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Date : 20150911


Dossier : T-2495-14

Référence : 2015 CF 1071

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

LAURENT DUVERGER

demandeur

et

2553-4330 QUÉBEC INC. (AÉROPRO)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Laurent Duverger, le demandeur, cherche à faire casser la décision de la Commission Canadienne des droits de la personne de ne pas statuer sur la plainte présentée par lui. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7).

[2]               C’est de la décision de la Commission des droits de la personne (la Commission) du 29 octobre 2014 dont il est ici question. Le demandeur, qui plaide sans l’aide d’un avocat, a prétendu que sa plainte n’est pas vexatoire, au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 (la Loi), comme l’a décidé la Commission. Cet alinéa se lit comme suit :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[...]

. . .

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith;

[3]               Le demandeur a prétendu dans sa demande de contrôle judiciaire du 8 décembre 2014 que la « plainte n’est pas vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne car ma plainte concerne notamment le préjudice moral causé par la diffamation et le harcèlement discriminatoire postérieurs à ma démission du 21 juin 2010, et concerne aussi notamment la discrimination salariale, qui ne relèvent pas de la compétence de la CSST, la CLP et Travail Canada ».

[4]               Comme la Cour l’a répété à plusieurs reprises au cours de l’audience, le contrôle judiciaire qui doit être examiné l’est sur une base étroite. Le demandeur a bien tenté d’élargir le débat pour traiter du mérite de sa plainte. Ce n’était pas approprié.

[5]               Par ailleurs, la Cour en vient à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire doit être accordée parce que la plainte fondée sur les deux questions soulevées auprès de la Commission par M. Duverger ne saurait être vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

I.                   Décision de la Commission

[6]               La Commission a adopté les conclusions du rapport fait le 21 juillet 2014 sur les articles 40 et 41 de la Loi (le Rapport sur les articles 40/41) et décidé de ne pas statuer sur la plainte présentée le 29 octobre 2014. Deux raisons se dégagent de ces conclusions. D’abord, une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles (CLP) du Québec disposait essentiellement des mêmes allégations présentées à la Commission. La décision de la CLP avait examiné, aux dires de la Commission, les questions relatives à la déficience du plaignant, son historique d’emploi, les allégations de harcèlement, et les tentatives du plaignant à soulever ses inquiétudes et préoccupations avec la gestion concernant le harcèlement subi au travail (para 34 du Rapport sur les articles 40/41).

[7]               La deuxième raison, liée à la première, était qu’il est possible à un autre tribunal administratif de traiter d’allégations relatives aux droits de la personne qui mènent à des remèdes semblables à ceux que la Commission peut accorder. Ne pas être satisfait de la décision prise par un autre tribunal ne suffit pour porter sa cause devant la Commission si cet autre tribunal exerce sa compétence concurrente grâce à un processus équitable et considère les préoccupations concernant les droits de la personne. Ainsi, la Commission accepte que « les allégations de discrimination du plaignant ont été traitées dans le cadre du processus d’appel de la CLP, la plainte est donc vexatoire au sens de la Loi ». La plainte est dite « vexatoire » parce qu’elle a déjà été traitée devant un autre tribunal. La préclusion d’instance est prétendument appliquée en suivant les prescriptions de Figliola et Penner, deux arrêts de la Cour suprême du Canada.

[8]               À y regarder de plus près, force est de constater que la conclusion tirée par la Commission, le 29 octobre 2014, est dérivée de l’analyse faite dans le Rapport sur les articles 40/41. En fait, la décision de la Commission est constituée des conclusions du Rapport. Ce rapport traite uniquement de la question d’accepter la plainte.

[9]               M. Duverger se plaignait de discrimination en matière d’emploi. Les articles 7 et 14 de la Loi étaient invoqués. Ils se lisent ainsi :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite :

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

a) l’utilisation ou la diffusion d’un formulaire de demande d’emploi;

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) la publication d’une annonce ou la tenue d’une enquête, oralement ou par écrit, au sujet d’un emploi présent ou éventuel.

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

14. (1) It is a discriminatory practice,

a) lors de la fourniture de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public;

(a) in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public,

b) lors de la fourniture de locaux commerciaux ou de logements;

(b) in the provision of commercial premises or residential accommodation, or

c) en matière d’emploi.

(c) in matters related to employment,

 

(2) Pour l’application du paragraphe (1) et sans qu’en soit limitée la portée générale, le harcèlement sexuel est réputé être un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

(2) Without limiting the generality of subsection (1), sexual harassment shall, for the purposes of that subsection, be deemed to be harassment on a prohibited ground of discrimination.

[10]           À l’évidence, ce sont le paragraphe 7b) et l’alinéa 14(1)c) qui trouvent application en l’espèce.

[11]           La question à décider est posée d’emblée. Puisque les questions relatives aux droits de la personne peuvent être traitées par d’autres décideurs que la Commission, ces questions ont-elles déjà été tranchées adéquatement ailleurs de sorte que la Commission n’a pas eu tort de ne pas statuer sur la plainte?

[12]           S’appuyant sur Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422 (Figliola) et Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 RCS 125 (Penner), la Commission considère que le test à appliquer est de voir si, citant Figliola, « la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même ». Il vaut la peine de citer au long le paragraphe 37 de Figliola :

[37] En s'appuyant sur ces principes sous-jacents, le Tribunal est appelé à se demander s'il existe une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne, si la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont il est saisi et si le processus antérieur, qu'il ressemble ou non à la procédure que le Tribunal préfère ou utilise lui-même, a offert la possibilité aux plaignants ou à leurs ayants droit de connaître les éléments invoqués contre eux et de les réfuter. Toutes ces questions visent à déterminer s'il "a été statué de façon appropriée" sur le fond de la plainte. Il s'agit, en définitive, de se demander s'il est logique de consacrer des ressources publiques et privées à la remise en cause de ce qui est essentiellement le même litige.

Par ailleurs, la Commission doit aussi considérer si la question a été traitée équitablement au plan procédural.

[13]           Le Rapport s’est ensuite employé à faire une certaine analyse de la décision rendue par la CLP pour éventuellement conclure que le test était satisfait, tant au plan de la procédure qu’au fond de l’affaire.

[14]           S’étant satisfaite que la CLP est un tribunal indépendant agissant avec impartialité, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par quiconque, la Commission conclut que les questions visées par la plainte devant elle sont essentiellement les mêmes que celles qui auraient été traitées par la CLP puisqu’elles sont relatives au traitement défavorable et à du harcèlement aux motifs d’origine nationale ou ethnique, ou de la déficience invoqués par M. Duverger. Ainsi, le Rapport considère que « ce sont les pratiques discriminatoires alléguées à la présente plainte qui ont menées [sic] à une lésion professionnelle de nature psychologique » (Rapport sur les articles 40/41, para 28). Il peut être utile de reproduire ici deux paragraphes de la décision de la CLP tels que cités par la Commission pour justifier, selon elle, que des gestes portant atteinte aux droits de la personne ont été constatés par la CLP :

[58] La soussignée constate que des gestes menaçants, hostiles et dégradants, mettant même en danger la santé et la sécurité du travailleur, ont été commis, que des paroles vexatoires des plus humiliantes ont été prononcées à de nombreuses reprises, le tout, portant atteinte à la dignité du travailleur. L’ensemble des évènements et la cruauté qui les a entourés s’écartent au plus haut point de ce qui est susceptible de se produire dans un environnement normal de travail.

[62] [...] non seulement l’employeur n’a pas supporté le travailleur, mais qu’il a selon toute évidence manqué à ses obligations de protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique allant ainsi à l’encontre des dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail . . . Soulignons également que les faits prouvés démontrent que les droits fondamentaux du travailleur émanant de la Charte des droits et libertés de la personne ont également été bafoués [...]

[15]           C’est sans grande difficulté que la Commission conclura que les parties en l’espèce ont eu droit à une procédure équitable devant la CLP permettant de « soulever toutes les questions relatives aux droits de la personne » (para 38 du Rapport sur les articles 40/41). De fait, de l’avis de la Commission, la procédure suivie par la CLP et celle relative à une plainte devant la Commission ne comportent pas de différence significative. La CLP a examiné l’historique d’emploi, les allégations de harcèlement liées à la déficience du demandeur et son origine nationale ou ethnique, et l’inaction du défendeur en l’espèce malgré les tentatives du demandeur de soulever inquiétudes et préoccupations à cet égard.

[16]           Constatant que M. Duverger a indiqué porter plainte auprès de la Commission puisqu’il n’est pas satisfait du montant accordé par la CLP, elle ne saurait siéger en appel de la décision de la CLP. Les mesures de redressement pour atteinte aux droits de la personne ont été fournies.

II.                La norme de contrôle

[17]           La jurisprudence constante est à l’effet que les décisions de la Commission d’accepter une plainte sont soumises à la norme de la décision raisonnable. Madame la juge Bédard, alors qu’elle était de cette Cour, avait répertorié au paragraphe 15 de sa décision dans Conroy c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CF 887, [2012] ACF no 942, la jurisprudence qui tenait que les décisions prises par la Commission en vertu des articles 40 et 41 de la Loi étaient révisables sur la base de la décision raisonnable. Loin de se dédire, notre Cour a poursuivi dans cette veine et celle-ci a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Bergeron c Procureur Général du Canada, 2015 FCA 160 au para 41, et dans Public Service Alliance of Canada v Canada (Attorney General), 2015 FCA 174, aux para 26 à 29. Il est toujours utile de rappeler en quoi consiste cette norme et le désormais célèbre paragraphe de Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, mérite d’être cité au long :

[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           M. Duverger doit donc satisfaire la Cour que la décision de la Commission de ne pas statuer sur sa plainte qu’il y a eu contravention aux articles 7 et 14 de la Loi n’est pas raisonnable parce que celle-ci n’a pas reçu un traitement adéquat : la question tranchée devant la CLP n’est pas essentiellement la même que celle soulevée par la plainte. C’est une barre élevée. La justification donnée par la Commission, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ont-elles été au rendez-vous? La décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte était-elle une issue possible acceptable?

III.             La position des parties

[19]           Le rôle d’une cour de justice dans un système contradictoire comme le nôtre est évidemment d’entendre les parties et de disposer du litige qui les oppose sur la base de la preuve et des arguments présentés de part et d’autre. Dans le cas où une des parties au litige se représente sans l’assistance d’un avocat, la Cour pourra chercher à prêter une certaine assistance et fera preuve d’indulgence par rapport à certains écarts procéduraux, mais elle ne peut se substituer au demandeur. Autrement, la Cour deviendrait pour ainsi dire partie au litige qu’elle est chargée de juger : on ne peut être juge et partie. C’est donc sur la base de l’argument fait par le demandeur que le litige doit être traité. Guidée en cela par la jurisprudence, la Cour en fait une lecture généreuse, tenant compte des déficiences qui sont inhérentes dans le cas où une partie n’est pas représentée par avocat, dans un effort pour comprendre l’argument fait (voir Biladeau v Ontario (Attorney General), 2014 ONCA 848).

[20]           Il n’est pas simple de tenter de cerner l’argument du demandeur. D’entrée de jeu, dans sa demande de contrôle judiciaire déposée le 8 décembre 2014, le demandeur déclare que sa « plainte concerne notamment le préjudice moral causé par la diffamation et le harcèlement discriminatoire postérieurs à ma démission du 21 juin 2010, et concerne aussi notamment la discrimination salariale, qui ne relevait pas de la compétence de la CSST, la CLP et Travail Canada ».

[21]           Dans une déclaration sous serment du 17 décembre 2014, essentiellement adressée à des représentants du défendeur, le demandeur se plaint de diffamation et de harcèlement discriminatoire postérieurs à son emploi. Ainsi, il ne reste plus de lien employeur-employé : qu’à cela ne tienne, M. Duverger argumente que la Loi s’applique toujours à son cas.

[22]           Ladite déclaration sous serment, outre que de prétendre à la diffamation et au harcèlement discriminatoire, est un amalgame de paragraphes relatifs à la situation médicale de M. Duverger, de la jurisprudence, de son historique de travail, des différentes démarches faites auprès d’autorités provinciales (CSST et CLP) et fédérales (assurance emploi, Travail Canada). Une des parties de la déclaration sous serment tend à traiter de la discrimination salariale dont le demandeur se plaint et qu’il a alléguée devant la CLP. Celle-ci devait conclure qu’elle n’a pas juridiction pour se prononcer sur le salaire accordé à l’embauche.

[23]           Heureusement, à l’audience, le demandeur a clairement expliqué que sa plainte auprès de la Commission était exclusivement relative à deux choses : il aurait subi de la disparité salariale à cause de son origine nationale et de sa déficience et il aurait été victime de harcèlement discriminatoire pour les mêmes raisons, après la fin de son emploi. Il ne fait pas de doute que c’est là l’objet de sa plainte auprès de la Commission, plainte que la Commission a refusé de poursuivre.

[24]           L’emploi à la station météorologique de Chibougamau, au Québec, qui est à la source du conflit, aurait débuté le 17 octobre 2007 auprès d’une entreprise présentée comme étant ATS Services; cette entreprise aura conclu son mandat le 11 mai 2008 pour être remplacée par Aéropro, le défendeur, dès le 12 mai 2008. M. Duverger a alors été employé par Aéropro. Il quittait son emploi le 21 juin 2010.

[25]           De fait, la déclaration assermentée du 17 décembre 2014 traite dans une grande mesure de la situation du demandeur après son départ de juin 2010, y incluant son historique d’emploi et les démarches qu’il a faites au cours des mois qui ont suivi. Beaucoup de cette information me paraît d’ailleurs comme étant de nature justificative pour expliquer les différents retards mis à présenter ses réclamations. Ces retards ne sont pas l’objet du contrôle judiciaire présentement devant cette Cour.

[26]           Le dossier révèle aussi la plainte telle que présentée à la Commission canadienne des droits de la personne le 26 novembre 2013. Il s’agit évidemment du document fondateur qui présente les doléances. Loin d’être limpide, il me semble porter sur trois sujets. D’abord, le demandeur se plaint de discrimination postérieure à la fin de son emploi. Ensuite, il porte aussi sur les délais mis à présenter ce recours. Finalement, le demandeur réfère au traitement salarial qu’il aurait reçu du défendeur. Comme indiqué plus haut, l’objet de la plainte a été exposé par le demandeur à l’audience de la demande de contrôle judiciaire de façon beaucoup plus claire qu’à la seule lecture des documents présentés. Il n’en reste pas moins que ces documents indiquent la base de la plainte. Comme on le verra, la Commission ne semble pas avoir mené une analyse du contenu de cette plainte.

[27]           Or, la question du traitement salarial toucherait deux aspects. Cela me semble avoir engendré une certaine confusion. Un est relatif aux heures supplémentaires et aux congés fériés qui n’auraient pas été payés correctement. L’autre touche des augmentations salariales que le demandeur prétend ne pas avoir reçues. Mais les allégations du demandeur relativement aux argumentations salariales sont relatives à des comparaisons qu’il fait avec deux autres employés dont on ne sait rien. Ce dont se plaint le demandeur est qu’un autre employé aurait reçu une augmentation horaire de 0,50 $, mais avant lui (14 novembre 2009 plutôt que le 8 janvier 2010) portant son salaire horaire à 12,00 $, alors que cet employé aurait commis beaucoup plus d’erreurs au travail que le demandeur. Dans l’autre cas, M. Duverger se plaint que son salaire majoré le 8 janvier 2010 à 12,00 $ l’était tout de même moins que celui d’un autre employé : alors que le salaire horaire du demandeur passait à 12,00 $ le 8 janvier 2010, celui de cet autre employé, lui aussi préalablement payé au taux de 11,50 $/heure, passait à 12,25 $. Le demandeur prétend que cette disparité était fondée sur son origine nationale et sa déficience (la Cour note que le demandeur voudrait que soit reconnu que son salaire horaire aurait dû être de 12,00 $ à compter du 12 mai 2009 et de 12,25 $ au 14 novembre 2009. Vu les dates citées par le demandeur quant à ses deux co-travailleurs, il n’est pas clair sur quelle base cette déclaration est faite).

[28]           Le demandeur semble alléguer discrimination en tenant pour preuve les épithètes à saveur ethnique qu’on lui aurait adressées lorsqu’il se serait plaint et à des références à sa fragilité psychologique. Les deux autres employés impliqués sont d’origine ethnique différente de celle du demandeur et on ne connaît pas les raisons qui pourraient être invoquées par l’employeur pour la différence de traitement, non plus que leur historique de travail, leur expérience, leur formation académique ou les tâches qui leur étaient assignées. La réalité est que l’allégation est au mieux générale. Mais elle est faite. M. Duverger prétend avoir subi de la discrimination salariale au cours de son emploi chez Aéropro.

[29]           L’autre allégation faite par le demandeur est qu’il a fait l’objet de diffamation et de harcèlement discriminatoire après avoir quitté son emploi.

[30]           Ainsi, le demandeur prétend que les deux sujets de sa plainte auprès de la Commission n’ont d’aucune manière été traités et encore moins tranchés par la CLP. La Commission a eu tort de conclure que l’affaire avait été considérée ailleurs, par un autre tribunal administratif qui aurait disposé de questions relatives aux droits de la personne. Contrairement à la conclusion de la Commission, la CLP n’a pas pu traiter des mêmes allégations que celles soulevées dans la plainte. Les deux étaient expressément ou implicitement exclues.

[31]           Le défendeur, Aéropro, rétorque que le demandeur multiplie les recours dans le but de fonder une entreprise de voltige aérienne. On nous apprend que le demandeur aurait reçu plus de 125 000 $ en compensation de la part de la CLP et qu’il aurait adressé une mise en demeure à hauteur de 1 million de dollars invoquant, en autres, le traitement qu’il aurait reçu depuis sa démission et la discrimination salariale. La motivation du demandeur serait l’appât du gain.

[32]           Le défendeur argue que les questions soulevées par le demandeur devant la Commission ont déjà fait l’objet d’adjudication. Les conditions énoncées dans Figliola et Penner sont remplies et la Commission a eu raison de déclarer la plainte vexatoire en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

IV.             Analyse

[33]           Cette affaire a été rendu plus difficile que nécessaire à cause de la qualité du dossier, de part et d’autre. Non seulement le dossier est apparu comme incomplet et confus, mais les arguments présentés étaient aussi déficients. Cette affaire n’est pas un joyau du système contradictoire qui a été décrit ainsi à Black’s Law Dictionnary, 7th Ed :

adversary system. A procedural system, such as the Anglo-American legal system, involving active and unhindered parties contesting with each other to put forth a case before an independent decision-maker. – Also termed adversary procedure and (in criminal cases) accusatorial system or accusatory procedure.

C’est donc sur la base d’un examen minutieux de la documentation offerte et au questionnement soutenu des parties devant cette Cour que l’adjudication sur ce contrôle judiciaire a été conclue.

A.                La décision de la Commission

[34]           Je commence par une analyse de la décision de la Commission de refuser de statuer sur la plainte. Cette décision ne fait qu’entériner la conclusion du Rapport sur les articles 40/41. La Commission déclare la plainte comme étant vexatoire parce que, dit-elle, « (l)a demande d’appel auprès de la CLP contient essentiellement les mêmes allégations que celles soulevées dans la présente plainte. En rendant sa décision, la juge administrative a examiné l’essence des allégations soulevées dans la présente plainte ». S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans Tranchemontagne c Ontario (Directeur du Programme ontarien de

soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, Figliola et Penner, la Commission dit devoir respecter la finalité des décisions déjà prises.

[35]           Fait plutôt surprenant, je n’ai pu trouver au Rapport sur les articles 40/41 les questions qui étaient soulevées et réglées par la CLP de sorte qu’il faille que la Commission en respecte la finalité. Dit autrement, la Commission est demeurée dans la généralité, se contentant de déclarer au paragraphe 34 que « la juge administrative a examiné les questions relatives à la déficience du plaignant, son historique d’emploi, les allégations de harcèlement, et les tentatives du plaignant à soulever ses inquiétudes et préoccupations auprès de la gestion concernant le harcèlement subi ».

[36]           Pourtant, le Rapport annonçait au paragraphe 17 une grille d’analyse sensiblement plus serrée. Cette analyse n’aura pas été faite. De fait, le Rapport ne décrit aucunement les griefs précis soulevés dans la plainte. On se contente de dire que la décision de la CLP dispose des mêmes questions que celles qu’on voudrait présenter à la Commission, sans élaborer davantage.

[37]           Or, après un examen attentif de la documentation, la Cour ne peut que constater que la plainte porte sur deux questions précises. Le demandeur se plaint du traitement subi aux mains du défendeur, par le biais de ses mandataires, après sa démission du 21 juin 2010. Il qualifie le tout de diffamation et de harcèlement discriminatoire. Il se plaint aussi du taux horaire qui lui a été octroyé en 2009 et 2010. Comme déjà indiqué plus haut, son taux horaire a été majoré de 0,50 $/heure à compter du 9 janvier 2010 alors que tel taux de 12,00 $/heure avait été accordé à un autre employé à compter de novembre 2009. De plus, cette majoration en janvier 2010 était inférieure à celle accordée à un autre employé qui aurait gagné un salaire égal à celui de M. Duverger en janvier 2010, soit 11,50 $/heure, mais dont la majoration aurait été de 0,75 $ au lieu de 0,50 $.

[38]           Pour que la Commission puisse prétendre qu’elle doive respecter la décision de la CLP, encore faudrait-il que celle-ci ait disposé de ces deux questions, qu’elle les ait tranchées. Le test à appliquer est que « la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont il est saisi... » (Figliola, au para 37). La Commission aurait donc dû déterminer quelles sont les questions juridiques qui ont été tranchées par la CLP pour voir si les questions tranchées sont essentiellement les mêmes que celles soulevées dans les plaintes déposées devant elle. Ainsi, la Commission devait voir si la CLP avait décidé s’il y avait discrimination salariale et harcèlement discriminatoire post-emploi. La Commission se devait de faire cette détermination de façon raisonnable. La Commission n’a pas fait cet examen.

[39]           Dans son Rapport sur les articles 40/41, la Commission fait à peine allusion à la question des émoluments payés au demandeur en notant au paragraphe 4 qu’une plainte en vertu du Code canadien du travail serait pendante. Elle rapporte au paragraphe 21 qu’Aéropro indique que 6889,11 $ sont dus au titre « des heures supplémentaires et des congés fériés supposément impayés ». Quoi qu’il en soit, je n’ai trouvé nulle part ailleurs quelque référence à l’objet de la plainte, c’est à-dire la fixation du taux d’horaire pour M. Duverger qu’il allègue être discriminatoire. La question des congés fériés et des heures supplémentaires non rémunérées n’est pas ce dont M. Duverger se plaignait devant la Commission. D’ailleurs, le fond de cette affaire est resté nébuleux puisque l’ordre de paiement du 3 juillet 2014 émis en vertu du Code canadien du travail pour une somme totale de 6730,64 $ aux dépens d’Aéropro aurait été contesté. Je crois comprendre que le litige à cet égard continue sur une autre voie qui ne vient jamais en intersection avec la plainte faite auprès de la Commission. Comme on le verra plus loin, la CLP ne s’est jamais prononcée sur la question des heures supplémentaires et des congés fériés, non plus que sur la fixation de taux horaires discriminatoires. On voit mal comment la Commission pourrait raisonnablement prétendre qu’elle doit être respectueuse de la décision de la CLP à cet égard. On y reviendra.

[40]           Pour ce qui est de la question du harcèlement après le 21 juin 2010, jour où M. Duverger a quitté son emploi, il est tout aussi étonnant que la Commission puisse prétendre que l’allégation est vexatoire parce qu’elle a déjà fait l’objet d’une adjudication par un autre tribunal administratif. En effet, elle n’a pas fait l’objet d’adjudication par la CLP. J’examine maintenant les décisions de la CLP.

B.                 Les décisions de la CLP du 27 juin 2013 et du 15 juillet 2014

[41]           Après avoir conclu que la demande de M. Duverger est recevable, la CLP tient une audience le 25 juin 2013. Aéropro aura choisi de ne pas participer au processus puisqu’il n’y était pas représenté et a choisi de ne pas fournir d’argumentation écrite (décision de la CLP, le 27 juin 2013). C’est ainsi que seule la version de M. Duverger est devant la CLP qui est convaincue par son témoignage qui « est empreint de mesure et de retenue, dénué d’ambigüité, d’exagérations, de réticences et de contradictions » (para 14).

(1)               La discrimination salariale post-emploi

[42]           La CLP conclura que la lésion professionnelle pour laquelle une indemnité était recherchée est survenue le 21 juin 2010, jour de la démission de M. Duverger. Cette démission est le résultat d’événements ayant débutés le 17 octobre 2007. La CLP note au paragraphe 31 que l’entreprise pour laquelle M. Duverger travaillait à compter du 17 octobre 2007 a changé en mai 2009, mais que le supérieur de la station serait demeuré le même. Les contrats de travail auraient été renégociés en mai 2009, mais on ne connait pas la teneur de ceux-ci. De toute manière, le dossier ne révèle rien sur les tâches confiées aux différents employés, les conditions de travail, les horaires ou les classifications ou expériences requises.

[43]           Le problème est que la plainte déposée auprès de la Commission est relative à des agissements postérieurs au 21 juin 2010. Alors même que la décision de laquelle la Commission dit vouloir respecter la finalité ne traite de rien après le 21 juin 2010, c’est de cette seule période après le 21 juin 2010 dont traite la plainte. La Commission n’explique en rien comment une décision sur la période avant le 21 juin 2010 peut constituer une décision pour ce qui a pu se passer après le 21 juin 2010 (si tant est, bien sûr, que les agissements allégués après le 21 juin 2010 peuvent constituer de la discrimination prohibée aux termes de la Loi). Tout ce dont traitait la décision de la CLP était du harcèlement avant le 21 juin 2010 qui aura mené à une lésion professionnelle. Celui allégué avoir été commis après le 21 juin 2010, qu’il soit discriminatoire ou pas, ne pouvait pas faire l’objet de la décision de la CLP : elle ne pouvait trancher à son sujet.

[44]           Cela ne veut pas dire, bien sûr, que l’allégation de harcèlement discriminatoire post-emploi force la Commission à statuer sur la plainte. Il pourrait y avoir d’autres motifs pour lesquels la plainte serait irrecevable. Ce serait à la Commission à déterminer si la Loi vise le harcèlement discriminatoire post-emploi. Ce qui importe à ce stade est de déterminer si la décision de refuser de statuer sur la plainte parce qu’elle est vexatoire, au sens de l’alinéa 41(1)d), est raisonnable.

[45]           Je ne crois pas que cela puisse être raisonnable puisque la raison invoquée, que la décision de la CLP traitait essentiellement de la même allégation devant la Commission, est insoutenable. Une décision qui porte sur le harcèlement discriminatoire durant la période d’emploi ne peut aussi être une décision touchant des agissements post-emploi.

[46]           Ce qui importe pour nos fins est le fait que la lésion professionnelle qui fait l’objet de la compensation est déclarée cristallisée « en raison d’un accident de travail le 21 juin 2010 ». La CLP ne traite pas des évènements postérieurs au 21 juin 2010 outre que d’y voir confirmation, ou corroboration, des évènements allégués s’être produits avant juin 2010. La lésion professionnelle pour laquelle indemnité est payée est celle reconnue le 21 juin 2010.

(2)               La discrimination salariale

[47]           L’adéquation qui a été faite par la Commission entre la décision du 27 juin 2013 rendue par la CLP et la plainte présentée à la Commission ne porte que sur le harcèlement discriminatoire allégué. La seule conclusion à laquelle la CLP en est arrivée est que M. Duverger « a subi une lésion professionnelle en raison d’un accident de travail le 21 juin 2010 ». Comme je l’ai noté, aucune décision n’est prise au sujet d’une discrimination salariale. La suite des choses confirme cette conclusion. À la suite de la décision de la CLP du 27 juin 2013, concluant qu’une lésion professionnelle avait été subie, il fallait déterminer de l’indemnité à être accordée. La CSST devait faire cette détermination et elle a été complétée le 28 septembre 2013. M. Duverger a aussi contesté devant la CLP la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) du 28 septembre 2013.

[48]           Je le répète. La décision du 27 juin 2013 de la CLP concluait à l’existence d’une lésion professionnelle, mais ne touchait aucunement au calcul à être fait pour déterminer de l’indemnité. Ce n’est que le 15 juillet 2014 que la CLP se prononce, en appel de la CSST, sur le quantum de l’indemnité. Dans le capharnaüm des procédures lancées par le demandeur, il y réfère dans sa déclaration sous serment du 17 décembre 2014 ; mais il ne pouvait être contesté à mon avis qu’il avait signalé à la Commission, en réponse au Rapport sur les articles 40/41 du 21 juillet 2014, l’existence de cette nouvelle décision de la CLP du 15 juillet 2014 bien avant le 29 octobre 2014. Il le fit dans les commentaires faits sur le Rapport du 21 juin 2014 soumis le ou vers le 31 juillet. Autrement dit, le demandeur a prévenu la Commission après le Rapport du 21 juillet de l’existence d’une décision de la CLP en date du 15 juillet 2014.

[49]           Cette décision du 15 juillet 2014 est importante. Rappelons les faits. M. Duverger se plaint le 28 novembre 2013 du harcèlement discriminatoire post-emploi (i.e. après le 21 juin 2010) et de discrimination salariale en 2009 et 2010. C’est de cette plainte dont est saisie la Commission, au sujet de laquelle un rapport est préparé le 21 juillet 2014 et dont la recommandation de ne pas statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est acceptée le 29 octobre 2014. Cette recommandation porte sur les deux plaintes, y inclus celle portant sur la discrimination salariale dont n’a pas traité la CLP. La décision de la CLP du 27 juin 2013 ne porte pas sur la discrimination salariale. Le Rapport du 21 juillet 2014 n’en parle pas davantage.

[50]           La question revient sur le tapis dans la décision du 15 juillet rendue par la CLP parce que M. Duverger voudrait que soit inclus dans la base du calcul de l’indemnité le montant qu’il prétend lui être dû aux termes des congés fériés non payés, des heures supplémentaires non rémunérées et de la discrimination salariale.

[51]           La CLP rejette la demande relative aux congés et aux heures supplémentaires parce que l’affaire est toujours sujette à un litige devant une autre instance fédérale. La CLP indique que ce sera à M. Duverger de faire ajuster la base du calcul lorsque le litige aura connu son dénouement (para 34 de la décision de la CLP du 15 juillet 2014). Quant à la discrimination salariale, la CLP déclare ne pouvoir se prononcer. On lit au paragraphe 35 de la décision du 15 juillet :

[35] En ce qui concerne la demande du travailleur concernant le salaire auquel il prétend avoir droit depuis son embauche en raison d’une discrimination, la Commission des lésions professionnelles détermine qu’elle ne peut se prononcer sur cette question.

[52]           Donc, cette décision du 15 juillet 2014, portée à l’attention de la Commission après le Rapport sur les articles 40/41, déclare que l’allégation de discrimination salariale qui fait l’objet de la plainte devant la Commission ne peut pas faire l’objet d’un prononcé par la CLP. Ainsi, cette décision du 15 juillet 2014 fait deux choses bien distinctes : elle dit ne pas pouvoir se prononcer sur la question de discrimination salariale et elle rejette la demande d’ajustement au titre des heures supplémentaires et des congé fériés non payés (en plus de retenues salariales incorrectes d’un montant minime) parce que le litige entre M. Duverger et Aéropro devant Travail Canada n’est pas terminé au moment de la décision, le 15 juillet 2014.

[53]           Le demandeur ne se plaint pas auprès de la Commission des manques au titre des retenues salariales non autorisées, des heures supplémentaires et des congés fériés non payés. Cela fait l’objet d’un traitement à Travail Canada qui pourra se répercuter sur la base de salaire à être modifiée par la CSST. Il se plaint exclusivement de discrimination salariale.

[54]           Le Rapport sur les articles 40/41 est daté du 21 juillet 2014. Il ne fait aucunement référence à la décision de la CLP du 15 juillet 2014 où celle-ci déclare ne pas se prononcer sur la discrimination salariale. En fait, le Rapport qui veut établir l’adéquation entre la décision de la CLP et les plaintes devant la Commission déclare que « l’autre procédure », celle à laquelle les deux plaintes auraient été tranchées, est la décision de la CLP du 27 juin 2013 (Rapport sur les articles 40/41, para 18). La décision de la Commission canadienne des droits de la personne de refuser de statuer sur la plainte du 28 novembre 2013 ne fait qu’adopter les conclusions du Rapport. Ces conclusions ne sont que fonction de la décision de la CLP du 27 juin 2013. Cette décision ne porte en aucune manière sur l’allégation de discrimination salariale.

[55]           Celle-ci fait plutôt l’objet d’un commentaire dans la décision rendue un an plus tard, le 15 juillet 2014 et où la CLP « détermine qu’elle ne peut se prononcer sur cette question » (para 35 de la décision de la CLP du 15 juillet 2014). Comment peut-on alors prétendre à une décision raisonnable de la Commission alors même que la raison invoquée par la Commission, que l’affaire a été entendue et décidée par la CLP, n’était pas partie de la décision du 27 juin 2013 et que la CLP a conclu qu’elle ne pouvait se prononcer sur cette question dans sa décision du 15 juillet 2014? S’il est compréhensible que le Rapport sur les articles 40/41 du 21 juillet ait omis de noter la décision de la CLP du 15 juillet rendue seulement six jours plus tôt, il n’en reste pas moins que le Rapport établissait que la décision de la CLP du 27 juin 2013 disposait des plaintes : cela ne pouvait être le cas pour la discrimination salariale alléguée puisque la décision du 27 juin 2013 ne portait aucunement là-dessus. Qui plus est, la décision de la CLP du 15 juillet 2014 a été portée à l’attention de la Commission qui semble l’avoir ignorée puisqu’elle s’en est remise aux conclusions du Rapport du 21 juillet 2014. De toute manière, on ne saurait prétendre qu’une question a été tranchée quand le décideur détermine qu’il ne peut se prononcer.

C.                 La portée de la décision sur le contrôle judiciaire

[56]           Il y a lieu de bien circonscrire la portée de la décision sur le contrôle judiciaire. La Cour limite sa conclusion sur la discrimination à constater que la Commission ne pouvait raisonnablement invoquer la décision de la CLP pour ainsi prétendre que cet autre tribunal administratif avait tranché une question juridique essentiellement la même que celle soulevée dans la plainte. La décision invoquée, celle du 27 juin 2013, n’en parle pas; celle du 15 juillet 2014 déclare nommément ne pas pouvoir se prononcer sur la question. Cependant, cette constatation ne saurait en aucune manière suggérer quelque conclusion sur l’existence, ou non, de disparité salariale, ou de disparité salariale prohibée par la Loi. Il s’agit là de questions pour la Commission. Le contrôle judiciaire ne sert qu’à assurer que la décision prise en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi est légale parce qu’elle constitue une décision raisonnable.

[57]           Contrairement à ce qu’avance la Commission, la décision de la CLP du 27 juin 2013 ne contenait pas les mêmes allégations que celles soulevées dans les plaintes. Si on doit parler de la discrimination salariale, c’est dans la décision du 15 juillet 2014 qu’elle est traitée. Et la CLP a dit ne pouvoir se prononcer sur la question. Pour reprendre et paraphraser les mots de la majorité au paragraphe 37 dans Figliola, la question tranchée par la décision antérieure (celle de la CLP) n’est tout simplement pas essentiellement la même que celle soulevée dans la plainte. La plainte porte sur la discrimination salariale et la CLP déclare ne pouvoir se prononcer.

[58]           De la même façon, la Cour ne se prononce pas sur l’existence de harcèlement, ou de harcèlement discriminatoire qui serait prohibé, selon le demandeur, par la Loi, même après que le lien d’emploi est rompu. Comme l’expérience l’enseigne, il vaut mieux entendre les parties sur ces questions qui peuvent avoir de nombreuses facettes. D’ailleurs, le dossier du demandeur contenait une lettre venant d’Aéropro datée du 8 septembre 2014, et destinée à la Commission. Dans cette lettre, Aéropro allégait que c’est plutôt le demandeur qui avait communiqué avec le personnel d’Aéropro « afin de l’exaspérer et de le harceler ». Ce sera à la Commission d’y voir clair.

V.                Conclusion

[59]           La Commission canadienne des droits de la personne a refusé de se saisir de la plainte à deux volets présentée par le demandeur. Alors que le demandeur se plaignait de disparité salariale prohibée par la Loi et de harcèlement discriminatoire subi après la fin de son emploi aux mains de son ex-employeur, la Commission a conclu qu’une décision rendue par la Commission sur les lésions professionnelles du Québec contenait essentiellement les mêmes allégations que celles à la plainte. Tel n’était pas le cas.

[60]           Dans le cas du harcèlement post-emploi, la décision de la CLP ne traite que des agissements au moment de la fin de l’emploi ; elle ne tranche aucunement la question du harcèlement post-emploi. Quant à la discrimination salariale, elle ne fait pas l’objet de la décision invoquée par la Commission pour refuser de se saisir de la plainte; de fait, en juillet 2014, la CLP se déclarait incapable de se prononcer sur ce genre d’allégation.

[61]           Il en résulte que la décision de la Commission du 29 octobre 2014 doit être cassée et que l’examen de la plainte en deux volets du demandeur doit être retourné à la Commission. La présente décision de cette Cour ne doit en aucune manière être interprétée comme un prononcé sur l’existence de disparité salariale prohibée ou d’une juridiction de la Commission de traiter d’allégation de harcèlement discriminatoire après que le lien d’emploi est rompu. Ce n’est pas l’objet du contrôle judiciaire. Ce sera à la Commission de considérer la portée des articles 7, 11 et 14, entre autres.

VI.             Dépens

[62]           Le demandeur n’avait fait aucune demande relative aux dépens dans la documentation soumise. À l’audience, après avoir entendu l’avocat du défendeur confirmer oralement sa demande de dépens faite par écrit, le demandeur en a fait une oralement à son tour.

[63]           Prenant pour acquis, aux fins de la présente affaire, qu’une demande viva voce pourrait suffire (Balogun c Canada, 2005 CAF 350, au para 2, [2005] ACF no 1780), la Cour doit exercer la discrétion qui est confirmée par le paragraphe 401 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[64]           Il fût un temps où les parties qui n’étaient pas assistées d’un avocat n’avaient pas droits à des dépens (Mark. M. Orkin, The Law of Costs, 2e éd., Aurora, Canada Law Book, 1987). Tel ne semble plus être le cas automatiquement.

[65]           La Cour d’appel fédérale a conclu dans Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42 (Yu), que des dépens peuvent être ordonnés « pour le temps et les efforts qu'elle a consacrés à la préparation et à la présentation de sa cause dans la mesure où elle a engagé un coût de renonciation en cessant d'exercer une activité rémunératrice. » (par. 37). En notre espèce, le demandeur n’a aucune activité rémunératrice, comme c’était le cas dans Yu. La Cour conclurait ici comme dans Yu qu’il n’y a donc pas matière à exercice du pouvoir d’adjuger des dépens.

[66]           Par ailleurs, les débours raisonnables engagés par le demandeur devant cette Cour devront lui être remboursés par le défendeur.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accordée. Aucun dépens n’est adjugé, mais il est ordonné que les débours raisonnables du demandeur lui seront remboursés par le défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2495-14

 

INTITULÉ :

LAURENT DUVERGER c 2553-4330 QUÉBEC INC. (AÉROPRO)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er septembre 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Laurent Duverger,

agissant de son propre chef

 

Pour le demandeur

 

Me Steven Côté

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

[VIDE]

 

Pour le demandeur

 

Me Steven Côté

Québec (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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