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Date : 20150921


Dossier : IMM‑1414‑14

Référence : 2015 CF 1096

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

TEKIE BEYEN HAILU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2005, M. Tekie Beyen Hailu a obtenu l’asile au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté pour ses opinions politiques en Érythrée. Il a présenté une demande de résidence permanente au Canada, mais elle a été refusée au motif qu’il était interdit de territoire pour avoir été membre d’une organisation qui s’est livrée au terrorisme (suivant les alinéas 34(1)f) et 34(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR], LC 2001, c 27 – les dispositions citées sont reproduites à l’annexe).

[2]               Plus particulièrement, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Hailu avait été membre du Front de libération de l’Érythrée [FLE] et du Conseil révolutionnaire du FLE [CR‑FLE].

[3]               M. Hailu soutient que CIC l’a traité injustement en s’appuyant sur deux rapports qui ne lui ont jamais été communiqués. Il fait de plus valoir que la décision de CIC est déraisonnable parce que CIC a appliqué une définition trop large des termes « appartenance » et « terrorisme ». Enfin, M. Hailu soutient que la décision viole ses droits garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il me demande d’infirmer la décision de CIC et de renvoyer sa demande en vue d’un nouvel examen.

[4]               Je suis d’accord avec M. Hailu pour dire qu’il a été traité injustement. Ce motif justifie de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs invoqués par M. Hailu.

II.                Le contexte factuel

[5]               M. Hailu est devenu membre du FLE en 1979, alors qu’il était âgé de presque vingt ans. Il a assisté à des réunions, distribué des dépliants, aidé à recueillir des fonds et recruté de jeunes membres. En raison de ses activités, il a été détenu par le régime Mengistu pendant trois mois, en 1981, détention durant laquelle il a été torturé et enchaîné.

[6]               À sa remise en liberté, M. Hailu a quitté l’Érythrée pour aller vivre à Addis‑Abeba, en Éthiopie. Il est retourné en Érythrée au début des années 1990, où il a repris ses activités au sein du FLE, après que ce dernier eût été défait par le Front populaire de libération de l’Érythrée [FPLE].

[7]               M. Hailu s’est opposé à la guerre qui a éclaté entre l’Érythrée et l’Éthiopie en 1998. Comme les policiers se sont lancés à sa recherche en 2000, il s’est enfui au Soudan d’où il a exprimé son opinion critique envers le FPLE et les violations des droits de la personne commises par ce dernier.

[8]               M. Hailu a quitté le Soudan en 2001 en raison des mauvais traitements infligés dans ce pays aux réfugiés érythréens. Un agent a pris des arrangements pour que M. Hailu parte pour les États‑Unis, via la Chine et la Corée. Il a demandé l’asile aux États‑Unis, où il a été détenu pendant trente‑cinq jours. Après sa remise en liberté, il a vécu chez des parents et a participé à des manifestations anti‑FPLE.

[9]               La demande d’asile présentée par M. Hailu aux États‑Unis a été rejetée et il a reçu l’ordre de quitter le pays en 2004. Il s’est rendu au Canada et y a demandé l’asile.

[10]           En 2005, CIC a informé M. Hailu qu’il pourrait être interdit de territoire suivant l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, mais l’organisme a ultérieurement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer cette allégation. Plus tard dans l’année, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a accueilli la demande d’asile de M. Hailu, qui a aussitôt présenté une demande de résidence permanente.

[11]           En 2010, après avoir passé en revue les résultats d’entrevues avec M. Hailu et examiné ses observations écrites, CIC a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada en raison de son appartenance au FLE et au CR‑FLE.

III.             La décision de CIC

[12]           CIC a passé en revue l’historique du conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie, a décrit les rôles joués par le FLE et le CR‑FLE et a, plus précisément, souligné les conflits et les agressions auxquels le FLE a participé avant 1972.

[13]           CIC a fondé sa décision concernant l’interdiction de territoire de M. Hailu sur des entrevues faites avec lui et sur ses diverses observations écrites. CIC a conclu que, bien que M. Hailu n’ait jamais participé à des conflits armés ou servi dans des forces armées, il avait participé à des réunions secrètes, distribué de la documentation, recueilli des fonds et recruté d’autres membres, et qu’il était donc membre d’une organisation terroriste au sens du paragraphe 34(1) de la LIPR.

[14]           CIC a aussi souligné que la jurisprudence donne un sens large et non restreint du mot « appartenance », lequel est repris dans son guide d’exécution de la loi. CIC a opté pour la définition de « terrorisme » énoncée dans la décision Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 et dans le Code criminel, LRC 1985, c C‑46.

[15]           Se fondant sur ces sources, CIC a conclu que M. Hailu avait été membre du FLE et du CR‑ELF de 1979 à 2005.

IV.             Première question en litige – M. Hailu a‑t‑il été traité injustement?

[16]           En plus des autres documents, CIC a reçu un rapport de sécurité de 2007 et un rapport du Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS] de 2008. M. Hailu n’a pas eu l’occasion de répondre au contenu de ces rapports.

[17]           Le ministre soutient que M. Hailu n’a pas été traité injustement parce qu’il a eu amplement l’occasion de répondre aux allégations d’interdiction de territoire. De plus, les rapports ne contenaient aucun nouvel élément de preuve ni aucune conclusion définitive sur l’éventuelle interdiction de territoire de M. Hailu.

[18]           À mon avis, il était injuste de la part de CIC de se fonder sur les rapports sans donner à M. Hailu une occasion d’y répondre. La décision de CIC sur l’interdiction de territoire portait sur une question d’une très grande importance pour M. Hailu, soit celle de savoir s’il avait droit à la résidence permanente au Canada. Les rapports ont été rédigés par des organismes dont l’opinion sur l’interdiction de territoire de M. Hailu risquait d’avoir une influence considérable. La décision de se fier à ces rapports sans l’apport de M. Hailu pouvait donner lieu à une conclusion incorrecte ou inadéquate en ce qui a trait à son interdiction de territoire. Communiquer les rapports à M. Hailu et l’inviter à y répondre n’auraient engagé aucun coût de nature administrative ou financière (voir les facteurs énumérés dans l’arrêt Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, au paragraphe 22).

[19]           Par exemple, il est mentionné dans le rapport de 2007 que M. Hailu a déclaré [traduction« qu’il n’a pas participé aux actes de violence, mais il devait certainement en avoir connaissance et, même s’il le savait, il a choisi de demeurer membre » du FLE. L’occasion n’a pas été donnée à M. Hailu de contester l’opinion ainsi exprimée. Il n’avait pas non plus la moindre idée que le SCRS avait des réserves quant à son admissibilité et qu’il avait fait des recommandations à CIC à ce sujet.

[20]           Dans les circonstances, je conclus que CIC a injustement traité M. Hailu.

V.                Conclusion et dispositif

[21]           CIC a injustement traité M. Hailu en l’empêchant de prendre connaissance des rapports sur lesquels CIC s’est fondé pour conclure qu’il était interdit de territoire au Canada, et d’y répondre. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et enjoindre à CIC de réexaminer la question de l’admissibilité de M. Hailu. Aucune question de portée générale n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      L’affaire est renvoyée à CIC pour être réexaminée.

3.      Aucune question de portée générale n’est énoncée.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Sécurité

Security

34.(1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

34.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for.

[...]

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[...]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

Charte canadienne des droits et libertés

Canadian Charter of Rights and Freedoms

Vie, liberté et sécurité

Life, liberty and security of person

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1414‑14

 

INTITULÉ :

TEKIE BEYEN HAILU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

lE 21 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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