Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150917


Dossier : T-1723-14

Référence : 2015 CF 1078

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

PACIFIC WESTERN BREWING COMPANY LTD.

demanderesse

et

CERVECERIA DEL PACIFICO, S. DE R.L. DE C.V.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande visant à obtenir une ordonnance de radiation concernant la marque de commerce PACIFICO & Dessin (la marque ou la marque PACIFICO), présentée en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). La défenderesse, Cerveceria del Pacifico, S. de R.L. de C.V. (Cerveceria), est propriétaire de l’enregistrement de la marque de commerce canadienne LMC371,975 (l’enregistrement), qui protège la marque en liaison avec de la bière. Elle a déposé la demande d’enregistrement no 0596107 (la demande) le 26 novembre 1987 (la date du dépôt), dans laquelle elle a déclaré employer la marque au Canada au moins depuis le 14 avril 1986 (la date déclarée de premier emploi).

[2]               La demanderesse, Pacific Western Brewing Company Ltd. (PWB ou la demanderesse) est une brasserie munie d’une licence qui se livre à la production de bière dans sa brasserie de Prince George, en Colombie-Britannique. PWB est le plus important brasseur indépendant appartenant à des intérêts canadiens en Colombie-Britannique; elle vend de la bière en Colombie-Britannique et à l’étranger. PWB et les prédécesseurs en titre exercent leurs activités en Colombie-Britannique depuis 1957 et fabriquent et vendent de la bière en liaison avec différentes marques de commerce PACIFIC depuis au moins 1984.

[3]               Cerveceria est un fabriquant de bière qui appartient à Grupo Modelo S.A. de C.V. (Grupo Modelo), une organisation mexicaine qui produit, distribue et commercialise de la bière. Cerveceria brasse de la bière au Mexique, qui est exportée au Canada puis embouteillée pour la vente au Canada, notamment de la bière de marque PACIFICO. La bière Pacifico a été brassée pour la première fois au Mexique au début des années 1900. Elle a été appelée PACIFICO parce que la première brasserie était située dans une ville portuaire donnant sur l’océan Pacifique, Mazatlán, dans l’État de Sinaloa au Mexique.

[4]               La marque est hautement stylisée et comporte de nombreux éléments distinctifs. L’enregistrement accordé le 17 août 1990 qui protège la marque comporte un dessin ligné qui représente les couleurs rouge, or, bleu, vert et jaune. La marque est reproduite ci-dessous :

[5]               La demanderesse soutient que l’enregistrement est invalide pour deux motifs distincts : a) la marque n’est pas employée au Canada depuis au moins le 14 avril 1986, comme l’indique le registre, et il s’agit d’une déclaration inexacte importante ou fondamentale; b) lorsque Cerveceria a déposé sa demande d’enregistrement, elle n’avait pas le droit d’obtenir l’enregistrement de la marque de commerce, car celle-ci était similaire, au point de créer de la confusion, aux diverses marques de commerce de PWB, lesquelles étaient en utilisation avant le premier emploi de la marque par Cerveceria.

[6]               La défenderesse soutient, au contraire, qu’il n’y a aucune déclaration inexacte (importante ou fondamentale), que, depuis près de 30 ans, les parties ont coexisté dans l’industrie canadienne de la bière sans qu’il n’y ait un seul cas de confusion et que rien dans les faits portés à l’attention de la Cour ne justifie la radiation de la marque PACIFICO pour l’un des deux motifs soulevés par la demanderesse.

[7]               Les parties ne contestent pas les principes juridiques applicables. La date pertinente pour ce qui est d’établir si une personne est admise à l’enregistrement au titre du paragraphe 16(1) de la Loi est la date déclarée de premier emploi de la marque au Canada, soit le 14 avril 1986, tandis que la date pertinente pour ce qui est d’établir si la marque est valide du fait qu’elle est enregistrable au titre de l’alinéa 12(1)d) de la Loi est la date d’enregistrement de la marque au Canada, soit le 17 août 1990. Il est présumé que l’enregistrement est valide, ce qui donne à la défenderesse le droit exclusif d’utiliser la marque au Canada en liaison avec de la bière. Il incombe à la demanderesse de prouver l’invalidité de l’enregistrement. Du fait de la présomption de validité, la Cour est tenue, en cas de doute, de trancher en faveur de la validité de la marque.

[8]               J’ai lu et pris en considération toute la preuve produite par les parties dans leurs dossiers de demande respectifs, ainsi que les arguments avancés et la doctrine invoquée par les avocats à l’audience ou dans leurs mémoires respectifs des faits et du droit. La demanderesse n’ayant déposé aucun nouvel élément de preuve, l’ensemble de sa preuve est donc constitué du seul affidavit de Rosana Wedenig, daté du 7 août 2014, une parajuriste travaillant pour l’avocat de la demanderesse. L’affidavit de Mme Wedenig présente des éléments de preuve produits par les parties au cours de diverses procédures d’opposition, notamment les affidavits de Robert Armstrong, daté du 20 décembre 2005, de Stewart Priddle, daté du 11 novembre 2010, de Kazuko Komatsu, daté du 30 avril 2009, et de Kathy Barry, daté du 5 mai 2009, ainsi que la transcription du contre‑interrogatoire de M. Priddle, datée du 24 février 2011. Mme Wedenig ne fait aucune déclaration sur l’exactitude des affidavits produits ni sur sa connaissance de leur contenu.

[9]               Étant donné que la fiabilité des auteurs des affidavits de la demanderesse (Mme Komatsu et Mme Barry) ne peut être évaluée dans le cadre de la présente procédure de radiation, il ne peut être accordé que peu de valeur, voire aucune, à ces affidavits. Par contre, la défenderesse a déposé dans le cadre de la présente procédure des affidavits de Joseph Yanny, daté du 6 décembre 2014, et de Matthew Boyd, daté du 8 décembre 2014. J’estime que leur témoignage est à la fois pertinent et crédible. Je préciserai ma pensée à cet égard plus loin dans les présents motifs. J’ai décidé de rejeter la présente demande parce qu’aucun des motifs soulevés par la demanderesse ne lui permet d’obtenir gain de cause en l’espèce.

[10]           En premier lieu, un enregistrement fondé sur une demande comportant une déclaration inexacte quant à l’emploi sera jugé nul ab initio dans deux cas : (i) la déclaration inexacte était intentionnelle et frauduleuse; (ii) la déclaration inexacte était innocente mais fondamentale pour l’enregistrement, c’est‑à‑dire que l’enregistrement n’aurait pas pu être obtenu sans cette déclaration inexacte. La demanderesse soutient que Cerveceria n’a pas fourni de preuve directe ou fiable qu’elle employait la marque au moins depuis le 14 avril 1986. En outre, Cerveceria a produit des éléments de preuve dans des procédures antérieures devant le registraire des marques de commerce qui sont clairement incompatibles avec la date déclarée de premier emploi. Ces arguments sont sans fondement. En effet, la preuve étaye la position de la défenderesse, qui affirme que la date déclarée de premier emploi est exacte.

[11]           J’ai particulièrement pris en considération les différentes déclarations faites dans le cadre des trois procédures suivantes : PACIFICO LIGHT (demande n1,202,617), PACIFICO & Dessin (la nouvelle marque PACIFICO & Dessin; demande no 1,332,519) et PACIFICO CLARA (demande no 1,378,525). Les déclarations faites par Cerveceria dans les procédures d’opposition ne sont pas concluantes et je ne peux pas conclure qu’elles sont fausses ou qu’elles font état de mauvaise foi de la part de Cerveceria.

[12]           Je commencerai par l’affidavit de M. Yanny. Ce dernier est un avocat américain, membre de divers barreaux et différentes organisations professionnelles, qui a plus de 30 ans d’expérience dans la pratique du droit aux États‑Unis. Il a travaillé en étroite collaboration avec Grupo Modelo pour protéger les droits de celle-ci sur des marques de commerce aux États-Unis et au Canada à la fin des années 1980, notamment en donnant des directives quant au dépôt de différentes demandes d’enregistrement de marques de commerce canadiennes pour les marques de Grupo Modelo, y compris la marque PACIFICO, dont la défenderesse est propriétaire et  pour laquelle elle fabrique des produits. M. Yanny affirme avoir donné la directive de déposer la demande au Canada en fixant au 14 avril 1986 la date de premier emploi. Cette date correspondait à la réalisation de la première transaction en gros de bière PACIFCO au Canada.  M. Yanny a expliqué qu’on lui avait confirmé que la première cargaison de bière PACIFICO portant la marque avait été envoyée du Mexique et devait être reçue au Canada par les détaillants dans le cadre de l’Exposition universelle sur le transport et la communication (l’Expo 86), qui s’est tenue à Vancouver, en Colombie‑Britannique, au Canada, du 2 mai au 13 octobre 1986.

[13]           La demanderesse soutient que cette preuve par ouï-dire ne devrait pas être admise ou qu’il ne faudrait pas y accorder de valeur. Cependant, elle n’a pas prouvé qu’elle avait subi un préjudice en particulier. De plus, elle a eu l’occasion de contre‑interroger M. Yanny, mais y a renoncé. Les déclarations de M. Yanny ne sont donc pas contredites et doivent être acceptées en tant que telles. La demanderesse ne conteste pas que la bière PACIFICO a fait son entrée au Canada lors de l’Expo 86 en même temps qu’un certain nombre d’autres marques de Grupo Modelo, notamment CORONA EXTRA, MODELO ESPECIAL, NEGRA MODELO et VICTORIA. Bien que la déclaration de M. Yanny visant précisément la première transaction en gros et l’envoi de bière PACIFICO du Mexique au Canada – qui auraient eu lieu le 14 avril 1986 ou vers cette date – soit en partie fondée sur du ouï-dire (la confirmation de Mme Lolita Gutierrez) et n’est pas corroborée par des copies de factures ou de documents d’envoi, je suis néanmoins convaincu que ce témoignage doit être accepté et qu’il est fiable dans les circonstances.

[14]           Dans les circonstances, il est satisfait à l’exigence relative à la nécessité, car il serait injuste et déraisonnable d’exiger près de 30 ans plus tard qu’une partie conserve des registres de vente et d’envoi. En outre, il n’est pas contesté que la bière PACIFICO a été vendue durant les cinq mois de l’Expo 86 dans le pavillon du Mexique. En fait, M. Yanny a personnellement donné l’instruction de déposer des demandes pour l’enregistrement de ces autres marques de commerce, qui déclaraient toutes la même date de premier emploi, car ces marques de bière mexicaine ont toutes été envoyées en même temps que la bière PACIFICO à Vancouver afin d’être vendues à l’Expo 86. M. Yanny déclare que ces bières étaient vendues au public dans un restaurant mexicain appelé Olé Cantina. À la fin de l’Expo 86, la bière de marque PACIFIO a été vendue et distribuée au Canada par l’intermédiaire des circuits de distribution habituels, comme les BC Liquor Stores en Colombie‑Britannique, à compter de décembre 1989, bien avant la date d’enregistrement de la marque, le 17 août 1990. Encore aujourd’hui, la bière est vendue au Canada dans la pratique normale du commerce.

[15]           L’affidavit de M. Boyd apporte un témoignage corroborant. M. Boyd a travaillé comme stagiaire pour Gowling Lafleur Henderson, s.e.n.c.r.l./s.r.l. Dans son affidavit, il présente des renseignements supplémentaires sur l’Expo 86, dont la carte officielle du site de l’Expo 86 (la carte), ainsi que des extraits du livre Vancouver’s Expo ’86 de Bill Cotter (le livre), qui présente une rétrospective de l’Expo 86.  La carte montre en détail où se situent les différents pavillons de l’Expo 86, y compris celui du Mexique, qui est situé dans la « zone rose », ce qui indique que le pavillon du Mexique comportait un service proposant de la nourriture mexicaine. Le livre fait mention de la popularité du restaurant Olé Cantina, où les invités pouvaient trouver [traduction] « des tacos, des burritos et d’autres spécialités mexicaines […] à des prix raisonnables » et [traduction] « savourer leur repas et leur boisson à l’intérieur ou en relaxant sur la terrasse ombragée »

[16]           J’ai également examiné l’affidavit de M. Armstrong. Celui‑ci était vice-président de Canacermex, Inc., une filiale canadienne de Grupo Modelo, qui est également propriétaire de la défenderesse. Canacermex, Inc. avait la responsabilité de gérer l’importation, la vente et la commercialisation des produits de la défenderesse à l’époque où M. Armstrong y travaillait. Ce dernier a déclaré en décembre 2005 que la bière PACIFICO avait été inscrite auprès de la British Columbia Liquor Distribution Branch (la BCLDB) le 19 décembre 1989 et que la vente de bière PACIFICO par l’intermédiaire de la BCLDB avait commencé peu après l’activation. Je n’ai aucune raison de rejeter ce témoignage et je n’y vois aucune contradiction avec la déclaration de premier emploi figurant sur l’enregistrement.

[17]           Dans la demande no 1,004,052, la déclaration selon laquelle la marque était employée [traduction] « au moins depuis le 14 avril 1996 », ainsi que la déclaration de M. Armstrong selon laquelle la bière PACIFICO avait été inscrite auprès de la BCLDB le 18 décembre 1989 et activée le 21 décembre 1989, peu après quoi la vente de la bière PACIFICO avait commencé, sont toutes deux compatibles avec la date déclarée de premier emploi et l’affidavit de M. Yanny. La marque a été lancée lors de l’Expo 86, avant l’activation auprès de la BCLDB. L’emploi a commencé lors de la première transaction en gros et des ventes subséquentes à l’Expo 86, comme le précise l’affidavit de M. Yanny. Une déclaration décrit la vente par l’intermédiaire d’une société des alcools provinciale, et l’autre, l’emploi par la distribution en gros du produit et sa vente subséquente au détail chez Olé Cantina. Ces deux déclarations satisfont à la définition d’emploi du paragraphe 4(1) de la Loi.

[18]           J’ai également pris en considération l’affidavit de M. Priddle. Ce dernier était le directeur du marketing de Modelo Molson Imports, une coentreprise appartenant à Molson Canada et à Grupo Modelo. Modelo Molson Imports était l’organisation responsable de gérer l’importation, la vente et la commercialisation de tous les produits de Grupo Modelo et de la défenderesse au Canada, y compris la bière de marque PACIFICO. M. Priddle supervisait toutes les activités de commercialisation liées à la bière de marque PACIFICO au Canada. Il a déclaré en novembre 2010 qu’il n’avait aucun renseignement sur les premières importations de bière PACIFICO au Canada et que les dossiers à sa disposition ne remontaient pas jusqu’en 1986.

[19]           Au sujet de la déclaration antérieure de M. Armstrong selon laquelle l’emploi avait commencé peu après l’activation le 21 décembre 1989, lorsqu’on a demandé à M. Priddle s’il avait des raisons de croire autre chose, il a répondu ce qui suit dans son contre-interrogatoire de février 2011 :

[traduction] Je ne peux pas parler pour M. Armstrong. Tout ce que je peux dire, c’est que j’imagine que, avec les renseignements dont il disposait peut-être à l’époque, il pensait que c’était cette date-là. Je…  je vois aussi une marque enregistrée ici qui parle d’un emploi déclaré dans… sur… à une date différente […] Et je n’ai aucune raison de croire que ce n’était pas exact à l’époque.

Bien que M. Priddle ne possède pas des décennies de savoir organisationnel, il n’a aucune raison de contredire M. Armstrong ou la déclaration quant à l’emploi contenue dans la demande.

[20]           Par conséquent, je suis convaincu que la preuve de la défenderesse établit clairement que la bière portant la marque PACIFICO a été lancée au Canada, en même temps qu’une gamme d’autres bières mexicaines, lors de l’Expo 86 à Vancouver, où elle était vendue au restaurant Olé Cantina, dans le pavillon du Mexique. La preuve établit de façon concluante pourquoi la demanderesse a déclaré le 14 avril 1986 comme date de premier emploi. Bien que la bière PACIFICO ait ensuite été vendue par les circuits de vente au détail traditionnels, comme les magasins d’alcool, j’estime que la date déclarée de premier emploi est exacte. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a aucune déclaration inexacte importante ou fondamentale quant à la date déclarée de premier emploi.

[21]           En second lieu, les parties ne contestent pas qu’une marque de commerce ne peut être enregistrée si, à la date où l’auteur de la demande l’a employée pour la première fois, elle était similaire, au point de créer de la confusion, à une autre marque de commerce qu’une autre personne avait employée ou fait connaître précédemment au Canada. L’article 6 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles une marque de commerce (ou un nom commercial) peut créer de la confusion avec une autre marque de commerce (ou un nom commercial). Le critère est celui de la première impression et du souvenir imparfait. En appliquant le critère énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances, y compris les facteurs expressément énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. L’importance à accorder à chaque facteur pertinent peut varier en fonction des circonstances.

[22]           Lorsque la défenderesse a commencé à utiliser la marque au Canada le 14 avril 1986, les marques PACIFIC qui suivent étaient les seules marques comportant le mot PACIFIC qui figuraient au registre et qui étaient vraisemblablement employées (PACIFIC GENUINE DRAFT, no d’enregistrement LMC446,348 et PACIFIC DRAFT, no d’enregistrement LMC377,611) ou adoptées (PACIFIC, no d’enregistrement LMC321,469) à la date pertinente :

Marque de commerce

Date de la demande

Date de l’enregistrement

Déclarations

PACIFIC GENUINE DRAFT (LMC446,348)

23 mars 1992

25 août 1995

Employée au Canada depuis avril 1985

PACIFIC DRAFT (LMC377,611)

16 juin 1989

21 déc. 1990

Employée au Canada depuis au moins le 25 juin 1985

PACIFIC (LMC321,469)

4 mai 1984

5 déc. 1986

Déclaration d’emploi déposée le 6 octobre 1986

 

[23]           L’affidavit de Mme Komatsu fait également mention de deux étiquettes de PACIFIC PILSNER, dont l’une aurait été employée depuis environ 1985 et l’autre daterait d’avant 1986. Les étiquettes de PACIFIC PILSNER sont reproduites ci-dessous :

[24]           Le critère relatif à la confusion est celui de savoir si le consommateur moyen conclurait que les produits en question proviennent d’une seule et même source. Encore une fois, j’ai lu attentivement les affidavits et j’ai examiné soigneusement la preuve documentaire produite par les parties, et je suis convaincu que rien ne montre qu’il y a vraisemblablement matière à confusion.

[25]           Le genre de marchandises et d’entreprises et la nature du commerce des parties sont essentiellement identiques : les deux se livrent à la fabrication et à la vente de bière. Par contre, il n’est pas contesté que le degré de ressemblance constitue un facteur prépondérant lorsqu’il s’agit de trancher une question de confusion. En effet, il s’agit souvent du facteur qui risque d’avoir le plus d’importance dans l’analyse sur la confusion. La Cour doit alors examiner l’ensemble des marques, plutôt que de les disséquer en éléments, de porter attention aux éléments qui sont similaires, puis de conclure, sur la base des similarités entre les marques de commerce, qu’une marque de commerce dans son ensemble crée de la confusion avec une autre. Les marques de commerce peuvent être différentes l’une de l’autre et, par conséquent, ne pas porter à confusion lorsqu’elles sont examinées dans leur ensemble, même si des similarités entre certains éléments ressortent lorsqu’ils sont examinés séparément. C’est la combinaison de tous les éléments qui constitue la marque de commerce, et c’est l’effet de la marque de commerce dans son ensemble, plutôt que de l’une ou l’autre de ses composantes isolées, qui doit être pris en considération.

[26]           Je conclus que chacune des marques PACIFIC de la demanderesse est composée d’éléments supplémentaires qui permettent de les distinguer davantage de la marque PACIFICO. Dans son ensemble, la marque PACIFICO diffère de façon importante de toutes les marques PACIFIC. La première impression laissée par la marque PACIFICO est qu’il s’agit évidemment d’une marque étrangère, étant donné la présence des mots CERVECERIA DEL PACIFICO, CERVEZA, PACIFICO CLARA, MAZATLAN, SIN et MEXICO. Ensuite, la marque PACIFICO est hautement stylisée et comporte de nombreux éléments distinctifs, notamment des couleurs intenses et contrastantes, ainsi que des caractères en rouge, or, bleu, vert et jaune. Cela diffère sur les plans visuel, phonétique et sémantique de toutes les marques PACIFIC. Aucune de ces marques n’évoque une origine étrangère. Il n’y aucune ressemblance dans les éléments de dessin ou les couleurs. Bref, l’impression générale créée par la marque est celle d’une bière importée d’origine mexicaine. Il s’agit d’un contraste important avec les marques de la demanderesse, qui ne laissent pas de telle impression sur le consommateur moyen ayant un souvenir imparfait.

[27]           La preuve de la demanderesse sur la question de la confusion est constituée principalement de l’affidavit de Mme Barry, auquel j’accorde très peu de poids. Celle‑ci est une aide‑bibliothécaire employée par l’avocat de la demanderesse. Son affidavit présente différentes définitions espagnol-anglais et anglais-espagnol des mots « pacific » et « pacifico ». Cet affidavit n’étaye en rien la position de la demanderesse. Seule une infime proportion de la population canadienne a l’espagnol comme langue maternelle ou comprend suffisamment l’espagnol. J’estime qu’un tel groupe n’est pas représentatif du consommateur moyen dans le cadre d’une l’analyse sur la confusion effectuée conformément au paragraphe 6(5) de la Loi. En effet, compte tenu du caractère étranger de la marque, on pourrait penser qu’elle serait intrinsèquement distinctive pour la partie de la population canadienne qui ne connaît pas l’espagnol.

[28]           Quoi qu’il en soit, les marques PACIFIC en tant que telles ne possèdent pas à un degré élevé un caractère intrinsèquement distinctif, car le terme anglais « pacific » est un mot du dictionnaire qui peut évoquer l’océan Pacifique ou à la côte du Pacifique. Cela donne à penser que la marchandise de la demanderesse provient de la côte Ouest du Canada.  Il s’agit de marques relativement faibles. Dans le cas de la défenderesse, l’ajout de la voyelle « O » au mot PACIFIC sert, au moins dans une certaine mesure, à distinguer sa marque de celles de l’autre partie. Dans le cas des marques PACIFIC DRAFT et PACIFIC GENUINE DRAFT, ces éléments additionnels constituent clairement une description de types de bière spécifiques. Par contraste, la marque PACIFICO possède un caractère intrinsèquement distinctif plus fort en raison de l’exotisme suggéré de sa provenance et des éléments de dessin marqués mentionnés ci‑dessus.

[29]           J’ai également pris en considération le temps durant lequel les marques de commerce ont été employées. La marque de bière PACIFICO est vendue au Canada depuis au moins le 14 avril 1986. Bien qu’il y ait eu des variations dans le dessin – il est maintenant plus simple et plus moderne – il y a eu emploi continu de la marque, laquelle est facilement reconnaissable en raison de ses éléments et couleurs distinctifs. La preuve de la demanderesse apporte peu d’éléments, voire aucun, démontrant que les marques de la demanderesse étaient employées le 14 avril 1986. Les renseignements sur les ventes présentés dans l’affidavit de Mme Komatsu remontent seulement à 1992 et ils ne sont même pas classés par marque. La demanderesse semble donc s’appuyer uniquement sur les déclarations d’emploi énoncées dans chacun de ses enregistrements de marque de commerce. En l’absence de preuve confirmant l’emploi d’une marque de commerce depuis la date déclarée dans l’enregistrement de la marque de commerce, peu d’importance doit être accordée à ce facteur dans l’analyse de la question de la confusion.

[30]           Dans la mesure où d’autres circonstances sont pertinentes, les deux parties se livrent à la vente de bière au Canada et coexistent sur le marché depuis des décennies. Selon toute vraisemblance, les parties ciblent des consommateurs différents, étant donné que la demanderesse vend un produit local tandis que le produit de la défenderesse est importé du Mexique. En outre, l’origine mexicaine affichée ostensiblement sur la marque diminue les risques de confusion. À la date de souscription de l’affidavit produit par M. Armstrong, le 20 décembre 2005, la bière PACIFICO était vendue partout au Canada, y compris en Colombie‑Britannique, où 114 magasins vendaient de la bière PACIFICO. M. Armstrong déclare que, en près de 20 ans de coexistence, Canacermex n’a été témoin d’aucun cas de consommateur confondant les produits des parties. Le fait que près de 25 ans se soient écoulés avant que la demanderesse tente d’invalider l’enregistrement milite  fortement à l’encontre d’une conclusion de confusion.

[31]           Par conséquent, je conclus que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau d’établir que la défenderesse n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement de la marque.

[32]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de radiation est rejetée. Compte tenu du résultat, la défenderesse a droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de radiation de la marque de commerce PACIFICO & Dessin (LMC371,975) est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme,

Elisabeth Ross, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1723-14

 

INTITULÉ :

PACIFIC WESTERN BREWING COMPANY LTD. c CERVECERIA DEL PACIFICO, S. DE R.L. DE C.V.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 août 2015

JUGEMENT ET motifs :

le juge MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 17 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert J. McDonelle

Yun Li-Reilly

 

POUR LA DEMANDERESSE

Monique Couture

 

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

FARRIS, VAUGHAN, WILLS & MURPHY LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.e.n.c.r.l./s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.