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Date : 20150626


Dossier : T‑259‑14

Référence : 2015 CF 798

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juin 2015

En présence de la protonotaire Tabib, juge responsable de la gestion de l’instance

ENTRE :

SHIRE CANADA INC.

demanderesse

et

PHARMASCIENCE INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

SHIRE LLC

défenderesse / titulaire du brevet

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Après avoir obtenu le consentement des autres parties à la présente demande introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, Pharmascience Inc. a déposé la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance lui permettant de produire, sous pli confidentiel, les données sur les ventes qu’elle a acquises auprès de IMS Health Incorporated dans le but précis et déclaré de les utiliser dans le cadre de la présente demande.

[2]               Selon la preuve qui m’a été présentée, IMS exerce des activités de collecte, de compilation et de vente de renseignements liés à des produits pharmaceutiques et de soins de santé qui concernent les données relatives à la vente de produits pharmaceutiques, aux médicaments sur ordonnance, aux remboursements de frais médicaux et d’autres données connexes. Elle vend des rapports et des analyses qui concernent les marchés pharmaceutiques canadien et américain, entre autres. Ses clients et ses abonnés sont des sociétés pharmaceutiques qui fabriquent des produits d’origine ou des produits génériques. Les clients utilisent ses services et produits pour la planification de leurs activités, mais également à des fins de litige. En plus des rapports qu’elle fournit régulièrement à ses abonnés, IMS peut également accepter de compiler et d’analyser des données qui concernent des segments précis du marché relativement à des périodes précises, et il lui arrive de le faire.

[3]               Dans la présente affaire, IMS a conclu un contrat avec Pharmascience par lequel elle s’engageait à compiler et à lui vendre des renseignements que Pharmascience devait utiliser exclusivement aux fins du présent litige. Selon le contrat conclu entre IMS et Pharmascience, cette dernière peut utiliser les renseignements aux fins de la présente demande à la condition d’[traduction« obtenir de la Cour l’autorisation de présenter lesdits renseignements » d’une manière qui « permet de préserver le caractère confidentiel des données ». Il semble que Pharmascience a déjà révélé les renseignements qu’elle a obtenus auprès d’IMS dans un affidavit qu’elle a signifié à la partie adverse conformément à l’article 307 des Règles des Cours fédérales. Suivant ces Règles, Pharmascience est maintenant tenue de déposer cet affidavit au dossier de la Cour. Pharmascience a désigné comme confidentielles les données obtenues auprès d’IMS, conformément à une ordonnance conservatoire rendue par la Cour. Cette ordonnance ne s’applique toutefois qu’à la manière dont les parties traitent les renseignements qu’elles s’échangent. Elle ne leur permet pas de déposer des documents mis sous scellés sans avoir demandé et obtenu au préalable une ordonnance de confidentialité précise à cet égard conformément à l’article 151 des Règles. Après avoir délibérément demandé des renseignements dont elle a ensuite fait l’acquisition et s’être engagée à préserver leur caractère confidentiel, Pharmascience se présente aujourd’hui devant la Cour et affirme que la protection de sa capacité de respecter un engagement de non‑divulgation librement consenti est un élément important qui l’emporte sur le principe fondamental de la publicité des débats judiciaires, et que la capacité d’IMS de compter sur ces engagements pour qu’elle puisse offrir des services à des fins lucratives constitue aussi un élément important qui devrait l’emporter sur le principe de la publicité des débats judiciaires. La requête présentée par Pharmascience est mal fondée en fait et en droit, et en conséquence, je la rejette.

[4]               La Cour suprême a énoncé le critère pour l’octroi d’une ordonnance de confidentialité visée à l’article 151 des Règles dans l’arrêt Sierra Club of Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41.

[5]               Le premier élément du critère exige, à l’évidence, que les renseignements soient « “de nature confidentielle” en ce qu’ils ont été “recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels”, par opposition à des “faits qu’une partie à un litige voudrait garder confidentiels en obtenant le huis clos” » (Sierra Club, précité, au paragraphe 60; voir également Takeda Canada Inc. et autre c Ministre de la Santé et Mylan Pharmaceutical ULC, 2014 CF 1076, au paragraphe 15).

[6]               J’estime que Pharmascience n’a pas satisfait à cette exigence. Voici ce qu’affirme la Cour suprême dans l’arrêt Sierra Club : « Un des principes sous‑jacents au processus judiciaire est la transparence, tant dans la procédure suivie que dans les éléments pertinents à [sic] la solution du litige. » IMS et Pharmascience devraient le savoir, et elles devraient savoir que les ordonnances de confidentialité sont de nature discrétionnaire et qu’elles ne sont pas prononcées sur demande. L’entente de non‑divulgation conclue entre IMS et Pharmascience n’interdit pas à Pharmascience de produire les renseignements au dossier de la Cour sans avoir obtenu une ordonnance de confidentialité. Tout ce que cette entente exige est que Pharmascience [traduction« demande à la Cour d’autoriser la présentation de ces éléments [d’une manière qui préserve le caractère confidentiel des données] ». Le contrat n’exige pas que Pharmascience renonce à déposer les données lors d’une audience publique si la Cour rejette sa demande. Puisque Pharmascience semble pouvoir s’acquitter des obligations que le contrat lui impose simplement en présentant une demande d’autorisation, sans aucune garantie que cette autorisation lui sera accordée, je ne crois pas qu’IMS et Pharmascience, lesquelles sont des sociétés d’expérience qui ont conclu une entente sur l’obtention de renseignements uniquement pour que ceux‑ci soient utilisés dans le cadre d’un litige, aient pu s’attendre raisonnablement à ce que les renseignements demeurent confidentiels. La requête de Pharmascience doit être rejetée pour ce seul motif.

[7]               Le critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club exige en outre que la partie requérante établisse qu’il existe un risque sérieux de préjudice pour un intérêt important et que le risque en cause est réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve (Sierra Club, précité, au paragraphe 54). La preuve qui m’a été présentée ne démontre pas qu’IMS ou Pharmascience risqueraient de subir un préjudice grave si les données étaient divulguées.  

[8]               Suivant les observations écrites de Pharmascience, c’est IMS qui subirait un préjudice si les données étaient rendues publiques, parce que d’autres clients et concurrents d’IMS auraient accès à ces données sans rien payer en contrepartie. La preuve qui m’a été présentée démontre qu’IMS a fait payer 6 900 $ à Pharmascience pour lui fournir les données. Rien n’indique qu’IMS n’aurait pas été disposée à vendre les mêmes renseignements, au même prix, aux personnes qui auraient été prêtes à le payer. Comme les données fournies se rattachent à une demande précise, la preuve n’indique pas le nombre de clients qui auraient été disposés à payer pour obtenir ces renseignements, mais à première vue, les ventes perdues par IMS en raison de la divulgation de cet ensemble de données ne sauraient absolument pas constituer un préjudice grave.

[9]               Même si je devais considérer que la perte du caractère confidentiel de cet ensemble de données précises ferait en sorte qu’IMS ne pourrait, en général, plus se fier à la confidentialité d’autres rapports commandés, la preuve au dossier ne me permet pas de conclure qu’il s’agit là d’un intérêt important au sens donné dans l’arrêt Sierra Club, au paragraphe 55 :

Pour être qualifié d’« intérêt commercial important », l’intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité. Par exemple, une entreprise privée ne pourrait simplement prétendre que l’existence d’un contrat donné ne devrait pas être divulguée parce que cela lui ferait perdre des occasions d’affaires, et que cela nuirait à ses intérêts commerciaux.

[10]           Rien n’indique qu’IMS aurait refusé de vendre les renseignements à Pharmascience en l’absence d’une promesse de non‑divulgation. Rien n’indique non plus que Pharmascience n’aurait pu obtenir les renseignements d’une autre source sans s’engager à en préserver le caractère confidentiel. Aucun élément de preuve n’a été présenté en vue d’établir le préjudice que pourrait subir IMS si elle devait, en raison du refus de la Cour de prononcer une ordonnance de confidentialité dans la présente affaire, s’abstenir de vendre à l’avenir des renseignements devant être utilisés à des fins de litige ou, plus généralement, en vue d’établir le préjudice causé à un intérêt important si IMS ou ses concurrents décidaient qu’ils ne pourraient vendre à des fins lucratives des données devant être utilisées dans le cadre de litiges sans garantie de non‑divulgation.

[11]           Pharmascience avance que la protection de ses obligations contractuelles en matière de confidentialité constitue un intérêt qui peut être compromis si la Cour ne prononce pas une ordonnance de confidentialité. Ainsi que je l’ai mentionné ci‑dessus, Pharmascience ne risque pas de contrevenir à l’entente de non‑divulgation. Elle s’est déjà acquittée de ces obligations simplement en introduisant sa requête.

[12]           Même si en utilisant les données sans avoir obtenu une ordonnance de confidentialité Pharmascience avait contrevenu à l’entente, je n’aurais pas considéré que sa capacité de respecter l’entente constituait un intérêt devant être protégé dans les circonstances particulières de l’espèce. Dans l’arrêt Sierra Club, la Cour suprême a reconnu que le non‑respect d’une entente de non‑divulgation cause un préjudice aux intérêts commerciaux lorsqu’« on peut parler plus largement de l’intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels ». Or, l’entente de non‑divulgation dans cette affaire avait été conclue avant le litige. En l’espèce, IMS a choisi de vendre des renseignements « confidentiels » devant être utilisés dans un cadre public, et Pharmascience a choisi de s’engager à respecter une entente de non‑divulgation en sachant pertinemment que cette entente contredisait les fins mêmes pour lesquelles quiconque demande et obtient des renseignements. Je répète que Pharmascience affirme simplement qu’elle était [traduction] « tenue » de consentir à la disposition en matière de confidentialité, mais elle n’étaye pas son affirmation. La Cour estime qu’il n’y a aucun intérêt public général qui requiert la protection de la capacité de Pharmascience de respecter une entente de non‑divulgation — dont elle n’a pas prouvé l’utilité — conclue en contravention des principes de la publicité des débats judiciaires.

[13]           De même, IMS affirme qu’un intérêt public général requiert la protection du caractère confidentiel des données, parce que la divulgation nuirait à sa position concurrentielle par rapport aux autres fournisseurs de données relatives au marché. La Cour estime qu’il n’y a aucun intérêt général requérant la protection de la position concurrentielle dans un modèle d’affaires qui compte sur la vente de renseignements devant être produits en preuve dans le cadre d’une audience publique lorsque la valeur du service repose sur la capacité du vendeur à conférer un caractère confidentiel à des renseignements qui devraient être publics. Si IMS ou ses concurrents souhaitent que les renseignements qu’ils vendent ne soient pas utilisés dans le cadre d’un litige devant une cour de justice publique, ils peuvent simplement décider de ne pas les vendre à ces fins. Si les sociétés pharmaceutiques veulent utiliser devant une cour de justice les données qu’elles achètent, elles devraient les obtenir auprès de vendeurs qui n’exigent pas leur non‑divulgation.

[14]           Enfin, Pharmascience renvoie à une ordonnance sur consentement non publiée pour affirmer que la Cour a déjà rendu à une occasion une ordonnance de confidentialité relativement à des données obtenues auprès d’IMS. Une ordonnance entérinée par la Cour qui ne contient aucun examen ni aucune analyse de la preuve produite, et dans laquelle la Cour ne se prononce pas sur une question de droit ne lie pas la Cour et ne constitue pas un précédent convaincant. 

[15]           Par conséquent, je conclus que Pharmascience ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir qu’elle ou IMS pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements ne soient pas divulgués, que l’intérêt commercial risquant d’être compromis par la divulgation était de la nature d’un intérêt public qui requiert la protection de la confidentialité, et enfin que le préjudice qui risque d’être causé à l’intérêt commercial est réel ou important.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête présentée par Pharmascience est rejetée.

« Mireille Tabib »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑259‑14

INTITULÉ :

SHIRE CANADA INC. c PHARMASCIENCE INC., LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET SHIRE LLC

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA PROTONOTAIRE TABIB

DATE DES MOTIFS :

LE 26 JUIN 2015

REQUÊTE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Carol Hitchman

Rosamaria Longo

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SHIRE CANADA INC.

Gardiner Roberts LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

PHARMASCIENCE INC.

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE / TITULAIRE DU BREVET

SHIRE LLC

 

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