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Date : 20151020


Dossier : IMM-6362-11

Référence : 2015 CF 1184

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

AHMAD DAUD MAQSUDI

HAKIMA MAQSUDI

AHMAD SHAHIM MAQSUDI

AHMAD BARI MAQSUDI

AHMAD ALHAM MAQSUDI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rendue par la Section de l’immigration [la Section] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 15 septembre 2011 et les demandeurs ont produit leur mémoire des faits et du droit le 18 octobre 2011; toutefois, la Cour a instruit la demande de contrôle judiciaire uniquement le 24 février 2015. Le cadre législatif et juridique a changé de manière considérable au cours de cet intervalle de presque quatre ans, et on peut affirmer la même chose au sujet des actes de procédures des parties. Il s’ensuit qu’au moment où l’audience a eu lieu, ainsi que lors de la présentation des observations postérieures à l’audience, les demandeurs ont rétréci la portée de leurs observations; ils ne formulent qu’un seul argument, qui se rapporte au sens et à l’application du terme « renversement » employé à l’alinéa 34(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

I.                   Survol

[2]               M. Maqsudi [le demandeur principal], un citoyen de l’Afghanistan, a été déclaré interdit de territoire au Canada au motif qu’il a participé au renversement de l’ancien gouvernement communiste afghan, au sens des alinéas 34(1)b) et f) de la Loi, et qu’il avait commis des crimes de guerre au sens de l’alinéa 35(1)a) de la Loi. Il a donc été déclaré inadmissible à la protection conférée par l’asile.

[3]               En ce qui concerne la deuxième de ces conclusions relatives à l’interdiction de territoire, l’alinéa 35(1)a) prescrit l’interdiction de territoire pour les ressortissants étrangers déclarés coupables d’avoir commis des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24. Pour se voir refuser l’asile en raison de la participation à de telles atrocités, le demandeur d’asile doit avoir été complice de la commission de celles-ci. Dans l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola] au paragraphe 36, la Cour suprême a conclu que, pour être exclu de la protection de l’asile, la complicité dans l’une des infractions mentionnées ci‑dessus nécessite que le demandeur d’asile ait fait « une contribution à la fois volontaire, consciente et significative au crime ou au dessein criminel d’un groupe ». Cette formulation a remplacé l’ancien critère applicable en matière de complicité que la Section avait antérieurement appliqué au demandeur principal, lequel nécessitait uniquement une participation « personnelle et consciente » de sa part.

[4]               Le défendeur a admis que, compte tenu de l’arrêt Ezokola, la conclusion fondée sur l’alinéa 35(1)a) ne peut plus être maintenue. Par conséquent, seules les conclusions fondées sur les alinéas 34(1)b) et f) de la Section sont toujours en litige en l’espèce. Ces deux dispositions ont pour effet d’emporter l’interdiction de territoire si le ressortissant étranger est membre d’une organisation qui a été l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

[…]

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas …b)...

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[…]

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

[…]

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph …(b)….

[5]               Le demandeur principal reconnaît qu’il était, pour les besoins de l’alinéa 34(1)f), membre de l’organisation en cause dans la décision de la Section. Il s’ensuit que la seule question que je dois trancher est celle de savoir si cette organisation a été l’instigatrice ou l’auteure d’actes visant au renversement du gouvernement afghan de l’époque par la force au sens de l’alinéa 34(1)b). Le caractère raisonnable de la conclusion quant au renversement est la question sur laquelle repose la présente affaire.

[6]               Un examen des faits et des antécédents procéduraux de la présente affaire est essentiel pour situer dans leur contexte les questions soulevées dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

II.                Les faits

[7]               Les évènements ayant amené M. Maqsudi et sa famille au Canada ont débuté il y a de cela presque trois décennies, lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique en 1979. M. Maqsudi étudiait à l’université à Kaboul à ce moment‑là. Lorsqu’il a obtenu son diplôme en 1981, il a décidé de joindre le mouvement de résistance dirigé par le commandant Ahmed Shah Massoud [Massoud], plutôt que d’opter pour les autres choix qui s’offraient à lui, soit l’enrôlement par conscription dans les Forces armées afghanes ou l’immigration. Massoud contrôlait une région appelée la Vallée du Panjshir et dirigeait sa propre force de combat. Il faisait aussi partie d’un groupe de résistance connu sous le nom de Shora‑E‑Nezar, ainsi que d’un important groupe décentralisé de combattants composé de divers groupes ethniques et englobant plusieurs groupes idéologiques, groupes généralement connus sous le nom de moudjahidines (dossier certifié du Tribunal [DCT], aux pages 9‑12).

[8]               Le demandeur principal a affirmé qu’il ne voulait pas d’un rôle de combat et que Massoud lui avait donc confié un rôle d’opérateur radio (dossier de la demande [DD], à la page 46). Il voyageait avec Massoud et l’aidait à transmettre et à recevoir des messages au moyen des fréquences radio à grande longueur d’onde, lequel était le seul moyen dont disposait Massoud pour communiquer avec ses commandants à l’exception du courrier personnel. Un système à double code était utilisé pour préserver le caractère secret des messages. Ceux‑ci étaient convertis en codes arithmétiques, lesquels étaient ensuite donnés à M. Maqsudi pour que celui‑ci les convertisse à nouveau et les transmette par l’entremise des ondes radiophoniques. Des messages étaient décodés au moyen du même processus à l’autre extrémité. M. Maqsudi allègue que ces procédures faisaient en sorte qu’il ne connaissait pas le contenu des messages qui étaient envoyés à Massoud ou que ce dernier recevait, quoique ses collègues lui en révélaient parfois le contenu (DD, à la page 47).

[9]               Les opérateurs radio vivaient dans les caves des montagnes de l’Afghanistan et se déplaçaient la nuit afin d’éviter l’artillerie soviétique. Le demandeur principal relate qu’il n’accompagnait jamais Massoud lorsque ce dernier quittait les caves pour se diriger vers les fronts de guerre, car les radios à grande longueur d’onde étaient une ressource trop importante pour être mises en péril. Massoud avait une grande confiance envers M. Maqsudi; il est même allé au Royaume-Uni et en France pour parfaire son expertise technique en matière de télécommunications (DD, aux pages 47‑47(a)).

[10]           Les Soviétiques se sont retirés de l’Afghanistan en 1989; toutefois, la lutte contre l’occupation soviétique s’est métamorphosée en une guerre civile contre le gouvernement communiste. En 1992, ce régime s’est effondré et Massoud est devenu ministre de la Défense au sein du nouveau gouvernement de transition. M. Maqsudi est déménagé à Kaboul et il est devenu directeur de la Section des communications du bureau de sécurité nationale (DCT, à la page 396).

[11]            Cependant, la paix postcommuniste fut très courte. En 1992, la guerre embrasait à nouveau Kaboul. Les Talibans, l’une des factions de cette guerre civile, ont éventuellement pris contrôle de la Capitale en 1996. Le demandeur principal a suivi Massoud dans sa retraite vers la Vallée du Panjshir; de là, Massoud a continué à combattre les Talibans. À cette époque, le demandeur principal a contribué à reconstruire un réseau de communication pour les forces de Massoud (DCT, à la page 10).

[12]           En 1997, le demandeur principal est allé au Pakistan, là où sa famille vivait, mais il a subséquemment pris la fuite suivant les conseils de son frère, qui l’a informé que les Talibans le recherchaient dans ce pays. Les demandeurs sont partis du Pakistan pour se diriger en Iran en juin 1997. En mars 1998, Massoud a été invité par le gouvernement iranien pour discuter de la protection de la frontière entre l’Iran et l’Afghanistan. C’est alors que Massoud a demandé au demandeur principal si ce dernier était intéressé à agir à titre de diplomate en Chine pour le compte du gouvernement précédant celui des Talibans, puisque la Chine (tout comme la vaste majorité des nations à cette époque) ne reconnaissait pas le gouvernement taliban. Il a accepté le poste (DCT, aux pages 397 à 399).

[13]           Le demandeur principal a vécu en Chine jusqu’en septembre 1999, moment auquel il est arrivé aux Pays‑Bas et a demandé l’asile. Après la défaite des Talibans aux mains des forces de la coalition en 2002, le demandeur principal est retourné en Afghanistan et il a par la suite été nommé pour servir à l’ambassade afghane de Berlin. En 2007, après l’expiration de son mandat diplomatique, et craignant la détérioration des conditions en Afghanistan ainsi que la menace d’une résurgence des Talibans, le demandeur principal, son épouse et ses trois fils sont venus au Canada, là où le père, le frère et deux sœurs du demandeur principal vivaient (DCT, aux pages 399 à 402).

[14]           M. Maqsudi est arrivé au Canada le 7 avril 2007 avec son épouse et ses deux enfants mineurs et il a présenté une demande d’asile (DCT, à la page 4). Sa demande d’asile n’a jamais été instruite toutefois, parce que la Section a déclaré, le 25 août 2011, que M. Maqsudi était interdit de territoire au titre des alinéas 34(1)b), et f), ainsi que de l’alinéa 35(1)a) de la Loi.

III.             Les antécédents procéduraux

[15]           Le cadre juridique a grandement été modifié entre l’introduction de l’instance et l’instruction, puisque la présente instance de contrôle judiciaire a été introduite en 2011 et qu’elle n’a pas été instruite avant le 25 février 2015. La présente affaire a été ajournée pour la première fois dans l’attente de l’issue de l’arrêt Agraira c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Agraira], une affaire dans laquelle le demandeur principal avait agi à titre d’intervenant. Cet arrêt a été publié le 20 juin 2013. Un mois plus tard, le 19 juillet 2013, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans une autre affaire pertinente, soit l’arrêt Ezokola.

[16]           L’évolution de la jurisprudence a été accompagnée par des modifications législatives. Le 19 juin 2013, soit la journée avant la publication de l’arrêt Agraira, la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers, LC 2013, c 16 [la Loi accélérant le renvoi] est entrée en vigueur. Cette loi est pertinente dans le contexte du présent litige, en ce sens qu’elle a eu pour effet de modifier le paragraphe 34(2) de la Loi, lequel donnait aux demandeurs interdits de territoire la possibilité de se réclamer du pouvoir discrétionnaire ministériel, prévu par l’actuel article 42.1, qui accorde une plus grande importance aux critères de l’intérêt national et de la sécurité lors de l’octroi de telles dispenses.

[17]           Deuxièmement, la Loi accélérant le renvoi a scindé l’alinéa 34(1)a) en deux alinéas distincts, soit a) et b.1), de sorte que le libellé du paragraphe est maintenant le suivant :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada…

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada…

[18]           Les parties ont mentionné à la Cour qu’elles étaient prêtes à aller de l’avant, après qu’on leur eût accordé le temps nécessaire pour traiter les nouveaux éléments et pour produire des observations supplémentaires, et une audience a été fixée au 10 septembre 2014. Toutefois, le 5 septembre 2014, les parties ont sollicité, et obtenu, un ajournement supplémentaire, en attendant que la Cour d’appel du Canada rende son jugement dans l’affaire Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CAF 462 [Najafi]. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet appel le 7 novembre 2014, et le 18 décembre 2014, les parties ont mentionné à la Cour qu’elles étaient prêtes à aller de l’avant relativement au présent contrôle judiciaire.

IV.             La décision visée par le contrôle judiciaire

[19]           Dans sa décision rendue le 25 août 2011, la Section a conclu que le demandeur principal était interdit de territoire, et ce, pour deux motifs : au titre de l’alinéa 34(1)f), parce qu’il a été membre de l’organisation de Massoud, laquelle, aux termes de l’alinéa 34(1)b), a été l’auteure d’actes visant le renversement de l’ancien gouvernement communiste d’Afghanistan par la force entre 1978 et 1992, et au titre de l’alinéa 35(1)a), parce qu’il a été complice d’actes commis par des forces commandées par Massoud à Kaboul entre 1992 et 1996. Les parties se sont entendues quant à une décision relativement à la conclusion fondée sur l’alinéa 35(1)a), de sorte que cette question n’est plus en litige.

[20]           En ce qui concerne la question restante que la Cour tranchera en l’espèce, soit la conclusion d’interdiction de territoire conformément à l’alinéa 34(1)b), la Section a tout d’abord examiné la jurisprudence portant sur le terme « renversement » et elle a retenu la définition mise de l’avant dans l’arrêt Qu c Canada, 2001 CAF 399, au paragraphe 12 [Qu] : « l'introduction d’un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées se rapportant à une organisation ». La Section a ensuite conclu que le demandeur principal était un membre de l’organisation de Massoud entre 1978 et 1992 et que les membres de celle‑ci ont été les auteurs d’actes visant le renversement par la force :

[…] l’ensemble de la preuve permet d’établir qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les forces des moudjahidines, y compris celles qui relevaient directement de Massoud, ont participé au renversement par la force du gouvernement communiste d’Afghanistan. Les moudjahidines ont livré une guerre ouverte, mais ils se sont également fortement appuyés sur les activités des guérilleros en vue de renverser le régime communiste et d’expulser l’armée soviétique. De telles activités sont, de par leur nature, des activités clandestines. Le recours aux assassinats, aux raids et au blocage des axes de ravitaillement et des moyens de communication nécessite une planification clandestine, des mouvements de personnel et d’armes ainsi que la mise en œuvre de mesures offensives. Cependant, même si dans ce contexte ces activités auraient pu être justifiées ou justifiables, elles correspondent à des activités illicites et clandestines ayant pour but de renverser un régime communiste répressif qui était appuyé par l’armée soviétique. (CTR, p 19)

V.                Les observations

A.                Les observations des demandeurs

[21]           Compte tenu du temps qui s’est écoulé et des changements apportés par la Loi accélérant le renvoi ainsi que par les arrêts Agraira, Ezokola et Najafi, les demandeurs ont substantiellement modifié leurs observations. Ils reconnaissent que le demandeur principal était membre de l’organisation de Massoud et que ce dernier tentait de renverser le gouvernement communiste d’Afghanistan. Ils avaient initialement affirmé que la Section avait commis une erreur dans son interprétation des termes « renversement » et « un gouvernement » au sens de l’alinéa 34(1)b). Cet argument s’est déployé sous plusieurs formes : que le terme « un gouvernement » ne peut pas s’appliquer à « un régime désigné »; que le renversement ne peut pas s’appliquer à des luttes à l’encontre de régimes oppressifs pour l’autodétermination, puisque le renversement comprend un élément illégal ou illégitime, de sorte que l’emploi de la force pour renverser un gouvernement peut uniquement être illégal ou illégitime si le gouvernement en question est légitime, et que le renversement ne peut pas se produire dans le contexte de situations de conflits armés.

[22]           Les demandeurs ont aussi prétendu dans leurs observations initiales que l’alinéa 34(1)b) ne pouvait pas survivre à un examen au titre de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], et qu’une interprétation large du terme « renversement » au sens de l’alinéa 34(1)b) ne peut plus être maintenue depuis que la portée du pouvoir discrétionnaire ministériel prévu au paragraphe 34(2) a été rétrécie par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 10.

[23]           Compte tenu de l’écoulement du temps et de la publication d’arrêts pertinents de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel fédérale, le présent contrôle judiciaire instruit en 2015 a été rétréci et porte plutôt sur la question de savoir si le terme « renversement » peut s’appliquer aux situations de conflits armés. Les demandeurs maintiennent que le concept de renversement est mal défini dans le droit national, que la jurisprudence ne l’a pas élucidé et que la définition doit, en l’absence de sources nationales, s’appuyer sur le droit international. À ce sujet, les demandeurs prétendent que la Section a commis une erreur en considérant que les « tactiques clandestines » dans une situation de conflit armé ouvert étaient suffisantes pour faire du renversement l’objet du conflit.

[24]           Pour faire valoir cette allégation, les demandeurs ont d’abord fait un examen de la jurisprudence se rapportant à l’alinéa 34(1)b), en faisant remarquer que plusieurs précédents se penchaient sur divers éléments de la disposition, mais que le concept de renversement a été examiné en profondeur uniquement dans l’un d’entre eux, soit la décision, Al-Yamani c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 317 [Al-Yamani]. Dans cette décision, le juge Gibson a conclu que le terme renversement nécessitait à tout le moins un « élément de clandestinité ou de tromperie » et un « élément de destruction de l'intérieur ».

[25]           Les demandeurs allèguent que les décisions subséquentes, y compris Najafi, ne répondaient pas de manière suffisante aux préoccupations soulevées dans la décision Al‑Yamani et qu’elles n’ont jamais donné une définition appropriée au terme « renversement », en se fondant plutôt sur des définitions de portée excessive que l’on trouve dans in Re Shandi, (1992), 51 FTR 252, à la page 259 (CFPI) [Shandi] (« [t]out acte commis dans l'intention de contribuer au processus de renversement d'un gouvernement est de nature subversive ») et dans l’arrêt Qu, au paragraphe 12 (« la subversion implique l'introduction d'un changement par des moyens illicites ou à des fins détournées »). Selon les demandeurs, les autres précédents dans lesquels le concept de renversement visé à l’alinéa 34(1)b) était appliqué reposaient, à tort, sur les définitions trop larges qui étaient mentionnées dans les décisions Qu et Shandi. Les demandeurs renvoient à plusieurs précédents, notamment Oremade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1077; Suleyman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 780; Eyakwe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 409; Maleki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1331, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c USA, 2014 CF 416).

[26]           En ce qui concerne l’arrêt Najafi, les demandeurs prétendent que la Cour d’appel fédérale n’a pas énoncé la définition du terme « renversement », mais qu’elle a plutôt mis l’accent sur les mots « un gouvernement », en se fondant sur les précédents Shandi et Qu et en faisant fi des préoccupations soulevées dans la décision Al-Yamani. Dans la même veine, les demandeurs prétendent que le terme « renversement » doit être défini de manière plus exhaustive et précise, de manière à éviter les incompatibilités internes et les issues absurdes. Les tribunaux judiciaires, pour régler le problème des incompatibilités et pour en arriver à une définition appropriée de « renversement », devraient s’inspirer du droit international. Les demandeurs font valoir que le mot « renversement » est peu employé en droit international, et qu’il y a peu de précisions au sujet de celui‑ci, mais qu’il existe des explications étoffées au sujet du terme « conflit armé », lequel aide à élucider la définition de renversement. En résumé, le « renversement » est une situation qui prend fin lorsque le « conflit armé » débute.

[27]           Les demandeurs proposent la définition de « conflit armé non international » tirée du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977, 1125 RTNU 609, article 1 [le Protocole II] :

[Les conflits] qui se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole […] Le présent Protocole ne s'applique pas aux situations de tensions internes, de troubles intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres actes analogues […]

[28]           Les demandeurs prétendent que, puisque le droit international a établi l’existence d’une distinction sans équivoque entre les situations de conflits armés et les situations d’intensité moindre, le droit canadien devrait aussi établir une telle distinction : le renversement devrait exister uniquement jusqu’à ce qu’il existe une situation juridiquement reconnue de conflit armé, et lorsqu’un tel conflit est déclenché, l’alinéa 34(1)b) ne devrait plus s’appliquer.

[29]           Les demandeurs prétendent qu’il s’agit là d’une interprétation du terme « renversement » qui repose sur le bon sens, puisqu’elle dénote un élément de clandestinité qui n’existe pas dans la situation d’un conflit armé ouvert et internationalement reconnu. Pour étayer cette interprétation, les demandeurs prétendent que, contrairement à la situation en l’espèce, aucun des précédents intéressant l’alinéa 34(1)b) se rapportaient à un conflit armé au sens du droit international.

[30]           En bref, les demandeurs soutiennent que de limiter le renversement aux situations qui ne sont pas des conflits armés est compatible avec (i) le droit international; (ii) le sens ordinaire du mot « renversement », et (iii) la jurisprudence, qui n’a jamais appliqué l’alinéa 34(1)b) à un conflit armé. Aucun objectif de la loi ni motif de sécurité ne justifierait de donner une telle interprétation au terme « renversement ».

B.                 Les observations du défendeur

[31]           Le défendeur soutient que c’est à juste titre que la Section a conclu que l’organisation de Massoud a été l’auteure d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force. Tout d’abord, la jurisprudence définit de manière suffisante le terme « renversement ». Bien que les définitions tirées des décisions Shandi et Qu étaient toutes deux acceptables, elles ont été remplacées par celle de l’arrêt Najafi, lequel, au paragraphe 65, définit le renversement comme étant les « actes visant au renversement d’un gouvernement ». Et bien que cette définition puisse être incomplète, elle est amplement suffisante pour permettre de trancher la présente demande.

[32]           En réponse aux arguments présentés relativement à la portée trop large de l’alinéa 34(1)b), le défendeur prétend qu’une lecture simple de la disposition, ainsi qu’un examen des débats parlementaires qui ont précédé son adoption, démontrent que le législateur avait l’intention que la disposition soit de portée large. Définir le renversement d’une manière différente consisterait en une élaboration de politiques par le pouvoir judiciaire.

[33]           Le défendeur prétend de plus que le recours au droit international pour définir le concept de renversement est inapproprié et qu’il n’est pas nécessaire. Plus précisément, le Protocole II, n’est d’aucune utilité à titre d’outil interprétatif pour définir le renversement au sens du droit canadien en matière d’immigration et n’appuie pas la thèse des demandeurs selon laquelle la définition de renversement devrait exclure tout conflit qui répondrait à la définition de conflit armé au sens du droit international. Le Protocole II existe plutôt pour définir le moment auquel les combattants nationaux sont tenus de respecter les normes juridiques en matière humanitaire, soit un champ d’application très étranger aux préoccupations du Canada en matière d’immigration et de sécurité. Le Protocole II établit un cadre juridique en matière de droit international humanitaire qui n’a tout simplement aucune incidence quant à la question de savoir si un conflit implique le renversement au sens du droit canadien, dont l’objectif est d’établir qui peut entrer au pays et y rester.

[34]           En fait, le défendeur prétend que le renversement et le conflit armé ne sont pas mutuellement exclusifs : le renversement est un « but », alors que le conflit armé est un « moyen » d’atteindre ce but. Le défendeur fait remarquer que l’arrêt Najafi portait effectivement sur un conflit armé, quoiqu’il s’agissait d’un  conflit armé au sens du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, 1125 RTNU 3 [le Protocole I], lequel couvre les conflits armés internationaux ou les conflits armés relatifs à une lutte pour l’autodétermination, contrairement au Protocole II. Cependant, le défendeur fait valoir que cette distinction est sans importance.

[35]           En dernier lieu, le défendeur affirme qu’on ne peut reprocher à la Section d’avoir omis d’examiner les arguments relatifs au « conflit armé » qui sont présentés à ce stade‑ci, puisqu’ils sont uniquement devenus un élément central des arguments juridiques dans les années qui se sont écoulées depuis le début de l’audience.

VI.             La norme de contrôle

[36]           La question de la norme de contrôle applicable n’a pas eu une grande incidence sur les observations écrites et sur les plaidoiries dans la présente affaire. Cependant, puisqu’il s’agit d’un contrôle judiciaire, j’estime qu’il est nécessaire de situer la présente décision sur le spectre du contrôle judiciaire.

[37]           Le litige en l’espèce, soit la définition et l’application des alinéas 34(1)b) et f), se rapporte à l’interprétation du concept juridique de renversement et à son application aux faits, ainsi qu’à l’interprétation de la loi habilitante de la Section; il s’agit de questions mixtes de faits et de droit. Il convient alors d’appliquer la norme de contrôle de la raisonnabilité, comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale au paragraphe 56 de l’arrêt Najafi (voir aussi les arrêts Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34; Agraira, au paragraphe 50, et Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 89).

[38]           La Cour, lorsqu’elle applique la norme de contrôle de la raisonnabilité, interviendra uniquement lorsque le processus décisionnel ne cadre pas avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et lorsque la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

[39]           Bien que la thèse du demandeur principal m’inspire une grande sympathie et que je reconnaisse la possible absurdité du fait de ne pas accorder le statut de réfugié à une personne en raison des efforts qu’elle a déployés à se battre contre des organisations auxquelles le Canada s’est lui aussi opposé, je suis néanmoins tenu d’appliquer la jurisprudence de la Cour d’appel du Canada. L’arrêt Najafi limite manifestement ma capacité à donner aux demandeurs le résultat qu’ils désirent.

[40]           Un bref survol des faits sous‑jacents de l’affaire Najafi est utile, non seulement en raison du fait qu’il s’agit de la jurisprudence d’appel la plus récente au sujet de l’alinéa 34(1)b), mais aussi parce que les faits dans cette affaire présentent des similitudes avec la présente.

[41]            M. Najafi était un citoyen de l’Iran d’origine ethnique kurde et il était membre du Parti démocratique kurde d’Iran [le KDPI], une organisation qui avait été l’auteure d’un soulèvement armé, pendant plusieurs décennies, contre le gouvernement d’Iran, soulèvement qui n’a pas abouti (Najafi, aux paragraphes 14 à 16). M. Najafi a prétendu que, puisque le recours à la force était légitime, en ce sens celui‑ci s’inscrivait dans le contexte du droit à son peuple à l’autodétermination à l’encontre d’un régime répressif, les gestes posés par le KDPI ne pouvaient pas être compris dans la portée de l’expression « renversement d’un gouvernement par la force », décrite à l’alinéa 34(1)b) (Najafi, au paragraphe 51).

[42]           Dans l’arrêt Najafi, la Cour d’appel fédérale devait trancher la question de savoir si, dans l’interprétation de la portée de l’alinéa 34(1)b), la ratification par le Canada du Protocole I obligeait la Section à exclure les personnes qui avaient tenté de renverser un gouvernement en vue de faire avancer le droit allégué à l’autodétermination par un peuple opprimé.

[43]           La juge Gauthier, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, unanime, a rejeté cet argument, en concluant que le terme clair et non ambigu « un gouvernement » n’était pas uniquement limité aux gouvernements démocratiques, mais qu’il s’appliquait aussi aux gouvernements coloniaux, à l’occupation étrangère et aux régimes oppressifs (Najafi, aux paragraphes 69 et 70).

[44]           La juge Gauthier a aussi traité de la définition de « renversement » dans sa décision. Elle a mentionné, dans sa discussion concernant la conclusion de la Section selon laquelle « la jurisprudence indique que le recours à la force dans le but de renverser un gouvernement équivaut à une subversion par la force », elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 65 et 66 :

Comme l’a fait remarquer la [Section], la loi ne définit pas le terme anglais «subversion» [en français : « renversement »], et il n’en existe pas de définition adoptée par tous. La définition du Black’s Law Dictionary à laquelle la Section de l’immigration se réfère au paragraphe 27 (en particulier, les mots « the act or process of overthrowing … the government ») est tout à fait conforme au sens ordinaire du texte français (« actes visant au renversement d’un gouvernement »). Bien que, dans certains contextes, le terme anglais « subversion » puisse être interprété comme désignant des actes illicites ou des actes posés à des fins détournées, les mots employés dans le texte français ne revêtent pas une telle connotation. Je suis convaincue que le sens commun des deux textes ne comporte généralement aucune mention de la légalité ou de la légitimité de ces actes.

Je note que le mot « subversion » n’est employé que dans la version anglaise de l’alinéa 34(1)b), alors qu’il est employé dans les deux versions, anglaise et française, de l’alinéa 34(1)a). Cela peut indiquer ou non un sens différent, mais je n’ai pas l’intention d’interpréter correctement l’alinéa 34(1)a) dans le présent appel. Je me contenterai de souligner que, dans la décision Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 71, inf. par 2001 CAF 399, la juge de première instance devait se pencher sur une version antérieure de l’alinéa 34(1)a), et que notre Cour n’a jamais eu à se prononcer sur le sens du terme « subversion » en appel.

[45]           Le jugement rendu par la Cour d’appel du Canada dans l’arrêt Najafi est sans équivoque quant au fait que, malgré que le terme « renversement » ne soit pas défini dans le contexte de la loi et que des précisions supplémentaires pourraient être nécessaires dans d’autres contextes, le terme a, pour les besoins de l’alinéa 34(1)b), un sens large qui correspond au libellé français de la disposition : « acte visant au renversement d’un gouvernement ».

[46]           Cette définition de portée large supplémente les définitions étroites énoncées dans les décisions Qu et Al‑Yamani. Si l’on applique la règle dégagée dans l’arrêt Najafi à la situation de M. Maqsudi, les conclusions de la Section (ainsi qu’aux faits non contestés selon lesquels l’organisation de Massoud était partie dans une lutte visant à renverser le gouvernement) a conduit à la conclusion raisonnable selon laquelle le demandeur principal est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)b).

[47]           Je ne souscris pas à l’affirmation selon laquelle le droit international, et surtout le Protocole II, restreint la portée de la définition de renversement. Il n’existe aucun motif impérieux à savoir pourquoi un instrument juridique international qui ne traite pas de la question du renversement, sauf peut‑être par voie de conséquence, devrait être appliqué pour définir le renversement à l’échelle nationale, surtout dans le contexte du droit canadien en matière d’immigration. Le Protocole II se rapporte à la protection des victimes dans le cadre de conflits armés et n’est pas lié à l’admissibilité d’un immigrant, de quelque manière que ce soit.

[48]           Même s’il était possible d’effectuer quelque distinction que ce soit entre le renversement et les conflits armés pour les besoins de l’application de l’alinéa 34(1)b), les demandeurs doivent néanmoins composer avec le fait que la Section, dans les faits sous-jacents à l’arrêt Najafi, a tiré une conclusion claire selon laquelle l’organisation à laquelle a appartenu M. Najafi, soit le KDPI, participait à un conflit armé. Comme l’a résumé la juge Gauthier au paragraphe 15 :

La Section de l’immigration s’est ensuite penchée sur les méthodes employées par le KDPI. Après avoir reconnu qu’il existait un grand nombre d’éléments de preuve selon lesquels le KDPI avait en grande partie eu recours à la force pour se défendre, elle a conclu que celui-ci n’avait pas moins eu recours volontairement à la force armée pour tenter de renverser le gouvernement de l’Iran et que cela faisait partie de son répertoire stratégique. Ce fut certes le cas au cours des années 1967 et 1968, alors qu’il a participé à un soulèvement armé infructueux contre le shah. En 1973, le KDPI [traduction] « s’est officiellement engagé dans une lutte armée ». La Section de l’immigration a ensuite souligné que le conflit armé entre le KDPI et le gouvernement iranien a atteint son sommet en 1982 et en 1983, période au cours de laquelle le KDPI a été chassé des agglomérations et forcé de prendre part à une guérilla dans les montagnes, bien qu’il ait temporairement repris le contrôle de la ville de Bukan en septembre 1983 []

[49]           La juge Gauthier a aussi conclu que le législateur avait été alerte à la possibilité que la grande portée de la disposition puisse, dans certains cas, englober les personnes qui combattent des régimes oppressifs (Najafi, au paragraphe 79). Elle a fait remarquer que le législateur, pour éviter une injustice, s’est assuré que les personnes visées par la disposition pouvaient présenter une demande en vue d’obtenir une dispense ministérielle :

[80] Évidemment, lorsque je dis que le législateur voulait que cette disposition soit appliquée de façon large, je parle de l’étape de l’interdiction de territoire, car, comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, quoique dans un contexte différent, le législateur a toujours voulu que le ministre ait la possibilité de dispenser n’importe quel étranger visé par ce libellé général, après avoir tenu compte des objectifs énoncés au paragraphe 34(2), ce qui se fait par le dépôt d’une demande. (Comme nous l’avons vu, le paragraphe 34(2) est devenu le paragraphe 42.1(1). En vertu du paragraphe 42.1(2), cette dispense peut maintenant être accordée à l’initiative du ministre).

[81] Ce mécanisme peut être utilisé pour protéger les membres innocents d’une organisation, mais aussi les membres d’organisations dont l’admission au Canada ne serait pas préjudiciable ou contraire à l’intérêt national en raison des activités de l’organisation au Canada et de la légitimité du recours à la force pour renverser un gouvernement à l’étranger.

[50]           Comme il a été décrit ci-dessus, les demandeurs avaient initialement produit des observations au sujet de la portée de la dispense ministérielle prévue au paragraphe 34(2) (le demandeur a même agi à titre d’intervenant devant la Cour suprême dans l’arrêt Agraira quant à la question), en prétendant que le fait de limiter à la sécurité nationale et à la sécurité publique les facteurs que le ministre peut prendre en considération lorsqu’il accorde sa dispense visée à l’alinéa 34(1)b) était indûment restrictif. Comme le prévoit expressément le paragraphe 42.1(3), « le ministre ne tient compte que de considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique sans toutefois limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada ». Même à la lumière de cette précision issue de la loi, je ne crois pas que le demandeur principal fait l’objet d’une restriction indue quant à son accès à la dispense. M. Maqsudi, lorsqu’il présentera sa demande, pourra produire des éléments de preuve au ministre portant qu’il était utile, qu’il prêtait assistance à la partie dont les visées étaient alignées avec les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale et de sécurité publique, premièrement dans son combat contre le gouvernement communiste et, par la suite, contre les Talibans, soit deux régimes auxquels le Canada s’opposait.

[51]           Compte tenu de la jurisprudence, et particulièrement de l’arrêt Najafi, je conviens avec le défendeur qu’une lecture ordinaire de l’alinéa 34(1)b) ne fait aucun doute quant au fait qu’il convient de donner une portée large à la disposition. Le législateur est présumé donner un sens aux mots qu’il emploie, et les débats parlementaires qui ont été cités et que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont invoqués dans l’arrêt Najafi, appuient cette proposition.

[52]           La prépondérance de la jurisprudence ainsi qu’une lecture ordinaire des dispositions législatives sur la présente affaire me conduit à la conclusion selon laquelle la décision de la Section était raisonnable.

[53]           Je compatis avec la situation de M. Maqsudi en ce qui concerne la portée du terme « renversement », compte tenu du fait qu’il a été déclaré interdit de territoire, car il avait joint les rangs de la résistance au régime communiste afghan soutenu par les Soviétiques. Il s’agit d’un gouvernement désigné par le Canada au titre de l’alinéa 35(1)b) de la Loi, au motif qu’il avait commis des violations graves aux droits fondamentaux ou des crimes de guerre. Les dirigeants principaux des gouvernements désignés sont interdits de territoire au Canada (voir, à titre d’exemple en ce qui concerne cet ancien gouvernement afghan, la décision Holway c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 309, au paragraphe 29; voir, pour un point de vue plus général en ce qui concerne les gouvernements désignés, l’article 8.1 du Guide opérationnel de CIC ENF 18, « Crimes de guerre et crimes contre l’humanité »). La situation de M. Maqsudi en ce qui a trait au renversement est donc sans issue favorable. Cependant, la jurisprudence a clairement établi que la portée de l’alinéa 34(1)b) a été examinée, débattue et approuvée par le législateur. Une interprétation large de cette disposition a été confirmée dans une situation comparable de conflit armé dans l’arrêt Najafi, et la Cour est liée par ce jugement, rendu en appel.

[54]           Ayant conclu ainsi, j’ai néanmoins espoir que le ministre, dans son appréciation de l’éventuelle demande de dispense présentée au titre de l’article 42.1, tiendra compte de la participation de M. Maqsudi à une lutte contre un régime dont l’historique de barbarie est bien documenté.

VIII.       La question à certifier

[55]           Les demandeurs proposent la question suivante à des fins de certification :

[traduction]
Le « renversement » au sens de l’alinéa 34(1)b) de la Loi s’applique‑t‑il lorsqu’une organisation vise à renverser un gouvernement dans le contexte d’un conflit armé (au sens du Protocole II de la Convention de Genève de 1949)?

[56]           Après examen attentif de la justification mise de l’avant par les demandeurs dans la proposition de la question, je conviens avec les observations du défendeur que la question ne répond pas aux critères à deux volets établis dans l’arrêt Liyanagamage c Canada (Secrétaire d’État), [1994] ACF no 1637 (CA). La question proposée n’est ni d’application large ni de portée générale, parce que la Cour d’appel fédérale a examiné ces questions dans l’arrêt Najafi et qu’elle y a répondu. La Cour d’appel fédérale a examiné la définition de renversement et elle a conclu que celle‑ci devait être interprétée largement, qui comprend notamment un examen quant à l’application du droit international. Effectivement, la Cour suprême du Canada a examiné, mais a ultimement rejeté, l’autorisation de pourvoi relativement à l’arrêt Najafi le 23 avril 2015 (Najafi c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CanLII 20818 (CSC)).

IX.             Conclusions

[57]           Malgré les très savantes observations présentées par l’avocate des demandeurs, je suis incapable de conclure que la décision de la Section était déraisonnable ou que le commissaire a interprété incorrectement la loi dans son application de la disposition relative au renversement à la situation du demandeur principal, et ce, même si l’issue peut être mise en doute compte tenu des circonstances de la présente affaire. Cependant, les facteurs soulevés dans la présente instance seront, je présume, soumis au ministre dans le contexte de la demande de dispense et donneront à M. Maqsudi la possibilité d’expliquer, comme il l’a fait devant la Cour, pourquoi les actes de renversement constatés en l’espèce ne sont pas contraires à l’intérêt national.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         Attendu que le critère appliqué par la Section pour déclarer le demandeur principal, Ahmad Daud Maqsudi, complice de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité n’est pas compatible avec le critère de la « contribution volontaire, significative et consciente » en matière de complicité qui a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ezokola, la Cour accueille la demande en lien avec la conclusion au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi.

2.         La Cour rejette la demande en ce qui a trait à la conclusion au titre de l’alinéa 34(1)b) pour les motifs susmentionnés.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

4.         Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6362-11

 

INTITULÉ :

AHMAD DAUD MAQSUDI, HAKIMA MAQSUDI, AHMAD SHAHIM MAQSUDI, AHMAD BARI MAQSUDI, AHMAD ALHAM MAQSUDI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Leigh Salsberg

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sophia Karantonis

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Leigh Salsberg

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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