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Date : 20150923


Dossier : T-109-15

Référence : 2015 CF 1108

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

CANPOTEX SHIPPING SERVICES LIMITED,

NORR SYSTEMS PTE. LTD.,

OLDENDORFF CARRIERS GMBH & CO. K.G. ET

STAR NAVIGATION CORPORATION S.A.

demanderesses

et

MARINE PETROBULK LTD.,

O.W. SUPPLY & TRADING A/S,

O.W. BUNKERS (UK) LIMITED,

ING BANK N.V.,

IAN DAVID GREEN, ANTHONY VICTOR LOMAS ET PAUL DAVID COPLEY EN LEUR QUALITÉ DE SÉQUESTRES DE CERTAINS BIENS DES DÉFENDERESSES O.W. SUPPLY & TRADING A/S ET O.W. BUNKERS (UK) LIMITED ET AUTRES

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de trois requêtes en jugement sommaire présentées en vertu des articles 108 et 216 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles des Cours fédérales]. Conformément à une ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 27 mars 2015, Canpotex Shipping Services Limited [Canpotex] a versé en fiducie la somme de 661 050,63 $ US, qui devait être considérée comme l’équivalent d’une consignation à la Cour. Canpotex demande que l’on rende un jugement sommaire portant que sa consignation à la Cour éteint toute responsabilité de sa part. ING Bank [ING] et Ian David Green, Anthony Victor Lomas et Paul David Copley [les séquestres] demandent que l’on rende un jugement sommaire portant qu’ING a droit aux fonds. Marine Petrobulk Ltd [MP] demande que l’on rende un jugement sommaire portant qu’elle a droit aux fonds.

II.                LE CONTEXTE

[2]               Le 14 février 2014, Canpotex et O.W. Supply & Trading A/S [OW Trading] ont conclu un contrat concernant l’achat occasionnel de combustible de soute par Canpotex auprès d’OW Trading, et ce, pour des navires affrétés par Canpotex [l’accord à prix fixe]. Le contrat n’a été signé qu’à une date indéterminée en juin 2014.

[3]               Le 3 octobre 2014, Canpotex a affrété à temps le navire MV Star Jing. Celui-ci appartient à la demanderesse Olendorff Carriers GmbH & Co KG, une société constituée en Allemagne et ayant son siège social dans ce pays. Le contrat stipule que Canpotex paiera la totalité du combustible et n’autorisera l’enregistrement d’aucun privilège à l’encontre du navire.

[4]               Le 7 octobre 2014, Canpotex a affrété à temps le navire MV Ken Star, qui appartient à la demanderesse Star Navigation Corporation SA, une société constituée au Liberia et ayant son siège social en Grèce. Le contrat prévoit que Canpotex paiera la totalité du combustible et n’autorisera l’enregistrement d’aucun privilège à l’encontre du navire.

[5]               Le 22 octobre 2014, Canpotex a commandé du combustible de soute à la défenderesse O.W. Bunkers (UK) Limited [OW UK], une filiale d’OW Trading. Ce combustible devait être livré au MV Ken Star.

[6]               Le 22 octobre 2014, Canpotex a également commandé du combustible de soute à OW UK pour qu’il soit livré au MV Star Jing.

[7]               Les deux confirmations de commande montrent que le fournisseur physique du combustible devait être la défenderesse MP, une entreprise d’approvisionnement en combustible de soute de la Colombie-Britannique.

[8]               Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si c’est l’accord à prix fixe, les conditions générales d’OW UK ou les conditions standards de MP qui régissaient les achats de combustible de soute.

[9]               Le 27 octobre 2014, MP a fourni le combustible de soute destiné au MV Ken Star et au MV Star Jing [collectivement, les navires], à Vancouver.

[10]           Le 27 octobre 2014, OW UK a facturé à Canpotex le coût du combustible de soute : 375 525,00 $ US pour le MV Ken Star et 278 968,15 $ US pour le MV Star Jing. Selon les factures, le paiement devait être fait à OW UK avant le 26 novembre 2014.

[11]           Les 28 et 29 octobre 2014, MP a facturé à OW UK le coût du combustible de soute fourni : 372 300 $ US pour le MV Ken Star et 276 617,40 $ US pour le MV Star Jing.

[12]           Conformément à une entente datée du 19 décembre 2013, OW Trading, ainsi que certaines filiales, dont OW UK, ont cédé à ING la totalité des droits, de l’intérêt et du titre de propriété à l’égard de leurs comptes débiteurs intersociétés et de tiers. Les comptes débiteurs liés à la vente du combustible de soute ont été expressément cédés à ING. Canpotex a été informée de la cession en décembre 2013.

[13]           Le 7 novembre 2014, OW Trading a déclaré faillite; OW UK, ainsi que d’autres filiales liées, ont déclaré faillite peu de temps après.

[14]           Le 12 novembre 2014, ING a nommé les séquestres des comptes débiteurs d’OW Trading et d’OW UK.

[15]           Le 12 décembre 2014, Charles Christopher Macmillen [l’administrateur] a été nommé administrateur d’OW UK.

[16]           Le 22 décembre 2014, l’administrateur, les séquestres et ING ont conclu une entente de coopération aux termes de laquelle les fonds à payer à l’égard des comptes débiteurs d’OW UK seraient versés dans des comptes d’ING.

[17]           OW UK n’a jamais payé les factures de MP.

[18]           Le 22 décembre 2014, MP a exigé que Canpotex paie la somme de 648 917,40 $ US pour le combustible de soute qu’elle avait fourni aux navires. MP soutenait qu’elle détenait un privilège maritime, conformément au contrat qu’elle avait signé avec OW UK, et qu’elle ferait saisir les navires jusqu’à ce que Canpotex paye les factures.

[19]           Le 8 janvier 2015, les séquestres ont exigé que Canpotex paie le montant qui était dû selon les factures d’OW UK, faisant savoir que si le paiement n’était pas fait, ils se réservaient le droit d’exercer tous les pouvoirs dont ils disposaient, dont la saisie des navires.

[20]           Canpotex ne conteste pas qu’elle doit la somme de 654 493,15 $ US selon les factures d’OW UK. Elle dit avoir retenu les fonds parce qu’elle a reçu des demandes concurrentes à leur égard et qu’elle ne veut pas exposer les navires à une obligation ou à des privilèges quelconques.

[21]           Le 2 avril 2015, conformément à l’ordonnance du protonotaire Lafrenière du 27 mars 2015, Canpotex a versé la somme de 661 050,63 $ US (le principal à payer selon les factures d’OW UK, plus les intérêts applicables en matière d’amirauté) [les fonds] au compte en fiducie américain de son procureur. Dans son ordonnance, le protonotaire Lafrenière a considéré que ce dépôt était une consignation à la Cour.

[22]           Le 22 juin 2015, les demanderesses ont déposé une requête en vue d’obtenir une déclaration établissant :

a)      lequel des défendeurs a droit à la totalité, ou à une partie, des fonds;

b)      le droit de chaque défendeur de recevoir une partie, ou la totalité, des fonds;

c)      le paiement à verser conformément aux alinéas a) et b);

d)     que toute responsabilité de la part des demanderesses et des navires à l’endroit des défendeurs, relativement au combustible de soute fourni aux navires le 27 octobre 2014 à Vancouver, est éteinte après le paiement des fonds;

e)      que les demanderesses peuvent recouvrer les dépens liés à l’action auprès de l’un des défendeurs ou à même les fonds.

[23]           Le 22 juin 2015, ING et les séquestres ont déposé une requête en vue d’obtenir :

a)      une déclaration portant que les fonds soient payés à ING en règlement de la créance de Canpotex envers OW UK;

b)      les dépens de l’instance.

[24]           Le 22 juin 20125, MP a déposé une requête en vue d’obtenir :

a)      un jugement relatif à l’équivalent canadien des factures établies par MP pour la fourniture du combustible de soute – 372 300 $ US pour le MV Ken Star et 276 617,40 $ US pour le MV Star Jing;

b)      une déclaration portant que MP a droit aux fonds;

c)      les intérêts sur les fonds, aux taux applicables en matière d’amirauté;

d)     les dépens de l’instance.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Les demanderesses disent que les questions qui suivent sont en litige en l’espèce :

1.      Lequel des défendeurs a droit à la totalité, ou à une partie, des fonds, ce qui inclut le droit spécifique de chaque défendeur?

2.      Le paiement éteindra-t-il l’entière responsabilité des demanderesses qui résulte du combustible de soute fourni aux navires?

[26]           ING dit que la seule question en litige en l’espèce est la disposition appropriée des fonds.

[27]           MP dit que, outre la disposition appropriée des fonds, la Cour doit également décider si, advenant qu’elle n’ait pas droit aux fonds, il y aurait lieu d’éteindre son privilège maritime sur la fourniture du combustible de soute.

IV.             LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[28]           Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales s’appliquent en l’espèce :

Interplaidoirie

Interpleader

108. (1) Lorsque deux ou plusieurs personnes font valoir des réclamations contradictoires contre une autre personne à l’égard de biens qui sont en la possession de celle-ci, cette dernière peut, par voie de requête ex parte, demander des directives sur la façon de trancher ces réclamations, si :

108. (1) Where two or more persons make conflicting claims against another person in respect of property in the possession of that person and that person

a) d’une part, elle ne revendique aucun droit sur ces biens;

(a) claims no interest in the property, and

b) d’autre part, elle accepte de remettre les biens à la Cour ou d’en disposer selon les directives de celle-ci.

(b) is willing to deposit the property with the Court or dispose of it as the Court directs,

that person may bring an ex parte motion for directions as to how the claims are to be decided.

Directives

Directions

(2) Sur réception de la requête visée au paragraphe (1), la Cour donne des directives concernant :

(2) On a motion under subsection (1), the Court shall give directions regarding

a) l’avis à donner aux réclamants éventuels et la publicité pertinente;

(a) notice to be given to possible claimants and advertising for claimants;

b) le délai de dépôt des réclamations;

(b) the time within which claimants shall be required to file their claims; and

c) la procédure à suivre pour décider des droits des réclamants.

(c) the procedure to be followed in determining the rights of the claimants.

[…]

Procès sommaire

Summary Trial

[…]

Conclusions défavorables

Adverse inference

(4) La Cour peut tirer des conclusions défavorables du fait qu’une partie ne procède pas au contre-interrogatoire du déclarant d’un affidavit ou ne dépose pas de preuve contradictoire.

(4) The Court may draw an adverse inference if a party fails to cross-examine on an affidavit or to file responding or rebuttal evidence.

Rejet de la requête

Dismissal of motion

(5) La Cour rejette la requête si, selon le cas :

(5) The Court shall dismiss the motion if

a) les questions soulevées ne se prêtent pas à la tenue d’un procès sommaire;

(a) the issues raised are not suitable for summary trial; or

b) un procès sommaire n’est pas susceptible de contribuer efficacement au règlement de l’action.

(b) a summary trial would not assist in the efficient resolution of the action.

Jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier

Judgment generally or on issue

(6) Si la Cour est convaincue de la suffisance de la preuve pour trancher l’affaire, indépendamment des sommes en cause, de la complexité des questions en litige et de l’existence d’une preuve contradictoire, elle peut rendre un jugement sur l’ensemble des questions ou sur une question en particulier à moins qu’elle ne soit d’avis qu’il serait injuste de trancher les questions en litige dans le cadre de la requête.

(6) If the Court is satisfied that there is sufficient evidence for adjudication, regardless of the amounts involved, the complexities of the issues and the existence of conflicting evidence, the Court may grant judgment either generally or on an issue, unless the Court is of the opinion that it would be unjust to decide the issues on the motion.

Ordonnance pour statuer sur l’action

Order disposing of action

(7) Au moment de rendre son jugement, la Cour peut rendre toute ordonnance nécessaire afin de statuer sur l’action, notamment :

(7) On granting judgment, the Court may make any order necessary for the disposition of the action, including an order

a) ordonner une instruction portant sur la détermination de la somme à laquelle a droit le requérant ou le renvoi de cette détermination conformément à la règle 153;

(a) directing a trial to determine the amount to which the moving party is entitled or a reference under rule 153 to determine that amount;

b) imposer les conditions concernant l’exécution forcée du jugement;

(b) imposing terms respecting the enforcement of the judgment; and

c) adjuger les dépens.

(c) awarding costs.

[…]

Types d’action

Types of admiralty actions

477. (1) Les actions en matière d’amirauté peuvent être réelles ou personnelles, ou les deux à la fois.

477. (1) Admiralty actions may be in rem or in personam, or both.

[…]

Défendeurs dans une action réelle

Defendants in action in rem

(4) Dans une action réelle, le demandeur est tenu de désigner à titre de défendeurs les propriétaires du bien en cause dans l’action et toutes les autres personnes ayant un intérêt dans celui-ci.

(4) In an action in rem, a plaintiff shall include as a defendant the owners and all others interested in the subject-matter of the action.

 

[…]

Défense dans une action réelle

Defence of action in rem

480. (1) Dans une action réelle, la défense pour le compte du navire ou d’une autre chose cités comme le défendeur ne peut être déposée que par la personne qui prétend en être le propriétaire ou détenir tout autre droit sur ceux-ci.

480. (1) An action in rem against a ship or other thing named as a defendant in the action may be defended only by a person who claims to be the owner of the ship or thing or to be otherwise interested therein.

[29]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 [LRM] s’appliquent en l’espèce :

Privilège maritime

Maritime Lien

Définition de « bâtiment étranger »

Definition of “foreign vessel”

139. (1) Au présent article, « bâtiment étranger » s’entend au sens de l’article 2 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

139. (1) In this section, “foreign vessel” has the same meaning as in section 2 of the Canada Shipping Act, 2001.

Privilège maritime

Maritime lien

(2) La personne qui exploite une entreprise au Canada a un privilège maritime à l’égard du bâtiment étranger sur lequel elle a l’une ou l’autre des créances suivantes :

(2) A person, carrying on business in Canada, has a maritime lien against a foreign vessel for claims that arise

a) celle résultant de la fourniture — au Canada ou à l’étranger — au bâtiment étranger de marchandises, de matériel ou de services pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(a) in respect of goods, materials or services wherever supplied to the foreign vessel for its operation or maintenance, including, without restricting the generality of the foregoing, stevedoring and lighterage; or

b) celle fondée sur un contrat de réparation ou d’équipement du bâtiment étranger.

(b) out of a contract relating to the repair or equipping of the foreign vessel.

Service demandé par le propriétaire

Services requested by owner

(2.1) Sous réserve de l’article 251 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada et pour l’application de l’alinéa (2)a), dans le cas de l’acconage et du gabarage, le service doit avoir été fourni à la demande du propriétaire du bâtiment étranger ou de la personne agissant en son nom.

(2.1) Subject to section 251 of the Canada Shipping Act, 2001, for the purposes of paragraph (2)(a), with respect to stevedoring or lighterage, the services must have been provided at the request of the owner of the foreign vessel or a person acting on the owner’s behalf.

Exceptions

Exception

(3) Le privilège maritime peut être exercé en matière réelle à l’égard du bâtiment étranger qui n’est pas :

(3) A maritime lien against a foreign vessel may be enforced by an action in rem against a foreign vessel unless

a) un navire de guerre, un garde-côte ou un bateau de police;

(a) the vessel is a warship, coast guard ship or police vessel; or

b) un navire accomplissant exclusivement une mission non commerciale au moment où a été formulée la demande ou a été intentée l’action le concernant.

(b) at the time the claim arises or the action is commenced, the vessel is being used exclusively for non-commercial governmental purposes.

Loi sur les Cours fédérales

Federal Courts Act

(4) Le paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas aux créances garanties par un privilège maritime au titre du présent article.

(4) Subsection 43(3) of the Federal Courts Act does not apply to a claim secured by a maritime lien under this section.

[30]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [Loi sur les Cours fédérales] s’appliquent en l’espèce :

Navigation et marine marchande

Navigation and shipping

22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas — opposant notamment des administrés — où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

22. (1) The Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

Compétence maritime

Maritime jurisdiction

(2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

(2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following :

[…]

m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarage;

(m) any claim in respect of goods, materials or services wherever supplied to a ship for the operation or maintenance of the ship, including, without restricting the generality of the foregoing, claims in respect of stevedoring and lighterage;

V.                LES ARGUMENTS INVOQUÉS

A.                Les demanderesses

[31]           Les demanderesses disent qu’elles n’ont aucun intérêt dans le fait que l’on détermine lequel des défendeurs a légalement droit aux fonds. Elles souhaitent simplement être dégagées de toute responsabilité quant à la fourniture du combustible de soute.

[32]           Les demanderesses soutiennent que si la Cour est en mesure de dégager les faits nécessaires dans le cadre d’une requête en procès sommaire, il y a lieu dans ce cas de rendre jugement : Inspiration Management Ltd c McDermid St Lawrence Ltd (1989), 36 BCLR (2d) 202 [Inspiration Management]; Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc., 2011 CF 776. À moins de sérieux problèmes de crédibilité, la Cour se doit en général de trancher les questions de droit, surtout si un procès sommaire permettra de régler la totalité des questions que soulève l’action : 0871768 BC Ltd c Aestival (Navire), 2014 CF 1047, aux paragraphes 57 à 61. Les demanderesses ajoutent qu’il n’y a aucun fait important en litige et que l’action repose uniquement sur la question juridique de savoir si Canpotex peut être tenue de payer deux fois le combustible de soute.

[33]           Les demanderesses soutiennent qu’elles satisfont aux exigences de l’article 108 des Règles des Cours fédérales. Il ressort clairement de la preuve par affidavit que Canpotex fait face à des demandes contradictoires pour ce qui est du combustible de soute fourni aux navires. Les séquestres et MP exigent tous deux d’être payés pour la même opération de fourniture du même combustible de soute. Les deux parties ont indiqué qu’elles exerceront leurs droits de saisir les navires.

[34]           Les demanderesses disent que si Canpotex paie l’une des deux parties - soit les séquestres soit MP - au détriment de l’autre, elle le fera à ses propres risques : G&N Angelakis Shipping Co SA c Compagnie National Algérienne de Navigation (The « Attika Hope »), [1988] 1 Lloyd’s Rep 439 (Comm Ct) [Attika Hope]; Rio Tinto Shipping (Asia) Pte Ltd c Korea Line Corp, 2008 CF 1376 [Rio Tinto]. Par exemple, dans la décision Attika Hope, la demanderesse était aux prises avec des réclamations concurrentes concernant le paiement de fret. L’une des parties était la propriétaire du navire et l’autre la cessionnaire des droits de l’affréteur. La demanderesse avait payé le fret au propriétaire du navire. La Cour a conclu en définitive que c’était en fait la cessionnaire des droits de l’affréteur qui avait droit au fret. Elle a ajouté que la demanderesse avait payé le propriétaire du navire à ses propres risques et qu’elle devait faire un second paiement à la cessionnaire. Dans la présente affaire, les demanderesses déposent la présente requête en vue d’éviter de se retrouver dans la position d’avoir à faire de multiples paiements.

[35]           Les demanderesses disent qu’il y a peu de jurisprudence relativement à l’article 108 des Règles mais que, dans la décision Rio Tinto, précitée, la Cour fédérale a fait droit à la requête en entreplaiderie relative à un montant qui faisait l’objet de réclamations concurrentes ou contradictoires à l’égard du paiement de fret pour le transport de marchandises.

[36]           Les demanderesses font remarquer qu’il existe des requêtes semblables à la présente, qui met en cause les défendeurs, tant aux États-Unis (USDC SDNY 14 Civ 9262) qu’au Royaume‑Uni (Stena Bulk AB c Copley, [2015] 1 Lloyd’s Rep 280, à la page 281 [Stena Bulk]). Dans l’affaire Stena Bulk, la demanderesse était également confrontée à des réclamations concurrentes de la part d’un fournisseur et d’un intermédiaire. Un registraire de la Cour d’amirauté a fait droit à la requête de la demanderesse de consigner à la Cour les fonds réclamés, et ce, même si la Cour d’amirauté n’avait aucune règle précise qui était analogue à l’article 108 des Règles des Cours fédérales.

[37]           Les demanderesses répondent aussi à certaines des prétentions que les défendeurs ont formulées dans leur défense. Premièrement, ces derniers soutiennent que la réclamation des séquestres et celle de MP ne sont pas identiques. Bien que cela soit techniquement correct, disent-elles, la fourniture sous-jacente du combustible de soute est exactement la même dans les deux réclamations. La seule différence importante dans les montants réclamés est qu’OW UK a ajouté sa marge bénéficiaire aux factures de MP avant de les transmettre à Canpotex.

[38]           Deuxièmement, les demanderesses rejettent la prétention des défendeurs selon laquelle il y a une différence entre les réclamations in rem contre les navires eux-mêmes et les réclamations in personam, de telle sorte que la partie déboutée peut être autorisée à saisir les navires et recouvrer ses fonds dans le cadre d’une action in rem. La Cour d’appel fédérale a conclu qu’une action in rem n’est qu’un « mécanisme procédural » qui permet à un demandeur d’obtenir une garantie pour sa réclamation in personam : Westshore Terminals Limited Partnership c Leo Ocean, SA, 2014 CAF 231, au paragraphe 92. Dans la présente affaire, l’un des défendeurs sera payé et sa réclamation in rem cessera d’exister. L’autre défendeur n’a droit à rien de plus que les fonds, de sorte que sa réclamation in rem devrait être prescrite elle aussi.

[39]           Les demanderesses disent que l’argument des défendeurs semble être le suivant : étant donné qu’une saisie toucherait initialement le propriétaire du navire, la réclamation in rem serait différente de la réclamation in personam. Cependant, la relation d’affrètement transfère la propriété du combustible de soute à l’affréteur pendant la durée de l’affrètement : Terence Coughlin et coll., Time Charters, 6e éd. (Londres : informa, 2008), à la page 260. L’instance in rem serait donc une réclamation contre l’affréteur et non contre le propriétaire : Norwegian Bunkers AS c Boone Star Owners Inc., 2014 CF 1200, au paragraphe 90 [Norwegian Bunkers]. De plus, la Cour fédérale a statué qu’un intermédiaire qui n’a pas payé le fournisseur physique réel de biens ou de services destinés à un navire n’est pas habilité à présenter une réclamation in rem contre le navire auquel les biens et les services ont été fournis : Balcan Ehf c Atlas (Le), 2001 CFPI 1328 [Balcan].

[40]           Les demanderesses affirment, une fois de plus, qu’elles n’ont aucun intérêt dans le fait qu’on détermine lequel des défendeurs a droit aux fonds. Cependant, elles ne veulent pas que le défendeur débouté soit en mesure de contourner l’ordonnance de la Cour en faisant saisir les navires dans un autre ressort. La Cour fédérale est manifestement le bon ressort. Les conditions standards de MP prévoient que la Cour fédérale est le ressort approprié, et ces conditions sont intégrées au contrat d’OW UK. Les parties ont également acquiescé à la compétence de la Cour fédérale.

[41]           Troisièmement, les demanderesses disent qu’il n’est pas pertinent en l’espèce de savoir si l’achat de combustible de soute par un affréteur plutôt que par les propriétaires des navires donnerait naissance à un privilège maritime canadien, au sens de l’article 139 de la LRM. MP, à titre de fournisseur physique non payé, a un droit d’action in rem conféré par la loi, conformément à l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur les Cours fédérales.

[42]           Quatrièmement, les demanderesses disent que la preuve par affidavit indique clairement que l’accord à prix fixe devait régir l’achat du combustible de soute. Néanmoins, les clauses d’élection du droit applicable et de for sont très semblables dans l’accord à prix fixe et dans les conditions générales d’OW UK. Elles ajoutent que, quelle que soit la version que l’on utilise, il est clair que les conditions standards de MP ont été intégrées dans l’un ou l’autre accord.

[43]           Cinquièmement, les demanderesses disent que le respect entier des « exigences de la justice et de l’équité » commande que l’on rejette les réclamations in rem : NM Paterson & Sons Ltd c Birchglen (Le), [1990] 3 CF 301 (1re inst.) [Birchglen]. Selon MP, une revendication de privilège ne peut être éteinte qu’après l’obtention d’un paiement ou d’une garantie, y compris les intérêts et les dépens. Cependant, la Cour a conclu que la réclamation in rem d’un revendicateur de privilège est rejetée si ce dernier n’a pas payé les biens et les services qu’il a fournis au navire. Dans la décision Birchglen, la Cour a conclu (à la page 311) :

[…] il semble que les tribunaux adoptent une approche passablement discrétionnaire ou pragmatique à l'égard de la question et qu'ils s'appuient sur les faits particuliers de chaque espèce et qu'ils s'assurent que les exigences de la justice et de l'équité sont parfaitement respectées pour répondre à la question de savoir si le privilège maritime continue à exister, s'il renaît ou s'il s'éteint lorsque la sûreté est fournie.

Les demanderesses disent que les exigences de la justice et de l’équité commandent que l’on rejette toutes les réclamations in rem parce qu’elles ont consigné les fonds à la Cour et autorisent celle-ci à en disposer.

[44]           Sixièmement, tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont statué que la Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire, même en l’absence d’une cause d’action, dans la mesure où le demandeur sollicite une réparation qui pourrait avoir une certaine valeur : Morneault c Canada (Procureur général), [2001] 1 CF 30 (CA); Gariepy c Canada (Administrateur de la Cour fédérale), [1989] 1 CF 544 (1re inst.). Les demanderesses soutiennent qu’une déclaration éteignant les droits in rem des défendeurs est d’une importance cruciale pour l’instance en entreplaiderie. Sans une déclaration éteignant les réclamations in rem, les demanderesses font face à la perspective d’avoir à payer deux fois la même livraison de combustible de soute.

B.                 Les défendeurs – ING et les séquestres

[45]           Selon ING, la seule question en litige dans la présente requête en procès sommaire est la bonne manière de disposer des fonds. Elle ajoute que ces derniers représentent une créance que Canpotex doit à OW UK. Les droits d’OW UK sur les fonds ont été cédés à ING, et ces derniers ne font pas l’objet de réclamations concurrentes valides.

[46]           ING convient que les parties ont conclu l’accord à prix fixe le 14 février 2014, mais elle dit qu’aucun achat n’a jamais été fait en vertu de cet accord. Les achats de combustible de soute qui sont visés par la présente instance ont été faits au comptant et ne tombent donc pas sous le coup des clauses de l’accord à prix fixe.

[47]           ING dit que les confirmations de commande d’OW UK indiquent que la fourniture du combustible de soute était régie par les conditions standards d’OW UK. Il ressort clairement de la preuve documentaire que l’accord à prix fixe ne s’appliquait pas à la vente du combustible de soute aux navires parce que : l’accord à prix fixe était conclu avec OW Trading, mais le combustible de soute était fourni par OW UK; les confirmations de commande indiquaient que la fourniture était régie par les conditions standards d’OW UK; les factures d’OW font référence aux conditions générales d’OW UK; l’accord à prix fixe précise qu’il est nécessaire d’utiliser une confirmation de commande précise pour les ventes effectuées dans le cadre de l’accord à prix fixe – cette confirmation particulière n’a pas été utilisée dans le cas de cette vente.

[48]           ING dit aussi que les demanderesses n’ont pas satisfait au critère énoncé à l’article 108 des Règles, qui porte sur l’interplaidoirie (ou : entreplaiderie). Cet article envisage la possibilité qu’une personne unique soumette à une entreplaiderie un bien unique qui fait l’objet de réclamations contradictoires. Par contraste, dans la présente affaire, il y a quatre demanderesses, chacune soumise à des responsabilités distinctes, pour des motifs juridiques différents, et devant des montants différents à des parties différentes. Elles font face à de multiples réclamations découlant d’obligations distinctes, rattachées à plusieurs biens. Canpotex reconnaît que les fonds sont l’argent qui lui est dû selon les factures d’OW UK. Canpotex fait face à deux réclamations venant de deux sources différentes : la créance envers OW UK qui a été cédée à ING, ainsi que la créance envers les propriétaires des navires du fait de leurs contrats d’affrètement. Il ne s’agit pas de la même obligation. Canpotex aurait pu acheter du combustible de soute directement de MP mais, en le faisant par l’entremise d’OW UK, elle a obtenu certains avantages, tout en assumant le risque lié à plusieurs obligations.

[49]           L’entreplaiderie ne s’applique pas lorsque les réclamations censément concurrentes sont [traduction« fondées sur des causes d’action indépendantes et distinctes ». Voir British Columbia c Gonclaves, [1995] BCJ no 2365 (QL), au paragraphe 15, 19 (CS) [Gonclaves]; Farr c Ward (1837) 2 M&W 844 [Farr]; City of Morgan Hill c Brown (1999), 71 Cal App 4th 1114, à la page 1122 (6e Dist.) [Morgan Hill].

[50]           MP n’a aucune réclamation directe à l’encontre de Canpotex et n’a aucun droit sur la créance à payer selon les factures d’OW UK. MP a une réclamation à l’encontre d’OW UK et peut avoir une réclamation in rem à l’encontre des navires. La distinction entre les réclamations contractuelles et les revendications de privilège a amené la Haute Cour de Singapour à refuser une entreplaiderie dans une autre action découlant de la faillite d’OW Trading et d’OW UK : Kamil Norwid Shipping Co Ltd c ING Bank N.V. and Transocean Oil Pte Ltd, Haute Cour de Singapour, 24 avril 2015, au paragraphe 8 [Kamil].

[51]           Il reste à trancher devant la Cour fédérale la question de savoir si un privilège maritime au sens de l’article 139 de la LRM peut se rattacher à un achat effectué auprès d’un affréteur plutôt que d’un propriétaire : décision Norwegian Bunkers, précitée, au paragraphe 80. Mais, même si MP peut revendiquer un privilège maritime, celui-ci se limite aux navires in rem et ne constitue pas une réclamation directe à l’encontre de Canpotex.

[52]           MP ne peut pas non plus revendiquer un privilège contractuel contre Canpotex parce qu’elle n’entretient aucun lien contractuel avec cette dernière. Cette absence de lien contractuel a été un obstacle à une réclamation semblable en Inde, par suite de la faillite d’OW Trading et d’OW UK : Gulf Petrochem Energy Pvt Ltd c MT Valor, Haute Cour de Bombay, 15 avril 2015, au paragraphe 13 [Gulf Petrochem].

[53]           ING reconnaît que les conditions générales d’OW UK stipulent que Canpotex est réputée avoir lu et accepté les conditions imposées par un fournisseur physique et que les conditions modifient le contrat d’OW UK. Ce n’est toutefois le cas que si le fournisseur physique insiste pour que l’acheteur soit lié. MP n’a pas insisté pour que l’on applique ses conditions à Canpotex. Néanmoins, même si les conditions étaient intégrées, cela ne donnerait pas lieu à une relation contractuelle indépendante entre Canpotex et MP. De plus, les conditions standards de MP indiquent qu’elles ne s’appliquent qu’à la vente et à la livraison de combustible de soute à un client. Le combustible a été vendu par MP à OW UK. Canpotex n’a pas acheté le combustible de MP.

[54]           Même si MP a une réclamation directe à l’encontre de Canpotex, elle n’en a pas à l’égard des fonds, c’est-à-dire les montants à payer selon les factures d’OW UK. Canpotex est tenue de payer intégralement cette créance à OW UK. Il n’existe aucun fondement en droit qui permet de dégager les demanderesses de leurs responsabilités envers l’un quelconque des défendeurs ou d’éteindre les droits in rem de ces derniers.

C.                 La défenderesse – MP

[55]           MP soutient qu’elle a droit aux fonds tant par voie de contrat, ce qui inclut un privilège contractuel, que par voie de privilège maritime au sens de l’article 139 de la LRM.

[56]           MP dit que sa réclamation contractuelle est fondée sur les facteurs suivants :

a)      OW UK a agi comme mandataire pour Canpotex en achetant le combustible;

b)      MP a conclu un contrat régi par ses conditions standards;

c)      les conditions standards de MP définissent le mot [traduction] « client »; celui-ci englobe [traduction] « [l’]affréteur », ce qui inclut Canpotex à titre d’affréteuse des navires;

d)     les conditions standards de MP prévoient que le [traduction] « client » est responsable de toutes les obligations, comme le serait un propriétaire de navire.

[57]           MP dit que ces circonstances mènent soit à une relation contractuelle directe, soit à une conclusion selon laquelle Canpotex est directement responsable en tant que mandante.

[58]           Les conditions standards de MP prévoient par ailleurs que cette dernière peut revendiquer un privilège contre le navire ou d’autres biens que le client [traduction« possède ou contrôle ». Il est clair que les fonds sont un bien que Canpotex possède ou contrôle. Voir DC Jackson, Enforcement of Maritime Claims, 4e éd. (Londres : LLP, 2005) [Enforcement of Maritime Claims], à la page 469. Par contraste, OW UK n’a aucun droit de privilège. Elle n’a pas payé le combustible de soute et n’a donc aucun droit in rem : décision Balcan, précitée.

[59]           MP dit aussi qu’elle détient un privilège maritime conféré par la loi, conformément à l’article 139 de la LRM, et qu’elle satisfait à toutes les exigences que la loi prévoit : elle est une société de la Colombie-Britannique (canadienne), les navires sont des bâtiments étrangers et le combustible a été fourni aux navires en vue de leur fonctionnement : voir la décision Norwegian Bunkers, précitée, aux paragraphes 75, 77, 78 et 80. Comme les fonds sont destinés à remplacer le bien auquel se rattache le privilège, MP détient un privilège valide et exécutoire sur les fonds.

[60]           Selon MP, que son privilège maritime valide et exécutoire soit qualifié de droit législatif spécial ou de privilège maritime traditionnel, elle a priorité de rang sur n’importe quelle réclamation d’OW UK : William Tetley, Maritime Liens and Claims, 2e éd. (Montréal : Blais, 1998), aux pages 884 à 892; Royal Bank of Scotland c Golden Trinity (Navire), 2004 CF 795, au paragraphe 111 [Royal Bank of Scotland].

[61]           OW UK n’a pas de réclamation in rem à l’encontre des navires ni aucun droit contractuel sur les fonds. Dans la décision Balcan, la Cour a conclu qu’aucun droit d’action in rem à l’égard d’une réclamation au titre des approvisionnements nécessaires ne peut prendre naissance si le demandeur n’a pas fourni des approvisionnements nécessaires à un navire (décision précitée, aux paragraphes 12, 16 et 19). Dans le même ordre d’idées, OW UK n’a pas payé le combustible, pas plus qu’elle ne l’a fourni aux navires. Elle ne se trouve donc pas dans la situation d’un demandeur au titre des approvisionnements nécessaires, et elle n’a aucun droit in rem à l’encontre des navires. Les mêmes observations s’appliquent au privilège maritime visé à l’article 139.

[62]           Le privilège maritime de MP a préséance sur n’importe quelle réclamation in personam d’OW UK contre les demanderesses. Un privilège maritime prend naissance sans enregistrement ou formalité et il suit le navire où qu’il soit : Holt Cargo Systems Inc. c ABC Containerline NV (Syndics de), 2001 CSC 90, au paragraphe 26. Même si OW UK détenait une hypothèque ou un droit in rem valide, un privilège maritime occupe quand même un rang supérieur : décision Royal Bank of Scotland, précitée, au paragraphe 111.

[63]           Si les réclamations d’OW UK se classaient à un rang supérieur à celui de la réclamation de MP, ce que nie cette dernière, l’équité prescrit qu’il faut modifier l’ordre de priorité des réclamations afin que MP soit payée, et non OW UK. La Cour ne devrait s’écarter de l’ordre de priorité établi que s’il existe des circonstances spéciales et s’il est nécessaire de le faire pour éviter une injustice évidente : décision Royal Bank of Scotland, précitée, au paragraphe 118. Il serait bon en l’espèce de modifier l’ordre de priorité pour prioriser la réclamation de MP parce que : c’est MP qui a fourni le combustible, OW UK n’a pas payé le combustible, OW UK était censée toucher seulement un petit paiement en pourcentage pour organiser la fourniture du combustible, OW UK est en faillite et n’a aucune intention de payer à MP le combustible, et les fonds qu’elle recevra, quels qu’ils soient, seront mis en commun et payés en pourcentage, et MP détient sur le combustible un privilège maritime fondé sur l’article 139. Si l’on paye OW UK, il se peut que les demanderesses aient à payer deux fois (une fois à OW UK dans le cadre de la présente action, et deux fois si MP revendique son privilège maritime pour obtenir un paiement des propriétaires des navires). MP dit qu’il serait également inéquitable de payer les fonds à OW UK parce qu’elle ne s’est pas acquittée de son obligation de payer le combustible. Le fait de payer OW UK pourrait avoir pour résultat que MP soit tenue de payer de sa poche la pleine valeur du combustible qu’elle a fourni.

[64]           MP soutient également qu’il ne conviendrait pas que la Cour éteigne son privilège maritime avant qu’on lui ait intégralement payé le combustible. La Cour fédérale dit avoir adopté une « approche passablement discrétionnaire ou pragmatique à l'égard de la question et qu'ils [les tribunaux] s'appuient sur les faits particuliers de chaque espèce et qu'ils s'assurent que les exigences de la justice et de l'équité sont parfaitement respectées pour répondre à la question de savoir si le privilège maritime continue à exister, s'il renaît ou s'il s'éteint lorsque la sûreté est fournie » : décision Birchglen, précitée, à la page 311. Dans l’affaire Birchglen, une garantie avait été déposée et la demanderesse souhaitait que l’on éteigne le privilège maritime. En l’espèce, Canpotex a seulement consigné les fonds parce qu’elle faisait face à des réclamations concurrentes, et non à titre de garantie pour le privilège maritime de MP. Si les fonds constituent une garantie pour le privilège maritime, il s’ensuit qu’OW UK n’a pas droit aux fonds parce qu’elle ne détient aucun droit in rem. Un privilège maritime ne peut être éteint qu’après un paiement ou l’écoulement du temps. Il n’existe aucun fondement juridique ou en equity pour éteindre un privilège maritime par ailleurs valide.

D.                La réponse de Canpotex

[65]           Canpotex dit que, n’eût été de la faillite d’OW UK, elle aurait payé les factures de cette dernière, celle-ci aurait payé les factures de MP, et les séquestres auraient eu droit à la marge bénéficiaire d’OW UK. Ce n’est qu’à cause de la faillite que les séquestres et MP soutiennent que Canpotex est responsable du paiement intégral des montants visés par les deux factures. Selon les défendeurs, Canpotex peut être tenue de payer deux fois le combustible parce que les réclamations in personam et in rem sont différentes. Canpotex dit que le fait de souscrire à cette position mènerait à un résultat injuste.

[66]           Canpotex établit tout d’abord une distinction entre la présente affaire et les décisions jurisprudentielles qu’invoque ING. Elle dit que dans la décision Kamil, précitée, la Haute Cour de Singapour a décrété que, quelle que puisse être la différence entre les droits in personam et in rem selon le droit en vigueur à Singapour, il est clair que la Cour d’appel fédérale a conclu que, au Canada, les instances in rem sont de simples mécanismes procéduraux.

[67]           Canpotex fait aussi une distinction entre la présente affaire et l’affaire Greatorex c Shackle, [1895] 2 QB 249 [Greatorex] à laquelle il est fait référence dans la décision Kamil. Cette affaire étaye la thèse selon laquelle une ordonnance d’entreplaiderie n’est accordée que si les réclamations concurrentes découlent de contrats distincts : John D Wood & Co c Dantata, [1985] 2 EGLR 44 [Dantata]; LJ Hooker Ltd c Dominion Factors Pty Ltd, [1963] SR (NSW) 146. La décision Greatorex ne s’applique pas en l’espèce car la question en litige découle de la même chaîne de contrats d’approvisionnement, et non de deux contrats indépendants et distincts.

[68]           Canpotex fait aussi une distinction entre la présente affaire et l’affaire Gulf Petrochem, précitée. La décision, dit-elle, a été rendue dans le contexte de deux requêtes visant à faire annuler la saisie de navires par des fournisseurs physiques. La demanderesse soutenait qu’il n’y avait pas de lien contractuel entre les propriétaires des navires et les fournisseurs physiques. La décision dépendait du fait qu’il n’existait aucun privilège maritime pour la fourniture de combustible en Inde. Dans la première requête, la Cour a conclu qu’il n’y avait aucune responsabilité délictuelle ou légale (comme l’article 139 de la LRM) et donc aucune raison pour saisir le navire. Dans la seconde requête, la Cour n’a pas annulé la saisie à cause d’un argument défendable selon lequel les propriétaires étaient parties au contrat. D’après Canpotex, cela ne reflète pas le droit canadien.

[69]           Canpotex dit également que les décisions en matière d’entreplaiderie qui sont fondées sur les lois américaines connexes sont d’une utilité douteuse pour l’interprétation de la common law canadienne de l’entreplaiderie. Quoi qu’il en soit, il ressort de la décision Morgan Hill, précitée, que la portée de l’entreplaiderie américaine a pris de l’ampleur et s’est élargie afin qu’il soit possible de recourir à cette procédure [traduction« même si l’un des demandeurs cherche à obtenir une partie des fonds et si l’autre cherche à en obtenir la totalité » et que la [traduction« restriction qui subsiste au sujet de la responsabilité indépendante est interprétée de telle façon qu’elle constitue rarement un obstacle à la réparation » (au paragraphe 6). Dans le même ordre d’idées, l’affaire Farr, précitée, a été tranchée à l’époque où la mesure de réparation qu’est l’entreplaiderie était d’une portée limitée, et elle concernait aussi une situation de fait inusitée. Selon Canpotex, la notion moderne de l’entreplaiderie s’applique aux affaires dans lesquelles [traduction« deux personnes ou plus revendiquent solidairement la remise du même bien, le paiement de la même créance ou l’exécution de la même obligation, sous des titres différents ou dans le cadre d’intérêts distincts, par une autre personne, et cette dernière ignore en faveur duquel des demandeurs elle doit remettre le bien, payer la créance ou exécuter l’obligation » : Halsbury’s Laws of England, vol. 16, 4e éd. (Londres, R.-U. : Butterworths, 1980), aux pages 666 à 668.

[70]           Au Canada, l’entreplaiderie exige uniquement que le demandeur soit : [traduction« une partie neutre, sans aucun intérêt bénéficiaire dans le bien », et qu’il s’expose au risque d’être l’objet de deux réclamations contradictoires à l’égard de la totalité des fonds ou du bien, ou d’une partie d’entre eux. Voir Frederick M. Irvine et coll., British Columbia Practice, 3e éd. (LexisNexis Canada, 2006), règles 10-3 à 2-4 [British Columbia Practice]. Les réclamations contradictoires peuvent viser la totalité des fonds ou du bien en litige ou une partie d’entre eux : Reading c School Board for London (1886), 16 QBD 686; Hoffman Bros Ltd c Carl E Miller Construction Ltd, [1963] 2 OR 435 [Hoffman Bros Ltd]. De plus, ces réclamations peuvent découler de causes d’action différentes et comporter des demandes pour lesquelles aucune action n’a été engagée : Savage c First Canadian Financial Corp (1996), 27 BCLR (3d) 21 [Savage]; Lam c University of British Columbia, 2013 BCSC 2142.

[71]           Canpotex dit par ailleurs que la décision Gonclaves, précitée, ne s’applique pas en l’espèce. Dans l’affaire Gonclaves, le protonotaire a rejeté une demande d’ordonnance d’entreplaiderie parce que le demandeur s’exposait à une responsabilité qui était supérieure aux montants qu’il souhaitait consigner à la Cour. Le protonotaire a rejeté la demande parce que celle-ci ne [traduction« résoudrait pas la totalité, ou presque, des questions opposant les parties » (au paragraphe 16).

[72]           Canpotex soutient également qu’elle est la seule partie qui est exposée aux réclamations contradictoires découlant de la même transaction. Les propriétaires des navires ont été ajoutés à titre de demandeurs en vue de répondre à l’objection de nature technique ou procédurale selon laquelle la Cour ne peut rendre un jugement déclaratoire en faveur de parties qui ne sont pas présentes devant elle.

[73]           Canpotex dit que ses observations en réponse s’appliquent aussi, de façon générale, au mémoire des faits et du droit de MP. Plus précisément, elle dit qu’il n’y a aucun précédent à l’appui de la prétention de MP selon laquelle les fonds n’ont pas été payés par les propriétaires des navires et qu’il ne s’agit donc pas d’une garantie pour le présumé privilège maritime de MP. Elle ajoute qu’une instance in rem contre un navire est introduite contre son propriétaire ainsi que contre toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire : paragraphes 477(4) et 480(1) des Règles des Cours fédérales. Canpotex est responsable à la fois de l’achat du combustible et du fait d’éviter tout privilège, de sorte que c’est elle la partie qui doit fournir une garantie pour les navires.

E.                 La réponse d’ING et des séquestres

[74]           ING soutient que l’unique fait en litige est celui de savoir quelles sont les conditions qui régissaient la fourniture du combustible aux navires. Elle prétend que c’était les conditions standards d’OW UK qui régissaient la vente. Rien dans l’accord à prix fixe ne donne à penser qu’il s’applique à des achats au comptant. OW UK a également dit à Canpotex qu’elle n’était pas disposée à ce que cet accord s’applique aux achats de ce type.

[75]           ING dit que la présente affaire ne se prête pas à une entreplaiderie car elle comporte de multiples réclamations découlant de multiples obligations. MP n’a aucune réclamation directe contre Canpotex. Les fonds devraient être payés à ING.

[76]           ING dit que les observations des demanderesses sont fondées sur des décisions qui concernent des ordonnances provisoires, lesquelles traitent de questions procédurales plutôt que de questions de fond. Ces décisions ne reflètent pas les décisions qu’ont rendues les divers tribunaux au sujet de la disponibilité réelle de la mesure de réparation que constitue l’entreplaiderie.

[77]           Les demanderesses tentent aussi, irrégulièrement, de combiner ces trois obligations distinctes en une seule responsabilité : la créance que doit Canpotex à OW UK, une responsabilité in rem quelconque à l’égard des navires, et la responsabilité contractuelle in personam de Canpotex à l’égard des propriétaires des navires.

[78]           ING établit une distinction entre la présente affaire et la décision Norwegian Bunkers, précitée, dans laquelle la Cour a seulement rejeté un argument selon lequel il est possible de faire appliquer un droit in rem sans que le propriétaire soit lui-même personnellement responsable (aux paragraphes 80 à 82). Dans cette affaire, les propriétaires n’ont pas été tenus personnellement responsables parce qu’ils avaient réfuté la présomption que le combustible de soute avait été fourni à crédit au navire (aux paragraphes 84 et 91). Ils ont toutefois été tenus responsables en vertu d’un privilège maritime créé sous le régime du droit brésilien, qui ne l’aurait pas forcément été sous le régime du droit canadien (au paragraphe 83). La Cour a conclu que les affréteurs détenaient un droit de propriété acquis sur le combustible (au paragraphe 90). Ils avaient acquis ce droit d’une entreprise qui avait leur vendu le combustible après l’avoir obtenu d’un fournisseur physique (au paragraphe 30). ING dit que, dans la présente affaire, ce titre de propriété a été transféré de MP à OW UK, et il est resté entre les mains d’OW UK parce que le combustible n’a pas été payé.

[79]           ING fait également une distinction entre la présente affaire et la décision Balcan, précitée. Canpotex se fonde sur cette dernière pour souligner qu’un intermédiaire qui n’a pas payé le fournisseur physique n’a pas droit à une réclamation in rem contre le navire. La décision Balcan n’énonce aucun principe général au sujet de la validité d’une réclamation qui prend naissance en vertu d’un contrat ou d’un privilège découlant d’un contrat, et elle ne s’applique donc pas en l’espèce.

[80]           Répondant à MP, ING soutient qu’OW UK n’agissait pas comme mandataire pour Canpotex quand elle a acheté du combustible de MP. Le critère de la qualité de mandataire, dans le contexte d’une chaîne d’approvisionnement, oblige à prendre plusieurs facteurs en compte, dont les suivants : les conditions expresses du contrat, le contrôle qu’exerce le présumé mandant, les conditions relatives au prix et les antécédents en matière de paiements. Voir Dan Gamache Trucking Inc. c Encore Metals Inc., 2008 BCSC 343, aux paragraphes 46, 53 et 58 à 60. Aucune des conditions du contrat conclu entre OW UK et Canpotex ne crée une relation de mandataire. Canpotex n’exerçait aucun contrôle sur la manière dont OW UK exécutait le contrat. Elle a payé à OW UK un prix qui ne dépendait pas du montant facturé par MP. Elle n’était pas au courant des conditions de vente entre OW UK et MP. La pratique courante de MP consistait à facturer OW UK et à se faire payer par Canpotex. Tous ces facteurs ne concordent pas avec l’argument selon lequel OW UK agissait comme mandataire pour Canpotex.

[81]           ING soutient par ailleurs que MP n’avait un privilège ni contractuel ni légal sur les fonds. MP se fonde sur ses conditions standards pour revendiquer son privilège contractuel mais Canpotex n’a jamais vu ces conditions, pas plus qu’elle ne les a acceptées. De plus, le privilège visé à l’article 139 de la LRM ne peut se rattacher qu’à un navire – pas à l’ensemble des biens d’un affréteur.

F.                  La réponse de MP

[82]           MP dit que les fonds devraient lui être versés parce que ce paiement éteindra à la fois sa propre réclamation et la responsabilité d’OW UK envers elle. Il ne restera alors à OW UK qu’une réclamation concernant sa marge bénéficiaire et non le prix du combustible.

[83]           Si la Cour ordonne que le paiement soit fait à OW UK, il s’ensuit qu’il ne faudrait rendre aucune ordonnance qui ait une incidence sur les réclamations subsidiaires de MP à l’encontre des navires et de leurs propriétaires. MP a une réclamation contractuelle valide à l’encontre des propriétaires des navires, de même qu’un privilège maritime sur les navires. La Cour n’a aucun fondement juridique pour éteindre l’une ou l’autre de ces réclamations à défaut d’un paiement. Aucune garantie n’a été déposée pour les réclamations. Les fonds ont été l’objet d’une procédure d’entreplaiderie en vue de régler deux réclamations concurrentes. Rien ne donne à penser que le privilège maritime de MP n’est pas valide ou exécutoire.

[84]           Si les fonds sont payés à MP, il n’y a aucune probabilité qu’OW UK sera en mesure de revendiquer un privilège maritime au sens de l’article 139 ou un droit in rem quelconque que prévoit la Loi : décision Balcan, précitée. La responsabilité d’OW UK à l’égard de MP s’éteindrait, de sorte que sa perte se limiterait à sa marge bénéficiaire sur la vente du combustible. Il ne serait pas nécessaire de rendre une ordonnance éteignant la réclamation d’OW UK, sauf à l’encontre de Canpotex.

[85]           En réponse à la position d’ING et des séquestres, MP dit que les observations d’ING sur la relation contractuelle entre Canpotex et OW UK n’ont rien à voir avec la réclamation de MP à l’égard des fonds. MP ne s’est pas engagée par contrat à respecter l’accord à prix fixe ou les conditions générales d’OW UK. MP ne s’est engagée par contrat qu’à respecter ses propres conditions standards. Il ne fait aucun doute que Canpotex est assujettie aux conditions standards de MP à titre de [traduction] « client ». Canpotex savait que MP fournissait le combustible.

[86]           De plus, les conditions générales d’OW UK donnent au mot [traduction] « acheteur » essentiellement le même sens que celui que donnent les conditions standards de MP au mot [traduction] « client ». Il faut donc considérer qu’OW UK savait que la définition générale voulait dire qu’elle concluait le contrat non seulement pour son propre compte, mais aussi pour celui de Canpotex. Ce faisant, OW UK agissait forcément comme mandataire de Canpotex. Le droit réclamé par OW UK à l’encontre des propriétaires des navires ne pouvait être fondé que sur la définition large du mot « acheteur » dans ses propres conditions générales. OW UK ne peut pas prétendre qu’elle exige des parties avec lesquelles elle conclut un contrat qu’elles le fassent à titre solidaire, et rejeter le même argument de MP en invoquant ses conditions standards.

[87]           MP dit qu’elle entretient une relation contractuelle directe avec Canpotex mais que, même si ce n’était pas le cas, OW UK avait clairement passé un contrat avec MP à titre de mandataire de Canpotex. OW UK a passé un contrat avec MP uniquement pour fournir du combustible de soute à Canpotex. Pour établir cette relation de mandataire, MP fait ressortir les points suivants : OW UK n’a jamais été l’utilisatrice ultime du combustible, les conditions standards de MP envisagent expressément que la partie qui demande le combustible ne peut pas être l’utilisatrice ultime, ni l’accord à prix fixe ni les conditions générales d’OW UK nient la création ou l’existence d’une relation de mandataire entre OW UK et Canpotex au moment de l’achat de combustible auprès d’une tierce partie, l’accord à prix fixe indique clairement que les conditions standards de MP s’appliquent à l’encontre de Canpotex, l’accord à prix fixe indique clairement qu’un contrat conclu avec une tierce partie peut donner naissance à des droits directs entre Canpotex et MP, et, finalement, aucune preuve directe ne met en doute les preuves de MP au sujet de la transaction en litige. Il n’est pas nécessaire que MP tente d’obtenir un recouvrement d’OW UK à titre de mandataire de Canpotex. Elle peut s’adresser directement à la mandante. Voir la décision Lang Transport Ltd c Plus Factor International Trucking Ltd (1997), 32 OR (3d) 1 (CA).

[88]           MP dit que, même si elle n’a pas pris part à la transaction conclue entre Canpotex et OW UK, elle appuie les observations de Canpotex. La preuve d’OW UK au sujet de la transaction est lacunaire ou inappropriée, et ce, à plusieurs égards. Plus précisément, MP se plaint que l’affidavit de M. Mortensen n’est pas fondé sur une connaissance directe des négociations entre Canpotex et OW UK, et semble simplement reposer sur un examen de la documentation. Les commentaires de M. Mortensen sur l’interprétation des clauses du contrat vont à l’encontre de la règle d’exclusion de la preuve extrinsèque. D’autres parties de son affidavit sont plus justement qualifiées d’arguments, et non d’éléments de preuve. Le manque de preuves d’OW UK, émanant de toute partie directement en cause, devrait amener à tirer des conclusions défavorables. Voir United States Polo Assn c Polo Ralph Lauren Corp. (2000), 286 NR 282 (CAF); Van Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120; Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 47; et Manuge c Canada, 2012 CF 499.

[89]           MP soutient également qu’ING et les séquestres ne disposent pas d’une cession valide pour étayer leur réclamation à l’égard des fonds. Le fait qu’ils se fondent sur la jurisprudence ne peut s’appliquer en l’espèce, où tant l’accord à prix fixe que les conditions standards de MP comportent des dispositions qui ne permettent aucune cession. De plus, tant l’accord à prix fixe que les conditions générales d’OW UK comportent une condition implicite : le paiement destiné à OW UK est assujetti au fait que celle-ci est la partie qui possède ou qui fournit le combustible et qui a la capacité de contrôler le titre de propriété de ce dernier. Le fait qu’OW UK n’a pas payé MP la prive de tout droit de réclamation à l’encontre de Canpotex en vue du paiement. Voir la décision Balcan, précitée.

VI.             L’ANALYSE

A.                Les questions préliminaires

1)                  L’article 108 des Règles – La disponibilité de la procédure d’interplaidoirie

[90]           ING soutient que les demanderesses ne satisfont pas au critère permettant d’engager une procédure d’interplaidoirie (appelée aussi « entreplaiderie) à l’égard d’un bien consigné à la Cour en vertu de l’article 108 des Règles. Selon Canpotex et MP, cette affaire a déjà été tranchée par le protonotaire Lafrenière et ING ne peut pas soulever la question à nouveau devant moi.

[91]           Une requête déposée en vertu de l’article 108 des Règles est habituellement ex parte mais, dans la présente affaire, toutes les parties concernées ont déposé des dossiers de requête et le protonotaire Lafrenière a entendu les avocats de Canpotex, de MP et d’ING, qui ont souscrit aux conditions de l’ordonnance qu’il a rendue le 27 mars 2015.

[92]           L’ordonnance du 27 mars 2015 du protonotaire ordonne à Canpotex de déposer en fiducie la somme de 654 493,15 $ US, plus des intérêts, applicables en matière d’amirauté, de 6 557,48 $ US (un montant total de 661 050,63 $ US), et qu’elle soit traitée comme l’équivalent d’un paiement consigné à la Cour. Cette mesure a été prise pour permettre à la Cour d’entendre [traduction« les réclamations respectives concernant les fonds en fiducie […] avant le 17 juillet 2015 inclusivement […] ».

[93]           L’ordonnance du protonotaire a été rendue en vertu de l’article 108 des Règles et elle n’aurait pu l’être que si le protonotaire avait décidé que la requête de Canpotex mettait en cause « deux ou plusieurs personnes » faisant valoir des « réclamations contradictoires contre une autre personne à l’égard de biens qui sont en la possession de celle-ci » et que les conditions relatives à l’entreplaiderie avaient été satisfaites. Rien dans l’ordonnance du protonotaire n’indique qu’il restait à la Cour à trancher en vertu de l’article 108 des Règles un aspect autre que les réclamations respectives au sujet des fonds, même s’il semble, d’après les attendus de l’ordonnance, que la Cour devrait également examiner, de pair avec ces réclamations, le [traduction« droit [de MP] de revendiquer un privilège maritime à l’encontre des navires de la demanderesse » parce qu’il avait été déterminé à l’audience tenue devant le protonotaire qu’il était [traduction« prématuré de déterminer de manière complète et définitive le droit de Marine PetroBulk de revendiquer un privilège maritime à l’encontre du navire de la demanderesse, et qu’une demande d’entreplaiderie n’[était] pas le moyen qui conv[enait] pour effectuer une telle détermination de manière sommaire ». Le protonotaire a donc examiné et accepté dans son ordonnance une « demande d’entreplaiderie » aux termes de l’article 108 des Règles.

[94]           Selon ING, la seule question qu’il me faut trancher est celle de savoir qui, d’ING ou de MP, a droit aux fonds. Mais quand Canpotex a engagé la présente instance en janvier 2015, elle cherchait à entreplaider la question des fonds et à éteindre toute responsabilité découlant de la fourniture de combustible aux navires, y compris la totalité des réclamations in rem à l’encontre de ces derniers. Il me semble aussi que l’ordonnance du protonotaire, en plus de reconnaître que les fonds peuvent faire l’objet d’une entreplaiderie, envisage également que la Cour traitera de la situation du privilège.

[95]           Il me semble donc que l’ordonnance du 27 mars 2015 du protonotaire Lafrenière, considérée dans son contexte, autorise Canpotex à soumettre à l’entreplaiderie la question des fonds et laisse à la Cour le soin de décider de leur répartition entre ING et MP. Cela oblige forcément à éteindre la responsabilité de Canpotex qui découle de la fourniture du combustible de soute (sans cela, l’entreplaiderie ne servirait à rien), de même qu’à examiner les privilèges qu’ING et MP peuvent revendiquer à l’encontre des fonds ou des navires.

[96]           ING n’a pas cherché à porter en appel l’ordonnance du protonotaire Lafrenière et, en fait, elle a souscrit à ses conditions. Je crois donc que la question du droit de Canpotex à une entreplaiderie au sens de l’article 108 des Règles a déjà été tranchée, de sorte que les arguments qu’ING me soumet au sujet du caractère inapproprié d’une entreplaiderie dans ce contexte ne sont pas fondés. Il aurait fallu les soumettre au protonotaire Lafrenière et, si ING s’opposait aux conditions de son ordonnance, elle aurait pu porter celle-ci en appel. Je ne pense pas que l’on puisse invoquer ces arguments à ce stade-ci.

[97]           À l’évidence, ING cherche à préserver la créance de Canpotex envers OW UK au cas où la Cour déciderait que les fonds doivent être versés à MP. À mon avis, ce pont-là a déjà été franchi. ING a déjà admis que la Cour devrait trancher la question de la répartition des fonds, conformément à la procédure d’entreplaiderie que prévoit l’article 108 des Règles. Selon moi, cette admission comporte forcément le fait de concéder que la présente instance se prête à une entreplaiderie au sens de l’article 108 des Règles.

[98]           Si j’ai tort sur ce point, je conclus dans ce cas, subsidiairement, que les faits et la jurisprudence applicable étayent la position de Canpotex, à savoir que la présente affaire se prête bien à une entreplaiderie.

[99]           ING dit que la présente affaire ne se prête pas à une entreplaiderie, parce qu’il y est question de multiples réclamations découlant de multiples obligations et que, en particulier, MP n’a pas de réclamation directe contre Canpotex, qui a déposé les fonds.

[100]       Je pense que les faits et les réalités juridiques dont je suis saisi dénotent le contraire. Il n’existe pas de réclamations concurrentes à l’égard de la totalité des fonds; MP et ING réclament toutes deux une partie des fonds qui représentent la créance à payer à MP pour le combustible que cette dernière a fourni aux navires. Il s’agit d’une créance à l’égard de laquelle, comme nous le verrons plus loin, Canpotex et OW UK sont toutes deux solidairement responsables. Si Canpotex paye cette créance à MP à même les fonds, il s’agira dans ce cas d’une dette qu’OW UK n’aura pas à payer. Par voie de conséquence juridique, OW UK et ING ne peuvent pas forcer Canpotex à payer à OW UK un montant identique à la créance qui a été acquittée. Une partie des fonds représente également la somme que Canpotex doit à OW UK aux termes des accords du 22 octobre 2014 (lesquels envisageaient tous deux que MP serait le fournisseur physique) pour les services d’OW UK, ce qui signifie, en fait, la marge bénéficiaire qui revient à OW UK pour avoir trouvé MP et fait affaire avec elle. Si l’on paie MP à partir des fonds, cela veut dire qu’OW UK et ING n’auront payé de leur poche que la marge bénéficiaire. La réalité est qu’OW UK et ING tentent d’obtenir le remboursement d’une somme d’argent qu’elles n’ont pas payée et qu’elles ne paieront jamais. Il s’agit d’une somme d’argent dont Canpotex et OW UK étaient solidairement responsables, conformément aux conditions par lesquelles MP a convenu de fournir le combustible aux navires.

[101]       S’il n’y avait pas eu de faillite et si OW UK avait informé Canpotex qu’aux termes de l’accord de fourniture du combustible, elle avait le droit de ne pas payer à MP le prix d’achat et de réclamer quand même la totalité du montant à Canpotex, y compris la partie « prix d’achat », je ne pense pas que l’une ou l’autre des parties aurait dit que cela reflétait leur compréhension mutuelle de l’accord qu’elles avaient conclu. Je n’ai en main aucune preuve qu’OW UK a déjà fait des affaires sur ce fondement avec Canpotex ou un autre client. À mon avis, la faillite ne peut changer cette compréhension et cette entente mutuelles, et ING ne peut pas maintenant, en fait, réclamer un gain fortuit pour une chose qu’elle n’a pas faite en vertu des ententes contractuelles qui lient Canpotex et OW UK.

[102]       ING dit que Canpotex s’est mise dans une situation de double péril dans la présente affaire parce qu’elle a décidé de faire des affaires par l’entremise d’OW UK au lieu de transiger directement avec MP, le fournisseur physique du combustible. Je ne crois pas que Canpotex ou OW UK entendaient mener leurs affaires d’une manière qui mettrait Canpotex dans une telle situation. À mon avis, je n’ai en main aucune preuve à l’appui de cette position et cela n’aurait pas été dans l’intérêt de l’une ou l’autre des parties. Cela est bien sûr dans l’intérêt d’ING, mais cet intérêt est nettement différent de celui qu’avaient Canpotex ou OW UK lorsqu’elles ont fait affaire l’une avec l’autre pour approvisionner les navires en combustible. ING ne peut insérer ses intérêts actuels comme un guide qui déterminerait les conditions contractuelles en litige. ING poursuit ses droits à titre de créancière.

[103]       L’entreplaiderie que prévoit l’article 108 des Règles s’applique dans les cas où « deux ou plusieurs personnes font valoir des réclamations contradictoires contre une autre personne à l’égard de biens qui sont en la possession de celle-ci […] ». MP et ING tentent d’obtenir la part des fonds qui représente l’argent dû à MP pour la livraison du combustible aux navires. À mon avis, il s’agit là de réclamations contradictoires. Je souscris ici aux propos du juge Forbes dans l’affaire Dantata, précitée :

[traduction] La véritable position, tant en droit que logiquement, est que […] il est nécessaire d’examiner les deux réclamations afin de vérifier si leur objet est le même et, s’il est conclu que oui, il est possible que la procédure d’entreplaiderie puisse convenir.

[104]       Je suis d’avis que, dans la présente affaire, les ententes contractuelles qu’ont conclues Canpotex, OW UK et MP en vue de la fourniture de combustible aux navires font en sorte que l’objet des réclamations concurrentes de MP et d’ING est le même. Toutes disent avoir droit à la part des fonds qui représente le montant que MP demande pour la fourniture de combustible aux navires.

[105]       La jurisprudence applicable dont nous disposons sur ce point dénote ce qui suit :

a)      une entreplaiderie requiert la présence d’un intervenant neutre, n’ayant aucun intérêt bénéficiaire dans le bien ou les fonds qui sont exposés au risque de faire l’objet de deux réclamations contradictoires à leur encontre, en tout ou en partie. Voir l’ouvrage British Columbia Practice, précité;

b)      les réclamations contradictoires peuvent viser la totalité, ou une partie seulement, du bien ou des fonds. Voir l’affaire Hoffman Brothers Ltd, précitée;

c)      les réclamations contradictoires peuvent résulter de causes d’action différentes. Voir la décision Savage, précitée;

d)     la justice exige que l’on recoure à la procédure.

[106]       ING a cité diverses décisions émanant de ressorts différents et qui, du fait de leurs situations factuelles précises, ou de contextes juridiques différents, n’aident pas selon moi à interpréter l’article 108 des Règles. Le droit et le bon sens m’amènent tous deux à penser que l’objet des présentes réclamations est le même, et que la justice exige que l’on recoure à la procédure d’entreplaiderie afin de veiller à ce que Canpotex n’ait pas à payer deux fois le combustible que MP a fourni aux navires, et qu’ING ne bénéficie pas d’un gain fortuit auquel OW UK n’avait pas droit par contrat.

[107]       Dans des observations supplémentaires présentées après l’audition de la présente affaire, ING a attiré l’attention de la Cour sur les décisions récentes de la juge Caproni, de la Cour de district des États-Unis pour le District Sud de New York, soit UPT Pool Ltd et al c Dynamic Oil Trading (Singapore) Pte Ltd et al (SDNY, 21 juillet 2015) [UPT Pool] et du juge Chong, soit Precious Shipping Public Co Ltd et al c OW Bunker Far East (Singapore) Pte Ltd, [2015] SGHC 187 [Precious Shipping].

[108]       Pour ce qui est de la décision UPT Pool, je souscris à l’argument d’ING selon lequel les propos de la juge Caproni dans l’ordonnance du 21 juillet étaient essentiellement une opinion incidente. Cependant, comme je ne me suis pas fondé sur ces propos dans mes motifs, les précisions que la juge Caproni a plus tard formulées sur l’importance de son ordonnance du 21 juillet n’ont pas d’incidence sur mes conclusions.

[109]       Pour ce qui est de la décision Precious Shipping, je prends note des motifs invoqués par le juge Chong pour rejeter la procédure d’entreplaiderie dans cette affaire, mais ils ne convainquent pas que la réparation que prévoit l’article 108 des Règles dans un contexte canadien doit être refusée parce que, comme nous le verrons plus loin, il me semble que l’article 139 de la LRM procure à MP un privilège maritime dans les circonstances de l’espèce et que les droits respectifs, et les responsabilités respectives, de Canpotex, MP et OW UK sont définis de manière assez détaillée dans les conditions contractuelles qui régissaient la fourniture du combustible aux navires. Dans les présentes circonstances, Canpotex est confrontée à la fois à des réclamations in personam contractuelles ainsi qu’à des revendications de privilège maritime qui découlent de la même opération de fourniture de combustible que celle que MP a menée. Dans la décision Precious Shipping, les fournisseurs physiques du combustible n’avaient pas d’arguments en faveur d’une réparation à l’encontre des acheteurs du combustible sous le régime des lois de Singapour.

B.                 L’affidavit de Mortensen

[110]       MP a demandé à la Cour de radier les paragraphes 7 à 13 de l’affidavit du 17 mars 2015 de M. Mortensen au motif qu’ils contiennent des opinions et du ouï-dire. ING dit que les paragraphes 9 et 10 de l’affidavit [traduction« se situent à la limite » mais aussi qu’elle ne cherche pas à s’y fier. Elle ajoute que le reste de l’affidavit de M. Mortensen est soumis à bon droit à la Cour.

[111]       L’article 81 des Règles des Cours fédérales est libellé en ces termes :

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

[112]       La requête dont il est question en l’espèce est déposée en vertu des articles 108, 64 et 216 des Règles, de sorte que nous avons affaire à un jugement sommaire.

[113]       M. Mortensen déclare dans son affidavit (au paragraphe 6) :

[traduction] OWST a signé les conditions générales d’un contrat à prix fixe avec Canpotex Shipping Services Limited (Canpotex) le 14 février 2014 (l’entente à prix fixe ou l’EPF), relativement à la fourniture de combustible de soute à des navires possédés et/ou gérés par Canpotex. Je n’ai pas pris part à la négociation de cette entente, mais mes fonctions de chef du Service du soutien à la qualité d’OWBT m’obligent à avoir connaissance des ententes de fourniture de combustible qui s’appliquent à tous les bureaux d’OWB ainsi que les politiques internes de ces derniers. Grâce à l’expérience acquise dans le cadre de ces fonctions, je connais bien l’EPF qu’OWST et Canpotex ont conclue et je suis en mesure de faire des commentaires sur l’objet de cette entente et ses conditions, dans la mesure où je le fais dans le présent affidavit.

[114]       M. Mortensen dit ne pas avoir pris part aux négociations qui se rapportaient à la question qui m’est soumise, soit la détermination des conditions destinées à régir la fourniture de combustible aux navires. Comme cette question se situe au cœur de celle de la répartition des fonds qui m’a été soumise, M. Mortensen dit dans son affidavit fort peu de choses qui sont susceptibles d’aider la Cour. Le paragraphe 8 de l’affidavit ne me pose aucun problème car il y est question de l’expérience personnelle de M. Mortensen auprès du Groupe OWB, mais il ne me dit réellement rien d’utile pour cerner les faits importants qui sous-tendent le présent litige ainsi que le droit aux fonds. De plus, je ne vois rien de controversé dans le paragraphe 7, même si M. Mortensen ne nous dit pas comment il se fait qu’il le sait et, de toute façon, cela n’aide pas la Cour à déterminer quelles étaient les conditions contractuelles qui régissaient la fourniture de combustible aux navires.

[115]       À mon avis, les paragraphes 9 à 13 de l’affidavit de Mortensen sont tout à fait inappropriés en ce sens qu’ils ne constituent rien de plus qu’une opinion non corroborée sur la question même que la Cour est maintenant appelée à trancher : [traduction« On m’a demandé d’indiquer si les clauses de l’EPF conclue avec Canpotex s’appliquaient aux contrats. Ce n’était pas le cas. » Cette opinion catégorique n’énonce pas la totalité des faits qui sont nécessaires pour le faire et, en tout état de cause, elle dit simplement à la Cour quelles sont les conclusions qu’elle devrait tirer. Ce genre d’opinion est inadmissible selon l’article 81 des Règles parce que la Cour n’est pas restreinte aux faits dont M. Mortensen avait une connaissance personnelle. Le mieux que l’on puisse dire c’est que l’affidavit de M. Mortensen est fondé uniquement sur ce qu’il croit, mais le paragraphe 81(2) dit que lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables. Les dispositions contractuelles qui sont pertinentes dans le présent litige ont été négociées par M. Keith Ball pour Canpotex (M. Ball a témoigné) et des représentants du Groupe OW, dont aucun n’a témoigné dans la présente instance. En particulier, M. Ball indique clairement dans son affidavit du 23 mars 2015 (au paragraphe 9) qu’il a fait affaire avec M. Robert Preston au sujet de la question cruciale de savoir quelles conditions viseraient la totalité des achats de combustible que Canpotex ferait auprès du Groupe OW :

[traduction] Canpotex croyait comprendre que le contrat, et plus précisément les clauses, engloberaient la totalité des achats de combustible de Canpotex auprès du Groupe OW, y compris les transactions à prix fixe et les achats au comptant. Canpotex n’aurait pas signé le contrat si les clauses mentionnées ne s’appliquaient pas à des achats au comptant, et elle l’a clairement fait comprendre à OW UK lors de ses discussions avec Robert Preston.

[116]       La Cour n’a en main aucun affidavit de M. Preston ou d’un autre membre du Groupe OW ayant pris part aux négociations relatives aux clauses contractuelles qui sont en litige dans la présente instance. De plus, personne ne m’a expliqué pourquoi ING n’a pas fourni une preuve directe sur les clauses contractuelles qui émanerait d’une personne pouvant en parler. Cela étant, je crois qu’il me faut non seulement radier les paragraphes 9 à 13 de l’affidavit de Mortensen, mais aussi tirer une inférence défavorable du fait qu’ING n’a pas fourni une preuve directe émanant d’un membre du Groupe OW qui avait pris part à la négociation des conditions d’approvisionnement avec M. Ball.

C.                 L’article 216 des Règles

[117]       Aucune des parties ne conteste que la présente affaire se prête bien à la tenue d’un procès sommaire au sens de l’article 216 des Règles, et la Cour est d’avis que les conclusions de fait qui sont nécessaires pour arriver à une décision sont aisément vérifiables.

[118]       Aux termes de l’article 216 des Règles des Cours fédérales, un juge doit rendre jugement s’il est en mesure de déterminer les faits pertinents comme il le ferait lors d’un procès, peu importe la complexité de l’affaire ou la présence de preuves contradictoires, sauf s’il serait injuste de le faire. La Cour doit tenir compte des facteurs suivants (décision Inspiration Management, précitée, aux paragraphes 48 et 53) : le montant en cause, la complexité de l’affaire, son urgence, le préjudice qu’un délai serait susceptible de causer, ce qu’il en coûterait, par rapport au montant en cause, pour faire avancer l’affaire à un procès classique, le déroulement de l’instance, de même que toutes les autres questions qui peuvent être examinées.

[119]       À mon avis, je dispose de preuves suffisantes pour trancher la présente affaire de manière sommaire. Ce qu’il en coûterait pour soumettre l’affaire à un procès complet, compte tenu des montants en cause, donne également à penser qu’il y a lieu de la trancher de manière sommaire. Il y a aussi une certaine urgence, en ce sens qu’il est nécessaire de déterminer la répartition des fonds le plus rapidement possible de façon à éviter les frais associés au maintien de la fiducie.

D.                L’admissibilité aux fonds

1)                  Les conditions régissant la fourniture de combustible aux navires

a)                  L’accord entre Canpotex et OW

[120]       Il s’agit de l’essentiel du litige. L’affidavit de M. Ball, souscrit pour le compte de Canpotex, confirme la chronologie générale des faits qui suit :

a)      en date du 14 février 2014, Canpotex et OW Trading ont conclu un contrat énonçant une série de conditions générales concernant l’achat périodique de combustible par Canpotex, auprès d’OW Trading, pour des navires affrétés par Canpotex. Le contrat a en fait été signé en juin 2014. Cependant, en date du 14 février 2014, les parties avaient souscrit à toutes les conditions;

b)      les négociations relatives au contrat ont été menées par M. Ball, pour le compte de Canpotex, et MM. Robert Preston et Serge Laureau, pour le compte du Groupe OW. M. Preston était le directeur général d’OW UK, et M. Laureau était membre d’OW Trading. M. Preston était chargé de tous les achats au comptant, tandis que M. Laureau assumait la responsabilité des ententes à prix fixe concernant les livraisons futures;

c)      les négociations relatives au contrat ont duré de 2012 à février 2014. Lors de ces dernières, MM. Ball et Preston ont convenu que l’annexe 3 du contrat, qui portait sur les conditions générales (CG) régissant les livraisons de combustible, s’appliquait à la fois aux achats au comptant et aux accords à prix fixe;

d)     les CG comprenaient ce qui suit :

                                i.            la clause H.1 de l’annexe 3 prévoit que le titre de propriété du combustible de soute livré continuera d’appartenir au vendeur jusqu’à ce que ce dernier ait reçu le paiement intégral de tous les montants à payer en lien avec la livraison respective;

                              ii.            la clause H.5 de l’annexe 3 prévoit que le vendeur détient un privilège sur le combustible livré et qu’il peut saisir ou grever le navire auquel le combustible a été fourni et/ou tout navire-jumeau ou bien de l’acheteur;

                            iii.            la clause L.4 de l’annexe 3 prévoit que les conditions du contrat peuvent être modifiées dans les cas où c’est une tierce partie qui s’occupe de la fourniture physique du combustible. Dans ces cas, les conditions du contrat sont modifiées et l’acheteur est réputé avoir lu et accepté les conditions imposées par le tiers vendeur;

e)      le 3 octobre 2014 ou aux environs de cette date, Canpotex a conclu une entente par laquelle elle a convenu d’un affrètement à temps pour le navire, le MV Star Jing. Cette charte-partie prévoyait, au paragraphe 2, que Canpotex paierait la totalité du combustible et, au paragraphe 18, qu’elle n’autoriserait l’enregistrement d’aucun privilège sur le navire;

f)       le 7 octobre 2014 ou aux environs de cette date, Canpotex a conclu une entente par laquelle elle a convenu d’un affrètement à temps pour le navire, le MV Ken Star. Cette charte-partie prévoyait, au paragraphe 2, que Canpotex paierait la totalité du combustible et, au paragraphe 18, qu’elle n’autoriserait l’enregistrement d’aucun privilège sur le navire;

g)      le 22 octobre 2014 ou aux environs de cette date, Canpotex a commandé du combustible à OW UK pour qu’il soit livré au MV Ken Star. La confirmation de la commande d’OW UK qui est liée aux paragraphes susmentionnés est annexée en tant que pièce « B » au premier affidavit de M. Ball. Ce document indique que le fournisseur physique serait MP;

h)      le 22 octobre 2014 ou aux environs de cette date, Canpotex a commandé du combustible à OW UK pour qu’il soit livré au MV Star Jing. La confirmation de la commande d’OW UK qui est liée aux paragraphes susmentionnés est annexée en tant que pièce « C » au premier affidavit de M. Ball. Ce document indique que le fournisseur physique serait MP;

i)        le combustible susmentionné a été commandé uniquement à la demande de Canpotex, et non à la demande, ou pour le compte, des propriétaires enregistrés et/ou cédants des navires;

j)        les confirmations de commande sous-jacentes, de MP à OW UK, font partie de la pièce « D » jointe au premier affidavit de M. Ball. Ces confirmations indiquent ce qui suit :

[traduction] La présente vente est assujettie aux conditions standards de Marine Petrobulk, révisées en mai 2013 et, par la présente, incorporées intégralement dans la présente confirmation. (Ces conditions standards sont appelées ci-après « CS ».)

k)      les CS de MP ont été transmises par MP à OW UK. Cependant, OW UK ne les a pas portées à l’attention de Canpotex. Les CS de MP ont tout d’abord été remises à Canpotex par l’avocat de MP le 22 décembre 2014;

l)        le 27 octobre 2014 ou aux environs de cette date, conformément aux commandes susmentionnées, et pendant que les deux navires étaient affrétés par Canpotex, MP a fourni le combustible destiné aux navires à Vancouver;

m)    les 28 et 29 octobre 2014, respectivement, MP a facturé à OW UK le combustible fourni aux navires, comme suit :

                                i.            372 300,00 $ US pour le MV Ken Star;

                              ii.            276 617,40 $ US pour le MV Star Jing;

n)      le 27 octobre 2014 ou aux environs de cette date, OW UK a facturé à Canpotex le combustible fourni par MP aux navires, comme suit :

                                i.            375 525,00 $ US pour le MV Ken Star;

                              ii.            278 968,15 $ US pour le MV Star Jing;

o)      les factures d’OW UK énoncent certaines conditions, dont celle que Canpotex devait payer OW UK avant le 26 novembre 2014;

p)      comme OW UK n’a pas payé les factures de MP, par une lettre datée du 22 décembre 2014 MP a exigé de Canpotex qu’elle paie la somme de 648 917,40 $ US pour le combustible fourni aux navires. MP a fait savoir qu’étant donné qu’elle détenait un privilège maritime sur ce combustible, elle ferait saisir les navires si Canpotex ne réglait pas ces factures. La lettre est jointe en tant que pièce « H » au premier affidavit de M. Ball;

q)      par un courriel daté du 8 janvier 2015, une mise en demeure a été présentée pour le compte des séquestres aux clients d’OW UK à l’égard de montants dus et exigibles pour du combustible. Le courriel indiquait que si le paiement n’était pas fait, les séquestres se réservaient le droit d’exercer tous les pouvoirs dont ils disposaient, dont la saisie des navires du client. Une copie de ce courriel est jointe en tant que pièce « I » au premier affidavit de M. Ball.

[121]       MP se fonde sur la preuve de M. Ball ainsi que sur l’affidavit de M. Anthony Brewster, président de MP, qui a été souscrit le 8 avril 2015, à l’appui des points suivants :

a)      le 22 octobre 2014, Giorgia, d’O.W. Bunkers, est entrée en contact avec MP, pour le compte d’OW UK semble-t-il, afin de demander si MP pouvait fournir du combustible à deux navires, le MV Ken Star (OMI no 9619593) et le MV Star Jing (OMI no 9644823), lesquels se trouveraient tous deux au port de Vancouver à la fin du mois d’octobre 2014;

b)      MP a répondu le même jour à Giorgia, d’O.W. Bunkers, pour confirmer les détails du « stem » prévu pour le combustible, y compris les quantités et le prix. Les deux confirmations indiquaient expressément que la vente était assujettie aux conditions standards de MP, révisées en mai 2013. Plus précisément, chaque confirmation prévoyait expressément ce qui suit :

[traduction] La présente vente est assujettie aux conditions standards de Marine Petrobulk, révisées en mai 2013, lesquelles sont par la présente incorporées intégralement à la présente confirmation. L’acceptation de la présente confirmation ainsi que des conditions standards de Marine Petrobulk est considérée comme finale, sauf si l’acheteur s’y oppose dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la présente confirmation.

c)      les conditions standards de MP comprennent, notamment, les suivantes :

[traduction]
1. DÉFINITIONS

« client » Désigne le client visé par chaque entente, y compris la ou les entités nommées dans la confirmation, conjointement avec le navire, son capitaine, ses propriétaires, exploitants, affréteurs et toute partie tirant avantage de la consommation du combustible de soute, de même que toute autre partie commandant ce dernier.

2. GARANTIE D’AUTORITÉ DU CLIENT

Le client, s’il n’est pas le propriétaire du navire, certifie expressément qu’il est pleinement habilité par le propriétaire du navire à agir pour le compte de ce dernier et du navire dans le cadre de la conclusion de la présente entente, et, en particulier, qu’il est autorisé par le propriétaire à conclure un contrat sur le crédit personnel du propriétaire et celui du navire. Pour la conclusion de la présente entente de fourniture de combustible au navire, le client est réputé posséder et contrôler le navire. Le client certifie par ailleurs qu’il a fait part ou fera part au propriétaire des dispositions de la présente clause ainsi que de la clause 10 des présentes. Si le combustible de soute est commandé par un mandataire, un gestionnaire ou un courtier, ce mandataire, ce gestionnaire ou ce courtier, ainsi que le mandant, seront liés par la totalité des obligations, et responsables de ces dernières, aussi pleinement et complètement que si le mandataire était lui-même le mandant, que ce dernier soit divulgué ou non, et que ce mandataire, ce gestionnaire ou ce courtier prétende conclure le contrat à titre de mandataire, de gestionnaire ou de courtier seulement ou non. Nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente entente, le mandant et le mandataire, le gestionnaire ou le courtier seront chacun réputés être un client pour les besoins de la présente entente, et tous seront solidairement responsables à titre de clients dans le cadre de chaque entente.

10. PRIVILÈGES

En convenant de fournir du combustible au navire ou au navire d’approvisionnement du client, Marine Petrobulk se fonde sur la reconnaissance du navire (ou du navire d’approvisionnement du client) ainsi que sur le crédit personnel du propriétaire du navire (ou du navire d’approvisionnement du client), lesquels ont tous deux été mis en gage par le client conformément au pouvoir qui lui a été conféré et qui est mentionné à la clause 2 des présentes. Le client reconnaît et convient que Marine Petrobulk détient et peut revendiquer un privilège maritime sur le navire ou le navire d’approvisionnement du client et qu’il peut engager toute autre action ou procédure à l’encontre du navire, du navire d’approvisionnement du client et de tout autre navire ou bien que le client possède ou contrôle, relativement à la totalité des sommes que le client devra à Marine Petrobulk. Cette dernière ne peut être liée par aucune tentative visant à restreindre ou à limiter son privilège ou à empêcher que celui-ci se rattache au navire, et, en particulier, aucune mention apparaissant sur le reçu de livraison du combustible ou tout document semblable ne peut annuler le privilège accordé par la présente. Marine Petrobulk est en droit de se fier à n’importe quelle disposition du droit de l’État du pavillon du navire, du lieu de livraison ou de l’endroit où se trouve le navire et, notamment, tirera pleinement avantage des règles locales accordant à Marine Petrobulk un privilège maritime sur le navire et/ou prévoyant le droit de saisir ce dernier. Aucune disposition de la présente entente ne peut être interprétée de manière à restreindre les droits ou les recours juridiques dont Marine Petrobulk dispose à l’encontre du navire ou du client dans un ressort quelconque.

16. APPLICABILITÉ, TOTALITÉ DE L’ENTENTE ET MODIFICATION

Chaque vente de combustible de soute sera assortie d’une confirmation. Celle-ci intégrera les conditions standards par voie de référence, et cette confirmation ainsi que les conditions standards constituent globalement la totalité de l’entente conclue entre les parties à l’égard de l’objet de l’entente et, sauf dans les cas précisés dans les présentes, elles annulent et remplacent toutes les autres négociations et ententes antérieures et contemporaines, faites de vive voix ou par écrit, entre elles, au sujet de l’objet de la présente. L’entente aura préséance, indépendamment de toute modification des conditions ou de toute reconnaissance ou de tout autre document transmis par le client. La présente entente ne peut être complétée, modifiée, annulée ou par ailleurs changée par le client, à moins d’une confirmation écrite de Marine Petrobulk. Tous les ajouts, suppressions ou révisions que Marine Petrobulk apportera de temps à autre aux conditions de la présente entente seront communiqués au client, et ce dernier est réputé souscrire à ces conditions révisées en acceptant la livraison du combustible de soute, à la suite d’un tel avis écrit de la part de Marine Petrobulk. En cas de conflit entre les conditions standards et les conditions de la confirmation, ce sont ces dernières qui prévaudront.

d)     des confirmations de commande ont été fournies par OW UK, et elles confirment l’acceptation du « stem » d’approvisionnement prévu pour les deux navires. Les confirmations ne s’opposent d’aucune manière aux conditions standards, auxquelles il est fait référence dans la confirmation citée ci-dessus;

e)      aucune opposition à l’application des conditions standards n’a été signifiée de la part ou pour le compte du Groupe de sociétés OW;

f)       aux termes de cette entente (c.-à-d. la fourniture de combustible conformément aux conditions standards), MP a livré du combustible aux navires, au port de Vancouver, le 27 octobre 2014 ou aux environs de cette date;

g)      après la livraison, par MP, du combustible aux navires, MP a facturé à OW UK le prix du combustible, soit la somme de 372 300,00 $ US pour le MV Ken Star, et de 276 617,40 $ US pour le MV Star Jing;

h)      par une lettre datée du 22 décembre 2014, MP a exigé de Canpotex qu’elle paie le montant de 648 917,40 $ US pour la fourniture de combustible aux navires. Étaient joints à cette lettre les factures, les confirmations de commande, les reçus de livraison et les conditions standards de MP;

i)        malgré cette demande, MP n’a reçu aucun paiement pour le combustible fourni au MV Ken Star ou au MV Star Jing;

j)        MP est une entreprise de la Colombie-Britannique;

k)      la fourniture de combustible aux navires a eu lieu dans le port de Vancouver, au Canada;

l)        les navires en question, le MV Ken Star ou le MV Star Jing, sont des navires appartenant à des intérêts étrangers et battant pavillon étranger. Le MV Ken Star est un navire battant pavillon libérien et dont la propriété est contrôlée en Grèce. Le MV Star Jing est un navire battant pavillon singapourien et dont la propriété est contrôlée à Singapour;

m)    aucune des sociétés du Groupe OW n’a payé le combustible que MP a fourni.

[122]       ING est d’avis que la fourniture, par MP, du combustible aux navires était régie par les conditions standards régissant la vente de combustible de soute du Groupe OW Bunker (édition 2013), et ce, d’après les faits et les arguments qui suivent :

a)      en octobre 2014, Canpotex a passé auprès d’OW UK deux commandes de fourniture de combustible au MV Star Jing et au MV Ken Star;

b)      OW UK a confirmé ces commandes au moyen de confirmations de commande (les confirmations), lesquelles sont les pièces B et C, respectivement, auxquelles il est fait référence dans l’affidavit no 1 de Keith J. Ball, établi le 29 janvier 2015 (l’affidavit no 1 de Keith Ball);

c)      les confirmations précisent que la fourniture de combustible aux termes des confirmations est régie par les conditions standards de vente de combustible de soute, édition 2013, du Groupe OW Bunker (les conditions 2013 d’OWB). Les conditions 2013 d’OWB sont jointes en tant que pièce A à l’affidavit de Claus Mortensen, établi le 17 mars 2015 (l’affidavit de Claus Mortensen);

d)     OW UK a conclu un contrat séparément avec la défenderesse, MP, en vue de répondre à cette commande. MP a fourni aux navires le combustible qui avait été commandé;

e)      OW UK a facturé à Canpotex le combustible livré aux navires. Des copies de ces factures sont jointes en tant que pièce E à l’affidavit no 1 de Keith Ball (les factures d’OW). De la même façon, MP a facturé à OW UK le combustible livré aux navires;

f)       d’après les courriels que se sont échangés entre M. Ball et un représentant du Groupe OW, il est évident que Canpotex avait bel et bien exprimé le souhait, lors des négociations de l’EPF, qu’une seule série de conditions s’applique à la fois aux achats au comptant et aux achats visés par l’EPF;

g)      il est également évident que le Groupe OW n’était pas disposé à ce qu’une seule série de conditions s’applique à la fois aux achats au comptant et aux achats effectués dans le cadre de l’EPF – et qu’elle l’a fait savoir à Canpotex;

h)      rien dans l’EPF ne rend cette dernière applicable, à première vue, aux achats au comptant;

i)        lors du contre-interrogatoire sur ses affidavits, il a été demandé à M. Ball de produire des documents montrant que le Groupe OW n’avait jamais changé d’avis par rapport à celui qui était énoncé dans les courriels que les parties s’étaient échangés. Aucun document de cette nature n’a été produit;

j)        contrairement à ce qu’on laisse entendre dans le mémoire de Canpotex (au paragraphe 61), le fait qu’OW UK ait renvoyé Canpotex, dans sa confirmation de commande, aux conditions applicables qui étaient affichées dans son site Web, lesquelles, pensait-on, étaient les mêmes que celles que, d’après OW UK, « vous connaissez bien et que vous avez en main » donne à penser que c’était ces conditions-là (celles qui étaient affichées) qui s’appliquaient, et non celles qui étaient jointes en tant qu’annexe 3 à l’EPF.

[123]       Comme l’indiquent clairement les faits et les affirmations qui précèdent, la question cruciale qui se pose ici est celle de savoir si Canpotex et le Groupe OW ont jamais convenu que l’annexe 3 du contrat, qui porte sur les conditions générales, s’appliquerait aux livraisons de combustible qui étaient des achats au comptant (ce qui était le cas des deux livraisons en litige) ainsi qu’aux ententes à prix fixe.

[124]       ING admet que les courriels que ce sont échangés M. Ball et des représentants du Groupe OW montrent que Canpotex voulait qu’une seule série de conditions s’applique à la fois aux achats au comptant et aux ententes à prix fixe, mais elle dit que le Groupe OW s’y est opposé et qu’aucune entente à cet effet n’a jamais été conclue. Je pense qu’ING a raison quand elle fait remarquer que Canpotex n’a produit aucun document qui donne à penser que le Groupe OW a changé d’avis et a convenu que les conditions générales négociées pour l’entente à prix fixe s’appliqueraient aussi aux achats au comptant. Cependant, il existe une preuve orale que cela a bel et bien eu lieu.

[125]       La preuve relative à une telle entente vient de M. Ball. Dans son affidavit du 23 mars 2015, ce dernier émet l’opinion suivante :

[traduction]
5. En 2001 ou aux environs de cette date, Canpotex a commencé à acheter du combustible de soute du Groupe OW. Depuis 2002, Canpotex passe exclusivement ses commandes de combustible auprès d’OW UK.

6. En juin 2012 ou aux environs de cette date, Canpotex a commencé à négocier avec le Groupe OW en vue de mettre la dernière main au contrat, le but étant, notamment, d’obtenir une entente englobant la totalité des affaires menées par Canpotex avec le Groupe OW, dont des achats de combustible de soute à prix fixe et au comptant.

7. Le contrat est basé sur diverses négociations entre Canpotex et des représentants du Groupe OW, y compris, à la fois, OW UK, O.W. Risk Management et OW Trading entre juin 2012 et février 2014. La négociation du contrat comportait spécifiquement des révisions aux conditions standards du Groupe OW concernant la vente de combustible de soute (les « conditions »). Une copie des conditions est jointe au contrat, en tant qu’annexe 3. Le contrat est le seul document de nature contractuelle qui existe entre le Groupe OW et Canpotex.

8. Après la signature du contrat, Canpotex a passé la totalité de ses commandes de combustible de soute auprès d’OW UK par l’entremise de son représentant, Robert Preston, directeur général, et de Giorgia Franchini, négociante en combustible. D’après ce que j’ai compris, et je crois sincèrement que c’est la vérité, ces deux dernières personnes se sont occupées du compte de Canpotex auprès du Groupe OW.

9. Canpotex était d’avis que le contrat, et plus précisément les conditions, engloberaient la totalité des achats de combustible de Canpotex auprès du Groupe OW, y compris les achats à prix fixe et au comptant. Canpotex n’aurait pas conclu le contrat si les conditions qui y figuraient ne s’appliquaient pas aux achats au comptant, et elle l’a clairement fait savoir à OW UK lors de ses discussions avec Robert Preston.

[126]       M. Ball a été contre-interrogé sur ces questions cruciales. Comme l’illustre la transcription du contre-interrogatoire, Me Milman, l’avocat représentant ING, interroge M. Ball de manière exhaustive sur les paragraphes susmentionnés, tirés de son affidavit. Le dossier n’est pas tout à fait satisfaisant car, comme Me Milman le fait remarquer à maintes reprises, nous n’avons aucune confirmation écrite que le Groupe OW a convenu que l’annexe 3 s’appliquerait aux achats au comptant et, en particulier, à ceux qui font l’objet de la présente instance. Quoi qu’il en soit, M. Ball soutient, de manière catégorique et cohérente, que M. Preston d’OW UK et lui ont convenu que l’annexe 3 s’appliquerait au combustible que MP fournirait aux navires.

[127]       Les passages suivants, extraits de la transcription, portent sur ce point :

[traduction]

Q      J’essaie de bien saisir ces courriels parce que, ce que j’en retire, et corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que vous avez évoqué la question avec OW, c’est-à-dire que vous vouliez que les conditions de votre entente à prix fixe s’appliquent à toutes les ventes, y compris celles au comptant. Et ils ont répondu : ce n’est pas ce que nous voulons faire; est-ce exact?

R      Nous voulions que les conditions générales du contrat à prix fixe couvrent également nos ventes au comptant, pas l’annexe de soutien au crédit ou pas les conditions générales concernant les achats à prix fixe, juste que l’annexe 3 s’applique à la fois aux achats au comptant et, comme l’annexe 3, dans le contrat à prix fixe.

Q      Je vois. Ce n’était donc qu’une partie de l’accord à prix fixe qui allait s’appliquer aux ventes au comptant?

R      C’est exact. Pas l’entente tout entière, non.

Q      Y avait-il quelque chose d’autre que l’annexe 3?

R      Non, parce que le reste de l’entente ne s’appliquait qu’au prix fixe, mais l’annexe 3 et ce que sont les conditions générales régissent la livraison proprement dite du combustible, ce qui est la raison pour laquelle nous voulions qu’elle couvre – qu’elle s’applique dans les deux cas, parce que, qu’il s’agisse d’une entente d’achat au comptant ou d’une entente à prix fixe, il y a quand même un élément de livraison du combustible et c’est cela que régissent en réalité les conditions générales, et c’est pour cela que c’était important pour nous.

Q      Donc, la différence que vous aviez avec OW à l’époque était que vous vouliez que les conditions de l’annexe 3 s’appliquent à la fois à vos ventes à prix fixe et à vos ventes au comptant?

R      C’est exact.

Q      Et dans les courriels que nous sommes en train d’examiner, ils ont dit non?

R      Au départ ils ont dit non, c’est exact.

Q      Très bien. Et vous avez dit qu’ils vous ont relancé plus tard après ces courriels et qu’ils ont dit quelque chose d’autre?

R      C’est exact.

Q      Et il s’agissait de M. Preston, de vive voix?

R      Je sais pertinemment que j’ai eu des discussions avec M. Preston à ce sujet parce que nous avons finalement présenté nos modifications et qu’ils les ont présentées à leurs – ces modifications à leurs avocats externes, un cabinet appelé Plesner à Copenhague. Ces avocats nous ont renvoyé un courriel disant qu’ils ne pouvaient pas changer les conditions des ventes à prix fixe et j’ai envoyé à Robert un courriel disant :

Cela fait plusieurs mois maintenant que nous parlons de cette question, la question était réglée et, maintenant, je reçois ce courriel qui dit, après plusieurs mois, maintenant nous ne pouvons pas le faire.

Q      Oui.

R      Et il a répondu qu’il allait en parler au groupe de gestion de risques.

Q      Oui. Et ensuite que s’est-il passé?

R      Ils ont finalement souscrit à nos modifications.

Q      Avez-vous reçu – sous quelle forme avez-vous entendu parler de cette entente? Avez-vous reçu un courriel?

R      Eh bien, nous avons l’entente signée.

Q      Mais, à votre avis, l’entente est-elle claire à ce sujet?

R      Eh bien, il est clair que l’entente finale indique quelles modifications y ont été incluses.

Q      Dans vos achats à prix fixe, est-ce exact?

R      À l’annexe 3.

Q      Oui. Mais cela fait partie d’une entente à prix fixe. C’est à cela que je veux en venir. D’où vous est venue l’idée que le groupe OW a accepté que l’annexe 3 s’applique aux achats au comptant?

R      Lors de mes discussions avec Robert Preston.

Q      Très bien. Cela n’est mis par écrit nulle part, pour autant que vous le sachiez?

R      Je n’ai rien – il m’est impossible de vous fournir quoi que ce soit.

Q      Pensez-vous qu’elle se trouve dans l’entente à prix fixe, cette idée?

R      Qu’elle couvrirait à la fois les achats au comptant et…

Q      Oui.

R      Dans l’entente à prix fixe elle-même?

Q      Oui.

R      Non, pas que je sache.

Q      Est-il possible que vous vous trompiez à ce sujet? À propos de ce que M. Preston vous a dit?

R      Non.

[…]

Q      Est-il possible, M. Ball, que ce qui s’est passé ici c’est que cette méprise existait depuis le tout début?

R      Non. C’est impossible.

Q      Vous pensez que M. Preston vous a clairement indiqué que votre annexe 3 s’appliquerait à vos achats au comptant?

R      Oui.

[…]

Q      Paragraphe 9 :

Canpotex croyait comprendre que le contrat et, spécifiquement, les conditions engloberaient la totalité des achats de combustible de Canpotex auprès du groupe OW, y compris les transactions à prix fixe et les achats au comptant.

Et je m’arrête ici et je vous demande, vous dites que c’était ce que vous compreniez, mais pouvez-vous dire si, à votre avis, c’était ce que comprenait OW ou pas?

R      Au moment de la signature du contrat?

Q      Oui.

R      Oui.

Q      Et comment le savez- vous?

R      Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai eu un certain nombre de discussions avec Robert Preston sur le sujet.

Q      Très bien.

R      Parce que, comme je l’ai dit, dès le départ, il n’était pas – il n’était pas logique pour nous d’avoir deux séries de conditions qui englobaient essentiellement le même type de transaction, c’est-à-dire la livraison du combustible. La partie prix fixe de cette opération était différente, par opposition aux achats au comptant, mais la livraison proprement dite du combustible, c’est réellement à cela que s’appliquent les conditions générales. De notre point de vue donc, il n’était pas logique d’avoir une série de conditions qui s’appliquaient aux achats au comptant et une série différente de conditions qui s’appliquaient à la livraison dans le cadre d’une entente à prix fixe.

Q      Et pourquoi n’était-ce pas logique pour vous?

R      Parce que nous faisons affaire avec la même entité et nous faisions affaire avec un certain nombre de marchés, de pays, différents.

Q      Oui, mais n’aurait-il pas été possible d’avoir des conditions différentes pour vos achats au comptant et vos achats à prix fixe?

R      Cela aurait été possible, mais cela n’aurait pas été logique pour nous.

Q      Pourquoi?

R      Pour les raisons que je viens tout juste de donner.

[…]

Q      Vous dites donc que vous n’auriez jamais eu cette discussion sur une entente à prix fixe et signé un contrat sans être bien sûr que les conditions de l’annexe 3 s’appliqueraient aussi à vos achats au comptant?

R      Nous insistions pour dire que les modifications à l’annexe 3 s’appliquaient aussi à nos ventes au comptant.

Q      Je suppose qu’il s’agissait là, pour vous, de l’un des aspects les plus importants de cette entente?

R      Je ne sais pas quel degré d’importance y accorder, mais c’était le cas, car la majeure partie de nos activités se faisaient au comptant, c’était, pour nous, assez important.

Q      Et pourtant vous ne l’avez pas mis par écrit?

R      Je ne peux pas dire si je l’ai fait ou pas. Il m’est impossible de vous fournir quelque chose qui montrerait que je l’ai fait ou pas.

Q      Vous ne vous souvenez pas d’avoir mis cela par écrit?

R      Je ne m’en souviens pas.

[…]

Q      Vous m’excuserez, peut-être que je vous ai mal compris. Je parle maintenant des transactions que nous venons tout juste d’examiner, celles qui sont confirmées aux annexes B et C.

R      Oui.

Q      Et c’est là l’objet de la présente affaire et je pense que vous avez convenu avez moi que ces questions ne sont pas visées par le libellé de la clause 1.1, celle que nous examinions. N’étaient-elles pas destinées à être visées par ce paragraphe?

R      Eh bien, jamais il n’a été prévu qu’il s’agirait d’achats à prix fixe.

Q      Très bien. Il s’agit d’achats au comptant?

R      C’est exact.

Q      Mais ensuite vous avez commencé à dire quelque chose au sujet de l’annexe 3, n’est-ce pas? Et c’est sur cela que je vous interrogeais. Comment faites-vous le lien, du moins dans ce document, entre l’annexe 3 et les livraisons au Star Jing et au Ken Star dont nous parlons? Comment peut-on savoir que la série de conditions de l’annexe 3 s’appliquait à ces livraisons?

R      Nous avions convenu – des conditions générales qui s’appliqueraient aux ventes au comptant.

Q      Vous et M. Preston?

R      Oui.

Q      Y avait-il quelqu’un d’autre qui était au courant de cela, à vote connaissance?

R      Je ne saurais le dire.

[128]       Il me semble que la situation n’est pas tout à fait satisfaisante, mais M. Ball indique clairement qu’il avait l’accord de M. Preston et d’OW que les deux achats au comptant faits auprès de MP, ceux qui font l’objet de la présente affaire, seraient assujettis, notamment, à l’annexe 3. ING a contre-interrogé M. Ball en détail sur ce point et, à mon avis, il a répondu de manière claire aux doutes qu’on lui soumettait. Me Milman lui a demandé s’il se trompait peut‑être, et il a expliqué pourquoi ce n’était pas le cas. En revanche, ING n’a produit aucune preuve de la part d’une personne qui avait pris part aux négociations – notamment M. Preston – qui montrait qu’il s’était trompé. Même sans tirer de conclusions défavorables au sens du paragraphe 81(2) des Règles, je crois qu’il me faut conclure au vu du dossier qui m’est soumis, selon la norme civile qui s’applique en l’espèce, que les achats de combustible en litige étaient assujettis à l’annexe 3 des conditions générales, et que cette même annexe s’appliquait aux livraisons effectuées à la fois dans le cadre d’ententes à prix fixe et d’achats au comptant. Les conclusions défavorables étayent cette conclusion mais, à strictement parler, elles ne sont pas nécessaires.

[129]       Les principales conséquences de cette conclusion sont que, conformément à l’annexe 3 :

a)      la clause H.1 prévoit que le titre de propriété du combustible de soute livré continuera d’appartenir au vendeur jusqu’à ce que ce dernier ait reçu le paiement intégral de tous les montants à payer en lien avec la livraison respective;

b)      la clause H.5 prévoit que le vendeur détient un privilège sur le combustible livré et qu’il peut saisir ou grever le navire auquel le combustible a été fourni et/ou tout navire-jumeau ou bien de l’acheteur;

c)      la clause L.4 prévoit que les conditions des contrats conclus entre Canpotex et OW UK peuvent être modifiées dans les cas où c’est une tierce partie qui s’occupe de la fourniture physique du combustible. Dans ces cas, les conditions de ces contrats sont modifiées et l’acheteur est réputé avoir lu et accepté les conditions imposées par le tiers vendeur, MP en l’occurrence.

2)                  Les conditions de livraison

[130]       MP a fourni le combustible directement aux navires conformément aux conditions standards de MP, révisées en mai 2013. C’est ce qu’indiquent clairement les confirmations que MP a fournies à OW le 22 octobre 2014. Les deux confirmations sont claires sur la question et précisent ce qui suit :

[traduction] La présente vente est assujettie aux conditions standards de Marine Petrobulk, révisées en mai 2013, lesquelles sont par la présente incorporées intégralement à la présente confirmation. L’acceptation de la présente confirmation ainsi que des conditions standards de Marine Petrobulk est considérée comme finale sauf si l’acheteur s’y oppose dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la présente confirmation.

[131]       Les conditions standards de MP sont reproduites à l’alinéa 121 c) qui précède.

[132]       Le dossier dont je dispose montre qu’OW UK a fourni des confirmations de commande pour la livraison du combustible aux deux navires. Aucune objection n’a été soulevée à l’égard des conditions standards, et aucune ne l’a jamais été. Il est donc clair qu’OW UK comprenait et acceptait que MP fournirait le combustible aux navires conformément aux conditions standards de MP. Il ressort clairement aussi de l’annexe 3 des conditions générales conclues entre Canpotex et OW UK que ces deux dernières comprenaient et acceptaient que leurs ententes contractuelles changeraient si la fourniture physique du combustible était effectuée par une tierce partie comme MP, et que l’acheteur était réputé avoir lu et accepté les conditions imposées par cette tierce partie. Je conclus donc que Canpotex et OW UK étaient toutes deux liées par les conditions générales de MP pour ce qui était de la fourniture du combustible aux navires qui font l’objet du présent litige.

[133]       Vu l’importance évidente des documents échangés entre MP et OW UK, je ne puis souscrire à l’argument d’ING selon lequel OW UK a conclu un contrat avec MP selon les conditions standards d’OW. On comprend bien sûr pourquoi ING voudrait maintenant que ce soit le cas, mais cette dernière ne peut pas revendiquer à l’encontre de Canpotex ou de MP des droits supérieurs à ceux dont jouissait OW UK, et il ressort clairement du dossier qu’OW UK acceptait que le combustible soit fourni aux navires selon les conditions standards de MP. ING cherche un moyen technique de se soustraire aux conséquences de cette entente entre MP et OW UK mais, à mon avis, elle ne peut pas revendiquer des droits contractuels ou des fonds qu’OW UK n’avait pas.

3)                  Les conséquences – Sur le plan contractuel

[134]       Comme l’indiquent clairement les conditions standards de MP, les « clients » sont liés et l’entente [traduction« aura préséance, indépendamment de toute modification des conditions ou de toute reconnaissance ou de tout autre document transmis par le client » (au paragraphe 16). Qui plus est, l’entente ne peut pas [traduction« être complétée, modifiée, annulée ou par ailleurs changée par le client, à moins d’une confirmation écrite de Marine Petrobulk » (au paragraphe 16). La définition du mot « client », au premier paragraphe, englobe clairement Canpotex à titre d’« affréteur » ou de « partie tirant avantage de la consommation du combustible de soute ». Je ne dispose d’aucune preuve qui donne à penser que les conditions standards de MP ont été complétées, modifiées, remplacées ou par ailleurs changées de quelque façon soit par OW UK soit par Canpotex, en l’espèce. De ce fait, je suis donc contraint, selon moi, d’identifier les conditions standards de MP et de les appliquer aux questions qui sont en litige en l’espèce.

[135]       Au vu du dossier dont je dispose, il ressort de la preuve que le 22 octobre 2014 ou aux environs de cette date, Canpotex, à titre d’affréteuse, a commandé le combustible à OW UK pour qu’il soit livré aux navires et que, le 22 octobre 2014, OW UK a retenu les services de MP par contrat pour fournir le combustible aux navires. MP a transmis le même jour une confirmation à OW UK. Le paragraphe 2 des conditions standards de MP indique ce qui suit :

[traduction] […] Si le combustible de soute est commandé par un mandataire, un gestionnaire ou un courtier, ce mandataire, ce gestionnaire ou ce courtier, ainsi que le mandant, seront liés par la totalité des obligations, et responsables de ces dernières, aussi pleinement et complètement que si le mandataire était lui-même ce mandant, que ce dernier soit divulgué ou non, et que ce mandataire, ce gestionnaire ou ce courtier prétende conclure le contrat à titre de mandataire, de gestionnaire ou de courtier seulement ou non.

[136]       À mon avis, l’entente indique clairement que Canpotex et OW UK étaient solidairement responsables du paiement à MP du prix d’achat total du combustible livré aux navires, et ce, même si MP a facturé au départ le prix d’achat à OW UK. Selon moi, cette responsabilité prend naissance indépendamment du fait de savoir si OW UK a agi comme mandataire, courtier ou gestionnaire pour la fourniture du combustible. La définition du mot « client », au premier paragraphe des conditions standards de MP, englobe à la fois Canpotex et OW UK à titre de clientes, et le deuxième paragraphe considère aussi tout mandant, mandataire, gestionnaire ou courtier comme un client, « et tous seront solidairement responsables à titre de clients dans le cadre de chaque entente ». Lus dans le contexte de la clause et de l’entente toute entière, ces mots, selon moi, ne peuvent pas vouloir dire qu’une responsabilité solidaire ne prend naissance que s’il existe une relation de mandat-mandataire, de courtier ou de gestionnaire. La clause fait simplement entrer ces parties dans la définition du mot « client » s’il existe une telle relation, et ce sont tous les clients qui sont solidairement responsables « dans le cadre de chaque entente ». Au vu des faits dont je dispose, cela veut dire que la responsabilité solidaire s’étend à MP et à OW UK parce que toutes deux correspondent à la définition d’un « client », soit au sens du premier paragraphe, soit au sens du deuxième paragraphe s’il existe une relation de mandataire, de gestionnaire ou de courtier. La Cour n’a pas à décider s’il existe dans la présente affaire une relation de mandant-mandataire entre Canpotex et OW UK. Dans le cours ordinaire des choses, Canpotex serait responsable du prix d’achat total et OW UK aurait droit à sa marge bénéficiaire. Les conditions standards indiquent clairement qu’advenant la faillite d’OW UK et le défaut de payer le prix d’achat du combustible à MP, cette dernière peut se tourner vers Canpotex et l’obliger à payer le montant intégral. Si Canpotex ne paie pas le montant intégral, elle n’est pas obligée par contrat dans ce cas de payer aussi à OW UK le prix d’achat parce que cette dernière a manqué à ses obligations relatives au paiement du combustible. La réalité est la suivante : si Canpotex paie à MP le combustible, le prix d’achat complet aura été directement payé par Canpotex, plutôt qu’indirectement par OW UK. Le paiement direct de Canpotex tombera sous le coup des conditions standards de MP, lesquelles lient Canpotex, OW UK et MP. Ces conditions sont réputées (paragraphe 16) remplacer toutes les négociations et ententes antérieures. Aucune obligation contractuelle résiduelle n’oblige Canpotex à payer aussi le prix d’achat à OW UK après qu’elle a payé MP, et si c’était le cas, ce serait curieux et déraisonnable. À mon avis, les conditions standards de MP envisagent clairement une situation comme celle dont il est question en l’espèce : si OW UK fait faillite et n’est pas en mesure de payer le prix d’achat intégral du combustible, MP peut dans ce cas se tourner vers Canpotex pour obtenir le paiement en se fondant sur le principe de la responsabilité solidaire.

[137]       Je conclus que Canpotex est directement responsable de la totalité du prix d’achat du combustible que MP a livré aux navires et que, après paiement de ce prix d’achat à MP, Canpotex n’est pas tenue, par contrat ou autrement, de payer à OW UK et aux séquestres un montant quelconque qui représente le prix d’achat du combustible.

4)                  Les conséquences – Les revendications de privilège

[138]       MP revendique à la fois un privilège contractuel et un privilège maritime au sens de l’article 139 de la LRM, relativement aux fonds que Canpotex a déposés en fiducie.

[139]       Il ressort clairement du paragraphe 10 des conditions standards de MP qui lient Canpotex, OW UK et MP que cette dernière peut revendiquer un privilège sur la totalité des sommes d’argent que doit Canpotex, à titre de cliente, à MP. Le passage pertinent de ce paragraphe est le suivant :

[traduction] […] Le client reconnaît et convient que Marine Petrobulk détient et peut revendiquer un privilège maritime sur le navire ou le navire d’approvisionnement du client et qu’il peut engager toute autre action ou procédure à l’encontre du navire, du navire d’approvisionnement du client et de tout autre navire ou bien que le client possède ou contrôle, relativement à la totalité des sommes que le client doit à Marine Petrobulk. Cette dernière ne peut être liée par aucune tentative visant à restreindre ou à limiter son privilège ou à empêcher que celui-ci se rattache au navire et, en particulier, aucune mention apparaissant sur le reçu de livraison du combustible ou tout document semblable ne peut annuler le privilège accordé par la présente. […]

[140]       Le paragraphe 10 indique clairement que MP détient un privilège à l’encontre des navires dans le cadre du présent litige. Ce qui est moins clair c’est si ce paragraphe accorde un privilège sur les fonds parce qu’ils constituent un [traduction« bien que […] possède ou contrôle » Canpotex. Si on lit le paragraphe 10 dans son ensemble, il est possible de revendiquer le privilège selon moi [traduction« sur le navire ou le navire d’approvisionnement du client » et ce qui peut être revendiqué à l’encontre de [traduction« tout autre navire ou bien possédé ou contrôlé par le client » est [traduction« toute autre action ou procédure » susceptible de découler de [traduction« la totalité des sommes que le client doit à Marine Petrobulk ». On ne sait pas avec certitude si le privilège contractuel s’étend au-delà des navires à n’importe quel bien que possède Canpotex. On pourrait faire valoir que les fonds ont été déposés pour remplacer la res, parce que Canpotex est légalement tenue envers d’autres parties de veiller à ce qu’aucun privilège ne se rattache aux navires. Cependant, on ne sait pas clairement si cela veut dire que MP peut maintenant revendiquer un privilège à l’encontre des fonds.

[141]       La même question se pose au sujet de la revendication de privilège visée par l’article 139 qui, aux termes du paragraphe 139(2) de la LRM, est accordée à l’égard d’un « bâtiment étranger ». Dans la décision Norwegian Bunkers, précitée, la juge Gagné a laissé sans réponse la question suivante :

[77]      Les défenderesses soutiennent que cette interprétation ne concorde pas avec l’historique et l’objet de l’article 139 de la Loi. Il a été adopté pour mettre les transporteurs maritimes canadiens sur un pied d’égalité avec leurs homologues américains. Les débats des parlementaires précédant l’adoption de l’article en témoignent :

[...] Ces entreprises canadiennes approvisionnent en combustible, en nourriture et en équipement les navires qui font escale dans les ports canadiens. Actuellement, ces entreprises n’ont pas les mêmes droits que les entreprises américaines qui approvisionnent les mêmes navires dans les ports des États‑Unis. Même nos propres tribunaux canadiens ne peuvent les protéger, parce que les approvisionneurs de navires américains profitent d’un privilège accordé par la loi américaine qui peut être appliqué dans les tribunaux canadiens.

Ces entreprises canadiennes réclament depuis un certain temps la même protection au gouvernement. Le gouvernement conservateur leur accordera cette protection. (Débats de la Chambre des communes, 40e Législature, 2e session, numéro 018 (25 février 2009), à la page 1605 (Brian Jean (secrétaire parlementaire du ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, PCC)).

[78]      Dans la décision Comfact Corporation c Navire « Hull 717 », 2012 CF 1161, le juge Harrington confirme que l’ajout de cet article a pour objectif de rectifier une situation injuste envers les transporteurs canadiens :

[31] [...] [L]a situation maintes fois dénoncée tenait à ce que les fournisseurs canadiens étaient désavantagés par rapport à leurs homologues américains ayant saisi un navire au Canada, le principe de la « présomption de cohérence » des lois trouve application […]

[…]

[80]      La question de savoir si l’achat de combustible de soute par un affréteur plutôt que par un propriétaire donne naissance à un privilège maritime canadien reste encore à déterminer (Nordems, FC, aux paragraphes 27‑28; Société Cameco c MCP Altona (Navire), 2013 CF 23 aux paragraphes 49‑54).

[142]       Je suis disposé à admettre que MP bénéficie bel et bien d’un privilège maritime au sens de l’article 139 parce que, dans la présente affaire, toutes les exigences de la loi sont remplies. MP est une entreprise canadienne qui exploite une entreprise au Canada et qui a fourni des marchandises à un bâtiment étranger pour son fonctionnement. Mais cela ne veut pas forcément dire que le privilège maritime au sens de l’article 139 peut s’étendre aux fonds dont il est question en l’espèce. Ces fonds ont été déposés par Canpotex de façon à ce que ni MP ni OW UK n’enregistrent un privilège sur les biens et saisissent les navires. Cela ne veut pas dire qu’ils remplacent la res.

[143]       Ce qui est clair, je crois, c’est qu’ING ne détient aucun privilège ni aucune garantie à l’encontre des navires ou de tout bien dont Canpotex est propriétaire bénéficiaire, ce qui inclut les fonds, de sorte qu’une fois que Canpotex paie à MP le prix d’achat du combustible fourni aux navires à partir des fonds consignés, ING n’a aucune revendication à l’égard de Canpotex ou d’un bien quelconque que Canpotex ou les autres demanderesses possèdent ou contrôlent.

[144]       Compte tenu de cette situation, il n’est nul besoin selon moi de décider si MP détient un privilège contractuel ou un privilège maritime au sens de l’article 139 à l’égard des fonds consignés. Comme il a été signalé dans l’ouvrage intitulé Enforcement of Maritime Claims, précité, au paragraphe 17.3 :

[traduction] L’objet principal d’un « privilège » est de conférer un droit de propriété sur un bien à titre de garantie pour un jugement ou une réclamation, la réclamation elle-même étant fondée sur l’une d’une série de relations juridiques substantielles et reconnues. En tant que droit de propriété, le « privilège » est exécutoire à l’encontre d’une tierce partie.

[145]       En l’espèce, il me semble qu’ING n’a aucun droit contractuel ou privilège à faire valoir à l’encontre des fonds ou des navires, et que MP, sur le fondement du droit des contrats et de l’équité, a droit à la partie contestée de ces fonds. Dans la décision Balcan, précitée, Balcan avait présenté une réclamation au titre des approvisionnements nécessaires aux termes de l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur les Cours fédérales dans une situation où elle n’avait pas payé ses approvisionnements. La Cour a conclu que Balcan ne se trouvait pas dans la position d’une réclamante d’approvisionnements nécessaires (paragraphe 19), de sorte que Balcan n’avait aucun droit d’action in rem parce qu’aucune action de cette nature ne peut prendre naissance lorsqu’un réclamant omet de fournir les approvisionnements nécessaires à un navire. En l’espèce, OW UK n’a pas fourni le combustible et, de plus, elle n’a pas payé le combustible que MP a fourni aux navires. En conséquence, en me fondant sur le raisonnement exposé dans la décision Balcan, je ne vois pas comment ING peut faire valoir une réclamation in rem quelconque contre les navires ou les fonds. MP a fourni le combustible aux navires conformément aux conditions standards de MP, qui remplacent toute entente contractuelle contraire conclue entre Canpotex et OW UK. MP a droit par contrat à ce que Canpotex lui paie le combustible. ING, qui prend la place d’OW UK, n’a droit à aucun paiement qui représente le prix d’achat du combustible parce que ce prix d’achat n’a pas été payé à MP et de ce fait, conformément aux conditions standards, Canpotex se trouve donc directement tenue de le payer. Cela étant le cas, je ne crois pas que j’aie à examiner le rang de priorité de MP et du groupe d’entreprises OW en prenant pour base les droits conférés par privilège.

[146]       Je conviens toutefois avec MP que celle-ci détient à la fois un privilège contractuel et un privilège maritime au sens de l’article 139 à l’égard des navires et qu’ils ne s’éteindront qu’après qu’on lui aura payé intégralement le combustible de soute livré aux navires.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      Canpotex est tenue de payer à la défenderesse Marine Petrobulk Ltd la somme de 648 917,40 $ US, de pair avec les intérêts, applicables en matière d’amirauté, connexes;

2.      La défenderesse Marine Petrobulk Ltd recevra la somme susmentionnée à partir des fonds actuellement détenus en fiducie, conformément à l’ordonnance du 27 mars 2015;

3.      Canpotex est tenue de payer (sous réserve des dépens à payer, conformément au paragraphe 5 ci-dessous) aux défendeurs, ING Bank N.V., Ian David Green, Anthony Victor Lomas et Paul David Copley, en leur qualité de séquestres de certains biens des défenderesses O.W. Supply & Trading A/S et O.W. Bunkers (U.K.) Limited, et autres, une somme égale à la marge bénéficiaire à payer à O.W. Bunkers (U.K.) Limited pour la fourniture, par Marine Petrobulk Ltd, de combustible de soute aux navires, de pair avec les intérêts, applicables en matière d’amirauté, connexes. Le solde des fonds détenus en fiducie servira à régler cette somme après que Marine Petrobulk Ltd aura été intégralement payée, conformément aux paragraphes 1 et 2 qui précèdent;

4.      Une fois que les paiements indiqués aux paragraphes 1, 2 et 3 qui précèdent auront été faits, la responsabilité des demanderesses et des navires envers les défendeurs, relativement au combustible de soute fourni aux navires le 27 octobre 2014, ou aux environs de cette date, à Vancouver (Colombie-Britannique), de pair avec tous les privilèges qui s’y rattachent, sera entièrement éteinte;

5.      Les défendeurs, ING Bank N.V., Ian David Green, Anthony Victor Lomas et Paul David Copley, en leur qualité de séquestres de certains biens des défenderesses O.W. Supply & Trading A/S et O.W. Bunkers (U.K.) Limited, et autres, sont tenus de payer les dépens des demanderesses et de la défenderesse Marine Petrobulk Ltd qui sont liés à la présente action et requête, et ces dépens peuvent être payés à partir du montant à verser à ING Bank N.V., Ian David Green, Anthony Victor Lomas et Paul David Copley en leur qualité de séquestres de certains biens des défenderesses O.W. Supply & Trading A/S et O.W. Bunkers (U.K.) Limited, et autres, sur les fonds détenus en fiducie, conformément au paragraphe 3 qui précède;

6.      Le solde des fonds détenus en fiducie, après que les paiements et les dépens mentionnés ci-dessus auront été réglés, doit être remis à Canpotex.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-109-15

 

INTITULÉ :

CANPOTEX SHIPPING SERVICES LIMITED, NORR SYSTEMS PTE. LTD., OLDENDORFF CARRIERS GMBH & CO. K.G. ET STAR NAVIGATION CORPORATION S.A. c MARINE PETROBULK LTD., O.W. SUPPLY & TRADING A/S, O.W. BUNKERS (UK) LIMITED, ING BANK N.V., IAN DAVID GREEN, ANTHONY VICTOR LOMAS ET PAUL DAVID COPLEY, EN LEUR QUALITÉ DE SÉQUESTRES DE CERTAINS BIENS DES DÉFENDERESSES O.W. SUPPLY & TRADING A/S ET O.W. BUNKERS (U.K.) LIMITED, ET AUTRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUILLET 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Jason Lattanzio

Steve Carey

 

POUR LES demanderesseS

 

H. Peter Swanson

Megan Nicholls

 

POUR LA défenderesse,

MARINE PETROBULK LTD.

Warren B. Milman

Julia Lockhart

 

POUR LES défendeurS,

ING BANK N.V., IAN DAVID GREEN, ANTHONY VICTOR LOMAS ET PAUL DAVID COPLEY, EN LEUR QUALITÉ DE SÉQUESTRES DE CERTAINS BIENS DES DÉFENDERESSES O.W. SUPPLY & TRADING A/S, ET O.W. BUNKERS (UK) LIMITED, ET AUTRES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander Holburn Beaudin + Lang LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES demanderesseS

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour la défenderesse

MARINE PETROBULK LTD.

McCarthy Tétrault LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES défendeurS,

ING BANK N.V., IAN DAVID GREEN, ANTHONY VICTOR LOMAS ET PAUL DAVID COPLEY, EN LEUR QUALITÉ DE SÉQUESTRES DE CERTAINS BIENS DES DÉFENDERESSES O.W. SUPPLY & TRADING A/S, ET O.W. BUNKERS (UK) LIMITED, ET AUTRES

 

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