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Date : 20150928


Dossier : T-2193-14

Référence : 2015 CF 1122

Montréal (Québec), le 28 septembre 2015

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

THIERNO CISSÉ

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Monsieur Thierno Cissé, le demandeur, intente quatre (4) actions en dommages à l’encontre de Sa Majesté la Reine, la défenderesse, alléguant que les préposés du ministère de la Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] ont commis une faute en consignant une remarque sur deux des permis de travail ouverts qu’il a reçus.

[2]  M. Cissé allègue avoir subi des dommages en lien avec la remarque et réclame la somme totale de 11 millions de dollars, pour diffamation, atteinte à la dignité de sa personne, atteinte à ses droits fondamentaux, violation de sa vie privée et propagation de ses renseignements personnels.

[3]  Toutes ses actions ayant été réunies, un seul jugement sera rendu.

[4]  La Cour conclut que M. Cissé n’a établi ni l’existence d’une faute de la part de la défenderesse, ni de dommages découlant d’une possible faute.

[5]  Lors de l’audience, M. Cissé a témoigné pour son propre compte tandis que Mme Ruth Anne Weisman, spécialiste de programme sénior au sein de CIC a témoigné pour la défenderesse.

[6]  La Cour reprendra d’abord les allégations de chacune des parties et la preuve qu’elles ont déposée au soutien de ces allégations et examinera ensuite si M. Cissé s’est acquitté de son fardeau de preuve.

II.  Allégations des parties

[7]  La Cour réfère les parties aux faits présentés dans le dossier T-2191-14 en ce qui a trait aux évènements survenus avant le printemps 2012 puisqu’ils ne sont pas pertinents dans la présente instance. Nous nous limiterons à mentionner ici, quant à cette période, que M. Cissé est arrivé au Canada le 1er février 2009, qu’il a alors reçu un permis de travail valide jusqu’au 5 mai 2011, qui l’autorisait à travailler seulement pour la compagnie DMR Conseil et selon les modalités qui y étaient prévues.

[8]  Le 24 février 2012, M. Cissé présente une demande de statut de réfugié afin, selon son témoignage, d’obtenir un permis de travail ouvert en vertu de l’article 206 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. M. Cissé reçoit effectivement un premier permis de travail ouvert le 21 mars 2012, et il en reçoit deux autres successivement, un en avril 2013 et un en avril 2014, déposés respectivement sous les pièces P‑15, P-16 et P-17 à l’audience.

[9]  Or, les permis de travail ouverts remis à M. Cissé en 2013 et en 2014 consignent une remarque qui n’apparaissait pas sur celui qui lui a été remis en 2012. En effet, un des permis porte la mention « Non valide pour un emploi dans une entreprise liée au commerce du sexe comme les bars de danseuses nues, les salons de massage ou les services d’escorte » et l’autre porte la mention « Not valid for employment in businesses related to the sex trade such as strip clubs, massage parlours or escort services ».

[10]  Par ailleurs, M. Cissé témoigne avoir été filmé à son insu durant l’hiver 2010 alors qu’il utilisait la salle de douches d’un organisme de bienfaisance à Montréal. Il témoigne aussi avoir fait l’objet d’enquêtes suite à son embauche par l’entreprise PAYZA basée à Montréal, Québec et il prétend que l’entreprise a trouvé le film le montrant se douchant nu et qu’elle l’aurait diffusée sur internet. M. Cissé a déposé une copie du contrat conclu entre lui et la compagnie PAYZA le 18 juin 2012, mais n’a rien déposé en lien avec un film ou sa diffusion.

[11]  M. Cissé soutient que la remarque ajoutée à ses permis de travail ouverts de 2012 et 2013 résulte de la découverte par CIC du film précité, et que cette remarque le ciblait de façon particulière. Il soutient également que le seul but de l’ajout de cette remarque est de le ridiculiser et de l’humilier. M. Cissé n’a déposé aucune preuve en lien avec la connaissance alléguée de ce film par les préposés de CIC.

[12]  M. Cissé a déposé en preuve le Bulletin opérationnel 449, [BO 449] du 13 juillet 2012 (pièce P-18) pointant vers la mention que ce BO est désuet. Il a admis, lors de son témoignage, ignorer si tous les permis de travail ouverts consignent cette remarque.

[13]  Mme Ruth Anne Weisman a, quant à elle affirmé, que la remarque consignée sur les permis de travail ouverts remis à M. Cissé en 2013 et en 2014 apparait sur tous les permis de travail ouverts depuis le mois de juillet 2012, en vertu d’une nouvelle politique adoptée le 13 juillet 2012. Elle a aussi déposé en preuve le BO 449 du 13 juillet 2012 (pièce D-23), qu’elle indique avoir rédigé.

[14]  Mme Weisman a témoigné à l’effet que la remarque est inscrite par le système informatique de CIC sur chaque permis de travail ouvert de façon automatique lorsque le code correspondant à un permis de travail ouvert est entré et que le but de cette procédure est de protéger les ressortissants étrangers.

[15]  Mme Weisman a déposé en preuve copie de deux formulaires de Demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada comme travailleur complétés par M. Cissé et de deux extraits de dossiers de M. Cissé, soit les pièces D-19, D-20, D-21 et D‑22, et elle a expliqué que rien dans ces demandes ne démontre que les préposés du CIC connaissaient l’existence du film auquel réfère M. Cissé.

III.  Questions en litige

[16]  La Cour doit déterminer si M. Cissé a (1) établi l’existence d’une faute de nature à engager la responsabilité civile de la défenderesse, (2) démontré les dommages qu’il déclare avoir subis et (3) que les dommages ont été causés par la faute de la défenderesse.

IV.  Position des parties

A.  M. Cissé

[17]  M. Cissé soutient que la défenderesse a commis une faute en incluant la remarque précitée sur ses permis de travail ouverts de 2013 et de 2014. Il soutient que la défenderesse l’a diffamé, a causé une atteinte à la dignité de sa personne, a causé une atteinte à ses droits fondamentaux, a violé sa vie privée et a propagé ses renseignements personnels en consignant cette mention sur ses permis de travail ouverts.

[18]  Il soutient que l’action d’inscrire la mention sur ses permis de travail ouverts en 2013 et en 2014 découle de la découverte par CIC d’un film le montrant nu dans les douches d’un organisme de bienfaisance et non pas du BO 449 de juillet 2012 puisque ce dernier est désuet et qu’il n’est pas soutenu par la règlementation pertinente.

B.  Position de la défenderesse

[19]  La défenderesse soutient de façon générale que ses préposés n’ont commis aucune faute en émettant des permis de travail ouverts avec la mention précitée puisque que cette mention est consignée sur tous les permis de travail ouverts depuis juillet 2012 en vertu d’une politique initialement adoptée sous l’égide de l’alinéa 185b)i) du RIPR pour protéger les ressortissants étrangers, que M. Cissé n’est pas ciblé personnellement, que CIC ne connait pas le film auquel M. Cissé fait référence, que le préjudice allégué par ce dernier ne lui est pas imputable et qu’au surplus, M Cissé n’a présenté aucune preuve d’un quelconque dommage.

V.  Analyse

[20]  M. Cissé s’appuie sur le fait que le BO 449 mentionne qu’il est désuet pour soutenir que ce bulletin n’a aucune valeur, qu’il est par le fait même non applicable et ne l’était pas plus en 2013 et en 2014. La Cour ne peut souscrire à cette position.

[21]  D’abord la version imprimée du BO 449 porte une date d’impression en 2014, après l’émission des permis de travail de M. Cissé. Le témoin de la défenderesse a confirmé que le BO 449 a été émis en juillet 2012, et qu’il est resté en vigueur jusqu’à l’inclusion de la politique dans les manuels publiés à cette fin.

[22]  De plus, rien dans la preuve ne révèle que les préposés du CIC connaissaient le film auquel M. Cissé fait référence, présumant que ce film existe sur la foi du témoignage de M. Cissé, ou qu’ils ont visé M. Cissé personnellement en ajoutant cette condition à son permis de travail. Au contraire, la défenderesse a démontré clairement que la mention résultait directement de l’adoption d’une politique destinée à protéger des ressortissants vulnérables et qu’elle était consignée sur tous les permis de travail ouverts de cette catégorie depuis le mois de juillet 2012.

[23]  Ainsi, aucune faute n’a été commise par la défenderesse de nature à engager sa responsabilité civile. Aucune diffamation, ni violation à la vie privée, ni propagation de renseignements personnels n’a été commise par l’inscription de la remarque sur les permis de travail ouverts remis par CIC à M. Cissé et ce dernier n’a présenté aucune preuve en lien avec les dommages qu’il allègue avoir subis.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’action est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse.

« Martine St-Louis »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2193-14

INTITULÉ :

THIERNO CISSÉ c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 septembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 28 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Thierno Cissé

pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Émilie Tremblay

pour lA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour lA DÉFENDERESSE

 

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