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Date : 20151005


Dossier : IMM-7999-14

Référence : 2015 CF 1133

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

CAIJUAN CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Mme Chen sollicite l’annulation de la décision, rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de rejeter sa demande d’asile. En particulier, elle conteste la conclusion selon laquelle « [l] e tribunal estime qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve crédible ou digne de foi permettant d’appuyer une décision favorable à l’égard de la présente demande d’asile ».

[2]               La demande d’asile de Mme Chen était fondée sur sa crainte d’être persécutée par le gouvernement de la Chine, parce qu’elle est une adepte du Falun Gong. Les éléments de preuve présentés à la SPR étaient les suivants : le témoignage de Mme Chen, une lettre qui provenait du père de l’un de ses camarades adeptes arrêté en Chine, une citation à comparaître délivrée par le Bureau de la sécurité publique de la ville de Zhongshan à Mme Chen. La citation à comparaître est libellée ainsi :

[traduction]

Vu que vous êtes soupçonnée d’être coupable de participer à des activités illégales du Falun Gong, selon l’article 82 de la Loi sur les peines relatives à l’administration de la sécurité, vous êtes maintenant citée à comparaître à la Division des enquêtes criminelles du Bureau de la sécurité publique de la ville de Zhongshan, le 1er avril 2014 à 15 h 40, pour un interrogatoire.

[3]               La SPR a conclu qu’il y avait de nombreuses incohérences entre le témoignage de Mme Chen et son exposé circonstancié écrit. En outre, elle n’avait pas de connaissances de nombreux principes de base du Falun Gong. La SPR a conclu qu’elle n’était pas crédible. Le caractère raisonnable de cette conclusion n’est pas contesté.

[4]               La SPR a conclu que la demande d’asile « n’est pas dépourvue d’éléments de preuve corroborants ou cohérents ». « [P]eu de poids est accordé » à la lettre, parce qu’elle n’a pas été vérifiée, car le père n’a pas été appelé à témoigner. La SPR a conclu que la citation à comparaître « ne comporte aucune lacune évidente ». La SPR a déclaré :

Ce document ne comporte aucune lacune évidente. Cependant, l’effet cumulatif des conclusions défavorables susmentionnées, en dépit de la citation à comparaître et du témoignage cohérent présentés, mène à la conclusion selon laquelle la demandeure d’asile n’est pas crédible. Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal constate qu’il est facile de se procurer des documents officiels frauduleux en Chine et que la citation à comparaître ne comporte aucune caractéristique de sécurité, mis à part une estampille rouge.

[5]               En plus de conclure que Mme Chen n’était pas une témoin crédible, la SPR a conclu que la demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement :

Le tribunal estime qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve crédible ou digne de foi permettant d’appuyer une décision favorable à l’égard de la présente demande d’asile. Les allégations centrales de la demandeure d’asile ont toutes été rejetées en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles. Le seul évènement qui apporte une corroboration digne de foi à sa demande d’asile, à savoir sa présence physique à une séance de pratique du Falun Gong au Canada, pour des motifs non authentiques, n’est pas suffisant pour appuyer une décision favorable. Conformément au paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le tribunal conclut que la présente demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement.

[6]               Le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) est ainsi libellé :

107. (2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

107. (2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[7]               Les conséquences d’une conclusion d’« absence de minimum de fondement » sont importantes. Selon les termes de l’alinéa 100(2)c) de la Loi, Mme Chen ne peut pas interjeter appel de la décision de la SPR à la Section d’appel des réfugiés [SAR]. En outre, étant donné que le paragraphe 231(1) de la Loi prévoit un sursis automatique à la mesure de renvoi uniquement pour les demandeurs qui sollicitent le contrôle judiciaire des décisions de la SAR, Mme Chen se serait vu imposer de solliciter un sursis de la Cour, si le défendeur avait entrepris les démarches pour la renvoyer du Canada avant qu’il ne soit statué sur la présente demande.

[8]               Mme Chen avance que la SPR a fait une appréciation déraisonnable du caractère authentique de la citation à comparaître et a rendu une décision déraisonnable lorsqu’elle a conclu que sa demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement.

[9]               Je ne suis pas en mesure de déclarer avec quelque certitude que ce soit que la SPR a tiré une conclusion quelconque quant au caractère authentique de la citation à comparaître. Bien que la SPR déclare que la citation à comparaître ne comporte aucune lacune évidente, ce qui laisserait entendre qu’elle est admise, la SPR fait aussi remarquer qu’il est facile de se procurer des documents officiels frauduleux en Chine.

[10]           La Cour a de façon constante décidé qu’il existe une présomption selon laquelle les documents provenant des autorités étrangères sont ce qu’ils sont censés être : Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 10, au paragraphe 5, Manka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 522, au paragraphe 8. Par conséquent, dans la question soumise à la SPR, il faut se demander : quels éléments de preuve ont été produits afin de renverser cette présomption de validité? Les seules observations faites par la SPR étaient qu’il est facile de se procurer des documents officiels frauduleux en Chine et que la citation à comparaître « ne comporte aucune caractéristique de sécurité, mis à part une estampille rouge ».

[11]           En ce qui a trait à la question des caractéristiques de sécurité, il n’y a pas d’élément de preuve dans le dossier — et la SPR n’en cite aucun — qui révèle que le document devrait avoir des caractéristiques de sécurité supplémentaires. De cela, je tire l’inférence que la SPR a supposé que le document pouvait être plus facilement contrefait qu’un document qui a des caractéristiques de sécurité élevées. Toutefois, même si cela était vrai, il ne s’agit pas d’une preuve que ce document était frauduleux.

[12]           En ce qui a trait à l’observation selon laquelle il est facile de se procurer des documents officiels frauduleux en Chine, la Cour rappelle à la SPR qu’elle a décidé que la SPR devrait se garder de se fonder sur ce facteur lorsqu’elle examine la validité d’un document. Au paragraphe 7 de la décision Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, la Cour a décidé que :

Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. Comme l’a souligné le défendeur, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

[13]           Comme le juge Russell l’a fait observer au paragraphe 54 de la décision Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 157, si le fait que les documents frauduleux sont facilement accessibles est une raison valide de conclure qu’un document étranger est un faux, alors cela « impliquerait que même des documents authentiques ne seraient pas acceptables ».

[14]           En résumé, bien que la conclusion tirée par la SPR quant à la citation à comparaître ne soit pas évidente, si la SPR a conclu que la citation à comparaître n’était pas authentique sur la foi des éléments qu’elle soulève, alors la décision rendue par la SPR était déraisonnable. La seule conclusion raisonnable que la SPR pouvait tirer, sur la foi de tels faits, est que la citation à comparaître — bien qu’elle soit acceptée comme un document authentique — démontre simplement que le Bureau de la sécurité publique soupçonnait Mme Chen d’être une adepte du Falun Gong. Il ne s’agit pas d’une preuve qu’elle était en réalité une adepte du Falun Gong. En d’autres termes, la citation à comparaître ne suffit pas à renverser la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Chen n’était pas une adepte du Falun Gong. Toutefois, la SPR devait alors examiner si les soupçons du Bureau de la sécurité publique selon lesquels Mme Chen était une adepte du Falun Gong, comme cela ressortait de la citation à comparaître, pouvaient entraîner qu’elle soit persécutée en Chine. À bien des égards, la citation à comparaître ressemble à la lettre du père de Mme Chen en ce sens que le poids qui lui a été accordé ne pouvait pas permettre de renverser la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Chen n’était pas crédible.

[15]           Malgré cela, il convient de se poser la question de savoir si la citation à comparaître et la lettre apportaient [traduction] « certains » éléments de preuve crédibles et dignes de foi, sur le fondement desquels la demande d’asile de Mme Chen pouvait aboutir.

[16]           Dans l’arrêt Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF no 604 [Sheikh], la Cour d’appel fédérale a décidé qu’une conclusion d’« absence de minimum de fondement » n’est pas équivalente à une conclusion selon laquelle le demandeur d’asile n’est pas crédible. Toutefois, si le seul élément de preuve dont dispose la SPR est le témoignage du demandeur, alors une conclusion générale selon laquelle le demandeur n’est pas crédible équivaudra à une conclusion qu’il y a une « absence de minimum de fondement » à la demande d’asile. Dans l’arrêt Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, en guise de corollaire au principe énoncé dans l’arrêt Sheikh, la Cour d’appel a décidé que si un demandeur produit une preuve indépendante et crédible qui est en mesure d’étayer une décision favorable, alors sa demande d’asile aura un « minimum de fondement » même si le témoignage du demandeur est déclaré non crédible : voir aussi le paragraphe 14 de la décision Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 656.

[17]           Ainsi, bien qu’une conclusion d’« absence de minimum de fondement » puisse découler automatiquement d’une conclusion selon laquelle le demandeur n’est pas crédible, lorsqu’il s’agit du seul élément de preuve produit à l’appui de la demande d’asile, il n’en est pas de même dans un cas où d’autres éléments de preuve sont produits. Dans de tels cas, comme la Cour en a statué dans la décision Levario c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 314 [Levario], pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement d’une demande d’asile, le seuil à franchir est élevé. « C’est donc dire que s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités ». Levario, au paragraphe 19.

[18]           Dans la décision soumise au contrôle, la SPR a confondu et combiné sa conclusion selon laquelle Mme Chen n’était pas crédible avec sa conclusion d’absence de minimum de fondement de la demande d’asile. Comme la SPR l’a déclaré, elle a tiré cette conclusion parce que les « allégations centrales de la demandeure d’asile ont toutes été rejetées en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles ». Cependant, la SPR n’a pas examiné si la citation à comparaître et la lettre étaient des éléments de preuve qui pouvaient étayer une décision favorable. Il n’est pas nécessaire que de tels éléments de preuve pris isolément conduisent à une décision favorable. Il est seulement exigé que la preuve « puisse » étayer une décision favorable. En l’absence de conclusion raisonnable rejetant ces éléments de preuve dans leur ensemble, ou d’une conclusion que ces éléments de preuve pouvaient étayer une décision favorable en soi, il était déraisonnable que la SPR conclût qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi sur le fondement desquels une décision favorable pouvait être rendue. Par conséquent, la présente demande doit être accueillie.

[19]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune n’est soulevée par les faits de l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, la demande d’asile doit être examinée à nouveau par un tribunal différemment constitué et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7999-14

 

INTITULÉ :

CAIJUAN CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 aoÛt 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Zinn

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 octobre 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Oh

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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