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Date : 20150910


Dossier : T-1035-14

Citation : 2015 CF 1065

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

STERLING CLYDE FOSTER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE‑NEUVE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision, rendue le 6 novembre 2013 par le Comité d’inscription (le CI) établi par l’Accord pour la reconnaissance de la bande de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq (l’Accord), rejetant la demande d’inscription du demandeur en raison de son invalidité.

I.                   Le contexte

[2]               En 1949, lorsque Terre-Neuve a intégré la confédération, aucune disposition n’a été prise dans les conditions de l’union pour la reconnaissance des peuples autochtones de la province.

[3]               En 1972, la Federation of Newfoundland Indians (l’association des autochtones de Terre‑Neuve) (la FNI) a été créée pour demander la reconnaissance des Micmacs à Terre‑Neuve‑et‑Labrador.

[4]               L’échec des négociations et le fait qu’une action a été déposée contre le gouvernement fédéral ont mené à d’autres négociations visant la création d’une bande pour les Micmacs, qui se sont conclues par la signature de l’Accord du CI le 23 juin 2008.

[5]               L’Accord du CI a établi un comité d’inscription chargé d’étudier et d’évaluer les demandes d’inscription en fonction des critères d’admissibilité énoncés à l’article 4.1. Le processus d’inscription comportait deux phases : la première phase a débuté le 30 novembre 2008 pour se poursuivre pendant douze mois et se conclure par l’établissement d’une première liste de membres fondateurs; la seconde phase devait commencer immédiatement après la première et se poursuivre pendant 36 mois (jusqu’au 30 novembre 2012) jusqu’à l’établissement d’une seconde liste de membres fondateurs.

[6]               La Première Nation Qalipu Mi’kmaq a été constituée par décret le 22 septembre 2011.

[7]               Selon les modalités de l’Accord du CI, les listes des membres fondateurs devaient être transmises au registraire responsable du registre conformément à la Loi sur les Indiens, LRC (1985), ch I‑5, après quoi le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien devait recommander qu’un décret fût pris déclarant que les personnes inscrites sur les listes forment un groupe constituant une bande d’Indiens conformément à la Loi sur les Indiens, et les inscrire comme Indiens.

[8]               Les personnes étaient invitées à effectuer des recherches sur leurs origines et leur ascendance et à présenter une demande d’inscription à une bande. Des auxiliaires communautaires et des préposés à l’inscription étaient disponibles pour aider certains demandeurs à rédiger leurs demandes. Les demandeurs ont reçu des lignes directrices et des listes de contrôle, et des copies papier des demandes leur ont été fournies pour leur faciliter le processus d’inscription.

[9]               Étant donné le grand volume de demandes, le Comité d’inscription n’a pas été en mesure de toutes les évaluer dans les délais prescrits dans l’Accord du CI. Un Accord supplémentaire (l’Accord supplémentaire) a été signé, sans que les demandeurs soient consultés, par le gouvernement fédéral et la FNI, et annoncé le 4 juillet 2013. Il apportait un certain nombre de changements rétroactifs à l’Accord du CI. En particulier, les demandeurs n’étaient plus en mesure d’interjeter appel de certaines décisions du Comité d’inscription, et toutes les demandes d’inscription, sauf celle antérieurement rejetées, seraient évaluées à la lumière des critères d’admissibilité modifiés énoncés dans l’Accord supplémentaire.

[10]           La FNI est une société sans but lucratif qui représente les bandes micmaques affiliées qui sont situées sur l’île de Terre-Neuve. L’inscription à ces bandes affiliées confère la qualité de membre de la FNI. On peut aussi demander à se faire inscrire sur une liste générale des membres (depuis 2003).

[11]           Le mandat de la FNI est de faire reconnaître par le gouvernement fédéral l’admissibilité des Micmacs située sur l’île de Terre-Neuve à se faire inscrire conformément à la Loi sur les Indiens.

[12]           Les négociations ayant duré plusieurs années et une action judiciaire ayant été déposée puis abandonnée, l’Accord a été signé, créant ainsi une bande sans terres.

[13]           Le demandeur s’est toujours identifié comme ayant des origines et une ascendance micmaques. Il affirme qu’il [traduction] « a vécu le mode de vie des Micmacs », qu’il s’identifie comme un membre du groupe des Micmacs et qu’il [traduction] « a présentement un lien fort avec ce groupe ».

[14]           Le demandeur a présenté sa demande d’inscription à la bande dans le cadre d’une demande familiale avant l’échéance de la seconde phase du 30 novembre 2012. Sa demande est signée et datée du 13 novembre 2012.

[15]           Le demandeur s’est rendu à Grand Falls (Terre‑Neuve), afin d’obtenir de l’aide de Nellie Power, qui a été embauchée pour aider les demandeurs à remplir leurs demandes ou qui s’est portée volontaire, pour remplir la demande. Au moment où il a fait ce voyage, il avait déjà demandé son certificat de naissance détaillé, dont il avait besoin pour la demande d’inscription, mais il ne l’avait pas encore reçu. Mme Power en a pris note à la main sur sa demande, puisqu’elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Sterling a fait une demande de certificat de naissance détaillé il y a trois semaines, mais il ne l’a pas encore reçu ».

[16]           Le certificat de naissance détaillé du demandeur a été émis le 30 novembre 2012, et il pense qu’il l’a reçu au début du mois de décembre 2012. Dès qu’il l’a reçu, il l’a amené à son frère, qui l’a transmis par télécopieur à Mme Power. Aucune page de confirmation de transmission par télécopieur n’a été imprimée, et personne n’a communiqué avec Mme Power pour vérifier qu’elle l’avait bien reçu.

[17]           Le demandeur n’a reçu aucune communication du gouvernement fédéral, de la FNI, du chef et du conseil de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq ou du CI avant le 6 novembre 2013, lorsqu’il a reçu du Comité la lettre l’informant du rejet de sa demande.

[18]           Dès la réception de la décision, le demandeur a appelé le numéro sans frais 1-800 inscrit sur la lettre pour s’informer des options dont il disposait, mais on l’a informé qu’il ne pouvait pas interjeter appel de la décision, qu’il ne pouvait pas fournir d’autres documents ou renseignements et que sa demande ne serait plus examinée davantage.

[19]           Un avis d’intérêt public a été publié sur le site Web du gouvernement du Canada ainsi que sur le site Web de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq, et dans les journaux distribués à Terre‑Neuve, donnant aux demandeurs jusqu’au 3 septembre 2013 pour fournir leurs certificats de naissance détaillés à condition qu’ils aient été demandés au gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador avant le 30 novembre 2012. Le demandeur et son frère n’étaient pas en mesure de se rappeler s’ils ont vu l’avis publié sous diverses formes.

[20]           Le CI a conclu que la demande du demandeur était invalide parce que celui-ci n’avait pas fourni au plus tard le 3 septembre 2013 un certificat de naissance détaillé prouvant que sa demande était antérieure au 30 novembre 2012.

II.                Les questions en litige

[21]           Les questions à trancher sont les suivantes :

  1. La Cour fédérale a‑t-elle compétence pour examiner la décision contestée?
  2. Le demandeur a‑t‑il bénéficié de l’équité procédurale qui convient?
  3. Le demandeur était‑il créancier d’obligations découlant d’une obligation fiduciaire ou de l’honneur de la Couronne?
  4. La décision du CI était-elle déraisonnable?

III.             La norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle à appliquer lorsqu’il s’agit de décider de la compétence et de l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 79). Pour décider de l’étendue de l’équité procédurale dont le demandeur était en droit de s’attendre, la Cour doit examiner les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27, de la façon précisée ci‑après dans l’analyse.

[23]           Les réponses données par le CI aux questions mixtes de faits et de droit devraient être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

IV.             Analyse

A.                La décision du comité d’inscription peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale?

[24]           Le demandeur et le Procureur général défendeur ne contestent pas la compétence de la Cour fédérale dans cette affaire, quoique pour des motifs différents. La FNI, elle, conteste la compétence de cette Cour au motif que les pouvoirs du CI découlent de l’Accord du CI et [traduction] « non de la législation fédérale ou d’un décret pris en vertu du pouvoir de prérogative de la Couronne », le CI n’est donc [traduction] « ni un conseil, ni une commission, ni un tribunal fédéral ».

[25]           Bien que le CI soit un organe indépendant créé par l’Accord du CI, dans les faits, les pouvoirs du comité d’inscription découlent du processus ayant mené à la reconnaissance de membres individuels de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq par le gouverneur en conseil (le GC) en vertu de la Loi sur les Indiens et de la Loi concernant la Première Nation micmaque Qalipu, lesquelles sont clairement des lois du Parlement.

[26]           De plus, en rendant le Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi’kmaq et son annexe, qui identifient les membres de cette Première Nation, le GC a voulu [traduction] « agir conformément à l’alinéa c) de la définition de « bande » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et du paragraphe 73(3) de cette loi » (Décret constituant la bande appelée Première Nation Qalipu Mi’kmaq, DORS/2011-180).

[27]           Par conséquent, en tenant compte du contexte de la formation du CI, pour reconnaître les membres de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq tant en vertu de la Loi sur les Indiens que de la Loi concernant la Première Nation micmaque Qalipu, j’estime que la Cour a compétence pour trancher cette demande de contrôle judiciaire.

B.                 Le demandeur a‑t‑il bénéficié de l’équité procédurale qui convient?

[28]           Le CI est une autorité publique qui prend des décisions administratives ayant d’importantes répercussions sur les droits, privilèges et intérêts de personnes cherchant à se faire reconnaître comme membres de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq. Il doit y avoir une équité procédurale étant donné que :

  1. la décision est de nature définitive;
  2. la décision fait intervenir un acteur de droit public;
  3. la décision a un effet sur les droits d’un particulier.

Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990], 1 R.C.S. 653, au paragraphe 28.

[29]           La décision du CI est définitive, car elle a refusé l’inscription du demandeur sans lui donner la possibilité de produire des renseignements supplémentaires ni lui conférer de droit d’appel. La décision est aussi de nature administrative, car le Comité tient ses pouvoirs de l’Accord, lequel a été conclu entre le gouvernement fédéral et la FNI. Le CI tire ses pouvoirs du pouvoir de prérogative de la Couronne de constituer de nouvelles bandes et de décider de l’inscription à une bande et du statut d’Indien.

[30]           Bien que l’étendue de l’équité procédurale varie selon les circonstances, en considérant les critères pertinents énoncés dans l’arrêt Baker ci‑dessus, la décision appelle une équité procédurale d’une plus grande étendue; il convient ainsi de tenir compte des éléments suivants :

  1. la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
  2. la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;
  3. l’importance de la décision pour la personne visée;
  4. les attentes légitimes de la personne qui la conteste;
  5. les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1992] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27; Chemin de fer Canadien Pacifique c Vancouver (Ville), 2006 CSC 5.

[31]           Les défendeurs soutiennent que le CI exerçait une fonction non judiciaire lorsqu’il étudiait les demandes pour évaluer l’inscription à titre de membre de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq. C’est la raison pour laquelle le demandeur a droit à une protection moindre sur le plan de la procédure. Le demandeur soutient que la nature de la décision était judiciaire étant donné qu’il devait déposer une demande et fournir des éléments de preuve, y compris une preuve par déclaration sous serment, à l’appui de sa demande, et que la décision était définitive et qu’elle avait une incidence sur ses droits.

[32]           À mon avis, il ne s’agit pas de statuer sur des droits dans un contexte contradictoire. Cependant, il ne s’agit pas non plus d’une décision hautement discrétionnaire ou fondée sur une politique, ce qui donne droit en général à une équité procédurale de moindre ampleur.

[33]           La nature du régime législatif nous éclaire sur le degré d’équité procédurale qui peut être dévolu au demandeur. Compte tenu du fait que la décision est davantage de nature réglementaire et administrative que judiciaire, des droits ancestraux en jeu du demandeur et de la détermination de son statut en tant que membre de la bande Qalipu Mi’kmaq (critères a. et c. de l’arrêt Baker susmentionnée), et du fait que la décision est définitive, sans droit d’appel (critère b. de l’arrêt Baker), le devoir d’équité penche en faveur d’un degré plus élevé de protection procédurale.

[34]           De plus, comme il est énoncé dans l’arrêt Baker, au paragraphe 28 :

Les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[35]           L’Accord prévoyait que le CI était autorisé à demander des renseignements lorsqu’une demande était incomplète (à l’article 4.2.9), ce qui laisse à penser qu’un certain degré d’équité devait être accordé au traitement des demandes déficientes sur le plan administratif en prévoyant une certaine forme d’avis et d’occasion d’être entendu avant qu’une décision définitive ne soit prise. En revanche, cette disposition est de nature discrétionnaire et ne prévoit pas une obligation. Il est important que l’Accord soit interprété de manière à viser autant l’établissement de relations pour l’avenir que la résolution des griefs du passé; il ne s’agit pas d’un banal contrat commercial (Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks), 2010 CSC 53 au paragraphe 10).

[36]           L’Accord supplémentaire prévoyait que les demandes incomplètes devaient être déclarées invalides et retirait tout droit d’appel. Cependant, une décision visant à déclarer une demande invalide était faite [traduction] « sous réserves de la capacité de soumettre un nouveau formulaire de demande dûment rempli et signé » (à l’article 8.3). Ainsi, les demandeurs avaient la possibilité de soumettre une nouvelle demande si des erreurs avaient été faites antérieurement.

[37]           Le Procureur général souligne fort à propos que le CI ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire d’étudier les demandes qui ne remplissent pas les exigences minimales ni du pouvoir discrétionnaire de prolonger la période pendant laquelle une demande peut être présentée. Il disposait cependant du pouvoir discrétionnaire d’aviser les demandeurs dont les demandes étaient incomplètes en vertu de l’article 4.2.9.

[38]           L’inclusion de ces possibilités de recours dans l’Accord du CI et dans l’Accord supplémentaire visant à permettre la correction d’erreurs administratives va dans le sens de l’argument du demandeur selon lequel l’Accord du CI visait l’équité et devait prévenir une situation comme la situation présente où un particulier, qui pourrait remplir tous les critères exigés pour obtenir le statut d’Indien et l’inscription à la bande, en est empêché en raison d’une erreur technique ou administrative.

[39]           La procédure du comité d’inscription a été définie dans les modalités de l’Accord du CI. Comme il a été mentionné précédemment, l’Accord du CI a conféré au CI le pouvoir discrétionnaire de demander des éléments de preuve supplémentaires afin de terminer l’évaluation des critères d’admissibilité énoncés à l’article 4.1. L’Accord du CI ne faisait pas obligation au CI d’aviser les demandeurs des déficiences des demandes.

[40]           Plus un comité d’inscription dispose d’une large marge de manœuvre pour décider de ses règles de procédure, moins l’équité procédurale est importante. Dans le cas présent, le CI n’a pas obtenue toute la latitude pour déterminer sa procédure; en réalité, il disposait d’un pouvoir très limité à cet égard, à part le pouvoir d’aviser les demandeurs des déficiences de leurs demandes, ce qui tend à trancher en faveur d’un degré de protection procédurale plus élevé.

[41]           Le fait que des auxiliaires communautaires et des préposés à l’inscription ont été embauchés par le CI pour aider les demandeurs démontre que les parties à l’Accord du CI avaient prévu la possibilité d’erreurs ou omissions techniques ou administratives, qu’une telle situation nécessitait la prestation d’une aide et qu’elles voulaient éviter qu’une irrégularité dans le processus d’inscription entraîne automatiquement la perte de l’inscription à une bande. Le fait que le demandeur n’a pas réellement cherché à obtenir de l’aide n’est pas concluant; le fait que des auxiliaires ont été embauchés démontre que le CI reconnaissait l’importance des intérêts qui étaient en jeu.

[42]           Dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 22, madame la juge L’Heureux‑Dubé a souligné le but premier des droits de participation :

Je souligne que l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. [Non souligné dans l’original.]

[43]           Comme le fait remarquer le demandeur, la liste de critères établie dans l’arrêt Baker n’est pas exhaustive (au paragraphe 28). Même si je ne suis pas d’avis que le demandeur était créancier d’une obligation fiduciaire ou que l’honneur de la Couronne était en jeu dans le cas qui nous occupe (pour les raisons mentionnées ci‑après), le fait que l’Accord découle du pouvoir de prérogative du GC de créer des nouvelles bandes en vertu de la Loi sur les Indiens démontre qu’un degré plus élevé d’équité procédurale doit s’appliquer. Au minimum, un avis était nécessaire.

[44]           Les personnes qui demandaient l’inscription à la Première Nation Qalipu Mi’kmaq connaissaient les exigences qui devaient être remplies et ce, au moyen de l’Accord du CI, des lignes directrices de la FNI et du formulaire de demande. Cependant, le demandeur n’a pas été avisé de la déficience de sa demande et n’a pas eu l’occasion d’y répondre et de la corriger. Une personne raisonnable au courant de ces faits aurait trouvé la décision injuste.

[45]           Si M. Foster avait été avisé de la date limite fixée pour la remise des certificats de naissance détaillés, du fait que le sien n’avait pas été reçu (alors qu’il pensait qu’il l’avait été) et que, par conséquent, sa demande était incomplète, il aurait eu l’occasion d’envoyer son certificat de naissance directement au comité d’inscription. Par conséquent, il aurait rempli les exigences de l’article 4.1, ce qui aurait eu des conséquences importantes et durables sur son statut en qualité de membre d’une bande.

[46]           L’absence d’avis et ainsi de toute forme de recours pour un demandeur qui a commis une erreur honnête dans sa demande n’est pas juste. Cette situation n’est pas juste étant donné le contexte législatif, institutionnel et surtout social de l’Accord du CI, de l’Accord supplémentaire, de la mission du CI, et du fait que la décision du CI a des conséquences à long terme sur l’identité personnelle du demandeur, sur son appartenance à sa communauté, sur les droits de ses descendants, sur son accès à certains programmes et services et sur des droits protégés par la Constitution.

[47]           Dans le cadre de l’analyse entourant l’équité procédurale, le demandeur soutient qu’il s’attendait légitimement à ce que la procédure en place lui permette d’être averti si sa demande était incomplète. Le critère, énoncé dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 94 et 95, est que la pratique, la conduite ou la promesse qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites et ne pas contrevenir à une obligation légale. Ce critère n’est pas rempli par les faits de la présente espèce; l’Accord du CI a conféré au CI le pouvoir discrétionnaire de demander des renseignements lorsqu’une demande est incomplète, et ce pouvoir ne constitue pas une obligation de le faire en termes clairs, nets et explicites.

C.                 La Couronne était-elle tenue à l’égard du demandeur d’obligations fondées sur une obligation fiduciaire ou l’honneur de la Couronne?

[48]           Un rapport de confiance existe entre les peuples autochtones et la Couronne. Cependant, en dehors du cadre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, une obligation fiduciaire exige l’existence d’un droit indien identifiable et l’engagement de la Couronne à exercer, à l’égard de ce droit, des pouvoirs discrétionnaires d’une manière entraînant une responsabilité de la « nature d’une obligation de droit privé ». Dans le cas présent, où aucun droit ancestral ni aucun droit issu de traités ne sont invoqués, un devoir fiduciaire doit être lié à l’existence d’un droit indien identifiable, comme les terres de réserve (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79, aux paragraphes 81 à 85).

[49]           Comme le soutient le Procureur général défendeur, le demandeur n’a pas invoqué l’existence d’un droit indien identifiable sur lequel fonder son affirmation qu’il est créancier d’une obligation fiduciaire. Il n’a fourni aucun élément de preuve au sujet des pratiques, coutumes et traditions du groupe autochtone considéré d’où découle l’obligation fiduciaire, ou surtout sur laquelle il est fondé à réclamer des droits découlant d’un statut ou de l’absence de statut.

[50]           Je suis aussi d’accord avec le Procureur général défendeur que toute obligation fiduciaire, si elle était due, le serait à l’égard du groupe autochtone concerné, en l’occurrence le groupe des Indiens micmacs de Terre-Neuve, qui était représenté dans le cadre des négociations par la FNI ou son successeur par voie de mise en œuvre de l’Accord, la Première Nation Qalipu Mi’kmaq. L’honneur de la Couronne vise à s’assurer de ce que l’Accord, tel qu’il a été négocié entre le gouvernement du Canada et le groupe autochtone, a été mis en œuvre comme convenu. Dans le même ordre d’idées, le devoir de la Couronne de traiter honorablement avec le groupe autochtone exige que l’Accord soit interprété et mis en œuvre à la lumière de son but et dans le cadre de son contexte social et historique.

[51]           J’estime donc qu’aucune obligation fiduciaire n’a été violée, le demandeur n’ayant pas réussi à prouver qu’elle lui était due, et qu’aucune atteinte à l’honneur de la Couronne à l’égard du demandeur n’a été portée étant donné que le demandeur ne pouvait se prévaloir dans le cas présent de ni l’un ni l’autre.

D.                La décision du CI était-elle déraisonnable?

[52]           Pour les mêmes motifs pour lesquels je conclus que la décision du CI n’était pas équitable sur le plan procédural, je conclus aussi qu’elle était déraisonnable : aucun avis raisonnable n’a été transmis au demandeur pour lui permettre de corriger la déficience de sa demande visant à être reconnu membre de la Première Nation Qalipu Mi’kmaq, et aucune tentative n’a été faite de l’aviser à cet égard.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la décision du comité d’inscription déclarant invalide la demande d’inscription du demandeur à la bande Qalipu Mi’kmaq est infirmée;

2.                  le CI doit évaluer la demande du demandeur et son admissibilité à être inscrit à la bande Qalipu Mi’kmaq conformément à l’article 4.1 de l’Accord;

3.                  les dépens sont adjugés au demandeur.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1035-13

 

INTITULÉ :

STERLING CLYDE FOSTER C PGC ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1ER SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE MANSON

 

DATE :

LE 10 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Mme Jamie Lickers

POUR LE DEMANDEUR

Mme Helene Robertson

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

M. Stephen May

POUR LA DÉFENDERESSE,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON, S.E.N.C.R.L.

Hamilton (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR,

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

COX & PALMER

St. John’s (Terre-Neuve‑et-Labrador)

POUR la défenderesse,

FÉDÉRATION DES INDIENS DE TERRE-NEUVE

 

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