Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20151008


Dossier : T‑1434‑14

Référence : 2015 CF 1134

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

PHARMASCIENCE INC.

demanderesse

et

PFIZER CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’un appel d’une ordonnance par laquelle un protonotaire a radié certains paragraphes de la déclaration modifiée, sans autorisation de la modifier. Les parties conviennent, et la Cour est d’accord, qu’une telle ordonnance soulève une question qui revêt une importance cruciale en ce qui concerne l’issue de l’affaire et qu’elle est soumise à la norme de la décision correcte : Bayer Healthcare AG v Sandoz Canada Inc., 2007 FC 1068, au paragraphe 6.

[2]               Pour les motifs qui suivent, le présent appel est accueilli, avec dépens.

[3]               L’action consiste en une demande présentée par Pharmascience Inc. [Pharmascience] en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement AC], pour les dommages subis parce qu’elle n’a pas pu entrer sur le marché de la prégabaline du fait des demandes d’interdiction infructueuses que Pfizer Canada Inc. [Pfizer] avait présentées en vertu de l’article 6 du Règlement AC : T‑556‑11 et T‑185‑13.

[4]               Le 17 novembre, Pfizer a présenté une requête dans laquelle elle sollicitait notamment la radiation des paragraphes 35 et 36 de la déclaration modifiée. Voici le texte de ces paragraphes :

[traduction]
35.       Par conséquent, le fait que Pfizer ait invoqué le Règlement AC et qu’elle ait entamé les procédures d’interdiction nos 1 et 2 a entraîné des pertes de vente pour Pharmascience relativement aux capsules Pharmascience, aux capsules 225 Pharmascience et à d’autres produits ne contenant pas de la prégabaline.

36.       De plus, durant la période d’exclusion et la seconde période d’exclusion, Pharmascience a perdu l’occasion de renforcer sensiblement sa réputation, de lancer de nouveaux produits sur le marché avant ses concurrents, et d’augmenter de ce fait la vente de ses produits. Cette perte d’occasion a fait en sorte que Pharmascience n’a pu bénéficier d’une augmentation des ventes et de sa part de marché relativement à ses produits ne contenant pas de la prégabaline.

[5]               Le protonotaire a été saisi de la requête en radiation de Pfizer le 29 janvier 2015, et il a rendu son ordonnance le 27 mars suivant. Même si ce dernier précise que Pfizer sollicite la radiation des paragraphes 35 et 36 de la déclaration modifiée dans la mesure où ils se rapportent aux pertes de vente d’autres produits, ces paragraphes n’ont pas été mentionnés dans l’ordonnance. Le 27 avril 2015, l’omission a été corrigée conformément à l’article 397 des Règles des Cours fédérales et l’ordonnance rendue portait que [traduction« les allégations dans la déclaration modifiée se rapportant aux pertes de vente d’autres produits et figurant aux paragraphes 35 et 36 sont radiées ».

[6]               Le critère relatif à la radiation d’une allégation impose un lourd fardeau à la partie qui fait valoir que l’allégation est infondée. Il doit être évident et manifeste que l’allégation dont on demande la radiation ne révèle aucune cause d’action valable. La Cour suprême du Canada a indiqué que « si le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [traduction] “privé d’un jugement” » : Hunt c T&N plc, [1990] 2 RCS 959, au paragraphe 36.

[7]               Devant le protonotaire, Pfizer a invoqué et cité le paragraphe 59 de la décision Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2013 FC 677 [Eli Lilly], dans laquelle une protonotaire avait refusé d’accorder à Teva Canada Limited, la défenderesse/demanderesse reconventionnelle, l’autorisation de modifier sa défense et sa demande reconventionnelle après l’instruction de la première phase d’une action qui avait fait l’objet d’une disjonction et dans laquelle Teva avait eu gain de cause, mais avant le début des interrogatoires préalables dans la seconde phase de l’action.

[8]               Dans la décision visée par le présent appel, le protonotaire a cité en les approuvant des passages importants de ce paragraphe, affirmant ce qui suit :

[traduction] Comme l’a fait remarquer ma collègue, la protonotaire Mireille Tabib dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2013 CF 677, au paragraphe 59 :

[59]      Dans le nouvel acte de procédure proposé, Teva demande l’indemnisation des pertes subies durant la période visée à l’article 8 relativement à d’autres produits et à sa part de marché globale – pertes qui, selon la jurisprudence, peuvent être indemnisées dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 8 (Teva Canada Limited c. Janssen Ortho Inc., 2010 CF 329). L’objection de Lilly à ces modifications proposées, à laquelle je souscris, repose sur l’absence de précisions sur les autres produits visés par la demande d’indemnisation ou sur les clients avec lesquels Teva a eu de la difficulté à négocier parce qu’elle ne pouvait pas leur proposer de l’olanzapine. Faute de telles précisions, la défense de Lilly ne peut être qu’une dénégation très vague. À cette étape de la procédure, où les seules questions devant être abordées dans les interrogatoires préalables et examinées au procès sont les questions liées à l’évaluation quantitative des dommages‑intérêts, et où tous les faits pertinents, au vu du dossier, relèvent de la connaissance particulière de Teva, il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’admettre des modifications servant uniquement à présenter de vagues chefs de réclamation. Cela n’aurait pour effet qu’entraîner la présentation d’une requête pour précisions et, faute de telles précisions, il n’est pas possible de définir la portée et l’objet des interrogatoires préalables, donnant lieu vraisemblablement à des interrogatoires préalables prolongés et peu efficaces. Dans son acte de procédure original, Teva avait déjà formulé une demande d’indemnisation très générale visant sa [traduction] « perte (y compris la perte de ventes et de parts de marché [...]) ». Il ne serait d’aucune utilité d’autoriser Teva à modifier cet acte de procédure de façon à préciser que cette perte globale englobe les pertes se rapportant à d’autres produits, à moins que les modifications ne fournissent des précisions sur ces autres produits et sur les faits essentiels établissant les pertes de ventes ou de parts de marché durant la période en cause qui sont attribuables au fait que Teva ne pouvait pas commercialiser l’olanzapine pendant cette période.

À mon avis, ces observations s’appliquent également en l’espèce. Ces trois composantes de la perte de parts de marché sont donc radiées.

[9]               Avec égards, j’estime que le protonotaire a eu tort de s’appuyer aussi largement sur cette décision. La décision Eli Lilly concernait une tentative de modifier l’acte de procédure après le prononcé d’une décision sur la responsabilité, mais avant le commencement de la seconde phase du procès portant sur l’évaluation quantitative des pertes. La Cour a fait remarquer qu’« il y a lieu de se poser les questions suivantes : est‑il pertinent de considérer certaines modifications proposées par Teva se rapportant aux questions de responsabilité plutôt qu’à celles de l’évaluation quantitative comme étant des modifications apportées après le procès mais avant le jugement, plutôt que des modifications apportées avant le procès, et dans quelle mesure une telle distinction devrait‑elle affecter la décision de la Cour concernant la présente requête? » La Cour a jugé que toutes les modifications se rapportant aux questions de responsabilité devaient être considérées comme étant des modifications apportées après le procès et rejetées. La Cour a également affirmé, et c’est ce qui importe pour la décision visée par le présent appel, qu’« étant donné que, dans bon nombre des modifications proposées, il est impossible pour la Cour de séparer les éléments qui abordent de façon inadmissible les questions de responsabilité et ceux qui abordent les questions de l’évaluation quantitative, et étant donné que les modifications qui pourraient être admises ne sont pas suffisamment précises, la Cour ne peut pas admettre l’acte de procédure proposé par Teva tel qu’il est rédigé présentement ».

[10]           Cependant, la Cour a autorisé Teva à modifier ses allégations se rapportant aux pertes subies dans la mesure où elles ne soulevaient pas une question de responsabilité et qu’elles étaient précises :

… Teva ne peut pas modifier son acte de procédure pour rouvrir, de quelque manière que ce soit, la phase du procès déjà tenue sur les questions de responsabilité, y compris pour avancer de nouvelles causes d’action. Elle peut modifier l’acte de procédure pour y ajouter des précisions concernant les pertes qu’elle allègue avoir subies en raison de la procédure d’interdiction dans le dossier no T‑1532‑05, mais seulement pour la période du 9 février 2006 au 6 juin 2007, conformément à son argumentation initiale, et seulement si Teva fournit des précisions sur ces pertes et suffisamment d’éléments essentiels pour appuyer la conclusion que les pertes ont été subies durant la période en cause et sont attribuables à la procédure d’interdiction. Si Teva prévoit avancer des faits qui pourraient s’avérer importants pour l’évaluation quantitative de ces pertes, elle devrait fournir suffisamment de précisions en ce qui a trait à la relation causale entre ces faits et les montants réclamés. Dans sa formulation actuelle, l’acte de procédure modifié que Teva propose ne répond pas à ces exigences et ne peut être déposé.

[11]           Dans la présente affaire dont appel, il n’est nullement question de modifier les actes de procédures de manière à rouvrir une phase du procès déjà tenue. De plus, les modifications proposées dans la décision Eli Lilly préoccupaient la Cour parce que le fait qu’elles n’étaient pas suffisamment précises pouvait donner lieu à des interrogatoires préalables peu efficaces et d’autres procédures. Bien qu’il puisse s’agir d’une considération pertinente lorsque la Cour est saisie d’une requête visant à autoriser des modifications, ce n’est pas le cas pour une requête en radiation. La seule considération pertinente est celle de savoir s’il est évident et manifeste que les allégations révèlent une cause d’action qui a des chances de succès. Le protonotaire dont l’ordonnance est portée en appel et la protonotaire dans la décision Eli Lilly reconnaissent tous deux que les pertes subies durant la période visée par l’article 8 relativement à d’autres produits et à la part globale de marché peuvent, comme l’indique la jurisprudence, être récupérées dans une action fondée sur cette disposition. Par conséquent, l’allégation de Pharmascience se rapportant à de telles pertes ne doit pas être radiée.

[12]           Si Pfizer estimait qu’elle avait besoin de précisions additionnelles pour répondre aux paragraphes contestés, elle aurait dû les demander à Pharmascience et, en l’absence de réponse, présenter sa requête. Il faut cependant souligner que, dans le passé, Pfizer n’a jamais eu de difficulté à répondre à de telles allégations. Pharmascience a porté à l’attention de la Cour les actes de procédures déposés dans le dossier de la Cour no T‑1496‑13, Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc., qui concerne également l’article 8 et la prégabaline. Cette action n’a pas été invoquée devant le protonotaire dont l’ordonnance est portée en appel.

[13]           Dans sa déclaration modifiée produite au dossier no T‑1496‑13 le 12 mai 2014, Teva fait une demande d’indemnisation pour les [traduction« pertes de vente d’autres produits ». Aux paragraphes 36 et 37, elle allègue ce qui suit :

[traduction]
36.       Comme elle n’a pas pu vendre les capsules de prégabaline durant la période pertinente, Teva a perdu l’occasion de renforcer sensiblement sa réputation en lançant de nouveaux produits avant ses concurrents. N’eût été le retard causé par l’introduction de demandes d’interdiction par Pfizer, Teva aurait été la première à entrer sur le marché des produits génériques avec ses capsules de prégabaline et aurait bénéficié d’une grande période d’exclusivité, ce qui lui aurait permis d’acquérir la majorité du marché des produits génériques au fil du temps et conséquemment de réaliser des profits très importants. Cela aurait augmenté la valeur de son entreprise et aurait aidé Teva à obtenir des ventes et des profits dérivés relativement à d’autres produits.

37.       L’interdépendance des ventes de ses divers produits est telle que Teva a subi des pertes quant à la vente de certains produits et a dû augmenter les rabais accordés aux clients relativement à d’autres, ce qui ne serait pas arrivé si Pfizer n’avait pas présenté une liste de brevets et des demandes d’interdiction. Cela a causé des dommages et des pertes à Teva Canada.

[14]           Quoiqu’elles ne soient pas identiques à celles que Pfizer conteste en l’espèce, les allégations sont semblables en ce qu’elles invoquent la perte de ventes sur d’autres produits et peuvent être considérées comme étant de portée très générale. Pfizer a pu faire ces allégations dans T‑1496‑13. Au paragraphe 55 de sa nouvelle défense modifiée datée du 24 novembre 2014, à l’alinéa b), elle [traduction« nie que Teva ait subi les pertes alléguées aux paragraphes 36 et 37 de la demande modifiée, lesquelles sont ‒ en tout état de cause ‒ non recouvrables en droit, conjecturales, et n’ayant aucun lien avec l’introduction par Pfizer de la demande ratiopharm ou de la demande Novopharm ».

[15]           Je conviens avec Pfizer que le fait de ne pas avoir contesté l’allégation dans le dossier no T‑1496‑13 ne l’empêche pas de le faire ici. Cependant, la preuve montre qu’elle était en mesure de répondre à une allégation générale de perte de ventes relative à d’autres produits.

[16]           Pour ces motifs, l’appel est accueilli et l’ordonnance du protonotaire datée du 27 avril 2015 est infirmée. Pharmascience a droit à ses dépens dans le cadre du présent appel selon le milieu de la fourchette du tarif B, mais non, comme elle l’a demandé, relativement à la décision que le protonotaire a rendue relativement à la présente requête, dans laquelle elle n’a eu gain de cause qu’en partie.


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

  1. L’ordonnance du protonotaire datée du 27 avril 2015 est infirmée;

2.      Les dépens relatifs au présent appel sont adjugés à Pharmascience et sont fixés au milieu de la fourchette du tarif B.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1434‑14

 

INTITULÉ :

PHARMASCIENCE INC. c PFIZER CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 11 août 2015

 

ordonnance ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 OCTOBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Christopher Tan

Krish Chakraborty

 

POUR LA demanderesse

 

Thomas Curry

 

POUR LA défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sprigings Intellectual Property Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

 

Lenczner Slaght Royce

Smith Griffin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.