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Date : 20150921


Dossier : IMM-1577-15

Référence : 2015 CF 1097

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 21 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SHIRLON VITALIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision, datée du 12 mars 2015, par laquelle un agent principal de l’immigration (l’agent) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle a présentée depuis le Canada. La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour nouvel examen. La présente demande doit être rejetée.

[2]               La demanderesse est une citoyenne de Sainte-Lucie. Elle a deux filles, âgées de 9 et 17 ans, qui sont également citoyennes de Sainte-Lucie et qui vivent là-bas. La demanderesse, qui est arrivée au Canada le 5 mars 2010, a été autorisée à demeurer au Canada pendant six mois à titre de visiteuse. Elle n’a pas quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Depuis, la demanderesse travaille comme aide familiale, et elle affirme que cet emploi lui permet d’envoyer de l’argent à Sainte-Lucie afin de subvenir aux besoins de ses filles. Le 27 mai 2014, la demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qu’elle a mise à jour en janvier 2015.

[3]               Après avoir analysé l’ensemble du dossier de la demanderesse, l’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le rejet de sa demande lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

[4]               Premièrement, tout en prenant en considération le rôle joué par la demanderesse dans la vie des familles auprès desquelles elle travaille comme aide familiale, ainsi que le réseau social qu’elle s’est constitué pendant son séjour au Canada, l’agent a souligné que l’établissement de la demanderesse au Canada était minime, et il a accordé peu de poids à ce facteur.

[5]               Deuxièmement, l’agent a souligné qu’à Sainte-Lucie, il existait des lois protégeant les femmes contre la discrimination, et que l’iniquité salariale mentionnée par la demanderesse en tant que facteur défavorable pouvait exister au Canada également. Bien qu’il ait reconnu le nombre élevé de cas de violence sexuelle contre les femmes à Sainte-Lucie, dont fait foi la preuve déposée par la demanderesse, il a souligné que le gouvernement prenait des mesures pour lutter contre ce problème, et que les victimes disposaient de recours. Quant au taux élevé de violence conjugale dans ce même pays, l’agent a conclu que cet élément de preuve n’était pas pertinent, puisque la demanderesse avait indiqué être célibataire et n’avait fait mention d’aucun conjoint ou partenaire. Enfin, pour ce qui est des taux élevés de pauvreté chez les mères célibataires à Sainte-Lucie, l’agent a fait remarquer que la demanderesse avait déjà travaillé comme enseignante dans son pays d’origine, et qu’elle occupait actuellement un emploi d’aide familiale au Canada. L’agent a donc conclu que la demanderesse pourrait mettre à profit ces deux qualifications afin d’obtenir un emploi advenant son retour à Sainte-Lucie.

[6]               Troisièmement, en ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, l’agent a déclaré que celle-ci n’avait pas décrit la situation actuelle de ses enfants ni le rôle joué par leur père dans leur vie. L’agent a observé que la mère de la demanderesse était la personne désignée comme tutrice des enfants à Sainte-Lucie. Il a par ailleurs reconnu que la demanderesse avait déposé deux reçus montrant qu’elle avait transféré de l’argent en utilisant le service MoneyGram, à titre de preuve qu’elle fournissait un soutien financier à ses filles à Sainte‑Lucie. L’un de ces reçus ne mentionnait ni le nom de l’expéditeur, ni celui du destinataire, alors que selon l’autre reçu, l’expéditeur était la demanderesse, et le destinataire, le père de ses enfants. La demanderesse a fourni deux autres reçus de virements de fonds effectués au moyen du service InstaChèque  — qui mentionnaient eux aussi le nom du père comme destinataire — de même que des factures et quatre autres reçus. L’agent a jugé que ces éléments de preuve n’étaient pas concluants. Outre ces reçus et factures, il a fait référence à une lettre datée d’avril 2014 envoyée par la mère de la demanderesse, qui y écrivait que [traduction] « [l]’argent reçu aid[ait] les enfants pour ce qui est de leur alimentation, de leur éducation et d’autres commodités ». L’agent a toutefois conclu que la preuve à cet égard était insuffisante, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve corroborants supplémentaires. En conséquence, tout en admettant le fait que la demanderesse a envoyé de l’argent à ses filles à quelques reprises, l’agent a conclu qu’elle n’avait pas démontré qu’elle subvenait à tous leurs besoins, ni que leurs intérêts seraient lésés si la demanderesse n’obtenait pas la réparation sollicitée. En outre, l’agent a souligné qu’il était évident que le père continuait d’être présent dans la vie des filles de la demanderesse. Enfin, l’agent a pris acte de l’élément de preuve produit par la demanderesse quant à l’existence de risques d’exploitation d’enfants à des fins sexuelles et de travail forcé à Sainte-Lucie, en raison de la grande pauvreté qui y règne. Néanmoins, il a ajouté que la demanderesse n’avait pas affirmé craindre que ses filles soient victimes de mauvais traitements ou d’exploitation, et qu’elle n’avait pas non plus démontré l’existence d’un lien entre l’exploitation d’enfants au sein de la population active de Sainte-Lucie et la situation de ses propres enfants.

[7]               L’agent a-t-il commis une erreur susceptible de révision?

[8]               En premier lieu, la demanderesse a fait valoir que l’agent avait traité les déclarations qu’elle avait faites dans son affidavit comme de simples allégations plutôt que comme des éléments de preuve, en faisant remarquer que l’agent avait [traduction] « rejeté plusieurs faits présentés dans la déclaration sous serment ». La demanderesse a ajouté que si la véracité de ses déclarations était mise cause, l’agent aurait pu lui donner la chance de dissiper ses doutes à l’occasion d’un entretien, car, en l’absence de conclusion concernant la crédibilité, la preuve du demandeur est présumée véridique. Aussi la demanderesse a-t-elle fait valoir que la présente affaire soulevait des questions d’équité procédurale, à l’égard desquelles la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte.

[9]               Le défendeur, en revanche, a fait valoir que la question à trancher consistait à déterminer si la décision de l’agent était fondée sur le caractère suffisant de la preuve, et a formulé la question comme étant comprise dans celle, plus générale, de savoir si la décision de l’agent était raisonnable ou non. Je souscris à la prétention du défendeur. Il est manifeste que les conclusions de fait de l’agent portaient toutes sur le caractère suffisant de la preuve présentée par la demanderesse, et non sur la crédibilité de celle-ci, et il est également manifeste que la demanderesse a essayé de faire reconnaître la conclusion relative à l’insuffisance de la preuve comme une conclusion sur sa crédibilité. Pour chacun des facteurs pertinents — le degré d’établissement de la demanderesse, les conditions dans le pays d’origine et l’intérêt supérieur des enfants —, l’agent a simplement déclaré que la preuve fournie n’était pas suffisante. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait tirées par l’agent.

[10]           En second lieu, la demanderesse a soutenu que, pour prendre sa décision, l’agent s’était appuyé sur des conjectures, et que les conclusions qu’il avait tirées étaient par ailleurs déraisonnables et n’étaient pas étayées par la preuve. En particulier, la demanderesse a souligné que l’agent avait formulé des hypothèses erronées au sujet de sa capacité de trouver du travail en tant qu’« enseignante » ou « femme de ménage » à Sainte-Lucie, malgré la preuve documentaire qu’elle avait présentée et qui attestait des taux élevés de pauvreté et de chômage dans ce pays, surtout chez les ménages dirigés par une femme. La demanderesse a également précisé qu’à Sainte-Lucie, elle était travailleuse de garderie, et non enseignante. Elle a aussi soutenu que l’agent n’avait pas suffisamment tenu compte du fait qu’à Sainte-Lucie, [Traduction] « les salaires sont très peu élevés, et que l’enseignement n’est pas véritablement envisageable pour elle », puisqu’elle possède uniquement une expérience d’éducatrice en garderie et que son degré d’instruction est faible. La demanderesse a également affirmé que l’agent avait tiré des conclusions déraisonnables à l’égard des arguments soumis relativement à la condition des femmes à Sainte-Lucie, notamment à l’égard de l’élément de preuve qui portait sur la discrimination et la violence fondées sur le sexe. La demanderesse a soutenu que les conclusions de l’agent constituaient une [Traduction] « analyse "optimiste" de la dure réalité vécue par de nombreuses femmes à Sainte-Lucie », et qu’elles ne faisaient pas correctement référence aux éléments de preuve produits. Enfin, la demanderesse a fait valoir que l’agent avait commis une erreur en n’accordant pas suffisamment de poids à la preuve attestant qu’elle subvenait aux besoins de ses filles en leur envoyant de l’argent à Sainte-Lucie, et qu’il en allait de l’intérêt supérieur de ses enfants que leur mère continue de travailler au Canada.

[11]           J’estime que ces arguments ne sont pas convaincants. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve pour en arriver à ses propres conclusions de fait. Il est manifeste que l’agent a dûment considéré l’ensemble de la preuve soumise par la demanderesse, comme en témoignent ses notes. Pour chacun des trois motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande – son établissement au Canada, les conditions dans le pays d’origine et l’intérêt supérieur des enfants –, les notes de l’agent établissent qu’il a examiné et apprécié les éléments de preuve. L’agent a déclaré que ces éléments de preuve établissaient effectivement que les femmes, à Sainte-Lucie, étaient souvent victimes de violences, de discrimination et de pauvreté, et il a ajouté qu’en conséquence, un certain poids avait été accordé à ces éléments de preuve. Toutefois, l’agent a conclu que ceux-ci n’étaient pas directement pertinents. En outre, bien que l’agent ait apparemment confondu le travail en garderie de la demanderesse avec un emploi d’enseignante, cette erreur n’était pas déterminante. Le fait est que la demanderesse occupait un emploi à Sainte-Lucie. Si elle souhaitait que l’agent conclue qu’il lui serait impossible de gagner sa vie dans son pays d’origine, c’est à elle qu’il incombait de fournir des éléments de preuve corroborants supplémentaires. Son omission à cet égard n’a pas eu pour effet de transférer à l’agent le fardeau de vérifier si elle serait bel et bien capable de gagner sa vie grâce à l’expérience qu’elle possède. Il était loisible à l’agent de tirer des conclusions reposant sur le bon sens et la logique en se fondant sur la preuve au dossier. L’agent a également tenu compte de l’élément de preuve selon lequel la demanderesse envoyait de l’argent à l’intention de ses filles à Sainte‑Lucie. L’agent était fondé à accorder peu de poids à cet élément de preuve, qui n’établissait pas de façon concluante que les filles de la demanderesse dépendaient entièrement de son soutien financier. Par ailleurs, la lettre de la mère de la demanderesse était également rédigée en termes très généraux. Il était loisible à l’agent de conclure que la demanderesse n’était pas l’unique soutien financier des enfants, compte tenu de l’absence d’autres reçus ou de détails supplémentaires concernant cet aspect.

[12]           Dans l’ensemble, je suis d’avis qu’en l’espèce, il n’y a eu aucun manquement aux principes de justice naturelle, et que la conclusion tirée par l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. En conséquence, la présente demande doit être rejetée. Les avocats conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale.


JUGEMENT

la cour statue que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie-Marie Bissonnette, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1577-15

 

INTITULÉ :

SHIRLON VITALIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 SEPTEMBRE 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Annick Legault

 

Pour lA demandeRESSE

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

Pour lA demandeRESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le dÉFENdeur

 

 

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