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Date : 20151002


Dossier : IMM-3848-14

Référence : 2015 CF 1132

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 octobre 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

TONET SULCE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur est un citoyen de l’Albanie. En avril 2013, il a reçu une offre d’emploi comme poseur de stuc d’une compagnie de construction située en Saskatchewan. Comme le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] interdit aux étrangers de travailler au Canada à moins d’y être autorisé en vertu de la Loi, il a soumis une demande de permis de travail temporaire. Sa demande était accompagnée des résultats de son test IELTS (International English Language Testing System) suivant lesquels il possédait les compétences linguistiques [traduction] d’un « utilisateur extrêmement limité ». À cette demande était également joint un avis sur le marché du travail [AMT ou lettre de confirmation de l’AMT] établi par son employeur éventuel.

[2]               Aux termes de l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], un permis de travail ne peut être délivré à un étranger s’il existe des motifs raisonnables de croire que celui‑ci est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé.

[3]               En avril 2014, une agente des visas [l’agente] a refusé la demande de permis de travail temporaire du demandeur au motif que sa maîtrise de l’anglais était insuffisante pour lui permettre de s’acquitter des fonctions de son emploi. Voici les extraits pertinents de la décision de l’agente :

[traduction] Le demandeur a obtenu un avis favorable relatif au marché du travail au sujet d’un poste de poseur de stuc qui indique les fonctions et activités suivantes : aptitude à mélanger dans les proportions appropriées du ciment, du mortier, du plâtre et du stuc. Connaissance des normes de sécurité propres aux instruments du métier. Connaissance de la pose du béton, de la maçonnerie, du plâtre et du stuc. Habileté à lire les bleus. L’AMT exige des compétences de base en anglais oral et écrit. Le demandeur a obtenu une note globale de 3,5 à son test IELTS, ce qui correspond aux compétences linguistiques d’un [traduction] « utilisateur extrêmement limité » et signifie qu’il [traduction] « ne discerne et ne comprend que le sens général des conversations dans des situations très familières. De fréquentes ruptures dans la communication se produisent. » Je suis d’avis que les connaissances de l’anglais du demandeur ne sont pas suffisantes pour lui permettre de répondre aux exigences de l’AMT et de s’acquitter des fonctions et d’accomplir les activités liées à l’emploi envisagé. Plus précisément, je ne suis pas convaincue que le demandeur pourrait comprendre les instructions ou les directives ou qu’il pourrait comprendre les instructions (orales ou écrites) qui pourraient lui être données concernant la sécurité au travail (il travaillerait sur des chantiers de construction) ou que le demandeur pourrait communiquer avec les premiers répondants en cas d’urgence. Sa demande est refusée.

[4]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi.

II.                Questions en litige et norme de contrôle

[5]               Le demandeur invoque deux moyens pour contester la décision de l’agente. En premier lieu, il affirme que l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui offrant pas la possibilité de préciser si ses compétences linguistiques étaient suffisantes pour satisfaire aux exigences concrètes de l’emploi en question. Il est de jurisprudence constante que les questions relatives à l’équité procédurale sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Ghasemzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716, [2012] 1 RCF 116 au paragraphe 16).

[6]               Le demandeur soutient également que la décision de l’agente devrait être annulée au motif que celle‑ci :

  1. a conclu qu’il était un [traduction« utilisateur extrêmement limité » de l’anglais alors que les résultats qu’il avait obtenus à son test IELTS indiquaient que ses compétences linguistiques en anglais étaient plus élevées;
  2. a considéré que sa capacité de communiquer avec les premiers répondants alors que cette aptitude ne faisait pas partie des exigences de l’emploi;
  3. s’est concentrée exclusivement sur sa note globale au test IELTS sans tenir compte des notes qu’il avait obtenues pour chacun des volets du test;
  4. n’a pas motivé suffisamment sa conclusion que ses compétences linguistiques étaient insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter des obligations de l’emploi envisagé.

[7]               Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à l’admissibilité des immigrants dans le cadre des programmes des travailleurs temporaires étrangers est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1306 au paragraphe 35; Grusas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 733, 413 FTR 82 au paragraphe 13[Grusus]; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 14, au paragraphe 4; Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, 434 FTR 107 au paragraphe 5 [Grewal]). Suivant cette norme de contrôle, la Cour ne doit modifier la décision de l’agent que si elle n’est pas justifiable, transparente et intelligible, ou si elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

III.             Analyse

A.                Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[8]               Les conclusions relatives à la maîtrise d’une langue et aux capacités linguistiques sont en règle générale tirées dans le contexte du paragraphe 200(3) du Règlement dans le cadre de l’analyse, par l’agent des visas, de la question de savoir si l’étranger est en mesure d’accomplir le travail qu’il entend exercer. Comme les conclusions tirées au sujet des compétences linguistiques sont fondées sur la preuve présentée par celui qui soumet une demande de permis de travail temporaire, elles sont, de par leur nature même, intrinsèquement factuelles. Qui plus est, étant donné que la Loi et le Règlement ne donnent aucune indication sur la façon d’évaluer les compétences linguistiques des étrangers qui présentent une demande dans le cadre du programme des permis de travail temporaire, il a été jugé que les conclusions en matière d’échelons de compétences linguistiques concernant les travailleurs étrangers temporaires étaient « hautement discrétionnaires » (Grewal, précitée, au paragraphe 17).

[9]               Dans la décision Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1378 [Chen] au paragraphe 12, la juge Judith Snider a décrit le rôle que joue l’agent des visas lorsqu’il se prononce sur une demande de permis de travail temporaire :

[12]  Dans toutes les demandes dont il est saisi, l’agent des visas est tenu d’examiner l’ensemble des éléments de preuve pertinents qui sont portés à sa connaissance afin de décider lui‑même s’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur est incapable d’exercer l’emploi (alinéa 200(3)a) du Règlement). L’agent ne peut être lié par une déclaration de DRHC selon laquelle la connaissance de l’anglais est exigée ou ne l’est pas; il ne peut déléguer sa fonction décisionnelle à une tierce partie comme DRHC. À l’inverse, la déclaration d’un demandeur ou d’un employeur selon laquelle la connaissance de l’anglais n’est pas obligatoire ne lie pas l’agent des visas, qui doit faire sa propre évaluation en soupesant l’ensemble des éléments de preuve dont il est saisi.

[10]           Il est de jurisprudence constante qu’il revient à celui qui présente une demande de permis de travail temporaire de fournir tous les documents à l’appui pertinents et de présenter suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour convaincre l’agent des visas qu’il est en mesure de satisfaire aux exigences de l’emploi. En d’autres termes, il incombe au demandeur de présenter la meilleure preuve possible (Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 733 au paragraphe 20; Grusas, précitée, au paragraphe 63; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115 au paragraphe 25 [Singh]). Dans ces conditions, et compte tenu du fait que les demandes de visas ne font pas intervenir de droits substantiels étant donné que les demandeurs de visas n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada, un degré peu élevé d’équité procédurale est dû, et il n’exige généralement pas que l’on accorde aux personnes qui demandent un permis de travail temporaire la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas (Grusas, précitée, au paragraphe 63; Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1247, 398 FTR 303 au paragraphe 85; Grewal, précitée, au paragraphe 18). Ceci est d’autant plus vrai lorsque rien ne permet de penser que le demandeur subirait des conséquences graves, dans les cas, par exemple, où il est en mesure de présenter une nouvelle demande de permis de travail et que rien ne permet de penser que cette démarche lui causerait un préjudice (Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815, [2002] ACF no 1098 au paragraphe 5; Masych c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1253 au paragraphe 30).

[11]           Toutefois, lorsque les réserves de l’agent des visas ne découlent pas directement de la Loi ou du Règlement, mais portent plutôt sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur, notre Cour a jugé que l’agent a l’obligation de demander des renseignements complémentaires à l’auteur de la demande de permis de travail temporaire (Singh, précitée, au paragraphe 25; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, 302 FTR 39).

[12]           Le demandeur affirme que cette obligation s’appliquait en l’espèce, étant donné que la documentation versée au dossier ne permettait pas de savoir avec certitude quel degré de compétences linguistiques était suffisant pour le poste envisagé. Le demandeur affirme que l’offre d’emploi ne précisait pas les exigences linguistiques tandis que l’AMT précisait que la capacité de communiquer en anglais, oralement et par écrit, faisait partie des exigences du poste, sans toutefois préciser davantage ce qui était concrètement attendu sur le plan des compétences linguistiques. Il affirme que, dans ces conditions, au lieu de se fonder sur sa propre conception arbitraire des exigences du poste sur le plan linguistique, l’agente aurait dû entreprendre des démarches pour clarifier les exigences en question en cherchant à obtenir des renseignements complémentaires auprès de lui ou de son éventuel employeur.

[13]           Je ne suis pas convaincu que l’agente avait cette obligation en l’espèce. Contrairement à ce qui était le cas dans la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484, sur laquelle le demandeur se fonde, en l’espèce seuls les résultats du test IELTS avaient été versés au dossier pour démontrer le degré de maîtrise de l’anglais du demandeur. Le demandeur a bien produit une lettre de son éventuel employeur qui affirmait qu’il estimait que le demandeur possédait suffisamment de compétences à l’oral et à l’écrit en anglais pour le poste envisagé. Toutefois, l’agente ne disposait pas de cette lettre lorsqu’elle a examiné la demande de permis de travail temporaire du demandeur, étant donné qu’elle a été déposée après qu’elle eut rendu sa décision. Comme elle n’avait pas été portée à l’attention de l’agente, cette lettre n’est d’aucun secours pour le demandeur dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1247, 398 FTR 303 aux paragraphes 59 et 60).

[14]           Comme je viens de le préciser, il appartenait au demandeur de présenter suffisamment d’éléments pour convaincre l’agente qu’il était en mesure de satisfaire aux exigences du poste; or, il ressort du dossier que la connaissance orale et écrite de l’anglais constituait une exigence du poste envisagé. Par conséquent, le demandeur a été invité à subir un test IELTS, et il a obtenu la note de 3,0 pour la compréhension de l’oral, 4,5 pour la lecture, 1,5 pour ses compétences en expression écrite et 5,0 pour ses compétences en expression orale, pour une note globale de 3,5. L’agente a évalué les fonctions et les activités du poste décrit dans l’AMT en fonction des résultats en question et elle a conclu que les connaissances en anglais du demandeur étaient insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter des fonctions et des activités du poste en question. En particulier, l’agente n’était pas convaincue que le demandeur serait en mesure de comprendre les instructions et les directives qui lui seraient données oralement ou par écrit en ce qui concerne la sécurité au travail sur les chantiers de construction ou qu’il serait en mesure de communiquer avec les premiers répondants en cas d’urgence.

[15]           L’agente a conclu qu’une note globale de 3,5 équivalait, suivant les catégories de l’IELTS, à un échelon 3, qui correspond à celui d’un [traduction« utilisateur extrêmement limité ». Cet échelon est celui d’une personne qui [traduction« ne discerne et ne comprend que le sens général des conversations dans des situations très familières. De fréquentes ruptures dans la communication se produisent. »

[16]           En règle générale, l’équité procédurale, qu’il s’agisse des ouvriers qualifiés ou des travailleurs temporaires, ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte sa demande ou qu’il engage avec lui un dialogue sur la question de savoir s’il satisfait à la Loi ou au Règlement (Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, 247 FTR 147 au paragraphe 23; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1279 au paragraphe 22; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1306, [2010] ACF no 1663 aux paragraphes 40 à 42).

[17]           La décision récente rendue par notre Cour dans l’affaire Singh, est, je crois, tout à fait pertinente. Dans cette affaire, le demandeur s’était vu refuser un permis de travail au motif, notamment, qu’il n’avait pas démontré de façon satisfaisante qu’il possédait une capacité suffisante de communiquer en anglais pour exercer l’emploi envisagé. Tout comme dans le cas qui nous occupe, l’AMT mentionnait qu’il était nécessaire de savoir parler et écrire l’anglais sans préciser le degré de compétence requis. Dans la décision Singh, la Cour a conclu que le demandeur n’était pas en droit de se voir offrir la possibilité de dissiper les doutes de l’agente des visas parce que ceux‑ci « étaient directement attribuables au défaut du demandeur de se conformer aux exigences de la LIPR et du Règlement » (liées à la question de savoir si le demandeur est en mesure de s’acquitter des tâches de l’emploi envisagé (voir Hassani, précitée, au paragraphe 24)) et ne portait pas sur « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » ce qui aurait pu obliger l’agente à lui fournir l’occasion de dissiper ses doutes (Singh, au paragraphe 25). Signalant qu’il « incombait au demandeur de présenter suffisamment d’éléments pour convaincre l’agente qu’il était en mesure d’accomplir les tâches liées à l’emploi », la Cour a conclu que l’agente n’avait pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en n’accordant pas au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes.

[18]           Je ne vois aucune raison de tirer une conclusion différente en l’espèce. Tout comme dans l’affaire Singh, il ne s’agit pas d’un cas où « l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » est à l’origine des réserves exprimées par l’agente. L’agente était plutôt préoccupée par la question de savoir si, compte tenu du fait que ses compétences linguistiques étaient celles d’un « utilisateur extrêmement limité », le demandeur serait en mesure d’effectuer le travail demandé suivant son appréciation des preuves présentées. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un cas où l’agent, dans un contexte où l’obligation d’équité procédurale se situait d’entrée de jeu à la limite inférieure de l’échelle variable, avait l’obligation d’accorder au demandeur la possibilité de dissiper ses doutes à cet égard.

[19]           Le demandeur affirme également que l’agente s’est fondée de façon irrégulière sur des renseignements tirés de la demande d’AMT qui portaient sur des exigences linguistiques plus grandes que celles qui figuraient dans la lettre de confirmation de l’AMT et qui indiquaient que des [traduction« connaissances de base » en anglais, à l’oral et à l’écrit, étaient nécessaires. Comme il n’était pas au courant de ces renseignements et compte tenu de la jurisprudence concernant l’utilisation irrégulière d’éléments de preuve extrinsèques, le demandeur affirme que l’agente aurait dû lui accorder la possibilité de répondre à cet égard.

[20]           Comme le défendeur le souligne à juste titre, l’évaluation de l’agente des visas ne se limite pas à la lettre de confirmation de l’AMT, et elle tient compte d’autres éléments de preuve relatifs au poste précis envisagé, y compris la demande d’AMT. En l’espèce, la lettre de confirmation de l’AMT précisait dans les termes les plus nets qu’elle était fondée sur les renseignements fournis dans la demande d’AMT à laquelle elle était annexée. Dans la décision Grusas, précitée, la Cour a conclu que les renseignements contenus dans les demandes d’AMT sont utiles pour permettre à l’agent des visas d’évaluer les demandes de permis de travail temporaire. Dans cette affaire, la demande de permis de travail temporaire avait été refusée au motif que la demanderesse n’avait pas convaincu l’agente qu’elle possédait trois années d’expérience dans le domaine du service des aliments, une exigence qui, comme en l’espèce, était précisée dans la demande d’AMT, mais non dans la lettre de confirmation de l’AMT. La Cour a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale dans cette affaire (Grusas, précitée, au paragraphe 64).

[21]           Je conviens avec le défendeur que les faits de l’affaire Grusas et ceux de la présente espèce ne sont pas comparables à ceux de l’affaire Mehta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1073, dans laquelle la Cour a conclu que les règles d’équité procédurale obligeaient l’agente des visas à accorder à l’auteur de la demande de visa la possibilité de répondre aux éléments de preuve extrinsèques. Dans le cas qui nous occupe, tout comme dans l’affaire Grusas, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale étant donné que les documents sur lesquels l’agente s’est fondée, y compris la demande d’AMT, ne répondaient pas à la définition généralement reconnue par la Cour de l’expression « éléments de preuve extrinsèques ». En d’autres termes, rien ne donnait ouverture à une réponse de la part du demandeur.

[22]           Cela étant dit, la décision de l’agente était‑elle malgré tout déraisonnable? Je suis d’avis qu’il faut répondre par la négative.

B.                 La décision de l’agente est raisonnable

[23]           Le demandeur affirme que l’appréciation que l’agente a faite de ses compétences linguistiques était déraisonnable étant donné : (i) que la note globale de 3,5 qu’il avait obtenue à son test IELTS indiquait qu’il avait des compétences plus étendues que celles d’un « utilisateur extrêmement limité »; (ii) que l’agente a seulement tenu compte de la note globale obtenue à son test IELTS et non des notes qu’il avait obtenues pour chacun des volets du test; (iii) que sa capacité de communiquer avec les premiers répondants n’était pas un facteur pertinent étant donné que cela ne faisait pas partie des exigences du poste; (iv) que l’agente n’a pas motivé suffisamment la raison pour laquelle ses compétences linguistiques étaient insuffisantes pour lui permettre d’accomplir les fonctions de l’emploi qu’il convoitait.

[24]           Sur le premier point, le demandeur affirme que la note globale qu’il avait obtenue à son test IELTS démontrait qu’il se situait à mi‑chemin entre l’échelon 3 (utilisateur extrêmement limité) et l’échelon 4 (utilisateur limité) et qu’il était déraisonnable de la part de l’agente de le qualifier d’utilisateur d’échelon 3. Un [traduction« utilisateur limité » est, suivant les catégories de l’IELTS, une personne dont les compétences de base en anglais [traduction« se limitent à des situations connues », qui « a fréquemment des problèmes à comprendre et à s’exprimer », et « qui ne peut utiliser un langage complexe ».

[25]           Cet argument a été formulé – mais rejeté – dans l’affaire Bilgütay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 625, dans laquelle la Cour a souligné que l’évaluation par un agent des visas des compétences linguistiques de l’auteur d’une demande de permis de travail temporaire commandait la retenue. À mon avis, il n’est pas déraisonnable de conclure qu’une personne qui obtient une note générale de 3,5 n’est pas encore un « utilisateur limité », un échelon de compétences qui exige une note générale de 4,0. Il était donc loisible à l’agente de conclure que la note générale obtenue par le demandeur équivalait à un échelon 3 et qu’il s’agissait donc d’un [traduction« utilisateur extrêmement limité » qui ne possédait donc pas les compétences nécessaires, pour les motifs exposés par l’agente, pour accomplir les fonctions du poste envisagé.

[26]           Le défendeur ajoute que même si, à la suite de l’évaluation des compétences du demandeur, l’agente avait conclu qu’il se situait plus près de l’échelon 4, elle aurait quand même exercé de façon raisonnable son pouvoir discrétionnaire en concluant qu’une personne possédant ce degré de compétences linguistiques – celui d’un « utilisateur limité » – ne serait quand même pas en mesure de satisfaire aux exigences de l’emploi envisagé. Bien qu’il soit vrai que dans cette hypothèse un autre décideur aurait pu conclure différemment, je ne puis affirmer qu’une telle conclusion aurait été déraisonnable étant donné qu’une personne se situant à l’échelon 4, est, comme je l’ai déjà indiqué, une personne qui possède des « compétences de base » et [traduction« qui a fréquemment des problèmes à comprendre et à s’exprimer ».

[27]           Le deuxième argument du demandeur concerne le fait que l’agente aurait dû tenir compte non seulement de la note générale qu’il avait obtenue à son test IELTS, mais également des résultats qu’il avait obtenus pour chacun des volets du critère (3,0 pour la compréhension de l’oral, 4,5 pour la lecture, 1,5 pour l’expression écrite et 5,0 pour l’expression orale). Là encore, cet argument a été formulé – mais rejeté – dans la décision Grewal, précitée. Dans cette affaire, la Cour a estimé que les conclusions relatives aux échelons de compétences linguistiques atteints par les travailleurs étrangers temporaires sont « hautement discrétionnaires », et qu’elles ne devraient être modifiées que s’il peut être démontré que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon arbitraire ou déraisonnable. La Cour a par conséquent jugé que l’agente n’avait pas rendu une décision déraisonnable en évaluant la compétence linguistique de l’auteur de la demande de permis de travail temporaire en fonction de la note globale obtenue au test IELTS. Je ne vois aucune raison de ne pas suivre la décision Grewal sur ce point.

[28]           Troisièmement, le demandeur affirme que ni l’offre d’emploi ni l’AMT ne l’obligeaient à communiquer avec les premiers répondants dans le cadre de l’emploi envisagé. Il affirme que le fait d’ajouter des fonctions à l’offre d’emploi constitue une erreur susceptible de contrôle. Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Chen, précitée, l’agent des visas a l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la capacité de l’auteur de la demande de permis de travail temporaire d’exécuter l’emploi envisagé, de sorte qu’il n’est pas lié par la déclaration du demandeur ou de l’employeur quant à la capacité du demandeur d’exécuter le travail demandé (Chen, au paragraphe 12). Dans cette affaire, le demandeur affirmait que l’agent des visas avait à tort refusé sa demande de permis de travail temporaire parce qu’il n’était pas en mesure de parler l’anglais, alors que la connaissance de l’anglais n’était pas une exigence du poste. La Cour a jugé que, même si l’agent des visas avait peut‑être commis une erreur en disant que la connaissance de l’anglais était une exigence de l’emploi, il avait le droit, indépendamment de ce fait, de considérer la capacité de communiquer en anglais comme une aptitude pertinente lors de l’évaluation de la capacité du demandeur d’exercer les fonctions du poste, dès lors que ses conclusions à cet égard étaient logiques et qu’elles ne se fondaient pas sur des facteurs sans pertinence (Chen, au paragraphe 13).

[29]           Dans la décision Singh, précitée, la Cour a souligné de nouveau qu’un AMT favorable ne joue pas un rôle déterminant dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas (Singh, au paragraphe 20). Dans le cas qui nous occupe, comme le défendeur le souligne, l’emploi envisagé était dans le domaine de la construction et les préoccupations de l’agente portaient sur la compréhension, par le demandeur, des directives concernant la sécurité au travail. Le fait qu’elle craignait également que le demandeur ne soit pas en mesure de communiquer avec les premiers répondants en cas d’urgence était, à mon avis et compte tenu de la nature de l’emploi en question, une considération pertinente et logique dans le contexte de la sécurité des conditions de travail sur un chantier de construction. Là encore, compte tenu du fait que l’agente n’est pas liée par la lettre de confirmation de l’AMT et qu’en l’espèce l’agente avait l’obligation de procéder à une évaluation indépendante de la capacité du demandeur de s’acquitter des fonctions de l’emploi envisagé, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[30]           Enfin, le demandeur affirme que les motifs de l’agente sont inadéquats étant donné qu’elle n’a pas suffisamment expliqué sa décision. Il est maintenant bien établi que l’insuffisante des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, 2011] 3 RCS 708 au paragraphe 14, la Cour suprême du Canada a déclaré que les motifs de la décision doivent plutôt « être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ».

[31]           Pour être suffisants, les motifs doivent permettre à la cour chargée du contrôle de comprendre pourquoi l’agent est arrivé à sa décision et ensuite de déterminer si celle‑ci appartient aux issues acceptables (Sok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 464 au paragraphe 17). De plus, dans la décision Singh, précitée, la Cour a rappelé que les agents des visas n’ont pas à donner des motifs détaillés (Singh, au paragraphe 24). En l’espèce, l’agente a expliqué que la note obtenue par le demandeur à son test IELTS indiquait que son niveau de communication était limité et que des ruptures dans la communication se produiraient, de sorte qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur serait en mesure de comprendre les instructions, notamment en ce qui concerne les normes de sécurité sur les chantiers de construction, ou qu’il serait en mesure de communiquer avec le personnel d’urgence.

[32]           Comme il s’agissait de préoccupations réalistes et importantes, s’agissant d’évaluer un poste de poseur de stuc appelé à travailler dans des chantiers de construction, ces motifs, pris globalement, permettaient à la Cour de comprendre pourquoi l’agente a rendu cette décision et de déterminer si celle‑ci appartient aux issues acceptables.

[33]           En somme, la décision de l’agente était à la fois raisonnable et équitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est par conséquent rejetée.

[34]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et aucune ne sera donc certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.                  NE CERTIFIE aucune question.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3848-14

INTITULÉ :

TONET SULCE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2015

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

POUR LE demandeur

Nicole Rahaman

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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