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Date : 20150928


Dossier : IMM‑7194‑14

Référence : 2015 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

SHAFQAT MUHABBAT ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) par laquelle cette dernière a prononcé le désistement de la demande d’asile du demandeur.

[2]               Il est reconnu que le demandeur a subi plusieurs blessures importantes lors d’un accident de la route survenu à la fin novembre 2012. L’audience relative à sa demande d’asile était prévue pour le 22 avril 2013. Le consultant en immigration du demandeur a envoyé une lettre datée du 1er avril 2013 sollicitant un ajournement, demande appuyée par le rapport d’un physiothérapeute qui décrit en détail les blessures du demandeur. Le physiothérapeute a recommandé un ajournement en raison de la douleur dont souffre le demandeur et de sa tolérance limitée à se trouver en position assise ou debout ainsi qu’à marcher. La Commission a cherché à savoir à quel moment le demandeur serait en mesure d’assister à l’audience relative à sa demande d’asile. Le consultant a répondu à cette demande par une lettre datée du 9 avril 2013 dans laquelle il a écrit qu’une consultation avec un chirurgien était prévue, après quoi la situation serait plus claire. Le consultant a tout de même proposé des dates provisoires pour la procédure, lesquelles s’inscrivaient toutes au cours des deux mois suivants. La Commission ne semble pas avoir confirmé l’ajournement, et étonnamment, le consultant ne s’est pas présenté à l’audience du 22 avril 2013. La Commission a ensuite entamé la procédure de désistement et a rejeté la demande dans une brève décision rendue le 6 mai 2014, décision qui fait l’objet du présent contrôle.

[3]               Les questions soulevées par le demandeur concernent l’évaluation qu’a faite la Commission de la preuve sur laquelle repose la conclusion de désistement, qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[4]               La qualité de la représentation de M. Ali devant la Commission laissait beaucoup à désirer. Son consultant semble avoir fait preuve de négligence du fait qu’il ne s’est pas présenté devant la Commission à la date prévue de l’audience, soit le 22 avril 2013. Il semble qu’il ait tout simplement présumé que sa demande d’ajournement serait accueillie. Il a également omis de répondre de façon exhaustive à la demande de la Commission qui cherchait à obtenir de plus amples renseignements médicaux, plus particulièrement en ce qui a trait à la capacité de M. Ali d’assister à l’audience relative à sa demande d’asile. Si le consultant avait de la difficulté à mettre la main sur l’information nécessaire, il avait l’obligation professionnelle d’en informer la Commission. La façon dont il a représenté M. Ali lors de l’audience relative au désistement était aussi gravement déficiente. Lorsque la Commission a demandé au consultant s’il avait quelque chose à dire, ce dernier a tenté sans succès de présenter des éléments de preuve par ouï‑dire. Quand cette démarche s’est avérée infructueuse, il a renoncé à formuler d’autres observations, ce qui est inexcusable et inexplicable à la lumière des blessures très graves et bien établies qu’a subies M. Ali lors d’un accident.

[5]               Nonobstant les erreurs précitées, la Commission disposait de renseignements médicaux à jour, détaillés et fiables qui expliquaient les raisons pour lesquelles M. Ali ne pouvait assister à l’audience prévue relative à sa demande d’asile. Le rapport principal a été rédigé par le physiothérapeute de M. Ali moins de quatre semaines avant l’audience. Selon ce rapport, M. Ali souffrait de douleurs et avait une tolérance limitée pour ce qui est de s’asseoir, de se tenir debout et de marcher. Il continuait de suivre un traitement actif. Le physiothérapeute a indiqué que plusieurs résultats de radiographies, d’imageries par résonance magnétique et de tomodensitogrammes étaient attendus et qu’il appuyait la demande d’ajournement présentée par M. Ali. Le rapport révèle que M. Ali a subi de nombreuses fractures à la colonne vertébrale, y compris des fractures bilatérales du processus transverse de C7, des fractures par compression des plateaux vertébraux de T3 et T4, une fracture du corps vertébral antérieur de T5, une fracture comminutive de T11 avec rétropulsion à 50 % (mouvement vers l’arrière), une fracture du processus transverse droit de T12, des fractures du processus transverse de L1 et L2 ainsi qu’une fracture oblique du corps vertébral de L3. Toutes ces blessures à la colonne vertébrale ont été traitées par intervention chirurgicale. M. Ali a également subi des fractures scapulaire et claviculaire, ainsi que de l’os occipital.

[6]               Un autre rapport présenté à la Commission deux semaines avant l’audience prévue fait état de la découverte récente d’une fracture comminutive du col du talus gauche avec déplacement pour laquelle le pronostic de rétablissement est défavorable. À ce moment‑là, le consultant de M. Ali a avisé la Commission qu’un chirurgien devait évaluer l’état de M. Ali au cours des deux ou trois semaines à venir. Le consultant a tout de même proposé six dates provisoires entre le 16 mai 2013 et le 12 juin 2013 en vue de fixer une nouvelle date pour l’audience. Toutes ces dates ainsi que plusieurs autres ont été écartées puisque le consultant a connu de graves problèmes de santé ayant nécessité une greffe du foie.

[7]               La conclusion de désistement tirée par la Commission repose sur le fait que le demandeur n’aurait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour justifier son défaut de se présenter à l’audience prévue ou pour expliquer à quel moment il serait autrement en mesure de prendre part à la procédure.

[8]               Compte tenu des antécédents médicaux de M. Ali, la Commission aurait manifestement dû savoir que ce dernier n’était pas dans un état pour prendre part à l’audience prévue. Or, en dépit de l’opinion du physiothérapeute, la Commission a insisté auprès de M. Ali, lors de l’audience relative au désistement, pour qu’il explique ou justifie son défaut de comparaître. L’échange suivant le confirme :

[traduction]

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Alors vous demandez, vous êtes tenu de comparaître à cette audience. Vous me dites que vous n’étiez pas en mesure de comparaître en raison d’un accident de la route. Je m’attendrais à ce que vous puissiez me fournir une preuve de cela.

DEMANDEUR D’ASILE : De l’accident de camion?

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Oui.

DEMANDEUR D’ASILE : En ce moment, je ne l’ai pas.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Vous avez maintenant l’occasion de montrer pourquoi il ne faudrait pas prononcer un désistement de votre demande. Et vous dites que vous n’avez aucune preuve qui m’expliquerait pourquoi vous étiez ainsi absent.

DEMANDEUR D’ASILE : À ce moment‑ci, je ne l’ai pas.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : (inaudible). Avez‑vous d’autres... et êtes‑vous prêt à procéder à l’instruction de la demande aujourd’hui?

DEMANDEUR D’ASILE : Oui.

Cet échange, parmi d’autres de la transcription, est très étrange. La Commission savait très bien que M. Ali avait subi des blessures graves dans un accident de la route et elle n’avait pas exigé de plus amples explications à ce sujet. Le physiothérapeute avait également signalé que M. Ali n’était pas physiquement apte à assister à l’audience à ce moment‑là. Aucune des questions qu’a posées la Commission à M. Ali ou à son consultant ne concernait la question que la Commission a ensuite jugée déterminante, à savoir celle du défaut du consultant de produire un avis médical quant au moment où M. Ali serait physiquement apte à témoigner ou d’expliquer pourquoi cette information ne pouvait être obtenue. Étant donné que la Commission n’a posé aucune question à ces égards, la conclusion selon laquelle aucun effort n’a été déployé n’est pas étayée. Même ces réserves ont été en quelque sorte atténuées du fait que le consultant a tenté au départ de proposer des dates pour la procédure. Il n’y a aucune mention de cette preuve dans la décision de la Commission. J’ajouterais que l’affirmation de la Commission selon laquelle les rapports médicaux du demandeur n’expliquent pas en quoi son état de santé l’empêchait de se présenter à l’audience témoigne d’une mauvaise interprétation de ces éléments de preuve. Aucune évaluation raisonnable des rapports du physiothérapeute n’aurait pu laisser planer des doutes sérieux au sujet des incapacités du demandeur ou de la nécessité d’un ajournement.

[9]               L’incompétence du consultant aurait dû sauter aux yeux de la Commission. Il s’agit là aussi d’une question qu’aurait dû aborder la Commission dans ses motifs. En effet, compte tenu de l’importance de la décision que devait rendre la Commission, le traitement superficiel de la preuve est entièrement inadéquat. Les cas de désistement de demandes d’asile méritent une analyse beaucoup plus approfondie de la preuve que celle qu’a réservée la Commission au dossier de M. Ali : voir Octave c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 597, aux paragraphes 24 et 25, 2015 CarswellNat 1496, le juge Keith Boswell, et Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 533, au paragraphe 13, 2015 CarswellNat 1354, le juge George Locke.

[10]           À la lumière de ce qui précède, je conclus que la décision de la Commission est déraisonnable; par conséquent, elle est annulée. Cette affaire doit être renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond.

[11]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR annule la décision de la Commission et renvoie l’affaire à autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7194‑14

 

INTITULÉ :

SHAFQAT MUHABBAT ALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 SeptembrE 2015

 

jugEment et MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 SeptembrE 2015

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

 

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazanalaw

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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