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Date : 20151019


Dossier : T-1533-14

Référence : 2015 CF 1175

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MARC GRAVELLE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire d’une décision (Gravelle c Administrateur général (ministère de la Justice), 2014 CRTFP 61 [Gravelle]) rendue par un arbitre de grief [l’arbitre de grief] de la Commission des relations de travail dans la fonction publique [CRTFP] nommé en application de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art 2. Le demandeur était un fonctionnaire du ministère de la Justice [le MDJ]. Il a contesté quatre décisions du MDJ :

A.                Son licenciement du 6 juillet 2011;

B.                 La révocation de sa cote de fiabilité le 7 juillet 2011;

C.                 Sa suspension en vigueur le 8 février 2011;

D.                La suspension d’une journée qui lui a été infligée le 26 janvier 2011.

[2]               En fin de compte, l’arbitre de grief a rejeté le grief sur le licenciement, il a jugé que la contestation de la suspension indéfinie était théorique, il a conclu qu’il n’avait pas compétence pour examiner la révocation de la cote de fiabilité et il a accueilli le grief sur la suspension d’une journée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur était un fonctionnaire du MDJ, il occupait un poste d’adjoint aux ressources humaines. Ses supérieurs ont témoigné devant l’arbitre de grief qu’ils n’étaient pas satisfaits de son travail, qui : était souvent en retard, contenait des erreurs qui devaient être corrigés subséquemment, était incomplet. Il a également été réprimandé, notamment pour avoir tenu des propos offensants à l’encontre des membres de la direction et pour avoir utilisé un langage vulgaire dans des communications.

[4]               En décembre 2010, le demandeur est sorti dîner avec un ancien collègue de travail, ce dîner a duré beaucoup plus longtemps que la pause permise de 30 minutes. Pour ce motif, il s’est vu infliger, le 26 janvier 2011, une suspension d’une journée.

[5]               En janvier 2011, le demandeur et Denis Ouellette, son superviseur immédiat, se sont échangé leurs bureaux et leurs numéros de téléphone. M. Ouellette a ensuite reçu un appel téléphonique destiné au demandeur à propos de réparations de voitures. M. Ouellette a déclaré qu’il avait déjà vu le demandeur consulter des sites Web sur les réparations et les reventes de voitures, et il soupçonnait le demandeur d’exploiter une entreprise personnelle sur son lieu de travail au gouvernement. Ces soupçons ont été portés à l’attention des supérieurs de M. Ouellette, qui ont confié à Denis Roussel, un spécialiste en technologie de l’information [TI], le mandat de mener une enquête.

[6]               M. Roussel a examiné le compte de courrier électronique du demandeur et il a fait plusieurs constatations, notamment que la consommation Internet du demandeur était anormalement élevée, que le demandeur exploitait une entreprise de vente de voitures, de pièces et de matériel à même son ordinateur de travail, qu’en novembre et décembre 2009, il avait acheminé à son compte de courriel personnel plusieurs documents concernant des processus de dotation et contenant des renseignements personnels d’autres fonctionnaires, y compris des renseignements sur les épreuves connexes à des concours auxquels le demandeur était candidat, ainsi que les noms des autres candidats.

[7]               Le demandeur a été suspendu le 7 février 2011, la même journée où M. Ouellette a produit son rapport en version préliminaire. Une version définitive du rapport a été remise au demandeur pour qu’il en discute lors d’une réunion avec ses supérieurs, mais il ne s’y est pas présenté. À la lumière du rapport, ses supérieurs ont ensuite recommandé au sous-ministre de le licencier pour inconduite.

[8]               Le demandeur a été licencié le 6 juillet 2011, mais le sous-ministre a précisé que sa décision avait un effet rétroactif à la date de la suspension. Le licenciement était motivé par un usage inapproprié et excessif d’Internet, son dossier disciplinaire et l’abus de confiance qu’il a commis en ayant accès à des renseignements personnels qu’il n’était pas autorisé à consulter et en les acheminant à son adresse courriel personnelle, ce qui représente une grave atteinte à la vie privée. Ces divers facteurs ont constitué à leur tour un abus de confiance à l’égard de son employeur. La cote de fiabilité du demandeur a été révoquée le lendemain.

III.             La décision

[9]               L’arbitre de grief a conclu que le MDJ était pleinement en droit de mettre fin à la relation d’emploi. Bien que les éléments de preuve ne fussent pas suffisants pour conclure que le demandeur s’était servi du réseau pour exploiter ses entreprises personnelles sur son lieu de travail, il est évident que le demandeur faisait un usage disproportionné du réseau au regard de ses propres besoins, et que cet usage dépassait grandement celui des autres fonctionnaires, y compris ceux dont les tâches exigeaient qu’ils se servent beaucoup d’Internet, comme les fonctionnaires du service de TI. L’arbitre de grief a également conclu que le demandeur avait acheminé des documents de dotation confidentiels à son adresse de courriel personnelle pour son propre usage illégitime. Le MDJ a donc dû signaler cette divulgation de renseignements personnels au Commissariat à la protection de la vie privée et il a donné avis de l’atteinte à la vie privée à chacun des 108 fonctionnaires concernés. L’arbitre de grief a statué que ce motif justifiait son licenciement.

[10]           En ce qui concerne la suspension, l’arbitre de grief l’a jugée théorique, étant donné que le licenciement avait pris effet rétroactivement le premier jour de celle-ci. L’arbitre de grief n’a pas pu trouver « de jurisprudence sur la fonction publique fédérale à l’appui d’un argument selon lequel […] l’employeur ne peut antidater le licenciement » (Gravelle, au paragraphe 102). En antidatant le licenciement, la suspension et le licenciement devenaient une seule et même mesure disciplinaire; de sorte qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur un grief distinct à l’égard de chacune de ces questions.

[11]           Pour ce qui est de la troisième question litigieuse soulevée en l’espèce, l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas compétence pour se pencher sur la révocation de la cote de fiabilité du demandeur. Il n’aurait eu compétence que s’il avait été en présence d’une mesure disciplinaire (y compris une mesure disciplinaire déguisée), mais l’arbitre de grief a statué qu’il s’agissait plutôt d’une mesure purement administrative.

[12]           En dernier lieu, le demandeur a contesté une quatrième question, à savoir la suspension d’une durée d’une journée en janvier 2011 en raison de la longue pause de dîner qu’il avait prise en décembre 2010. Le demandeur a fait valoir que le dîner avait été anormalement long à cause d’un retard pour qu’il soit servi. L’arbitre de grief a estimé que le fait de prendre un long dîner ne constituait pas une inconduite qui méritait une suspension d’une journée, et il a accueilli ce grief.

IV.             Les questions en litige

[13]           Le demandeur sollicite de la Cour qu’elle :

A.           Annule le licenciement, la révocation et le rapport des TI;

B.            Renvoie les trois griefs à un autre arbitre de grief en précisant que celui‑ci aura la compétence d’examiner à nouveau la décision relative à la cote de fiabilité;

C.            Déclare :

                                                i.              que le MDJ n’avait pas de motif valable de le licencier;

                                              ii.              qu’il n’a ni acheminé de documents confidentiels à son adresse personnelle, ni exploité une entreprise à l’aide de son ordinateur de travail, ni utilisé le réseau électronique de manière excessive;

                                            iii.              que l’arbitre de grief est arrivé à des conclusions de fait erronées et a commis des erreurs de droit en méconnaissant la preuve;

                                            iv.              que l’enquête du MDJ était inappropriée et a été réalisée de mauvaise foi et que l’employeur n’avait donc pas le pouvoir de le licencier rétroactivement;

D.           Ordonne au MDJ de le reprendre à son service dans son ancien poste, de rétablir sa cote de fiabilité et de lui payer les salaires et avantages sociaux auxquels il aurait eu droit s’il n’avait pas été licencié;

E.            Lui adjuge les dépens de l’instance.

V.                La norme de contrôle

[14]           La norme de contrôle qui s’applique à une décision d’un arbitre de grief de la CRTFP est la décision raisonnable (King c Canada (Procureur général), 2013 CAF 131, au paragraphe 3). Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Nouveau-Brunswick (Conseil de gestion) c Dunsmuir, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il s’agit d’une norme appelant un degré élevé de retenue; comme cela ressort du paragraphe 59 de l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ».

VI.             Analyse

A.                Objections préliminaires du défendeur

[15]           À titre préliminaire, le défendeur a soulevé deux points. Premièrement, le défendeur invoque l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, relatif au contenu des affidavits à la Cour, afin que ceux-ci « se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle ». Le défendeur allègue que de grands segments de l’affidavit du demandeur énoncent des arguments, des opinions ou des conjectures, et que la Cour devrait tenir compte seulement des extraits de l’affidavit qui portent sur des faits dont le demandeur avait une connaissance personnelle, qui ont un lien avec l’affaire en litige et – surtout – dont l’arbitre de grief a été saisi.

[16]           En ce qui concerne les éléments de preuve en soi, qui ont été produits sous forme d’annexes à l’affidavit de M. Gravelle contenu dans le dossier de la demande, le défendeur soutient en contrôle judiciaire que la Cour devrait uniquement examiner la preuve dont le décideur était saisi, sauf dans des cas exceptionnels, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. Comme l’a déclaré le juge Létourneau au paragraphe 11 de l’arrêt Bekker c Canada, 2004 CAF 186, « sauf dans des circonstances exceptionnelles comme l’existence de questions relatives à la partialité ou à la compétence […], la cour de révision est liée par le dossier dont le juge ou l’office était saisi et est limitée à ce dossier ».

[17]           Le juge Stratas s’est penché sur des exemples de circonstances exceptionnelles au paragraphe 20 de l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 :

Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues […] :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire.

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale […].

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée.

[18]           Je suis du même avis que le défendeur. Comme je l’ai mentionné dans ma décision à l’audience, le demandeur a en effet inclus des opinions, des arguments et des conjectures dans son affidavit introductif. Il a également joint à son affidavit, qui se trouve dans son dossier de demande, une quantité importante d’éléments de preuve dont l’arbitre de grief n’avait pas été saisi. Le demandeur n’a pas convaincu la Cour que cette nouvelle preuve faisait partie des exceptions, et il n’a pas expliqué clairement le lien entre ses nouvelles allégations et le caractère raisonnable de la décision sous-jacente.

[19]           Comme je l’ai expliqué au demandeur dans ma décision à l’audience, le contrôle judiciaire met l’accent sur la preuve dont le décideur était saisi et les erreurs que le décideur pourrait avoir commises dans son appréciation de cette preuve. Tous les facteurs extrinsèques comme la nouvelle preuve ou les allégations contenues dans l’affidavit du demandeur ne devraient pas être pris en considération.

B.                 Admissibilité de l’affidavit du demandeur en réplique

[20]           Une autre des questions préliminaires qui a été tranchée à l’audience concernait l’affidavit du demandeur en réplique. Le 16 septembre 2015, le demandeur a déposé une requête visant à obtenir une ordonnance, en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, l’autorisant à déposer un affidavit complémentaire. Étant donné que la requête a été déposée si tardivement par rapport au contrôle judiciaire du 28 septembre à la Cour, il a été décidé que cette requête serait instruite au début de l’audience.

[21]           L’affidavit du demandeur en réplique et les documents connexes visent à produire la preuve que le demandeur n’aurait pas pu envoyer les courriels qui contenaient des renseignements personnels. Il affirme que les nouveaux documents démontrent qu’il avait été malade la majeure partie du mois de décembre.

[22]           Les exigences sont élevées pour faire accepter une nouvelle preuve dans des affidavits complémentaires au cours d’une instance en contrôle judiciaire. Comme la Cour en a précédemment statué, les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents supplémentaires devrait être exercé avec une grande circonspection : Mazhero c Conseil canadien des relations industrielles, 2002 CAF 295, au paragraphe 5.

[23]           Aux paragraphes 4 à 6 de l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 88 [Forest Ethics], le juge Stratas a exposé le critère d’admissibilité, en vertu de l’article 312 des Règles :

A.                La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire;

B.                 L’élément de preuve doit être pertinent à une question que la cour de révision est appelée à trancher;

C.                 En supposant que la partie satisfait à ces deux exigences préliminaires, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des questions suivantes :

                                                i.              Est‑ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits ou aurait‑elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

                                              ii.              La valeur probante est-elle suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

                                            iii.              Est‑ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

[24]           Pour bon nombre des mêmes motifs que j’ai indiqués ci-dessus dans ma première décision procédurale (c.-à-d. que le nouvel élément de preuve que le demandeur a produit au moyen de son affidavit introductif ne devait pas être pris en considération), les éléments de preuve que contient l’affidavit complémentaire ne franchissent pas la première étape du critère énoncé ci-dessus. Ils ne relèvent d’aucune exception qui les rendrait admissibles et ils ne sont pas pertinents par rapport au caractère raisonnable de la décision de l’arbitre de grief.

[25]           Même si les nouveaux éléments de preuve étaient admissibles et pertinents, il existe encore des motifs discrétionnaires de les refuser. À titre d’exemple, le demandeur possédait manifestement ces éléments de preuve depuis l’été 2014, mais il ne les a produits qu’en septembre 2015, bien qu’il ait déposé son affidavit introductif le 1er août 2014. Il ne donne aucune explication sur le fait que les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été présentés à ce moment-là.

[26]           Enfin, le défendeur a expliqué les raisons pour lesquelles il serait préjudiciable d’admettre les nouveaux éléments de preuve, notamment le fait que l’instance serait à nouveau retardée afin d’obtenir une preuve par affidavit. Cette possibilité imposerait une pression supplémentaire, non seulement sur le défendeur, mais aussi sur les ressources de la Cour.

[27]           Pour tous les motifs susmentionnés, j’ai décidé de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire d’admettre l’affidavit complémentaire et son contenu connexe.

C.                 Questions en litige et analyse

[28]           Comme je l’ai expliqué ci-dessus, la Cour est saisie du contrôle judiciaire d’une décision rendue par la CRTFP; à ce titre, l’instance est assujettie à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la Loi], en vertu duquel la Cour peut faire droit à un recours si elle est convaincue que la CRTFP :

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

[29]           Le paragraphe 18.1(3) de la Loi prévoit les recours qui s’offrent à un demandeur qui a gain de cause dans un contrôle judiciaire :

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[30]           Le paragraphe 18.1(3) établit clairement que de nombreuses demandes du demandeur outrepassent le pouvoir de la Cour. Voici comment s’est exprimé la juge Sharlow au paragraphe 14 de l’arrêt Sosiak c Canada (Procureur général), 2003 CAF 205 :

Une demande de contrôle judiciaire n’est pas un procès. Le rôle d’une cour de révision est de décider si le tribunal a commis une erreur en décidant, comme il l’a fait, sur la base des documents qui ont été soumis au tribunal et de l’audience qu’il a tenue, et, si la cour conclut à une telle erreur, de décider si la nature de l’erreur peut justifier son intervention.

[31]           De plus, la Cour peut uniquement intervenir si le demandeur isole des erreurs précises d’une nature si grave qu’elles rendent déraisonnable la décision de l’arbitre de grief, suivant la définition des arrêts Dunsmuir et Khosa. Tout le reste échappe au pouvoir d’intervention qu’elle exerce comme organisme de contrôle.

[32]           Pour ce qui est des questions susceptibles de contrôle, le demandeur allègue donc une erreur de la part de l’arbitre de grief. Le demandeur est d’avis que la preuve présentée devant l’arbitre de grief dans le témoignage de Denis Roussel, en particulier au sujet de la façon dont celui-ci a établi qu’il avait acheminé les dossiers personnels à son adresse de courriel personnelle, n’est pas crédible. Le demandeur fait valoir que M. Roussel a joué un rôle crucial dans une série de courriels qui laissent supposer la destruction et la manipulation d’éléments de preuve pertinents. Le demandeur affirme qu’il a fait part à l’arbitre de grief de ses préoccupations à propos de M. Roussel, et il soutient que quoi qu’il en soit, il était erroné de la part de l’arbitre de grief de s’en remettre à cette preuve.

[33]           De plus, M. Gravelle allègue que la preuve n’était pas suffisante pour conclure qu’il a envoyé les courriels; le simple fait qu’ils provenaient de son ordinateur ne signifie pas qu’il les a envoyés, et le MDJ n’a jamais démontré que son ordinateur n’avait pas été piraté. Une grande partie des nouveaux éléments de preuve que le demandeur a voulu produire se rapporte à ces arguments, à savoir que le MDJ avait déjà fait l’objet d’atteintes à la sécurité, que le logiciel utilisé par M. Roussel pour son enquête était déficient et que le demandeur n’avait pas du tout envoyé les courriels en question.

[34]           Toutefois, l’évaluation des conclusions de l’arbitre sur ces motifs ne révèle pas d’erreur susceptible de contrôle. Il est manifeste que l’arbitre de grief a pris en considération le témoignage de M. Roussel de façon attentive et non sans faire preuve d’esprit critique. Par exemple, il a exclu de la décision certaines des conclusions de M. Roussel, parce qu’elles n’étaient pas pertinentes et qu’elles faisaient preuve d’un « manque de respect pour la vie privée du fonctionnaire » (Gravelle, au paragraphe 93). L’arbitre de grief a également tenu compte de l’avis du demandeur au sujet des courriels (à l’époque, il affirmait ne pas se souvenir de les avoir envoyés) et de l’enquête de M. Roussel (qui, d’après le demandeur, était « truffée de lacunes »).

[35]           Malgré les faiblesses relevées dans la preuve de M. Roussel et les éléments concédés au demandeur, l’arbitre a conclu que « (c)ompte tenu de l’ensemble des éléments de preuve qui [lui] ont été soumis, [il était] persuadé que le fonctionnaire a transmis ces documents à son adresse à domicile » (Gravelle, au paragraphe 88).

[36]           Comme l’a fait remarquer le défendeur, l’audience de la CRTFP s’est déroulée pendant 13 jours. Le demandeur était représenté par un avocat compétent et expérimenté. Les parties ont produit en preuve plus de 120 documents, y compris un rapport d’enquête de 392 pages. Des motifs suffisants ont été donnés pour expliquer les raisons pour lesquelles l’enquête avait été demandée. L’arbitre de grief a expliqué la façon minutieuse dont l’enquête a été menée et les mesures de prudence qui ont été prises dans le cadre de sa mise à l’essai, de sa conception et de sa préparation.

[37]           L’arbitre de grief a également fait état de la façon dont il est arrivé, selon la prépondérance des probabilités, à la conclusion que le demandeur avait illégitimement acheminé des renseignements confidentiels appartenant à l’employeur, de son travail à son adresse de courriel personnelle. L’arbitre de grief a soupesé les éléments de preuve produits par les enquêteurs, il les a comparés à ceux que le demandeur a présentés et il a décidé, en tenant compte de tous les éléments dont il disposait, qu’il préférait la preuve de l’employeur à celle du fonctionnaire.

[38]           Dans le même ordre d’idées, après avoir examiné la jurisprudence, l’arbitre de grief a expliqué que : a) le licenciement annulait l’effet de la suspension, étant donné qu’il était rétroactif et justifié, b) la révocation de la cote de fiabilité était une décision purement administrative de l’employeur. À mon avis, ces deux conclusions étaient justifiées et raisonnables.

[39]           La démarche et le résultat appartiennent aisément aux principes de justification, de transparence et d’intelligibilité énoncés dans l’arrêt Khosa. Je ne pense pas qu’il soit loisible à la Cour d’y substituer sa propre conception de l’issue préférable.

[40]           En fin de compte, le demandeur conteste aujourd’hui des conclusions de fait. Dans l’arrêt Rohm and Haas Canada Ltd. et Canada (Tribunal Antidumping), [1978] ACF no 522, la Cour d’appel fédérale a énoncé trois conditions qui doivent être remplies avant qu’une cour de révision puisse modifier la décision d’un tribunal : (i) le tribunal doit avoir tiré une conclusion de fait erronée; (ii) cette conclusion erronée doit avoir été tirée a) de façon absurde ou arbitraire ou b) sans tenir compte des éléments portés à la connaissance du tribunal; (iii) la décision contestée doit avoir été fondée sur la conclusion erronée.

[41]           Je suis d’avis qu’aucune de ces conditions n’a été remplie en l’espèce.

VII.          Dispositif

[42]           Compte tenu de la preuve dont la CRTFP était saisie, l’arbitre de grief est arrivé à une décision bien raisonnée et minutieusement étudiée quant à la question de savoir si les actes du demandeur ont constitué un abus de la confiance de son employeur à plusieurs reprises et ont en fin de compte entraîné son licenciement. Il était loisible à l’arbitre de grief d’arriver à la conclusion qu’il a tirée.

[43]           En dépit des meilleurs efforts du demandeur, qui a fait de son mieux pour présenter sa cause en son propre nom, ses observations ne révèlent aucune erreur commise dans la décision de l’arbitre de grief qui soit susceptible de contrôle. Ces observations attirent plutôt l’attention de la Cour sur des questions sur lesquelles elle ne peut pas se pencher dans le cadre de l’instruction de la présente demande. La présente affaire est donc rejetée. Compte tenu des circonstances et de la situation actuelle de M. Gravelle, je n’adjugerai pas de dépens. Comme nous en avons discuté à l’audience, M. Gravelle devrait être conscient qu’il s’agit d’une dérogation à la norme en matière de dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Aucune question n’est certifiée.

3.             Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1533-14

 

INTITULÉ :

MARC GRAVELLE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 septembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 19 octobre 2015

 

COMPARUTIONS :

Marc Gravelle

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Lesa Brown

 

POUR le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[Blank]

le demandeur POUR SON PROPRE COMPTE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

 

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