of a settlement to Commission

48. (1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

48. (1) When, at any stage after the filing of a complaint and before the commencement of a hearing before a Human Rights Tribunal in respect thereof, a settlement is agreed on by the parties, the terms of the settlement shall be referred to the Commission for approval or rejection.

Certificat

Certificate

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

(2) If the Commission approves or rejects the terms of a settlement referred to in subsection (1), it shall so certify and notify the parties.

Exécution du règlement

Enforcement of settlement

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

(3) A settlement approved under this section may, for the purpose of enforcement, be made an order of the Federal Court on application to that Court by the Commission or a party to the settlement.

[32]           Ici, une entente (« settlement ») est intervenue. Elle a été approuvée par la Commission. La demanderesse a choisi de présenter une requête à cette Cour pour que le règlement soit « assimilé à une ordonnance de cette juridiction » (« be made an order of the Federal Court »). Il n’y a rien de surprenant à ce que le Tribunal ait fermé son dossier, après avoir prévenu.

[33]           Je ne m’attache pas tant à la déclaration du Tribunal que le dossier est fermé qu’au fait que le litige a disparu avec l’entente qui est intervenue entre les parties. Le texte même de l’entente est sans ambiguïté. La demanderesse y déclare au paragraphe 10 que « (l)a plaignante convient que le présent règlement représente un règlement définitif à l’égard de tous les incidents allégués dans la plainte 20031234 et libère et décharge pour toujours l’intimée... ».  Après avoir convenu que les parties ne reconnaissaient aucune responsabilité, il est indiqué au paragraphe 12 que « (l)a plaignante reconnaît avoir participé au règlement de la plainte volontairement, sans menace ni contrainte, et comprend entièrement les conditions auxquelles elle a donné son accord ». On comprend mal comment la plainte qui a fait l’objet d’un règlement complet et définitif soit encore vivante ou même pertinente.

[34]           De fait, le Tribunal n’est aucunement une partie intéressée au règlement : c’est l’affaire des parties, approuvée par la Commission. À proprement parler, on se demande comment le Tribunal pourrait se saisir d’une question d’interprétation d’une entente qui, en droit, ne saurait être de son ressort parce que intervenue avant que le Tribunal n’instruise la plainte. En effet, aux termes mêmes de l’article 48, une entente peut intervenir « avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne ». Alors que la Cour suprême examinait si le Tribunal est suffisamment indépendant de la Commission, au plan constitutionnel, elle notait que le Tribunal procède à l’adjudication de plaintes dont il est saisi par la Commission (Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36 au para 23, [2003] 1 RCS 884). Le Tribunal est indépendant de la Commission, comme il se doit. Mais la juridiction est d’instruire des plaintes. Sans instruction de plainte, le tribunal est sans compétence.

[35]           À la face même du texte de la Loi, le Tribunal instruit la plainte (articles 49 et 50). L’entente intervenue avant que la plainte ne soit instruite est indépendante du Tribunal et hors de sa juridiction. Ce qui est demandé ici au Tribunal est de se saisir d’une question de droit, l’interprétation à donner à un règlement conforme à l’article 48 de la Loi. Cette Loi est claire : le règlement intervient avant le début de l’audience du Tribunal. Le Tribunal, lui, instruit les plaintes. Il n’y a pas de mélange des genres.

[36]           La demanderesse voudrait que le Tribunal prenne juridiction pour interpréter une entente à laquelle il n’est pas partie et qui, par définition, intervient avant que la juridiction du Tribunal ne puisse être exercée, juridiction qui consiste à instruire des plaintes. Non seulement nous situons-nous à un moment antérieur à l’exercice de juridiction conférée par le Parlement, mais la demanderesse voudrait que le Tribunal fasse autre chose que d’instruire la plainte : elle veut que le Tribunal donne une interprétation d’un règlement, d’un protocole d’entente, d’un document de nature contractuelle qui a pour effet de régler le problème entre les parties qui avait donné naissance à la plainte.

[37]           Le règlement lui-même ne saurait être plus clair quant à son effet lorsqu’on lit les mots introductifs au protocole d’entente qui annoncent la portée de celui-ci: « Les parties ont discuté des questions en litige concernant la plainte numéro 20031234 et le dossier du Tribunal numéro T-1148-3006 en médiation et ont décidé de régler la plainte dans les termes suivants : » (je souligne). J’ai déjà référé aux paragraphes 10 et 12 du règlement qui confirment, sans ambages, l’intention de la plaignante, la demanderesse. À mon sens, il n’y a pas place à l’imagination. Il n’y a pas de plainte pendante. Mais, même si la plainte était toujours pendante, la demanderesse ne demande pas à ce que la plainte soit instruite. Elle veut que le Tribunal interprète une entente qui dispose de la plainte. C’est là, à mon avis, une demande qui ne pouvait recevoir une réponse positive sans excéder la juridiction donnée au Tribunal par le Parlement.

[38]           La Cour est aussi d’avis qu’un poids certain doit être donné au fait que l’entente, le règlement, soit devenue une ordonnance de cette Cour. La demanderesse a bien tenté de s’en prendre à la décision de cette Cour qui a refusé de donner suite à sa demande en outrage au tribunal. Par une forme de gymnastique, elle cherche à démontrer que le refus de donner suite à la demande en outrage parce que la disposition au sujet de laquelle il y aurait eu violation d’une ordonnance de cette Cour (soit le règlement approuvé par la Commission dont la demanderesse a obtenu qu’il devienne une ordonnance) est ambiguë et constitue une raison en soi pour que le Tribunal ait juridiction.

[39]           L’image qui émerge est celle de quelqu’un qui voudrait qu’une ordonnance de cette Cour soit interprétée par un tribunal administratif et, à défaut de ce faire, elle pourrait s’adresser à cette même Cour en contrôle judiciaire. À l’appui de sa prétention serait le refus de notre Cour d’interpréter la disposition en litige dans le cadre d’une procédure aux paramètres arrêtés, soit la procédure en outrage au tribunal.

[40]           Il ne me semble pas utile de créer un imbroglio; il suffit de revenir aux principes de base. S’il est certes vrai que notre Cour a conclu à ambiguïté empêchant un outrage au tribunal, on ne voit pas comment la confirmation d’ambigüité donne juridiction à un organisme statutaire dont ce n’est pas la juridiction de donner des interprétations à des ententes de règlement assimilées à des ordonnances de cette Cour. Nous faisons face à une ordonnance de cette Cour, signée par le juge Pinard, qui transforme en ordonnance le règlement entériné par la Commission. Cette ordonnance n’a pas fait l’objet de l’exécution recherchée en outrage. C’est tout. Le Tribunal canadien des droits de la personne n’est pas impliqué.

[41]           En effet, la décision du juge Boivin sur la procédure en outrage ne fait que constater que le recours choisi par la demanderesse pour exécuter l’ordonnance de cette Cour (per juge Pinard) n’est pas approprié puisque l’obligation devant faire l’objet d’exécution doit être claire, non ambiguë : la violation doit être délibérée. À mon sens, la demanderesse a tort de noter au paragraphe 56 de son mémoire des faits et du droit qu’« il n’est pas surprenant que la Cour fédérale n’interpréterait pas un Protocole d’entente qui n’a pas été rédigé par la Cour elle-même. » Là n’est pas la question. La Cour n’a pas refusé d’interpréter le Protocole : elle n’en a que constaté l’ambiguïté, ce qui suffisait pour fermer la porte au recours en outrage au tribunal. La demanderesse a choisi un recours qui ne l’a pas mené à bon port. Il n’y a rien d’autre à tirer de cette équipée. Cela n’emporte pas, par une espèce de logique inversée, qu’il faut maintenant que le Tribunal ait juridiction. Il s’agit toujours de l’interprétation d’une ordonnance de cette Cour aux fins d’exécution. Cela ne crée aucun lien de droit avec le Tribunal.

[42]           J’ajoute, en passant, qu’il est pour le moins ironique que la demanderesse concède que la Cour avait raison de ne pas interpréter une entente qu’elle n’a pas rédigée alors qu’elle demande instamment au Tribunal de se livrer au même exercice, même si le Tribunal n’a pas rédigé non plus ledit Protocole. On aurait pu penser que la même logique devrait présider.

[43]           La demanderesse s’en est prise à l’utilisation par le Tribunal de la notion de functus officio dans sa décision. Ni la demanderesse ni le Tribunal n’ont défini cette notion, si bien qu’il est difficile d’y avoir plus que l’expression de l’impossibilité pour le Tribunal d’être contraint à prendre juridiction.

[44]           La description classique au Canada de la doctrine se trouve dans les motifs du juge Sopinka pour la majorité, dans Chandler c Alberta Association of Architects, [1985] 2 RCS 848, aux pages 861 et 862 :

20        Je ne crois pas que le juge Martland ait voulu affirmer que le principe functus officio ne s'applique aucunement aux tribunaux administratifs. Si l'on fait abstraction de la pratique suivie en Angleterre, selon laquelle on doit hésiter à modifier ou à rouvrir des jugements officiels, la reconnaissance du caractère définitif des procédures devant les tribunaux administratifs se justifie par une bonne raison de principe. En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet ou s'il y a eu un lapsus ou une erreur au sens des exceptions énoncées dans l'arrêt Paper Machinery Ltd. v. J. O. Ross Engineering Corp., précité.

21        Le principe du functus officio s'applique dans cette mesure. Cependant, il se fonde sur un motif de principe qui favorise le caractère définitif des procédures plutôt que sur la règle énoncée relativement aux jugements officiels d'une cour de justice dont la décision peut faire l'objet d'un appel en bonne et due forme. C'est pourquoi j'estime que son application doit être plus souple et moins formaliste dans le cas de décisions rendues par des tribunaux administratifs qui ne peuvent faire l'objet d'un appel que sur une question de droit. Il est possible que des procédures administratives doivent être rouvertes, dans l'intérêt de la justice, afin d'offrir un redressement qu'il aurait par ailleurs été possible d'obtenir par voie d'appel.

22        Par conséquent, il ne faudrait pas appliquer le principe de façon stricte lorsque la loi habilitante porte à croire qu'une décision peut être rouverte afin de permettre au tribunal d'exercer la fonction que lui confère sa loi habilitante. C'était le cas dans l'affaire Grillas, précitée.

23        De plus, si le tribunal administratif a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu'il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante, on devrait lui permettre de compléter la tâche que lui confie la loi. Cependant, si l'entité administrative est habilitée à trancher une question d'une ou de plusieurs façons précises ou par des modes subsidiaires de redressement, le fait d'avoir choisi une méthode particulière ne lui permet pas de rouvrir les procédures pour faire un autre choix. Le tribunal ne peut se réserver le droit de le faire afin de maintenir sa compétence pour l'avenir, à moins que la loi ne lui confère le pouvoir de rendre des décisions provisoires ou temporaires. Voir Huneault c. Société centrale d'hypothèques et de logement (1981), 41 N.R. 214 (C.A.F.)

[Je souligne]

[45]           Lorsqu’on lit la décision du Tribunal en entier, on voit bien que l’utilisation des mots « functus officio » réfère à l’absence de pouvoir d’agir au sujet d’un règlement devenu ordonnance de cette Cour. Le Tribunal dit être functus parce que le règlement a disposé de l’affaire et ce règlement est maintenant une ordonnance de cette Cour.

[46]           Les mots utilisés par le Tribunal auraient pu être mieux choisis ou expliqués davantage. Mais le contexte dans lequel ils sont utilisés démontre, clairement à mon avis, que le Tribunal constatait ne pas avoir compétence. Ma lecture des paragraphes 56 à 59 de la décision du Tribunal me confirme que le Tribunal ne constatait que son absence de compétence.

[47]           Le passage cité de la décision de la Cour suprême dans Chandler ne me semble aucunement discordant avec ce qui est décidé par le Tribunal. Un tribunal administratif devrait pouvoir compléter sa tâche s’il a « omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habitante ». La question que la demanderesse voudrait voir être réglée par le Tribunal ne rencontre pas les conditions énoncées. Il ne s’agit aucunement de laisser le Tribunal compléter la tâche conférée par la Loi.

[48]           La demanderesse a bien tenté de se réclamer de la décision de cette Cour dans Conseil de bande de la Première Nation Elsipogtog c Peters, 2012 CF 398 (Peters). Dans cette affaire, contrairement à celle en instance, on attaquait une décision rendue par un arbitre qui voulait demeurer compétent et qui ne se considérait pas comme étant functus officio. Or, dans l’affaire Peters, la question qui se posait était de déterminer si l’arbitre était functus officio par rapport à sa propre décision qui laissait ouverte deux questions à être résolues. Ainsi, la Cour dans Peters, conclut que l’arbitre n’était pas functus et qu’il était en mesure d’examiner les questions laissées en suspens dans sa décision arbitrale.

[49]           Nous n’avons rien de tel en notre espèce. Il n’y a aucune décision du Tribunal qui laisse en suspens quoi que ce soit. C’est à celui qui cherche le contrôle judiciaire d’une décision de démontrer que le Tribunal a refusé d’exercer une compétence qu’il aurait. La demanderesse ne l’a pas fait et Peters ne lui est d’aucun secours. C’est peut-être cette incapacité à démontrer comment le Tribunal a compétence pour interpréter un règlement qui lui est étranger hors du cadre de l’instruction d’une plainte en bonne et due forme qui a incité la demanderesse à, étonnamment, prétendre que « le fardeau de la preuve repose sur les épaules de l’intimé qui doit prouver que le Tribunal ne détient pas la compétence d’entendre la question d’interprétation du protocole » (par 38 mémoire des faits et du droit). Aucune autorité n’est citée à l’appui de cette proposition plutôt extraordinaire. La Cour n’en connaît aucune. Le fardeau est sur qui conteste l’interprétation donnée (Wilson c Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47 au para 41, citant McLean, précité).

[50]           La tâche à laquelle était conviée la demanderesse était de démontrer en quoi le Tribunal aurait eu compétence, en l’absence de l’instruction d’une plainte. La demanderesse aurait voulu imposer au Tribunal juridiction pour interpréter l’entente intervenue pour régler la plainte. La demanderesse n’a pas été en mesure de présenter un argument qui fasse en sorte qu’un tribunal administratif, qui trouve sa compétence dans un texte de la Loi, puisse se saisir de cette question.

[51]           Enfin, dans une tentative ultime, la demanderesse prétend à une contravention à l’équité procédurale parce que le Tribunal refuse d’interpréter le Protocole d’entente. Il en irait de l’intérêt public que le Tribunal se saisisse de la question d’interprétation du règlement.

[52]           La demanderesse ne cite aucune autorité à l’appui de ses prétentions. Elle n’articule pas davantage quel est le principe d’équité procédurale dont il pourrait être question. Même si l’équité procédurale a plusieurs facettes, encore faut-il identifier cette facette pour que l’atteinte procède de règles d’équité procédurale qui n’auraient pas été respectées.

[53]           Comme son nom l’indique, l’équité procédurale participe de la procédure à suivre. Brown & Evans, dans leur Judicial Review of Administrative Action in Canada (Brown and Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto, On, Carswell, 2013) (feuilles mobiles), ch 7 à 1100) décrivent ainsi ce qu’il est maintenant convenu de désigner comme le « duty of fairness » :

7 :1100            ...

Administrative action is subject to judicial review on the ground of procedural impropriety. In particular, many public decision-makers are under a legal duty to afford to interested persons a fair opportunity to participate in the decision-making process before any action is taken that is detrimental to their interests. These participatory rights may be found under different legal labels. At common law, the notions of “the rules of natural justice” and, more recently, “the duty of fairness,” are frequently used to denote the several rules and principles that provide those participatory rights.

[54]           La demanderesse cherche à créer une juridiction qui n’existe pas autrement. Elle ne saurait réussir. Un tribunal administratif n’a pas de juridiction inhérente. Il tient son existence, et sa juridiction, de ce que la loi lui confie. Elle n’est pas davantage avancée en invoquant les principes d’équité procédurale. La demanderesse se contente d’invoquer deux décisions du Tribunal. Si tant est que ces deux décisions traitent d’équité procédurale, ce dont je doute, elles ne sont pas pertinentes.

[55]           La décision du Tribunal dans Berberi c Procureur général du Canada, 2011 TCDP 23 [Berberi] n’est absolument d’aucun secours. Dans Berberi, le Tribunal n’acceptait que de trancher un différend par rapport à une ordonnance de réparation émise de façon régulière par le Tribunal. Une plainte avait été instruite et un différend perdurait sur la réparation ordonnée. En notre espèce, non seulement aucune telle ordonnance n’a été émise par le Tribunal, mais celui-ci ne serait aucunement en train d’instruire une plainte. Ce qui est demandé au Tribunal en l’espèce n’a rien à voir avec l’instruction d’une plainte : elle a fait l’objet d’un règlement et c’est de ce règlement, pas de la plainte, dont il est question.

[56]           N’est pas davantage invoquée à bon droit par la demanderesse la décision du Tribunal dans Powell c United Parcel Service Canada Ltd, 2008 TCDP 43 [Powell]. Dans cette affaire, le Tribunal restait saisi d’une plainte après qu’une entente de principe entre les parties ne se rende pas à signature. En l’absence de règlement, la plainte devait être instruite. Ce n’est manifestement pas notre cas où un règlement est intervenu et est devenu une ordonnance de notre Cour. En fait, Powell favorise la décision dans notre affaire alors que le Tribunal est cohérent en refusant de se prêter à un recours qui ne procède pas d’une plainte. En effet, la demanderesse ne cherche même pas à faire revivre sa plainte : elle veut prétendre que le Tribunal doit entendre le différend portant sur un règlement qui, aux termes même du Protocol d’entente, règle la plainte. Au moins, Powell concluait qu’en l’absence du règlement, la plainte elle-même devait être entendue. Powell est conforme à la décision rendue par le Tribunal dans notre cas.

V.                Conclusion

[57]           Comme j’ai tenté de l’expliquer, la demanderesse ne peut réussir. Sa demande d’interprétation ne peut être partie de l’instruction d’une plainte dont on a disposé. De plus, après avoir tenté de faire exécuter son ordonnance obtenue de cette Cour, la demanderesse veut maintenant faire trancher l’ambiguïté par un Tribunal statutaire qui n’est ni partie au règlement entériné par la Commission, ni partie à l’ordonnance d’une Cour. Au grand dam de la demanderesse, elle s’est adressée à une instance qui a eu raison de décliner son invitation d’intervenir. Cette Cour doit en faire autant en contrôle judiciaire.

[58]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le Tribunal, une créature statutaire, n’avait aucune juridiction pour se pencher sur un règlement intervenu entre les parties et approuvé par la Commission. Essentiellement, le Tribunal a eu raison de se déclarer hors-jeu. Ce règlement devenu ordonnance de la Cour fédérale ne peut être interprété par le Tribunal sans que le Parlement ne le prévoie.

[59]           Le défendeur a demandé ses dépens. Ils lui sont accordés au montant de 1000,00 $, qui comprend les déboursés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur au montant de 1000,00 $ incluant les déboursés.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1992-14

 

INTITULÉ :

MARIE MACHE RAMEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 octobre 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Yavar Hameed

 

Pour la demanderesse

 

Me Benoit de Champlain

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed & Farrokhzad

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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