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Date : 20151016


Dossier : T-2105-13

Référence : 2015 CF 1176

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

BARD PERIPHERAL VASCULAR, INC.

ET

BARD CANADA INC.

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

W.L. GORE & ASSOCIATES, INC.

ET

W.L. GORE & ASSOCIATES CANADA INC.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie de l’appel interjeté par les défenderesses et demanderesses reconventionnelles, W.L Gore & Associates Inc. [Gore US] et W.L Gore & Associates Canada Inc. [Gore Canada] [désignées collectivement Gore], sur le fondement de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], à l’encontre d’une partie de l’ordonnance rendue par le protonotaire Richard Morneau le 24 août 2015 [l’ordonnance], dans laquelle il a tranché la demande de réponses à des questions posées au représentant des demanderesses et défenderesses reconventionnelles [Bard] au cours de l’interrogatoire préalable. Gore cherche à contraindre M. Scott Randall, le représentant de Bard, à répondre à plusieurs questions auxquelles le protonotaire Morneau a conclu qu’il n’avait pas à répondre.

[2]               Gore conteste également la partie de l’ordonnance du protonotaire Morneau qui adjuge les dépens à Bard.

[3]               Pour les motifs qui suivent, l’appel de Gore est rejeté.

II.                Contexte

[4]               Le présent appel a été interjeté dans le cadre d’une action intentée par Bard en vue d’obtenir un jugement déclarant que Gore a violé le brevet canadien no 1341519 [le brevet 519] ainsi qu’une injonction et des dommages-intérêts, y compris des dommages-intérêts punitifs et exemplaires. Le brevet 519, dont le titre français est Greffe vasculaire, contient 27 revendications et porte sur de l’appareillage prothétique, y compris des veines et des artères artificielles faites de Téflon expansé appelé PTFEe. Bard allègue que douze grandes familles de produits Gore contiennent tous les éléments de certaines revendications du brevet et qu’elles sont donc des contrefaçons de celui-ci.

[5]               Gore nie toute contrefaçon et a fait valoir, en demande reconventionnelle, que le brevet 519 est invalide à plusieurs égards, notamment en raison de son inutilité, d’une communication insuffisante, de son imprécision et du fait qu’il s’agit d’une invention conjointe.

[6]               Comme l’a fait remarquer le protonotaire Morneau, les parties en l’espèce ne sont pas étrangères l’une à l’autre ni à la technologie et au brevet en cause, étant donné que la présente affaire donne lieu à des poursuites et à des litiges depuis plus de quatre décennies, tant au Canada qu’aux États-Unis. Le brevet 519 a été délivré le 2 janvier 2007 à l’inventeur désigné, le Dr David Goldfarb, à la suite d’une demande canadienne déposée en janvier 1975 qui revendiquait la priorité en raison d’une demande faite aux États-Unis par le Dr Goldfarb le 24 octobre 1974. En 1980, le Bureau canadien des brevets a déclaré un conflit entre la demande canadienne et la demande présentée au Canada par Gore US afin de se prononcer sur la propriété de l’invention. Cela a donné lieu à des poursuites devant la Cour. En février 2001, le juge François Lemieux a conclu que le Dr Goldfarb, et non Peter Cooper, un employé de Gore US qui avait cédé ses droits à Gore US, était le premier inventeur (Goldfarb c W.L. Gore & Associates Inc., 2001 ACF 45, 200 FTR 184) [Goldfarb]. Ce jugement a été confirmé en appel (W.L. Gore & Associates Inc. c Goldfarb, 2002 CAF 486, 235 FTR 167). La demande de brevet du Dr Goldfarb aux États-Unis a également donné lieu à une procédure en revendication de priorité d’invention à l’encontre d’une demande déposée par Gore US. En 2002, après des années de litiges, un brevet américain a été délivré au Dr Goldfarb.

[7]               Dans la décision Goldfarb, précitée, voici comment le juge Lemieux a décrit l’invention du Dr Goldfarb :

[118]  La première étape de l’analyse visant à déterminer qui, du Dr Goldfarb ou de M. Cooper, a été le premier inventeur d’un substitut artificiel fonctionnel de veine ou d’artère de petit calibre pour l’homme, consiste à définir exactement la nature de l’invention.

[119]  L’invention est une prothèse vasculaire artificielle fabriquée en PTFEe. Les propriétés et la méthode de fabrication du PTFEe ne sont pas nouvelles. Elles constituent des antériorités. Robert Gore en était l’inventeur et a il obtenu, en 1976, un brevet pour cette invention.

[120]  Toutefois, personne ne savait, en 1970, si les tubes en PTFEe pouvaient avoir une application en médecine. L’expérimentation ou la recherche d’applications de ces tubes comme greffons vasculaires pour remplacer des artères et veines naturelles chez l’homme ont été entreprises presque immédiatement après que M. Gore eut déposé sa demande de brevet aux États-Unis en 1970.

[121]  L’invention, une gamme appropriée de longueurs des fibrilles du matériau, est ce qui confère aux tubes de PTFEe leur utilité à cette fin. La caractéristique essentielle de l’invention est la distance entre les nœuds (ou la longueur des fibrilles les reliant) qui constitue un aspect de la structure interne des tubes en PTFEe.

[122]  C’est une longueur appropriée de fibrilles qui confère à ces tubes en PTFEe leur utilité comme greffons artificiels capables de demeurer perméables, en permettant le passage des cellules ou des fibroblastes et, par conséquent, l’interposition de tissu.

[8]               La présente action a été intentée en 2013. C’est le protonotaire Morneau qui assume la responsabilité de cette instance à gestion spéciale. Par une ordonnance du 12 novembre 2014, le procès – sur les questions de la contrefaçon et de la validité – doit débuter dans un an, c’est‑à‑dire le 3 octobre 2016. Les interrogatoires préalables des représentants de chaque société partie aux présentes ont eu lieu au printemps 2015 et ont été suivis de questions écrites. Dans chaque cas, le représentant de la partie adverse n’a pas répondu à environ 1 200 questions et des requêtes ont été déposées pour les contraindre à répondre à certaines d’entre elles. Bard a demandé des réponses à 72 questions refusées ou sans réponse, tandis que Gore a demandé qu’on lui permette d’obtenir des réponses à 940 questions demeurées sans réponse. À l’issue de l’instruction des deux requêtes devant le protonotaire Morneau le 12 août 2015, et par suite d’efforts constants pour réduire le nombre de questions en litige, ces chiffres ont été réduits à six questions par Bard et à environ 450 par Gore.

[9]               Les 450 questions de Gore ont été réparties en quelque 30 catégories ou sous‑catégories. Les questions en litige dans le présent appel concernent trois de ces catégories : les questions sur la poursuite, les questions sur l’anévrisme et les questions sur la taille des pores. Au départ, il y avait 17 questions en litige, mais ce nombre a été réduit à treize [les questions refusées] dès le début de l’instance en appel.

[10]           Après avoir exposé les principes juridiques qui, à son avis, étaient applicables à l’analyse des requêtes des deux parties visant à contraindre l’autre à répondre et après avoir fait mention de l’avis à la communauté juridique qui a été rendu public par le Juge en chef de la Cour le 25 juin 2015 et qui a pour objet d’assurer la proportionnalité dans les litiges complexes en Cour fédérale [les lignes directrices sur la proportionnalité], le protonotaire Morneau a conclu qu’il était également inutile de répondre aux questions refusées parce qu’elles ne se rapportaient pas à des faits allégués et non admis ou parce qu’elles avaient pour objet d’obtenir un avis d’expert, des conclusions juridiques ou l’expression d’opinions ou d’états d’esprit.

[11]           En fin de compte, Gore a eu gain de cause pour 13 des 450 questions auxquelles elle voulait que le représentant de Bard réponde. Compte tenu de ce succès très mitigé et se disant d’avis que la requête de Gore visant à contraindre la partie adverse à répondre, par son ampleur même, était déraisonnable et excessive, le protonotaire Morneau a adjugé les dépens à Bard calculés en fonction du maximum de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif.

[12]           La question en litige en l’espèce consiste à savoir si la Cour devrait modifier ces conclusions.

III.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[13]           Les décisions des protonotaires qui contraignent de répondre ou de ne pas répondre à des questions pendant l’interrogatoire préalable sont des décisions discrétionnaires en matière interlocutoire (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2010 CAF 142 [Bell Helicopter], au paragraphe 17; Apotex Inc. c Welcome Foundation Limited, 2008 CAF 131, au paragraphe 3; Hayden Manufacturing Co. c Canplas Industries Ltd., (1998) A.C.F. no 1842161, FTR 57, 85 ACWS (3d) 12, au paragraphe 8 [Hayden Manufacturing]; Létourneau c Clearbrook Iron Works Ltd., 2005 CF 475, au paragraphe 4; AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CF 1301, [2009] 4 RCF 243, au paragraphe 22 [AstraZeneca Canada]).

[14]           Il est bien établi que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient pas être modifiées en appel devant un juge de la Cour, à moins qu’elles soulèvent des questions déterminantes pour l’issue finale de la cause ou qu’elles soient manifestement erronées, en ce que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits. Par conséquent, la Cour peut uniquement examiner la question de nouveau si la décision du protonotaire relève de l’un de ces deux critères (R c Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 CF 425, 61 FTR 44 [Aqua-Gem]; Z.I. Pompey Industrie c ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 RCS 450; Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, 246 FTR 319; Bell Helicopter, précitée, au paragraphe 18; Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2011 FC 52, 383 FTR 37, au paragraphe 13 [Sanofi-Aventis]; NOV Downhole Eurasia Limited c TLL Oil Field Consulting, 2014 CF 889, aux paragraphes 13 et 14 [NOV Downhole]).

[15]           Comme l’a dit le juge Yves de Montigny dans la décision Sanofi-Aventis, précitée, rarement peut-on démontrer que le refus de tenir un interrogatoire préalable supplémentaire risque d’être crucial pour l’issue d’une cause (Sanofi-Aventis, au paragraphe 14). En l’espèce, Gore n’a pas tenté de démontrer que la partie de l’ordonnance du protonotaire Morneau qui a été portée en appel était déterminante pour l’issue de la cause.

[16]           Par conséquent, la question consiste à déterminer si le protonotaire Morneau a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou une mauvaise appréciation des faits lorsqu’il a conclu que le représentant de Bard n’était pas tenu de répondre aux questions en cause dans le présent appel. Dans la négative, sa décision doit faire l’objet d’une retenue considérable et ne devrait être modifiée que dans le cas où un « pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (NOV Downhole, précitée, au paragraphe 14; L’Hirondelle c Canada, 2001 CAF 338, (sous la référence Bande de Sawridge Band c R) [2002] 2 CF 346, au paragraphe 11). Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, la décision contestée a été rendue dans le cadre de la gestion de l’instance. Dans un tel contexte, il est généralement entendu que la partie qui cherche à faire annuler une ordonnance interlocutoire par le responsable de la gestion de l’instance doit s’acquitter d’un lourd fardeau, car cette personne connaît normalement à fond l’historique, les détails et les complexités de l’affaire sous gestion (Sanofi-Aventis, précitée, au paragraphe 15).

[17]           Autrement dit, je ne devrais pas substituer mon pouvoir discrétionnaire à celui du protonotaire Morneau, même si j’aurais pu arriver à des résultats différents si j’avais été saisi d’emblée de l’affaire, à moins qu’il ait commis une erreur de principe fondamentale ou qu’il ait mal apprécié la preuve ou les plaidoiries (Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 582, 273 FTR 160, au paragraphe 59; Hayden Manufacturing, précitée, au paragraphe 12).

B.                 Interrogatoire préalable : principes pertinents

[18]           Comme l’a réitéré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, au paragraphe 30 [Lehigh Cement], « l’interrogatoire préalable a pour objectif général de favoriser l’équité et l’efficacité de l’instruction en permettant à chacune des parties de se renseigner pleinement, avant l’instruction, sur la nature exacte des positions de toutes les autres parties, de façon à pouvoir définir avec précision les questions qui se posent ». Ce point de vue justifie donc une attitude libérale face à la portée du questionnement pendant l’interrogatoire préalable (Lehigh Cement, au paragraphe 30; Sanofi-Aventis, précitée, au paragraphe 19).

[19]           Les interrogatoires préalables dans les instances devant la Cour sont régis par les articles 234 à 248 des Règles. L’article 240 et le paragraphe 242(1) sont particulièrement pertinents en l’espèce. L’article 240 traite de l’étendue de l’interrogatoire préalable. Il prévoit que la personne soumise à un interrogatoire préalable est tenue de répondre entre autres à toute question qui se rapporte à un fait allégué et non admis dans un acte de procédure. Dans l’arrêt Lehigh Cement, précité, la Cour d’appel fédérale a réitéré qu’une question est pertinente « lorsqu’il est raisonnablement possible qu’elle mène à l’obtention de renseignements pouvant directement ou indirectement permettre à la partie qui sollicite la réponse de faire valoir ses arguments ou de réfuter ceux de son adversaire ou de la lancer dans une enquête qui pourra produire l’un ou l’autre de ces effets » (Lehigh Cement, au paragraphe 34).

[20]           De son côté, le paragraphe 242(1) énonce les objections que l’on peut soulever durant un interrogatoire préalable. Il prévoit qu’une personne peut soulever une objection au sujet de toute question lorsque, par exemple, celle‑ci n’est pas pertinente, est déraisonnable ou inutile ou qu’il serait trop onéreux d’y répondre. Les questions des genres suivants ont généralement été jugées inappropriées dans le cadre d’un interrogatoire préalable : (i) les questions qui visent à obtenir un avis d’expert; (ii) les questions qui visent à faire témoigner la personne sur des questions de droit; (iii) les questions qui concernent le droit ou les arguments, par opposition aux faits; (iv) les questions qui demandent au témoin « sur quels faits vous appuyez-vous à l’alinéa X de votre acte de procédure? » (Apotex Inc. c Pharmascience Inc., 2004 CF 1198, 260 FTR 254, au paragraphe 19; AstraZeneca Canada, précitée, au paragraphe 14).

[21]           La question ne s’arrête pas là. Le simple fait qu’une question est « pertinente » ne signifie pas que l’on doit inévitablement y répondre et qu’on ne peut donc s’y opposer. Dans la décision AstraZeneca Canada, précitée, la Cour a conclu que la pertinence est toujours sujette à la discrétion prédominante du protonotaire, de manière à limiter les abus de procédure lors des interrogatoires préalables :

[16]  La « pertinence » à elle seule n’est pas le critère applicable lorsqu’il s’agit de savoir si une réponse doit être donnée à une question posée lors d’un interrogatoire préalable. Évidemment, si une question est dénuée de pertinence, il n’est pas nécessaire d’y répondre. Toutefois, lorsqu’une question a un certain degré de pertinence, alors, si une objection est soulevée, la Cour doit examiner des facteurs consistant à savoir à quel point elle est pertinente, à quel point il est pénible d’obtenir une réponse, à quel point la question est fondée, à quel point elle constitue un abus de procédure, et ainsi de suite. Le juge Strayer, alors qu’il était juge à Cour d’appel fédérale, a écrit dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 438, 28 C.P.R. (4th) 491, au paragraphe 13 :

Toute personne qui est partie à une action civile a le droit de formuler en interrogatoire préalable toute question pertinente à l’égard de l’objet du litige : il s’agit d’une question de justice à l’endroit de cette personne, naturellement assujettie au pouvoir discrétionnaire du protonotaire ou du juge de refuser la question dans le cas où elle constitue un abus de procédure pour l’une des raisons mentionnées ci-dessus.

[17]  La Cour d’appel fédérale a de nouveau examiné l’étendue de la « pertinence » dans le contexte de l’interrogatoire préalable dans l’arrêt Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Co., 2007 CAF 379. Dans cet arrêt, la juge Sharlow, au nom de la Cour, a considéré que la « pertinence » incluait non seulement ce qui servira à démontrer ou à contredire le bien‑fondé de la cause de l’une ou l’autre des parties, et a examiné le critère du « lancement d’une enquête », qui selon ce qu’elle a déclaré était toujours assujetti au « pouvoir discrétionnaire d’un protonotaire ou d’un juge de contrôler les abus dans la procédure de communication préalable ». Aux paragraphes 30, 31 et 35, la juge Sharlow a écrit ce qui suit :

30  Pour déterminer si une question particulière posée lors de l’interrogatoire préalable de M. Ryan est appropriée, il faut déterminer si on peut raisonnablement conclure que la réponse à cette question pourrait inspirer à Apotex des recherches qui pourraient favoriser sa cause ou anéantir celle de BMS : Apotex c. Canada, 2005 CAF 217. Par exemple, Apotex a le droit de poser toute question qui pourrait lui permettre de soutirer à BMS un aveu au sujet d’un fait pertinent ou d’obtenir des renseignements relativement à des documents qui n’ont pas été communiqués mais qui satisfont au critère de pertinence aux fins de la communication préalable à l’instruction, ainsi qu’il a été indiqué dans l’ordonnance plus détaillée et plus précise, sous réserve toujours du pouvoir discrétionnaire d’un protonotaire ou d’un juge de contrôler les abus dans la procédure de communication préalable.

31  Pour déterminer s’il est satisfait au critère de pertinence dans un cas donné, il convient d’examiner l’allégation que la partie qui procède à l’interrogatoire tente d’établir ou de réfuter. En l’espèce, Apotex tente de faire valoir son allégation d’inutilité (reposant sur son interprétation de ce que promet le brevet 436, ainsi qu’il a été expliqué plus haut) ou d’anéantir la thèse de BMS qui nie l’allégation d’inutilité.

[…]

35  Pour déterminer quelles sont les questions pertinentes et celles qui ne le sont pas, il convient d’examiner le contexte factuel et procédural de l’affaire, en tenant compte des principes juridiques applicables. La décision rendue en première instance par un juge ou un protonotaire sera maintenue si elle est raisonnable, à moins qu’elle soit fondée sur une erreur de droit.

[22]           Par conséquent, la pertinence doit être évaluée en fonction de questions comme le degré de pertinence, le fait de savoir s’il est onéreux de fournir une réponse ou si la réponse exige un fait, une opinion ou un point de droit. En vertu de l’article 3 des Règles, c’est de cette manière que la Cour limite les abus « de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Comme la Cour l’a réitéré dans la décision AstraZeneca Canada, précitée, au paragraphe 7, « l’article 3 des Règles des Cours fédérales prévoit une base procédurale devant être suivie pour toutes questions, notamment la communication préalable ».

[23]           Comme je l’ai déjà dit, dans son ordonnance du 24 août 2015, le protonotaire Morneau a passé beaucoup de temps à énoncer les principes sur lesquels il s’est fondé pour arriver à ses conclusions. Il a commencé par reproduire les six principes concernant la pertinence qui ont été énoncés par le juge John McNair dans la décision Reading & Bates Construction Co. c Baker Energy Resources Corp., 25 FTR 226, (1988), 24 CPR (3d) 66, [Reading & Bates], en faisant remarquer que les trois premiers définissent les paramètres qui déterminent si une question est pertinente, alors que les trois derniers énoncent une série non exhaustive de circonstances ou d’exceptions qui permettent de ne pas répondre à une question. Il a ensuite cité abondamment la décision Merck & Co. Inc. c Apotex, 2004 CF 1166 [Merck & Co], et il a insisté, en faisant référence au cinquième principe énoncé par le juge McNair dans la décision Reading & Bates, précitée, sur la nécessité de trouver le juste équilibre entre l’étendue la plus grande possible de l’interrogatoire préalable et la tendance qu’ont les parties, en particulier dans le domaine de la propriété intellectuelle, de se livrer à des interrogatoires à l’aveuglette, ce que la Cour ne devrait pas encourager. Le cinquième principe de la décision Reading & Bates est rédigé comme suit au paragraphe 10 :

[10]  Avant d’obliger une personne à répondre à une question à un interrogatoire préalable, le tribunal doit apprécier la probabilité de l’utilité de la réponse pour la partie qui demande les renseignements en comparaison du temps du mal et des frais que nécessite son obtention, ainsi que de la difficulté que comporte son obtention. Lorsque, d’une part, la valeur probante et l’utilité de la réponse pour la partie qui procède à l’interrogatoire semblent tout au plus minimales, et lorsque, d’autre part la partie interrogée devrait surmonter d’énormes difficultés et consacrer beaucoup de temps et d’effort à la recherche de la réponse, le tribunal ne devrait pas l’obliger à répondre. La décision doit être raisonnable et équitable, vu les circonstances; Smith, Kline & French Ltd. c. P.G. Can., précitée, motifs du juge Addy, à la page 109.

[24]           Citant à nouveau sa décision dans l’affaire Merck & Co., précitée, le protonotaire Morneau a ajouté ce qui suit, en s’inspirant du jugement de la Cour dans la décision Westinghouse Electric Corp. c Babcock & Wilcox Industries Ltd., 15 FTR 154, (1987), 15 CPR (3d) 447, au sujet de la nécessité de trouver l’équilibre dans les affaires de contrefaçon de brevet dans lesquelles le défendeur conteste la validité du brevet qu’il aurait contrefait :

[15]  Ce passage témoigne donc de façon plus particulière que dans une action en contrefaçon d’un brevet où la défenderesse attaque la validité de ce dernier, la Cour est peu encline à forcer la demanderesse à effectuer des recherches disproportionnées pour appuyer des prétentions d’invalidité soulevées par la défenderesse lorsque, entre autres, les conclusions recherchées par une telle partie défenderesse ressortent avant tout de l’interprétation que la Cour accordera aux revendications du brevet à la lumière de sa lecture du brevet, de l’état du droit applicable et de toute preuve d’expert apportée par les parties et non pas en fonction de ce que la partie demanderesse a pu penser ou faire valoir dans le passé quant à la validité du brevet.

[16]  Dans ce même ordre d’idées, le juge Hugessen dans l’arrêt Eli Lilly and Co. v. Apotex Inc. (2000), 8 C.P.R. (4th) 413 (confirmé en appel à 12 C.P.R. (4th) 127) a énoncé ce qui suit en pages 414-415 quant à la pertinence des connaissances des inventeurs relativement au caractère évident d’une invention :

Je ne suis pas disposé à ordonner aux demanderesses de produire des documents sur ce que savaient les inventeurs ou les brevetés à propos des antériorités au moment de la délivrance des brevets en litige. Ces connaissances ne peuvent être pertinentes qu’à la question plaidée au sujet de l’évidence. Or, le critère applicable à l’évidence est, selon moi et bien des précédents le confirment, un critère objectif. L’élément qui doit servir de pierre de touche est la personne versée dans l’art. Il faut donc savoir si l’invention aurait été évidente pour cette personne. La connaissance effective de l’inventeur ou des inventeurs est sans importance.

[Non souligné dans l’original.]

[25]           Citant encore la décision Merck & Co au paragraphe 19 de l’ordonnance, le protonotaire Morneau a invoqué l’arrêt Philips Export B.V. c Windmere Consumer Products Inc., 1 FTR 300, (1986) 8 CPR (3d) 505, et a déclaré qu’[traduction « une partie ne peut être tenue, en interrogatoire préalable, de répondre à une question qui l’oblige à exprimer une opinion, qu’il s’agisse d’un avis d’expert, de son interprétation d’un brevet ou de ses convictions ».

[26]           En dernier lieu, il a renvoyé aux commentaires du juge Roger Hughes dans la décision AstraZeneca Canada, précitée, concernant la tendance qu’ont les parties et les avocats dans les affaires de contrefaçon de brevet de se servir de l’interrogatoire préalable pour obtenir de l’autre partie le plus de renseignements possible, même s’ils sont peu pertinents, au point de dénaturer l’objet véritable de l’interrogatoire préalable. Cet objectif est orienté vers ce dont la partie a réellement besoin pour le procès, et le juge a estimé que ces remarques s’appliquaient « catégoriquement » en l’espèce (AstraZeneca Canada, aux paragraphes 6 et 19).

[27]           [traduction« Compte tenu de ce qui précède, y compris des principes jurisprudentiels pertinents, lesquels comprennent ceux qui ont été cités auparavant ainsi que ceux qui ont été invoqués par les parties », le protonotaire Morneau a donc tranché la requête de Gore visant à contraindre la partie adverse à répondre aux questions refusées.

[28]           Jusqu’à maintenant, je ne vois aucune faille dans la démarche du protonotaire Morneau et dans sa détermination des principes pertinents applicables en l’espèce.

C.                Les questions refusées

(1)               Les questions sur la poursuite

[29]           Gore allègue que le protonotaire Morneau a commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé de contraindre Bard à répondre à un total de six questions au sujet de la façon dont les intervalles numériques revendiqués dans le brevet 519 avaient été calculés, en tenant pour acquis qu’elles n’étaient pas pertinentes. Plus particulièrement, ces questions portaient essentiellement sur des divergences entre ce que le Dr Goldfarb a dit à propos de ces intervalles à son agent de brevet des États-Unis, M. Sam Sutton, et ce que M. Sutton a inscrit dans la demande de brevet.

[30]           Gore affirme que ces questions, soit les questions sur la poursuite (numérotées de 781 à 786 dans le tableau confidentiel de Gore), se rapportent à son allégation selon laquelle la communication du brevet 519 est insuffisante au sens du paragraphe 34(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 (la Loi), parce qu’elle est plus vague que ce qu’envisageait le Dr Goldfarb, ainsi qu’à son allégation d’invalidité du brevet 519 sur le fondement de l’article 53 de la Loi, parce que les déclarations dans le brevet au sujet des intervalles de certaines caractéristiques revendiquées sont inexactes et ont été sciemment faites pour être trompeuses.

[31]           Bard prétend que Gore a omis d’attirer l’attention de la Cour sur des principes juridiques particuliers qui auraient été pris en considération à tort ou mal appliqués par le protonotaire Morneau, et que ce que Gore demande en fin de compte à la Cour de faire, c’est de substituer sa propre appréciation des mêmes faits étudiés et d’arriver à des conclusions différentes de celles du protonotaire. Voilà vraiment, à mon avis, l’essence même de l’argument de Gore. Comme je l’ai déjà dit, cette façon de procéder n’est pas permise lorsqu’on interjette appel d’une décision discrétionnaire du protonotaire en matière interlocutoire qui a été rendue dans le contexte de la gestion de l’instance. Le fardeau qui repose sur la partie appelante est lourd et exige qu’il soit démontré que la décision contestée découle du fait que le pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Globalement, je ne suis pas convaincu que cette démonstration a été faite.

[32]           Gore insiste pour dire que la pertinence est une question de droit et que la Cour n’a pas à faire preuve de retenue à l’égard de la décision du protonotaire Morneau en ce qui concerne les questions sur la poursuite. Là encore, cette affirmation n’est pas tout à fait correcte. Comme l’a fait remarquer le juge Hughes dans la décision AstraZeneca Canada, précitée, au paragraphe 23, « [l]e droit établit dans quels cas une question est pertinente; un pouvoir discrétionnaire peut être exercé quant à savoir, néanmoins, s’il est approprié d’ordonner ou de ne pas ordonner qu’une réponse soit donnée à une question ». À mon avis, voilà une affirmation qui résume assez adéquatement la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la pertinence et la nature des décisions rendues à cet égard par les protonotaires de la Cour.

[33]           En l’espèce, il ressort clairement des motifs de la décision du protonotaire Morneau qu’il s’est préoccupé non seulement de la pertinence des questions sur la poursuite d’un point de vue strictement technique et juridique, mais aussi de la nécessité de trouver l’équilibre entre le caractère utile de l’information recherchée, d’une part, et les efforts et les inconvénients pour l’obtenir, d’autre part, ainsi que du peu d’envie de la Cour à forcer un demandeur à effectuer des recherches disproportionnées pour appuyer des allégations d’invalidité qui sont souvent invoquées par les défendeurs dans les actions pour contrefaçon, en plus de la tendance, remarquée par le juge Hughes dans l’affaire AstraZeneca Canada, précitée, de la part des parties et des avocats dans les affaires de contrefaçon de brevet à perdre de vue l’objet véritable de l’interrogatoire préalable en tentant d’obtenir de l’autre partie le plus de renseignements possibles même s’ils sont peu pertinents.

[34]           Comme le signale Bard, Gore lui demande, au moyen des questions sur la poursuite, de répondre à des questions qui concernent des discussions privées qui ont eu lieu entre le Dr Goldfarb et son agent de brevet américain de l’époque, M. Sutton, qui ne sont ni l’un ni l’autre parties à la présente instance ni associés à Bard et ce, dans le but d’en arriver au  brevet 519 de la façon dont le Dr Goldfarb l’envisageait.

[35]           À mon avis, il était loisible au protonotaire Morneau, compte tenu des facteurs décrits dans son ordonnance, de conclure qu’il n’était pas nécessaire de répondre aux questions sur la poursuite. Ces facteurs étaient tous valides et ils étaient conformes à la jurisprudence de la Cour. Je conviens également avec Bard que l’on peut établir une distinction entre l’espèce et la décision Ratiopharm Inc. c Pfizer Limited, 2009 CF 711, 350 FTR 250 [Ratiopharm], invoquée par Gore pour faire valoir que ce qu’envisageait le Dr Goldfarb était pertinent dans le contexte de la demande reconventionnelle de Gore fondée sur l’invalidité du brevet, puisque la preuve concernant ce qui était envisagé par les inventeurs dans cette affaire avait été fournie à la Cour par les inventeurs eux-mêmes « en personne à la barre des témoins » au procès et avait été fournie dans un contexte où la Cour examine normalement le brevet lui-même pour décider s’il a un caractère suffisant au sens du paragraphe 34(1) de la Loi (Ratiopharm, précitée, aux paragraphes 188 à 190). Comme le fait remarquer Bard, la décision Ratiopharm a été portée à l’attention du protonotaire Morneau et je suis d’avis qu’il relevait de son pouvoir discrétionnaire d’établir une distinction entre celle‑ci et le présent scénario.

[36]           Bard allègue qu’en tout état de cause, on ne peut contraindre de répondre aux questions sur la poursuite au cours de l’interrogatoire préalable, car ces questions concernent des communications privilégiées entre le Dr Goldfarb et son avocat américain en brevets de l’époque, M. Sutton. Le protonotaire Morneau n’a pas tenu compte de cet argument, car il a été présenté la veille de l’audition des requêtes des parties en vue qu’elles soient l’une et l’autre contraintes de répondre. Cette question a fait l’objet de longues discussions entre les parties à l’audition de l’appel de Gore. Toutefois, compte tenu de ma conclusion selon laquelle rien ne justifie de modifier la conclusion du protonotaire Morneau au sujet des questions sur la poursuite, il est inutile de me pencher sur l’allégation de privilège formulée par Bard dans le cadre du présent appel.

(2)               Les questions sur l’anévrisme et la question sur la taille des pores

[37]           Il y a six questions sur l’anévrisme et une question sur la taille des pores (numérotées 1224, 1225, 1237, 1238, 1239, 1246 et 1073 dans le tableau confidentiel de Gore). En ce qui concerne la question 1224, Gore affirme que le protonotaire Morneau a commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé d’ordonner à Bard de donner une réponse au motif que cette question n’était pas pertinente. La question 1224 avait pour but de connaître les connaissances, les renseignements et les convictions de Bard au sujet de la défaillance alléguée de certains des premiers produits de Gore dont les parois avaient une épaisseur allant de 0,2 à 0,8 mm. Bard allègue que les observations de Gore n’expliquent pas en quoi la connaissance du mémoire descriptif du produit de Gore est pertinente et qu’en tout état de cause, il existe d’autres moyens pour Gore d’obtenir les renseignements qu’elle recherche, dans la mesure où cette question concerne les propres produits de Gore.

[38]           Là encore, la pertinence à elle seule ne permet pas de déterminer si une réponse doit être fournie, car il faut tenir compte d’autres facteurs. Comme nous l’avons vu, il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision du protonotaire en ce qui concerne son examen de ces autres facteurs; la partie qui cherche à faire annuler une décision de cette nature doit s’acquitter d’un lourd fardeau, car le critère ne consiste pas à savoir si j’aurais pu arriver à un résultat différent si j’avais instruit cette affaire en première instance, mais bien à déterminer si la décision est le résultat d’un pouvoir discrétionnaire judiciaire manifestement mal exercé. Après avoir lu la description du contexte dans lequel la question 1224 a été posée au représentant de Bard, je n’interviendrai pas dans la décision du protonotaire Morneau, qui a exercé son pouvoir discrétionnaire en ordonnant de ne pas répondre à cette question, même si j’aurais pu arriver à un résultat différent si j’avais instruit la présente affaire en première instance.

[39]           En ce qui concerne les autres questions sur l’anévrisme et la question sur la taille des pores, Gore allègue que le protonotaire Morneau a commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé d’ordonner à Bard de répondre à ces questions au motif qu’elles nécessitaient une opinion. Plus particulièrement, Gore affirme que le protonotaire Morneau a commis une erreur de principe en faisant sienne l’affirmation sans nuance de Bard selon laquelle les questions qui ont pour but d’obtenir une opinion ne sont pas permises. Elle affirme que ce point de vue est contraire aux enseignements de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bell Helicopter, précité, lequel insiste sur le fait que même si les principes généraux établis par la jurisprudence en ce qui concerne les questions qui nécessitent une opinion sont utiles, ces principes n’énoncent pas de formule magique applicable à toutes les situations et ils exigent, par conséquent, une analyse cas par cas ou question par question (Bell Helicopter, précité, au paragraphe 13).

[40]           Bard fait valoir que chacune de ces questions a pour objet d’obtenir l’avis de son représentant sur le fonctionnement des premiers produits de Gore et sur l’apparition alléguée de certaines défaillances de greffons ainsi que son interprétation des convictions de tiers concernant les problèmes techniques et les conclusions qui sont exposés dans la publication scientifique citée. Plus particulièrement, Bard fait valoir que rien ne donne à penser que le protonotaire Morneau aurait accepté ses observations à cet égard sans avoir bien tenu compte de l’application du droit aux faits de l’espèce ou qu’il aurait contrevenu aux directives énoncées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bell Helicopter, précité.

[41]           Bard allègue que Gore n’a donc pas réussi à démontrer que l’analyse par le protonotaire Morneau des autres questions sur l’anévrisme et de la question sur la taille des pores était fondée sur un principe juridique erroné ou une mauvaise appréciation des faits en cause et que, par conséquent, Gore n’a pas démontré qu’un nouvel examen serait nécessaire pour décider s’il faut répondre à ces questions. Je suis du même avis. En fait, rien ne donne à penser que le protonotaire Morneau n’a pas procédé question par question. Comme le fait remarquer Bard, la Cour a conclu à maintes reprises qu’il est pratiquement impossible pour les protonotaires de la Cour de justifier par des motifs détaillés chaque ordonnance qu’ils rendent, compte tenu du nombre de requêtes sur lesquelles ils sont appelés à statuer, y compris les requêtes encombrantes présentées en vue d’obtenir des réponses à des questions posées dans le cadre d’un interrogatoire préalable et qui obligent souvent à examiner des centaines de questions, comme c’était le cas en l’espèce, lorsque le seul moyen pratique de statuer sur des problèmes concernant l’obligation de répondre consiste à énoncer des motifs peu explicites (Foseco Trading AG c Canadian Ferro Hot Metal Specialties Ltd, [1991] A.C.F. no 421, 46 FTR 81, 36 CPR (3d) 35, au paragraphe 5; AstraZeneca Canada, précitée, aux paragraphes 19 et 25). Comme la Cour a également conclu à cet égard, il ne s’agit pas d’un motif qui justifierait d’annuler les décisions des protonotaires ni de trancher l’affaire de nouveau (AstraZeneca Canada, précitée, au paragraphe 25; Anchor Brewing Co. c The Sleeman Brewing & Malting Co., 2001 CFPI 1066, 15 CPR (4th) 63, au paragraphe 31).

[42]           Souvent, il n’est pas évident si une question vise à recueillir un avis ou un fait. Il faut faire preuve de jugement en tenant compte du contexte. Comme la Cour l’a déclaré à de nombreuses occasions, les protonotaires, particulièrement dans l’exercice de leurs fonctions en matière de gestion des instances, sont les mieux placés pour diriger et contrôler le processus de l’interrogatoire préalable en raison de leur connaissance approfondie de l’historique des faits et des détails des instances qu’ils sont chargés de gérer (Galerie au chocolat Inc. c Orient Overseas Container Line Ltd, 2010 CF 327, au paragraphe 10). Dans de telles affaires, le bureau d’un protonotaire n’est pas une simple « “étape” préliminaire sur le chemin de la procédure qui mène au juge des requêtes » (Aqua-Gem, précité, au paragraphe 70).

[43]           Après avoir examiné les autres questions sur l’anévrisme et la question sur la taille des pores en contexte et avoir tenu compte des observations de l’avocat de Gore, je ne suis pas convaincu que le protonotaire Morneau a commis une erreur en ordonnant qu’il n’est pas nécessaire de répondre à ces questions. Là encore, nous ne sommes pas en présence d’un cas où le pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé.

[44]           Dans l’ensemble, je ne vois aucune raison de modifier la conclusion du protonotaire Morneau par laquelle il a ordonné qu’il n’est pas nécessaire de répondre aux questions refusées.

D.                La décision du protonotaire Morneau sur les dépens

[45]           Gore allègue que le protonotaire Morneau a commis une erreur en adjugeant les dépens à Bard calculés en fonction de la fourchette supérieure prévue à la colonne IV du tarif B des Règles. Elle affirme que le protonotaire Morneau n’a pas accordé suffisamment de poids à l’alinéa 400(3)k) des Règles, parce qu’il n’a pas examiné si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile. En particulier, Gore affirme que le protonotaire Morneau a mal apprécié les faits en ne tenant pas compte du fait que l’ampleur de sa requête visant à obtenir des réponses était justifiée par le recours excessif de Bard aux « délibérations » et par ses refus inappropriés pendant l’interrogatoire préalable et en ne tenant pas compte de la décision de Bard de répondre à plus de 300 questions après le dépôt de la requête de Gore.

[46]           Bard rétorque que la thèse de Gore découle d’une mauvaise compréhension de la décision du protonotaire Morneau concernant les dépens. Bard fait valoir que ce qui a incité le protonotaire Morneau à prendre cette décision, ce n’est pas la première requête de Gore dans laquelle elle demandait des réponses à quelque 940 questions, mais plutôt sa requête dans l’état dans lequel elle se trouvait au moment de l’audience devant le protonotaire Morneau et qui lui demandait de trancher plus de 450 questions au mépris manifeste de l’objet de l’interrogatoire préalable, de la jurisprudence pertinente et des recommandations énoncées dans les lignes directrices sur la proportionnalité, facteurs que le protonotaire Morneau a tous pris en considération. En plus du fait que Bard n’a pas reçu l’ordre de payer les dépens à Gore parce qu’elle [traduction« avait réussi à réduire considérablement le nombre de questions à trancher » (à six), Bard fait valoir que le protonotaire Morneau a exercé son pouvoir discrétionnaire dans le bon contexte et qu’il n’existe donc aucune raison de modifier sa décision sur les dépens.

[47]           Je suis d’accord avec Bard. L’article 400 des Règles confère à la Cour « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». Autrement dit, l’adjudication des dépens est hautement discrétionnaire et Gore ne m’a pas convaincu que la décision du protonotaire Morneau au sujet des dépens découlait d’un exercice inadéquat de son pouvoir discrétionnaire.

[48]           En ce qui concerne le présent appel, chaque partie réclame des dépens. Étant donné qu’elle est la partie qui a eu gain de cause à l’issue du présent appel, les dépens, qui devront être calculés conformément à la colonne III du tableau du tarif B, sont adjugés à Bard quelle que soit l’issue de la cause.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête en appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau du 24 août 2015 soit rejetée;
  2. Les dépens soient calculés conformément à la colonne III du tableau du tarif B, payables aux demanderesses et défenderesses reconventionnelles, quelle que soit l’issue de la cause.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2105-13

INTITULÉ :

BARD PERIPHERAL VASCULAR, INC. ET BARD CANADA INC. c W.L. GORE & ASSOCIATES, INC. ET W.L. GORE & ASSOCIATES CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SeptembrE 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OctobrE 2015

COMPARUTIONS :

Mme Joanne Chriqui

M. Eric Bellemare

POUR LES DEMANDERESSES

M. Jonathan Giraldi

M. Sean Jackson

POUR LES DÉfendERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

Aitken Klee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉfendERESSES

 

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