Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151019


Dossier : IMM-93-15

Référence : 2015 CF 1179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SOURABH PAUL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre de la décision du 16 décembre 2014 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de travailleur qualifié (fédéral) du demandeur.

[2]               Le demandeur, M. Sourabh Paul, est un entrepreneur et un citoyen du Kenya. En octobre 2014, il a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) en indiquant, dans sa demande, deux postes de cadre supérieur distincts (CNP 0013 et CNP 0015), mais il n’a indiqué que le code CNP 0015 comme poste actuel.

[3]               L’agent a rejeté sa demande au titre de la CNP 0015 et n’a pas examiné sa demande au titre de la CNP 0013. L’agent a rejeté la demande pour deux raisons :

[traduction]
Vous n’avez pas fourni la preuve suffisante que vous exécutiez les fonctions décrites dans l’énoncé principal relatif à la profession, lequel figure dans les descriptions professionnelles de la CNP.

Vous n’avez pas fourni la preuve suffisante que vous exécutiez une partie appréciable des fonctions principales de la profession, lesquels figurent dans les descriptions professionnelles de la CNP, notamment toutes les fonctions essentielles.

Par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il existe une preuve suffisante démontrant que vous répondez au critère d’expérience de la profession décrite dans la CNP-0015.

(Décision et motifs, dossier du demandeur, aux pages 5 et 6)

II.                Les questions en litige

[4]               Les parties ont soulevé plusieurs questions, mais la Cour estime que les questions centrales à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

1)      L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante pour démontrer qu’il satisfaisait aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227?

2)      L’agent a-t-il commis une erreur en n’examinant pas si le demandeur exécutait les fonctions décrites dans la CNP 0013?

III.             La position des parties

[5]               Le demandeur soutient avoir produit, à l’appui de sa demande, plusieurs lettres indiquant qu’il avait travaillé comme cadre supérieur dans diverses sociétés. Il était donc déraisonnable de la part de l’agent de ne pas tenir compte de la preuve corroborante ou, subsidiairement, de ne pas expliquer les motifs pour lesquels il avait écarté les lettres produites en preuve sans motiver clairement une telle décision (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228; Ababio c Canada (Ministère de l’Emploi et de l’immigration), [1988] ACF no 250; Armson c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 800). L’agent avait l’obligation d’examiner l’ensemble de la preuve et de produire des motifs cohérents justifiant la décision (Taleb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 384 [Taleb]; Monteverde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1402; Shirazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 306 [Shirazi]), mais il a omis de le faire, puisqu’il a incorrectement indiqué dans ses notes informatisées que [traduction] « aucune fonction n’est mentionnée dans les lettres », alors qu’en fait, plusieurs lettres, ainsi que l’annexe 3 de la demande, mentionnaient les fonctions qu’il exécutait. De plus, les fonctions décrites dans les lettres et dans l’annexe 3 de la demande correspondent à celles décrites dans la CNP. L’agent n’ayant pas tenu compte de la preuve ou l’ayant écartée, sa décision est donc déraisonnable et aurait dû être annulée pour ce seul motif (Turizo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 721; Ghannadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 515). Subsidiairement, le demandeur soutient que l’agent avait l’obligation d’examiner l’expérience du demandeur au titre de la CNP 0013, puisqu’il avait le droit d’être évalué en fonction de chaque profession pour laquelle il répond aux critères (Li c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 40).

[6]               À l’inverse, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de la part de l’agent d’examiner la demande du demandeur seulement au titre de la CNP 0015, puisqu’il s’agissait de la profession principale que ce dernier avait indiqué dans sa demande. Il était également raisonnable de sa part de conclure que le demandeur n’avait pas fourni la preuve suffisante qu’il avait exécuté les fonctions décrites à la CNP 0015, car les lettres produites avec sa demande ne mentionnaient pas que le demandeur avait exécuté les fonctions décrites dans l’énoncé principal relatif à la CNP 0015. Les lettres faisaient plutôt seulement état des postes occupés par le demandeur, en décrivant vaguement son rôle dans les diverses entreprises, et indiquaient que leur signataire le connaissait. Par conséquent, il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères énoncés dans les instructions ministérielles.

IV.             La norme de contrôle

[7]               L’appréciation de l’agent quant à l’admissibilité du demandeur au statut de résident permanent au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Ansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849; Shirazi, précitée).

V.                Analyse

A.                Le caractère suffisant des motifs et de la preuve

[8]               Il est bien établi qu’une grande déférence s’impose à l’égard des décisions que prend l’agent dans le contexte de l’examen d’une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (Katebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 813, au paragraphe 36 [Katebi]; Shirazi, précitée, au paragraphe 15; Taleb, précitée, au paragraphe 27). Par conséquent, la Cour ne doit pas modifier la décision à moins qu’elle ne soit déraisonnable, à savoir que la décision n’est pas transparente ou intelligible ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[9]               Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, parce que l’agent a omis de lui expliquer les raisons pour lesquelles il avait écarté les lettres produites avec la demande.

[10]           Il importe de souligner que le caractère suffisant des motifs ne permet pas à lui seul de casser une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au paragraphe 14 [Newfoundland Nurses]). Pour déterminer si un décideur fournit des motifs suffisants, la Cour doit être en mesure de comprendre « le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » pour conclure que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir » (Newfoundland Nurses, précitée, au paragraphe 16).

[11]           Comme je l’ai mentionné précédemment, les motifs de l’agent sont faibles; ils énoncent seulement que le demandeur n’a pas produit la preuve suffisante démontrant qu’il avait exécuté les fonctions décrites dans l’énoncé principal relatif à la CNP 0015 et qu’il n’avait pas exécuté une partie appréciable des fonctions principales relatives à la CNP 0015. Comme les notes inscrites dans le système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) font partie des motifs, la Cour doit aussi en tenir compte (Taleb, précitée, au paragraphe 25). L’agent a inscrit dans ses notes dans le STIDI que [traduction] « aucune fonction n’est mentionnée dans les lettres qui accompagnent la demande ». Étant donné l’absence de justification de la part de l’agent quant aux motifs qui lui ont permis de conclure que le demandeur n’avait pas produit de preuve, la Cour ne peut comprendre pour quels motifs l’agent a pris une telle décision. Par conséquent, sa décision est inadéquate.

[12]           Le demandeur fait valoir que l’agent a écarté la preuve et qu’il n’était pas raisonnable de la part de ce dernier de conclure qu’il ne satisfaisait pas aux conditions de la CNP 0015. La Cour souscrit à sa prétention.

[13]           Il incombe au demandeur de présenter une demande qui soit complète, pertinente, convaincante et sans ambiguïté (Katebi, précitée, au paragraphe 35; Obeta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1542, au paragraphe 25). Après avoir examiné la demande présentée par le demandeur, la Cour estime qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure comme il l’a fait. De plus, ce n’est pas le rôle de la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ni de substituer sa décision à celle de l’agent (Khoshnavaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1134, au paragraphe 41), sauf lorsque la preuve démontre le contraire, ce qui est le cas en l’espèce.

B.                 L’omission de tenir compte de la CNP 0013

[14]           De plus, le demandeur a mentionné expressément dans sa demande que son poste actuel correspondait à la fois à la CNP 0015 et à la CNP 0013.

VI.             Conclusion

[15]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que le dossier doit être examiné de nouveau par un autre agent d’immigration. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-93-15

 

INTITULÉ :

SOURABH PAUL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 OCTOBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nur Muhammed-Ally

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.