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Date : 20150922


Dossier : T-1447-14

Référence : 2015 CF 1105

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O'Keefe

ENTRE :

Dr GARY SMITH, ANDRÉE STOW, PETRONELLA SMID,

ELIZABETH PUNNETT, LAURA HANSEN, PAUL CHRISTENSEN, KAREN LARSON ET MATHIAS HENNIG

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               En vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard des décisions du Comité d’examen de l’aide financière et du chef des opérations (le décideur en matière de financement) de l’Office national de l’énergie (ONE), datées du 7 mai 2014, par lesquelles ceux-ci ont rejeté les demandes d’aide financière aux participants des demandeurs relativement à l’examen réglementaire du projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain.

[2]               Les demandeurs sollicitent auprès de la Cour :

1.                  Une ordonnance déclarant que le décideur en matière de financement a commis une erreur en rendant une décision déraisonnable en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N-7 (la Loi) et du Guide sur le Programme d’aide financière aux participants de l’Office national de l’énergie établi en vertu de la Loi sur l’Office national de l’énergie (le Guide), et que, en outre ou subsidiairement, il a omis de respecter les principes d’équité procédurale.

2.                  Une ordonnance annulant ou cassant la décision.

3.                  Une ordonnance enjoignant au décideur en matière de financement de verser aux demandeurs une aide financière d’un montant soit égal ou comparable aux sommes reçues par les autres propriétaires fonciers directement touchés, soit 67 600 $ plus un montant de 2 500 $ pour couvrir les frais de déplacement de deux représentants.

4.                  Par ailleurs ou subsidiairement, une ordonnance renvoyant l’affaire au décideur en matière de financement pour que celui-ci rende une nouvelle décision conformément aux directives que la Cour estime appropriées.

5.                  Une ordonnance adjugeant les frais et dépens relatifs à la présente demande.

6.                  Une ordonnance dispensant les demandeurs du paiement des dépens du défendeur dans la présente demande, conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, advenant le rejet de la présente demande.

I.                   Contexte

[3]               L’ONE est chargé de l’examen réglementaire des projets énergétiques qui traversent des frontières provinciales ou internationales. Cette responsabilité lui est conférée par la Loi.

[4]               Le Programme d’aide financière aux participants (PAFP) de l’Office national de l’énergie (le PAFP), qui est prévu dans la Loi, facilite la participation du public grâce au remboursement de certains frais pour les particuliers ou les groupes qui interviennent aux audiences de l’ONE.

[5]               Le Guide, qui est accessible sur le site Web de l’ONE, décrit en quoi consiste le PAFP et précise comment présenter une demande et obtenir de plus amples renseignements. Le Guide mentionne que, pour chaque projet donnant droit à une aide financière aux participants, l’ONE forme un comité d’examen de l’aide financière.

[6]               Le comité produit un rapport contenant des recommandations sur la répartition des fonds, que le chef des opérations de l’ONE examine avant de prendre une décision finale.

[7]               Le 22 juillet 2013, l’ONE a annoncé que des fonds seraient disponibles aux fins d’une participation au processus d’examen réglementaire de l’organisme concernant le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain.

[8]               En février et en mars 2014, l’ONE a reçu les demandes présentées par les demandeurs dans le cadre du PAFP.

[9]               Des réunions du Comité d’examen de l’aide financière (le Comité) ont eu lieu les 19 février et 4 mars 2014. Le 20 mars 2014, le Comité a tenu une autre réunion pour discuter des demandes. Il a demandé à Melissa Trono, coordinatrice du PAFP à l’ONE, d’informer les demandeurs de ses préoccupations à l’égard des lacunes que présentaient leurs demandes et de les prier de soumettre une seule demande commune.

[10]           Le 21  mars 2014, Mme Trono a envoyé à l’avocat des demandeurs un courriel où l’on pouvait lire ce qui suit :

[traduction] Le Comité d’examen de l’aide financière estime que ces neuf demandes sont très similaires sous de nombreux aspects.

Le Comité juge peu utile que ces demandes soient présentées séparément.

Le Comité n’est pas enclin à accorder un financement pour des activités proposées sous une forme fragmentaire.

Par conséquent, le Comité d’examen de l’aide financière encourage fortement vos clients à collaborer, à nommer un unique représentant responsable et à soumettre une seule demande commune.

Le courriel faisait référence à neuf demandes, alors qu’il n’y en avait que huit. Cette erreur a été corrigée lors d’une correspondance ultérieure.

[11]           Le 28 mars 2014, l’avocat des demandeurs a mentionné, dans un courriel à Mme Trono, que le Comité pourrait considérer les huit demandes comme une seule demande commune, et que le Dr Gary Smith agirait comme unique représentant responsable pour les demandeurs. Toutefois, les demandeurs n’ont présenté aucune nouvelle demande commune.

[12]           Le 2 avril 2014, Mme Trono a fait parvenir à l’avocat des demandeurs un courriel où elle suggérait de présenter une nouvelle demande contenant une description du projet qui viendrait étayer les sommes d’argent liées aux activités et aux dépenses, et portant la signature du Dr Smith.

[13]           Le même jour, l’avocat des demandeurs a répondu qu’[traduction] « [u]ne demande unique contiendra les mêmes renseignements, et n’apportera donc aucune information supplémentaire ». Madame Trono a répondu la même journée en réitérant que le Comité incitait fortement les demandeurs à présenter une seule demande commune où seraient apportées des modifications concernant les activités et les coûts.

[14]           Le 7 avril 2014, l’avocat des demandeurs a envoyé à Mme Trono un courriel où il indiquait que les demandeurs ne soumettraient pas de nouvelle demande unique et demandait au Comité de procéder à l’évaluation individuelle des demandes.

[15]           Dans sa lettre envoyée par courriel, l’avocat des demandeurs a affirmé qu’il n’y avait pas de dédoublement entre les frais indiqués dans chaque demande. Il a ensuite énuméré les « montants collectifs » suivants :

1.         Frais juridiques – 120 000 $

2.         Évaluateur d’entreprise – 160 000 $

3.         Expert des pêches – 20 000 $

4.         Évaluateur foncier – 80 000 $

5.         Agronome – 20 000 $

6.         Hydrologue – 12 000 $

7.         Spécialiste en comportement équin – 3 500 $

[16]           Le 15 avril 2014, le Comité s’est réuni et a décidé de demander à Mme Trono de recommander encore une fois aux demandeurs de présenter une seule demande commune faisant état de coûts raisonnables. Ce jour-là, Mme Trono a donc écrit par courriel à l’avocat des demandeurs et au Dr Smith pour les informer que le Comité demeurait résolu à considérer les demandeurs comme un groupe et à n’examiner qu’une seule demande commune, qui distinguerait clairement les activités des coûts et permettrait d’éviter une approche [traduction] « fragmentée ». Elle a souligné ce qui suit :

[traduction] Le Comité d’examen de l’aide financière a fixé au 30 avril 2014 la date limite pour recevoir une demande du Dr Smith. Si aucune demande n’est reçue à cette date, aucun financement ne sera malheureusement accordé à un groupe qui devrait recevoir un soutien financier en vue de sa contribution au processus d’audience en tant qu’intervenant.

[Souligné dans l’original.]

[17]           Le 16 avril 2014, monsieur Byron Smith, le fils du Dr Smith, le demandeur, a écrit un courriel à Mme Trono pour obtenir des éclaircissements, et il a par la suite échangé des courriels avec monsieur Mathieu Fecteau, le superviseur de Mme Trono.

[18]           Le 29 avril 2014, Mathieu Fecteau, gestionnaire du Programme d’aide financière aux participants pour le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain, à l’ONE, a reçu un courriel du stagiaire de l’avocat des demandeurs. Ce courriel, auquel était jointe la lettre datée du 7 avril 2014, réitérait que le Comité devrait étudier les demandes individuellement.

II.                La décision faisant l’objet du contrôle

[19]           Le 30 avril 2014, Bram Noble, de l’Université de la Saskatchewan, a envoyé à Melissa Trono un courriel où il écrivait ce qui suit :

[traduction] […] Nous ne disons pas que chacune des demandes ne précise pas les coûts déterminés pour chaque propriétaire foncier, comme ils le pensent.

Nous affirmons plutôt que les coûts indiqués ne sont pas réalistes, étant donné que le travail qui doit être réalisé, mais aussi les personnes qui seront embauchées à cette fin, sont très similaires, voire identiques dans la plupart des cas.

Il est clairement possible, ici, de réaliser des économies d’échelle, et nous ne sommes pas prêts à utiliser les fonds de manière aussi peu rentable.

[20]           Le 1er mai 2014, le Comité a examiné les demandes séparément, puis les a rejetées en raison des nombreux dédoublements des coûts, des montants déraisonnables réclamés et du refus des demandeurs de partager les coûts.

[21]           Par la suite, l’ONE a envoyé par la poste à tous les huit demandeurs des lettres de refus datées du 7 mai 2014. Aucun motif n’a été fourni dans ces lettres.

III.             Les questions en litige

[22]           Les demandeurs ont soulevé les questions suivantes :

1.                  Le décideur en matière de financement a-t-il rendu sa décision de refuser un financement aux demandeurs en se fondant sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

2.                  Le décideur en matière de financement a-t-il rendu sa décision sans tenir compte de tous les facteurs pertinents ou en tenant compte de facteurs non pertinents ou inappropriés?

3.                  Le décideur en matière de financement a-t-il omis de respecter les principes d’équité procédurale, d’une part, en ne fournissant aucune justification ou exigence expliquant pourquoi les demandes existantes étaient inadéquates, ce à quoi les demandeurs auraient pu répondre, et d’autre part, en omettant de fournir des motifs?

[23]           Les défendeurs ont quant à eux soulevé les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable en l’espèce?

2.                  La décision du décideur en matière de financement était-elle raisonnable?

3.                  Le décideur en matière de financement était-il tenu de motiver sa décision?

4.                  Le décideur en matière de financement a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

5.                  Si les demandeurs obtiennent gain de cause, quelle réparation peut être accordée?

[24]           Je reformulerais les questions en litige comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La décision du décideur en matière de financement était-elle raisonnable?

C.                 Le décideur en matière de financement a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

IV.             Les observations écrites des demandeurs

[25]           Les demandeurs se sont insurgés contre la communication de documents faite par le tribunal, en faisant valoir que le document figurant à l’onglet 37 et traitant de la 13e ronde de recommandations sur le financement des projets ne faisait mention d’aucun document de financement connexe ni compte rendu de précédentes recommandations en matière de financement.

[26]           Les demandeurs ont fait valoir que le décideur en matière de financement tirait sa compétence pour agir de l’article 16.3 de la Loi.

[27]           En second lieu, les demandeurs ont soutenu que les questions relatives à des conclusions de fait tirées par un décideur administratif doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]). Ils ont ajouté qu’une décision ne pouvait être prise par un décideur en fonction d’un choix personnel plutôt qu’en fonction des pouvoirs qui lui sont accordés (Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121). Quant aux questions d’équité procédurale, elles doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte.

[28]           En troisième lieu, les demandeurs ont avancé que le décideur en matière de financement avait rendu sa décision sans tenir compte des renseignements fondamentaux dont il disposait, de sorte que sa décision était déraisonnable (Nistor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF n° 1805, 283 FTR 15). Ils ont soutenu qu’on ne leur avait jamais précisé les motifs à l’appui du refus de leur accorder un financement, et que ces motifs ne figuraient pas non plus dans les documents communiqués par le tribunal. Toutefois, les demandeurs ont fait valoir qu’il était possible de déduire de la correspondance les motifs de ce refus, à savoir : i) de soi-disant dédoublements entre les coûts réclamés par les demandeurs; et ii) l’omission des demandeurs de produire une seule demande commune accompagnée de montants de financement modifiés. Selon eux, ces motifs étaient arbitraires, car les frais juridiques et les honoraires d’experts mentionnés dans chaque demande représentaient une fraction des coûts totaux répartis entre les huit demandes de financement. Les demandeurs ont prétendu que le décideur en matière de financement n’avait pas tenu compte de cette considération pertinente, et qu’il avait donc commis une erreur.

[29]           Par ailleurs, les demandeurs ont fait valoir que le décideur en matière de financement avait tranché à tort une autre question de fait en ce qui concerne la demande de Mme Mancinelli, une intervenante résidant dans une autre municipalité.

[30]           Les demandeurs ont également invoqué le courriel de Mme Trono daté du 15 avril 2014, qui renfermait des propos confirmant que les demandeurs [Traduction] « devrai[en]t recevoir un soutien financier en vue de [leur] contribution au processus d’audience en tant qu’intervenant[s]. »

[31]           En l’espèce, le décideur en matière de financement a demandé que les montants soient réduits dans les demandes modifiées; or, s’il avait décidé que les montants demandés étaient trop élevés, il avait le pouvoir d’accorder un financement partiel. Les demandeurs ont soutenu qu’on leur avait refusé un financement au motif qu’ils avaient omis de fournir une seule demande commune et n’avaient pas réduit de façon arbitraire les montants réclamés. Ils ont ajouté que ces exigences n’étaient pas des exigences officielles, et qu’on les leur avait imposées à eux, mais pas aux autres demandeurs de financement.

[32]           En quatrième lieu, les demandeurs ont fait valoir que le décideur en matière de financement avait porté atteinte à l’équité procédurale. Ils ont prétendu que le projet en cause était susceptible d’avoir d’importantes répercussions pour eux, et que, compte tenu de l’ampleur du processus d’examen réglementaire et de la procédure complexe suivie au cours de celui-ci, c’est uniquement en comptant sur l’aide de conseillers juridiques ou d’experts qu’ils pourraient participer de façon significative à l’examen du projet. Ils ont soutenu que leur budget, en l’absence d’une certaine aide financière, ne leur permettait pas de retenir les services de conseillers juridiques ou d’experts. En l’espèce, les demandeurs n’ont reçu aucun renseignement au sujet d’exigences procédurales ayant préséance sur le Guide, ni au sujet du fait que la réduction des montants revêtait un caractère crucial car cela pèserait sur la décision du décideur en matière de financement. Qui plus est, celui-ci a omis de fournir des motifs.

[33]           En dernier lieu, les demandeurs ont prétendu que la Cour pouvait ordonner de rendre une décision en particulier puisque, en l’espèce, le Comité s’est avéré inapte à réexaminer l’affaire, et qu’il n’y a pas d’autre décideur. Les demandeurs ont fait valoir que leur cas était similaire à celui des propriétaires fonciers faisant partie du groupe CGLAP, et ils ont demandé à la Cour de leur accorder 67 600 $ et un montant additionnel de 2 500 $ pour les frais de déplacement de deux représentants.

V.                Les observations écrites des défendeurs

[34]           Premièrement, les défendeurs ont affirmé que la décision du décideur en matière de financement ainsi que le caractère suffisant des motifs à l’appui devraient être examinés en fonction de la norme de la décision raisonnable, et que les questions d’équité procédurale devaient être examinées en fonction de la norme de la décision correcte.

[35]           Deuxièmement, les défendeurs ont soutenu que la décision du décideur en matière de financement était raisonnable. Ils ont ajouté que les coûts réclamés par les demandeurs avaient été soumis d’une manière dénuée de cohérence, que leurs demandes révélaient un dédoublement des coûts, que les montants qu’ils réclamaient étaient déraisonnables et qu’ils avaient manifesté un refus de partager les coûts.

[36]           En l’espèce, le décideur en matière de financement a pris en compte les facteurs pertinents suivants : i) les demandes individuelles présentaient des similitudes, lesquelles ont donné lieu à des préoccupations raisonnables quant à un dédoublement des coûts et au refus de partager ceux-ci; ii) le Guide encourage la coordination entre les demandeurs et souligne l’importance d’éviter tout dédoublement; et iii) il existait des disparités entre les renseignements fournis par les demandeurs là où le total des coûts ne correspondait pas au montant total de chacune des demandes individuelles mises ensemble, et ne couvrait pas les mêmes catégories de dépenses.

[37]           Par ailleurs, pour déterminer si la décision prise par un tribunal administratif était raisonnable, les autres décisions ne sont pas pertinentes.

[38]           Troisièmement, les défendeurs ont allégué que le décideur en matière de financement n’était pas tenu de fournir des motifs, mais qu’il avait néanmoins fourni des motifs suffisants. Il n’existe pas de règle générale selon laquelle les décisions administratives doivent être motivées (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 37, [1999] ACF no 39). Les défendeurs ont ajouté que, même à supposer que des motifs aient été requis, ceux fournis par le décideur en matière de financement étaient suffisants. Les défendeurs ont fait observer que la correspondance entre les employés de l’ONE et l’avocat des demandeurs comportait des motifs suffisants à l’appui de la décision. Dans cette correspondance, les employés de l’ONE ont clairement expliqué les problèmes que posaient les demandes individuelles.

[39]           Quatrièmement, les défendeurs ont prétendu que le décideur en matière de financement n’avait pas manqué à son devoir d’équité procédurale. À titre de tribunal administratif, l’ONE est maître de sa propre procédure. Les procédures des tribunaux administratifs sont assujetties aux limites que la loi impose aux pouvoirs de ceux-ci. En l’occurrence, la Loi, à l’article 16.3, permet à l’ONE de créer un programme d’aide financière aux participants, mais elle ne prévoit aucune exigence supplémentaire quant à la manière d’administrer ce programme. Ainsi, la Loi accorde à l’ONE un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de la mise en place du PAFP. Quant au Guide, il a été conçu pour fournir des renseignements, et non pour servir de code complet. Il était loisible à l’ONE d’exercer son pouvoir de contrôler ses propres procédures en exigeant des demandeurs qu’ils soumettent une seule demande commune. En outre, cette demande de présentation d’une seule demande ne contredisait en rien les renseignements contenus dans le Guide. De fait, elle était même conforme à plusieurs points concernant l’encouragement des participants à coordonner leurs efforts pour éviter les recoupements. En l’espèce, contrairement aux allégations des demandeurs, le décideur en matière de financement a clairement informé à de multiples reprises ces derniers qu’il voulait obtenir d’eux une seule demande commune.

[40]           Cinquièmement les défendeurs ont fait observer qu’advenant que l’argumentation des demandeurs soit accueillie, la Cour ne pouvait pas accorder de dommages-intérêts. En effet, la requête des demandeurs visant l’octroi d’un montant de financement particulier revenait à une adjudication de dommages-intérêts. En l’espèce, il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, et il a été établi dans le jugement Al-Mhamad c Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, au paragraphe 3, [2003] ACF no 145 [Al‑Mhamad], que des dommages-intérêts ne pouvaient pas être accordés dans le cadre des recours en contrôle judiciaire.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 -Quelle est la norme de contrôle applicable?

[41]           Je souscris à l’avis des parties au sujet la norme de contrôle applicable.

[42]           Les questions relatives aux conclusions de fait tirées par un décideur administratif commandent la déférence; elles doivent donc être appréciées en fonction de la norme de la décision raisonnable (Khosa, au paragraphe 46). Ainsi, je ne dois pas intervenir si la décision est transparente, justifiable et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Comme la Cour suprême l’a déclaré dans la décision Khosa, aux paragraphes 59 et 61, la cour de révision qui examine le caractère raisonnable d’une décision ne peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable à celle qui a été retenue ni soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[43]           La question de l’équité procédurale et de la justice naturelle est une question de droit. Les questions de droit doivent généralement être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Khosa, au paragraphe 43). La tâche de la Cour consiste à déterminer si le processus suivi par le décideur respecte le degré d’équité exigé eu égard à toutes les circonstances (Khosa, au paragraphe 43).

[44]           Les demandeurs m’ont demandé de leur accorder l’autorisation de déposer l’affidavit no 2 de Julia Hincks concernant ce point. Madame Hincks travaille comme avocate au bureau de l’avocat des demandeurs. Après examen de l’affidavit, et compte tenu des remarques de l’avocat, je suis prête à accorder l’autorisation de déposer cet affidavit.

B.                 Question 2 - La décision du décideur en matière de financement était-elle raisonnable?

[45]           Le pouvoir de mettre en place un programme d’aide financière aux participants est prévu à l’article 16.3 de la Loi, dont voici le libellé :

16.3 L’Office peut, pour l’application de la présente loi, créer un programme d’aide financière visant à faciliter la participation du public aux audiences publiques tenues au titre de l’article 24.

16.3 For the purposes of this Act, the Board may establish a participant funding program to facilitate the participation of the public in hearings that are held under section 24.

Le Guide prévoit la formation d’un comité d’examen du financement, lequel prépare un rapport contenant des recommandations sur la répartition des fonds. Le chef des opérations de l’ONE, parfois appelé « le décideur en matière de financement », étudie ce rapport et prend la décision finale.

[46]           L’ONE a également publié un Guide du Programme d’aide financière aux participants, où on explique l’objet du PAFP et la façon de présenter une demande d’aide financière ou d’obtenir de plus amples renseignements.

[47]           Des observations ont été présentées au sujet de la communication de documents par les défendeurs. Toutefois, les documents non communiqués concernaient d’autres demandes de financement qui n’avaient apparemment aucune incidence sur la décision relative aux demandes qui nous occupent.

[48]           D’une part, selon les demandeurs, le décideur en matière de financement a omis de prendre en considération des faits pertinents et a retenu, à tort, des considérations non pertinentes en prenant sa décision. Ils ont contesté la décision pour les motifs suivants : i) le décideur en matière de financement n’a pas pris en compte le fait que les montants des coûts indiqués dans chacune des demandes représentaient une fraction du montant total divisé entre les huit demandes de financement; ii) il a exigé qu’une seule demande soit soumise; iii) il a omis d’exercer son pouvoir d’accorder un financement partiel; et iv) il a tenu compte d’une demande sans rapport avec celles des demandeurs. D’autre part, les défendeurs ont affirmé que la décision du décideur en matière de financement était raisonnable, et ont mentionné les facteurs pertinents suivant : i) des préoccupations raisonnables quant à un dédoublement des coûts et au refus de partager ceux-ci; ii) le fait que le Guide encourage la coordination entre les demandeurs; et iii) des incohérences dans les renseignements fournis par les demandeurs.

[49]           Voici une liste des critères énoncés dans le Guide :

Le comité examine ce qui suit :

votre admissibilité à l’aide financière aux participants;

votre intérêt à l’égard du projet;

• la probabilité que le projet ait des répercussions sur vous;

la contribution que vous vous proposez d’apporter au processus de réglementation;

la façon dont vous pourriez jouer un rôle important et distinct dans le processus de réglementation;

votre capacité d’apporter de l’information à valeur ajoutée* au processus de réglementation;

l’importance probable de votre participation à l’audience (la priorité est accordée aux dépenses servant à appuyer la participation des parties locales);

• la réalisation effective ou probable des mêmes travaux par quelqu’un d’autre;

le caractère raisonnable de l’aide financière demandée;

l’existence d’une aide financière provenant d’autres sources.

[50]           Premièrement, je conclus que le décideur en matière de financement a bel et bien examiné individuellement chaque demande et les coûts répartis qui y figuraient. Le contenu du courriel de Bram Noble, daté du 30 avril 2014, démontre qu’on se préoccupait du fait que le montant réclamé était déraisonnable, au vu du travail pratiquement identique qui devait être réalisé pour tous les demandeurs. J’estime qu’il n’était pas déraisonnable de la part du décideur en matière de financement de tenir compte du principe des économies d’échelle.

[51]           Deuxièmement, je conclus que le décideur en matière de financement n’a pas agi de manière déraisonnable en demandant que l’on présente une seule demande commune accompagnée de montants rajustés. La correspondance révèle que l’absence de présentation d’une telle demande commune n’est pas le seul motif à l’origine du refus des demandes. En l’espèce, le décideur en matière de financement n’était pas convaincu que les demandeurs avaient collaboré afin de réclamer un montant raisonnable et ainsi faire preuve d’une coordination entre eux.

[52]           Troisièmement, je conclus que le décideur en matière de financement n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en omettant d’accueillir en partie les demandes des demandeurs. Les éléments qui contribuent à l’acceptation d’une demande de financement ne sont pas prescrits par la Loi. En conséquence, l’ONE et le Comité jouissent d’un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’allocation du financement. En outre, le caractère raisonnable du financement demandé constitue l’une des considérations énoncées dans le Guide. En l’espèce, le décideur en matière de financement a conclu que les coûts réclamés n’étaient pas raisonnables.

[53]           Quatrièmement, je conclus que, bien que le décideur en matière de financement ait commis une erreur en prenant en compte une demande visant une région qui n’était pas située près des terres appartenant aux demandeurs, il a par la suite reconnu cette erreur et mis de côté la demande concernée.

[54]           À la lumière de ce qui précède, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable de la part du décideur en matière de financement de rejeter les demandes.

C.                 Question 3 - Le décideur en matière de financement a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale?

[55]           Les demandeurs prétendent que le décideur en matière de financement a manqué à son obligation d’équité procédurale pour les motifs suivants :

  1. Les demandeurs n’ont reçu aucun renseignement au sujet d’exigences procédurales ayant préséance sur le Guide ou au sujet des montants réduits.
  2. Le décideur en matière de financement n’a pas motivé sa décision.

[56]           Tout d’abord, je ferai observer que l’article 16.3 de la Loi ne mentionne aucune procédure particulière à suivre. Il semblerait donc que l’ONE est habilité à établir ses propres procédures, lesquelles doivent bien entendu être équitables.

[57]           Il convient également de noter que, selon ce qu’énonce le Guide, celui-ci a pour objet de : « fournir de l’information sur le Programme d’aide financière aux participants de l’Office national de l’énergie. »

[58]           Je ne vois rien de déraisonnable à ce que le Comité exige la présentation d’une seule demande pour tous les demandeurs. En fait, le Guide précise, à titre de critères, que le Comité tiendra compte du fait que les mêmes travaux ont déjà été réalisés par quelqu’un d’autre ou qu’ils pourraient l’être, ainsi que du caractère raisonnable des coûts réclamés. À plusieurs reprises, le Comité a fait savoir aux demandeurs qu’il était nécessaire de présenter une seule demande, et les a informés de ses préoccupations quant au caractère raisonnable des coûts présentés. Il n’y a là aucune contradiction avec le Guide.

[59]           Sur la question des motifs, j’estime que ceux fournis pour justifier le rejet de la demande étaient suffisants. Un examen de la correspondance entre l’ONE et les demandeurs permet de constater que le Comité a demandé maintes fois qu’on soumette une seule demande commune comprenant un montant plus raisonnable. Les demandeurs avaient amplement le temps de se conformer à cette exigence.

[60]           À mon sens, le décideur en matière de financement a agi équitablement, et il n’a pas commis de manquement aux principes de l’équité procédurale.

[61]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[62]           Il n’y a aucune adjudication de dépens, en raison du contexte factuel de l’affaire et du caractère inédit des questions soulevées.

[63]           Compte tenu de la décision qui précède, il n’est pas nécessaire que je traite de la question du paiement des montants de 67 600 $ et 2 500 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John A. O'Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N-7

16.3 L’Office peut, pour l’application de la présente loi, créer un programme d’aide financière visant à faciliter la participation du public aux audiences publiques tenues au titre de l’article 24.

16.3 For the purposes of this Act, the Board may establish a participant funding program to facilitate the participation of the public in hearings that are held under section 24.

Programme d’aide financière aux participants

Accessible sur le site de l’Office national de l’énergie :

https://www.neb-one.gc.ca/prtcptn/hrng/pfp/prgrmgd-fra.html#s4_1

Objet du guide

Purpose of this Guide

Le présent guide vise à fournir de l’information sur le Programme d’aide financière aux participants de l’Office national de l’énergie.

The purpose of this guide is to provide information on the National Energy Board’s (NEB or Board) Participant Funding Program.

Il explique ce qui suit :

This guide explains:

le but du Programme d’aide financière aux participants;

the purpose of the Participant Funding Program

la manière de présenter une demande d’aide financière;

how to apply for funding

les sources de renseignements supplémentaires.

where to get more information

Comité d’examen de l’aide financière

Funding Review Committee

L’Office forme un comité indépendant d’examen de l’aide financière pour chaque projet offrant une telle aide aux participants. Ce comité est généralement composé de trois personnes, dont une qui travaille à l’Office et au moins un membre qui n’a pas de lien avec le gouvernement. Les membres de ce comité doivent être indépendants, c’est-à-dire n’avoir aucun intérêt financier ou autre à l’égard du projet.

The NEB establishes an independent Funding Review Committee (Committee) for each proposed project where funding is made available. The Committee usually consists of at least three people, including one person who works at the NEB and at least one person who is not connected to government. Committee members must be independent, which means they must have no interest or financial stake in the proposed project.

Les membres du comité…

The Committee members:

•connaissent les conditions du programme d’aide financière aux participants;

•know the Participant Funding Program’s terms and conditions

•comprennent le processus d’audience de l’Office, y compris le mode de participation du public;

•understand the NEB Hearing process including how the public can participate

•ont une expertise concernant les projets de l’Office.

•have expertise related to NEB projects

Le comité examine ce qui suit :

The Committee will consider:

•votre admissibilité à l’aide financière aux participants;

•your eligibility for participant funding

•votre intérêt à l’égard du projet;

•your interest in the proposed project

•la probabilité que le projet ait des répercussions sur vous;

•the potential for the proposed project to impact you

•la contribution que vous vous proposez d’apporter au processus de réglementation;

•how you propose to contribute to the regulatory process

•la façon dont vous pourriez jouer un rôle important et distinct dans le processus de réglementation;

•how you would play an important and distinct role in the regulatory process

•votre capacité d’apporter de l’information à valeur ajoutée* au processus de réglementation;

•whether you have demonstrated that you will provide value-added information* relevant to the regulatory process;

•l’importance probable de votre participation à l’audience (la priorité est accordée aux dépenses servant à appuyer la participation des parties locales);

•how important your participation will likely be to the Hearing (priority is provided to expenses associated with supporting the participation of local parties)

•la réalisation effective ou probable des mêmes travaux par quelqu’un d’autre;

•whether anyone else has previously completed or is likely to do the same work

•le caractère raisonnable de l’aide financière demandée;

•the reasonableness of your requested costs

l’existence d’une aide financière provenant d’autres sources;

•whether you have funding from other sources

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1447-14

 

INTITULÉ :

Dr GARY SMITH, ANDRÉE STOW, PETRONELLA SMID, ELIZABETH PUNNETT, LAURA HANSEN, PAUL CHRISTENSEN, KAREN LARSON ET MATHIAS HENNIG

c

chef des opérations (Office national de l’énergie) et TRANS MOUNTAIN PIPELINE ULC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 MARS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE O'KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Lisa C. Fong

Julia Hincks

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Malcolm Palmer

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ng Ariss Fong

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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