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Date : 20150910


Dossier : T-1999-13

Référence : 2015 CF 1063

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

ALEX HOWSE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 6 novembre 2013 par laquelle le Comité d’inscription constitué par l’Accord pour la reconnaissance de la bande de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq [l’accord visant le Comité d’inscription] a rejeté la demande d’inscription du demandeur pour cause d’invalidité.

I.                   Contexte

[2]               En 1949, Terre‑Neuve s’est jointe à la Confédération sans toutefois que des dispositions soient prévues dans les conditions de l’union relativement à la reconnaissance des peuples autochtones de la province.

[3]               En 1972, la Fédération des Indiens de Terre‑Neuve [la FITN] a été constituée pour obtenir la reconnaissance du peuple Mi’kmaq à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

[4]               À la suite de l’échec des négociations et d’une action intentée contre le gouvernement fédéral, d’autres négociations ont été entamées pour la création d’une bande de peuples Mi’kmaq, qui ont mené à la signature de l’accord visant le Comité d’inscription le 22 juin 2008.

[5]               L’accord visant le Comité d’inscription a constitué le Comité d’inspection afin qu’il examine et évalue les demandes d’inscription en fonction des critères établis à l’article 4.1. L’inscription devait procéder en deux étapes : la première étape a commencé le 30 novembre 2008, a continué pendant douze mois et a donné lieu à la première liste de membres fondateurs; la deuxième étape devait commencer immédiatement après la première et continuer pendant trente‑six mois (jusqu’au 30 novembre 2012), et établir une deuxième liste de membres fondateurs.

[6]               La Première Nation Qalipu Mi’kmaq a été créée par décret le 22 septembre 2011.

[7]               Conformément à l’accord visant le Comité d’inscription, les listes de membres fondateurs devaient être transmises au registraire responsable du registre conformément à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, alors que le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien était tenu de recommander la délivrance d’un décret établissant que ces membres agissaient à titre de groupe composé d’une bande d’Indiens en vertu de la Loi sur les Indiens, et de les enregistrer à titre d’Indiens.

[8]               Les personnes étaient encouragées à faire des recherches sur leur ascendance et leur patrimoine et à présenter une demande d’appartenance à la bande. Des adjoints communautaires et des commis à l’inscription avaient été engagés pour aider certains demandeurs à remplir leurs demandes. Des lignes directrices et des listes de vérification ont été établies pour les demandeurs, et des copies papier des demandes étaient à leur disposition pour les aider durant le processus.

[9]               Compte tenu du nombre élevé de demandes, le Comité d’inscription n’a pas été en mesure de toutes les évaluer dans le délai prescrit par l’accord visant le Comité d’inscription. Un accord supplémentaire [l’Accord supplémentaire] a été signé, sans consulter les demandeurs, par le gouvernement fédéral et la FIT, et a été annoncé le 4 juillet 2013. Il a apporté plusieurs modifications rétroactives à l’accord visant le Comité d’inscription. Il convient de noter que les demandeurs n’étaient plus en mesure d’interjeter appel de certaines décisions du Comité d’inscription et que toutes les demandes d’appartenance à l’exception de celles précédemment rejetées allaient désormais être évaluées en fonction des critères modifiés dans l’Accord supplémentaire.

[10]           La date limite pour présenter une demande à la deuxième étape du processus en question était le 30 novembre 2012.

[11]           Le demandeur a présenté sa demande d’appartenance à la bande le 26 novembre 2012.

[12]           Dans sa demande, le demandeur devait apposer sa signature à deux endroits : la première sur la deuxième page dans la section intitulée [traduction] « Déclarations/Protection des renseignements personnels et Demandeur », la deuxième sur la huitième page dans la section intitulée « Renonciation complète et définitive ». Le demandeur a signé sur la huitième page de sa demande, mais pas sur la deuxième, puisqu’il estimait que la signature à la page no 2 était nécessaire seulement s’il était actuellement membre du groupe d’Indiens des Mi’kmaq de Terre‑Neuve au sens de l’accord.

[13]           Après avoir transmis sa demande, il n’a reçu aucune communication de la part du gouvernement fédéral, de la FITN, du chef et des conseillers des Qalipu Mi’kmaq ou du Comité d’inscription avant de recevoir sa lettre de rejet le 6 novembre 2013. La lettre indiquait également que le demandeur ne pouvait interjeter appel de la décision de quelque façon que ce soir ni présenter d’autres documents à l’appui de sa demande.

[14]           Le Comité d’inscription a conclu que la demande du demandeur était invalide parce que lui ou son tuteur légal n’avait pas dûment signé à la page no 2. Le Comité a estimé que sa demande était incomplète et donc invalide. Il n’a pas eu la possibilité de présenter d’autres documents ou de porter cette décision en appel.

II.                Les questions en litige

[15]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Cour fédérale a‑t‑elle compétence pour examiner la décision contestée?
  2. Le demandeur a‑t‑il bénéficié d’une équité procédurale suffisante?
  3. Existait‑il des obligations envers le demandeur découlant de l’obligation fiduciaire ou de l’honneur de la Couronne?
  4. La décision du Comité d’inscription était‑elle déraisonnable?

III.             La norme de contrôle

[16]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer pour déterminer la compétence et l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 79). Pour déterminer le niveau d’équité procédurale à accorder au demandeur, la Cour examinera les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 27, exposés ci‑après dans l’analyse.

[17]           Les réponses aux questions mixtes de faits et de droit données par le Comité d’inscription devraient être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

IV.             Analyse

A.                 La décision du Comité d’inscription est-elle assujettie au contrôle judiciaire de la Cour fédérale?

[18]           Le demandeur et le procureur général défendeur ne contestent pas la compétence de la Cour fédérale en l’espèce, mais pour des raisons différentes. Pour sa part, la FITN conteste la compétence de notre Cour, au motif que les pouvoirs du Comité d’inscription découlent de l’accord visant le Comité d’inscription et [traduction] « ne relèvent pas d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne », de sorte qu’il ne constitue pas un « office fédéral ».

[19]           Bien que le Comité d’inscription soit une entité indépendante créée par l’accord visant le Comité d’inscription, son pouvoir découle du processus ayant mené à la reconnaissance des membres individuels de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq par le gouverneur en conseil, en vertu de la Loi sur les Indiens et de la Loi concernant la Première Nation micmaque Qalipu – manifestement des lois fédérales.

[20]           De plus, en prenant le Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi’kmaq et son annexe, qui identifie les personnes qui sont membres de la Première Nation, le gouverneur en conseil a voulu agir « en vertu de l’alinéa c) de la définition de “bande” au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et du paragraphe 73(3) de cette loi » (Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi’kmaq, DORS/2011-180).

[21]           Par conséquent, en examinant délibérément le régime contextuel de la constitution du Comité d’inscription, afin de reconnaître les membres de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq en vertu de la Loi sur les Indiens et de la Loi concernant la Première Nation micmaque Qalipu, j’estime que notre Cour a compétence pour examiner le présent contrôle judiciaire.

B.                 Le demandeur a‑t‑il bénéficié d’une équité procédurale adéquate?

[22]           Le Comité d’inscription est une autorité publique qui prend des décisions administratives ayant des répercussions importantes sur les droits, les privilèges et les intérêts des personnes cherchant à se faire reconnaître comme membres de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq – l’équité procédurale est requise, compte tenu de ce qui suit :

  1. la décision est une décision sans appel;
  2. la décision fait intervenir un acteur de droit public;
  3. la décision touche les droits d’un particulier.

Knight c Indian Head School Division No 19, (1990) 1 RCS 653, au paragraphe 28.

[23]           La décision du Comité d’inscription de refuser l’appartenance du demandeur est sans appel et ne donne aucune possibilité de présenter d’autres renseignements ni d’interjeter appel. La décision est également de nature publique, puisque le pouvoir du Comité découle de l’accord, lequel a été conclu entre le gouvernement fédéral et la FITN. Le pouvoir du Comité d’inscription lui a été délégué conformément à la prérogative de la Couronne de constituer des nouvelles bandes et de décider de l’appartenance à une bande et du statut d’Indien.

[24]           Bien que le degré d’équité procédurale varie selon les circonstances, en examinant les facteurs applicables énoncés dans l’arrêt Baker, précité, j’estime que la décision se situe à l’extrémité supérieure du spectre de l’équité procédurale. Dans ce cas, il faut examiner :

  1. la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
  2. la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;
  3. l’importance de la décision pour la personne visée;
  4. les attentes légitimes de la personne;
  5. les choix que l’organisme fait lui‑même.

Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1992] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 27; Chemin de fer Canadien Pacifique c Vancouver (Ville), 2006 CSC 5.

[25]           Les défendeurs soutiennent que le Comité d’inscription exécutait une fonction administrative de nature non juridictionnelle lorsqu’il examinait les demandes pour déterminer si les demandeurs étaient qualifiés pour être membres de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq et, qu’à ce titre, le demandeur a droit à une protection procédurale moindre. Le demandeur soutient que la nature de la décision était judiciaire, étant donné qu’il devait déposer une demande et présenter des éléments de preuve, dont une preuve par affidavit, à l’appui de sa demande, et que la décision était sans appel, ce qui touche ses droits substantiels.

[26]           À mon sens, il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation où l’on détermine les droits dans un contexte contradictoire. Toutefois, la décision n’est pas non plus hautement discrétionnaire ni fondée sur des principes, décision qui accorde généralement moins d’équité procédurale.

[27]           La nature du régime législatif donne une indication du niveau d’équité procédurale à accorder au demandeur. Bien que la décision soit plus réglementaire et administrative que juridictionnelle, compte tenu des droits ancestraux substantiels du demandeur en jeu et de la détermination de son statut de membre de la bande Qalipu Mi’kmaq (les facteurs a) et c) de l’arrêt Baker, précité), et du fait que la décision soit définitive et sans appel (le facteur b) de l’arrêt Baker), l’obligation d’équité milite en faveur d’une protection procédurale plus élevée.

[28]           Qui plus est, comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Baker, au paragraphe 28 :

Les valeurs qui sous‑tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[29]           L’accord visant le Comité d’inscription prévoit que le Comité d’inscription est autorisé à demander des renseignements si une demande est insuffisante (article 4.2.9). Cela suppose qu’un certain niveau d’équité doit être accordé aux demandes insuffisantes sur le plan administratif en donnant une forme d’avis et la possibilité d’être entendu avant qu’une décision définitive ne soit rendue. En revanche, il s’agit d’une disposition discrétionnaire et non obligatoire. Il est important que l’accord soit interprété comme visant tout autant l’établissement de relations pour l’avenir que la résolution de griefs de longue date – il ne doit pas être traité comme un contrat commercial (Première Nation de Little Salmon/Carmacks c Yukon (Directeur, Direction de l’agriculture, ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources), 2010 CSC 53, au paragraphe 10).

[30]           L’Accord supplémentaire prévoyait que les demandes insuffisantes devaient être jugées invalides et a supprimé tout droit d’appel. Toutefois, la décision de juger une demande invalide était prise [traduction] « sans préjudice à la capacité de présenter une nouvelle demande convenablement complétée et signée » (article 8.3). Ainsi, les demandeurs avaient la possibilité de présenter une nouvelle demande s’il y avait eu des erreurs précédentes.

[31]           Le procureur général indique à juste titre que le Comité d’inscription n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’examiner les demandes qui ne répondaient pas aux exigences minimales ni le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour présenter une demande. Toutefois, il avait le pouvoir discrétionnaire d’aviser les demandeurs dont les demandes étaient incomplètes, conformément à l’article 4.2.9.

[32]           L’inclusion de ces voies de recours dans l’accord visant le Comité d’inscription et dans l’Accord supplémentaire, permettant de corriger des erreurs administratives, étaye la thèse du demandeur selon laquelle l’accord visant le Comité d’inscription se voulait juste et visait à prévenir les situations comme celle qui nous occupe, où une personne, qui répond à tous les critères requis pour obtenir le statut d’Indien et appartenir à la bande, est privée de le faire en raison d’une erreur technique ou administrative.

[33]           La procédure du Comité d’inscription a été définie par les modalités de l’accord visant le Comité d’inscription. Comme je l’ai déjà dit, l’accord visant le Comité d’inscription a conféré à ce dernier le pouvoir discrétionnaire de demander des éléments de preuve supplémentaires afin qu’il puisse compléter son évaluation des critères énoncés à l’article 4.1. L’accord visant le Comité d’inscription n’exigeait pas que ce dernier avise les demandeurs des lacunes.

[34]           Plus le Comité d’inscription a le pouvoir discrétionnaire de déterminer ses règles de procédure, moins il accorde d’équité procédurale. En l’espèce, le Comité d’inscription n’avait pas entièrement le loisir de déterminer sa procédure; en fait, son pouvoir discrétionnaire était très restreint, si ce n’était que d’aviser les demandeurs des lacunes. Cela tend à militer en faveur d’une protection procédurale plus élevée.

[35]           Le fait que des adjoints communautaires et des commis à l’inscription ont été engagés par le Comité d’inscription pour aider les demandeurs démontre que les parties à l’accord visant le Comité d’inscription envisageaient la possibilité qu’il y ait des erreurs ou des omissions techniques ou administratives, croyaient qu’une telle situation méritait d’offrir de l’aide et voulaient empêcher qu’une irrégularité dans le processus de demande ne donne forcément lieu à la perte de l’appartenance à une bande. Le fait que le demandeur n’a pas demandé de l’aide n’est pas déterminant; le fait que les services d’adjoints étaient offerts démontre que le Comité d’inscription reconnaissait l’importance des intérêts en jeu.

[36]           Dans l’arrêt Baker, précité, madame la juge L’Heureux-Dubé a souligné l’objectif central des droits de participation au paragraphe 22 :

Je souligne que l’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur[s] points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur [Non souligné dans l’original].

[37]           Comme le demandeur le fait remarquer, la liste des facteurs de l’arrêt Baker n’est pas exhaustive (paragraphe 28). Je ne crois pas qu’il existait une obligation fiduciaire envers le demandeur ni que l’honneur de la Couronne entre en jeu dans ces circonstances (pour les motifs exposés plus loin), mais le fait que l’accord découle de la prérogative du gouverneur en conseil de créer des nouvelles bandes sous le régime de la Loi sur les Indiens justifie un degré plus élevé d’équité procédurale. À tout le moins, le Comité devait fournir un avis.

[38]           Les demandeurs voulant appartenir à la Première Nation Qalipu Mi’kmaq connaissaient les critères à respecter, grâce à l’accord visant le Comité d’inscription, aux lignes directrices de la FITN et au formulaire de demande. Toutefois, le demandeur n’a pas été informé de l’irrégularité dans sa demande et n’a pas eu la possibilité de répondre et de la corriger. Une personne raisonnable, informée de ces faits, considérerait la décision comme déraisonnable.

[39]           Si M. Howse avait présenté sa demande même plusieurs jours plus tôt, conformément à l’Accord supplémentaire (même sans droit d’appel), il aurait eu la possibilité de présenter une nouvelle demande dûment complétée et signée (Accord supplémentaire, article 8.3) et aurait répondu aux exigences de l’article 4.1 – ce qui aura des conséquences substantielles durables et importantes sur son statut à titre de membre de la bande.

[40]           L’absence d’avis et ainsi, de toute forme de recours pour un demandeur qui a fait une erreur honnête, est injuste. Elle est injuste considérant le contexte législatif, institutionnel et surtout social de l’accord visant le Comité d’inscription, l’accord supplémentaire, l’objectif du Comité d’inscription et le fait que la décision du Comité d’inscription entraîne des conséquences à long terme pour le demandeur, sur le plan de son identité personnelle, de son inclusion dans sa collectivité, des droits de ses descendants, de l’accès à certains programmes et services et de ses droits protégés par la Constitution.

[41]           Dans le cadre de l’analyse de l’équité procédurale, le demandeur fait valoir qu’il pouvait s’attendre légitimement à ce qu’on lui dise si sa demande est incomplète sur le plan de la procédure. Le critère, énoncé dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 94 et 95, est que la pratique, la conduite ou la promesse qui auraient suscité une attente légitime doivent être claires, nettes et explicites et ne doivent pas entrer en conflit avec une obligation législative. Les faits de l’espèce ne répondent pas à ce critère – l’accord visant le Comité d’inscription a conféré à ce dernier le pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements si une demande est insuffisante, ce qui ne constitue pas une obligation de le faire dans des termes clairs, nets et explicites.

C.                 Existait‑il des obligations envers le demandeur découlant de l’obligation fiduciaire ou de l’honneur de la Couronne?

[42]           Une relation fiduciaire existe entre les peuples autochtones et la Couronne. Toutefois, en dehors du cadre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, une obligation fiduciaire exige qu’il existe un droit autochtone identifiable et que la Couronne exerce, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant la responsabilité « de la nature d’une obligation de droit privé ». En l’espèce, où aucun droit autochtone ou issu de traités n’est invoqué, une obligation fiduciaire doit être liée à un droit indien identifié, comme des réserves (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, aux paragraphes 81 à 85).

[43]           Comme le fait valoir le procureur général, le demandeur n’a relevé aucun intérêt autochtone identifiable à l’appui de son argument selon lequel il existe une obligation fiduciaire envers lui. Il n’a fourni aucun élément de preuve concernant les pratiques, les coutumes et les traditions de la collectivité autochtone précise desquelles l’obligation fiduciaire invoquée découle, ni le fondement sur lequel il peut revendiquer des droits au statut d’Indien ou des droits en tant qu’Indien non inscrit.

[44]           Je suis également d’accord avec le procureur général pour dire que toute obligation fiduciaire, si elle existe, serait envers la collectivité autochtone, c.‑à‑d. le groupe d’Indiens Mi’kmaq de Terre‑Neuve, tel qu’il est représenté dans les négociations par la FITN, ou son successeur, au moyen de la mise en œuvre de l’accord, la Première Nation Qalipu Mi’kmaq. L’honneur de la Couronne fait en sorte que l’accord, tel qu’il a été négocié entre le gouvernement du Canada et la collectivité autochtone, a été mis en œuvre tel qu’il a été convenu. Dans la même veine, l’obligation de la Couronne d’agir honorablement à l’égard des Autochtones exige que l’accord soit interprété et mis en œuvre à la lumière de son objectif et dans son contexte social et historique.

[45]           J’estime qu’il n’y a pas eu violation d’une quelconque obligation fiduciaire, dont le demandeur n’a pas réussi à prouver l’existence envers lui, ni violation de l’honneur de la Couronne, étant donné qu’elle n’entre pas en jeu pour le demandeur dans les circonstances de l’espèce.

D.                La décision du Comité d’inscription était‑elle déraisonnable?

[46]           Pour la même raison que j’ai donnée pour conclure à l’iniquité de la décision du Comité d’inscription sur le plan de la procédure, je conclus également qu’elle est déraisonnable : il n’y a pas eu d’avis raisonnable ni même une tentative de transmettre un tel avis au demandeur pour lui permettre de corriger les irrégularités dans sa demande visant à se faire reconnaître comme membre de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La décision du Comité d’inscription déclarant invalide la demande du demandeur visant à se faire reconnaître comme membre de la bande Qalipu Mi’kmaq est annulée;

2.                  Le Comité d’inscription doit évaluer la demande du demandeur et son admissibilité à titre de membre de la bande Qalipu Mi’kmaq conformément à l’article 4.1 de l’accord;

3.                  Les dépens sont adjugés en faveur du demandeur.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1999-13

 

INTITULÉ :

ALEX HOWSE c PGC ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Mme Jamie Lickers

POUR LE DEMANDEUR

Mme Helene Robertson

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

M. Stephen May

POUR LA DÉFENDERESSE,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, s.r.l.

Hamilton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

COX & PALMER

St. John’s (Terre‑Neuve‑et‑Labrador)

POUR LA DÉFENDERESSE,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

 

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