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Date : 20150311


Dossier : T-646-14

Référence : 2015 CF 307

Montréal (Québec), le 11 mars 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MICHEL GIROUARD

demandeur

et

LE COMITÉ D'EXAMEN CONSTITUÉ EN VERTU DES PROCÉDURES RELATIVES À L'EXAMEN DES PLAINTES DÉPOSÉES AU CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE AU SUJET DES JUGES DE NOMINATION FÉDÉRALE

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, l’honorable Michel Girouard, requiert l’annulation de l’ordonnance de la Cour radiant sa demande de contrôle judiciaire. Aux fins de l’adjudication de cette requête, la Cour a considéré l’ensemble de la documentation déjà produite par les parties dans les dossiers T-646-14 et T-1557-14 à la lumière de la preuve additionnelle, des prétentions écrites soumises avec les dossiers de requête et de réponse des parties, et des arguments oraux des procureurs à l’audience du 24 février 2015.

[2]               Rappelons que le 5 décembre 2014, la Cour a accueilli la requête en radiation déposée par le Procureur général du Canada [défendeur] dans le présent dossier, et ce, au motif que la demande de contrôle judiciaire est prématurée : Girouard c Procureur général du Canada et un autre, 2014 CF 1175 [Girouard 1]. Du même coup, la Cour a accueilli la requête en radiation déposée par le défendeur dans le dossier T-1557-14, parce que la demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune cause d’action valable : Girouard c Procureur général du Canada et un autre, 2014 CF 1176 [Girouard 2].

[3]               En bref, le demandeur désire aujourd’hui que la Cour annule non seulement son ordonnance du 5 décembre 2014 dans le présent dossier, mais également qu’elle ordonne l’arrêt complet des procédures devant le Conseil canadien de la magistrature [CCM]. Le demandeur allègue avoir découvert depuis peu l’existence de « faits nouveaux » au dossier du CCM, qui démontrent premièrement que le principe de cloisonnement n’a pas été respecté – ce qui crée une situation d’iniquité procédurale irrémédiable – et deuxièmement que l’enquête a débuté devant le Comité d’enquête en l’absence du demandeur – ce qui enfreint son droit à une défense pleine et entière.

[4]               Concurremment à la présentation de la requête en annulation du demandeur, le CCM a demandé le statut d’intervenant. Le 24 février 2015, la Cour a accueilli en partie la requête en intervention avant d’entendre les représentations orales des parties quant au mérite de la présente requête en annulation.

[5]               Suite aux directives de la Cour, le CCM a signifié et déposé le 23 février 2015 un projet d’ordonnance voulant que :

La Cour autorise le Conseil canadien de la magistrature à intervenir dans cette cause et lui accorde le statut d’intervenant, avec tous les droits accordés à une partie, incluant le droit de déposer un dossier comportant des documents et une preuve, incluant un affidavit, le droit de présenter des soumissions orales lors de l’audience, d’en appeler du jugement, et tout autre droit dont jouit une partie en lien avec la demande en annulation du jugement rendu le 5 décembre 2014, mais uniquement en regard de ce qui suit :

Toutes allégations concernant l’intégrité du processus d’enquête, la mise en application inadéquate par le Conseil de son processus d’enquête par le biais de son Règlement, de ses Procédures et de sa loi constitutive, incluant notamment les allégations d’iniquité procédurale irrémédiable, d’avoir enfreint un principe fondamental de « cloisonnement » de chacune des étapes du processus d’enquête, d’avoir débuté l’enquête en l’absence du demandeur, enfreignant ainsi son droit fondamental à une défense pleine et entière.

Le tout sans frais.

[6]               J’ai beaucoup de difficulté à voir dans le projet d’ordonnance ci-haut une « intervention conservatoire », comme l’a prétendu à l’audience l’un des procureurs du CCM. En effet, il n’est généralement pas permis à un tribunal administratif de venir défendre le mérite d’une décision contestée en contrôle judiciaire. Et, à tout prendre, comme il est énoncé de manière éloquente dans l’arrêt Northwestern Utilities Ltd et autre c Edmonton, [1979] 1 RCS 684 à la p 710 : « Accorder au tribunal administratif la possibilité de défendre sa conduite et en fait de se justifier donnerait lieu à un spectacle auquel nos traditions judiciaires ne nous ont pas habitués ».

[7]               Au demeurant, la Cour d’appel fédérale a très bien résumé, dans l’affaire Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 246 aux para 15 à 24 [Quadrini], les raisons pour lesquelles la Common Law restreint la portée des observations qu’un tribunal administratif peut présenter dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Outre le principe du caractère définitif des décisions, il y a le principe de l’impartialité. Le problème n’est pas seulement au niveau du « spectacle » désagréable venant ternir l’image d’impartialité qu’il faut prêter au décideur et qu’il faut préserver dans l’intérêt de la justice. Qui pis est, le CCM est bien mal placé pour défendre de quelque manière que ce soit devant cette Cour le bien-fondé de sa démarche dans un dossier, d’autant plus que dans le cas présent, l’enquête devant le Comité d’enquête n’est pas terminée, alors que le CCM pourrait être appelé à siéger ultérieurement, en séance plénière, dans la présente affaire.

[8]               À terme, l’éventail des remèdes s’offrant à la cour siégeant en révision judiciaire peut gravement souffrir des interventions agressives (Samatar c Canada (Procureur général), 2012 CF 1263 aux para 41, 181, 185 et 186 [Samatar]). Une juste distance s’impose forcément, voilà en essence ce que le juge Stratas nous rappelle au paragraphe 16 dans l’affaire Quadrini, précitée:

Lorsqu’elle fait droit à une demande de contrôle judiciaire, une juridiction dispose d’une grande latitude en ce qui concerne le choix et la conception des réparations (MiningWatch Canada c. Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, [2010] 1 R.C.S. 6). Une des réparations les plus courantes consiste à renvoyer l’affaire au tribunal administratif pour qu’il rende une nouvelle décision. En pareil cas, le tribunal administratif doit examiner de nouveau l’affaire et être perçu comme l’examinant de nouveau avec impartialité et un esprit ouvert. Les observations que le tribunal administratif présente dans une instance en contrôle judiciaire et qui plongent trop loin, trop intensément ou trop énergiquement dans le bien-fondé de l’affaire soumise au tribunal administratif risquent d’empêcher celui-ci de procéder par la suite à un réexamen impartial du bien-fondé de l’affaire. De plus, de telles observations du tribunal administratif sont susceptibles de miner sa réputation d’impartialité et d’entamer la confiance du public envers l’équité de notre système de justice administrative. [soulignements ajoutés]

[9]               Au risque de me répéter, le Comité d’examen constitué en vertu des Procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au Conseil canadien de la magistrature au sujet des juges de nomination fédérale, en vigueur entre le 14 octobre 2010 et le 3 avril 2014 [Procédures], n’aurait pas dû être désigné au départ par le demandeur comme codéfendeur dans l’avis de demande de contrôle judiciaire. De plus, le Comité d’enquête qui a été constitué sous l’autorité présumée du paragraphe 63(3) de la Loi sur les juges, LRC 1985, c J-1 [Loi] et de l’article 2 du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, DORS/2002-371 [Règlement], n’a pas encore siégé publiquement, ni statué sur les requêtes préliminaires de l’avocate indépendante et du demandeur dans le présent dossier. Le demandeur dit aujourd’hui que l’enquête a débuté devant le Comité d’enquête en son absence : cela n’en fait pas un défendeur pour autant, alors qu’il faut présumer de la compétence du Comité d’enquête à cette étape du dossier (Girouard 1, précité au para 26).

[10]           Car, faut-il le rappeler, selon les paragraphes 303(1) et (2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], l’office fédéral dont la décision ou la compétence est contestée ne doit pas être désigné à titre de défendeur. Lorsque personne ne peut être désigné par défaut comme défendeur en vertu des Règles ou d’une loi, le Procureur général du Canada est désigné à titre de défendeur. Or, à ce jour, ce dernier n’a pas présenté de requête en vertu du paragraphe 303(3) des Règles pour être remplacé par le CCM et il n’est pas évident qu’une telle requête serait accordée par la Cour (voir Douglas c Canada (Procureur général), 2013 CF 451).

[11]           Le défendeur n’est pas en conflit d’intérêts dans le présent dossier, et ce, même s’il faut s’attendre ici à ce que ce soit ce dernier qui intervienne devant le Comité d’enquête (Girouard 1, précité aux para 23-26), et le cas échéant en révision judiciaire, pour soutenir la validité et la constitutionnalité des dispositions du Règlement et des Procédures qu’attaque le demandeur (Canada (Procureur général) c Sam Lévy et associés inc, 2005 CF 171; Sam Lévy & Associés Inc c Mayrand, 2005 CF 702, conf par 2006 CAF 205). On ne parle pas non plus d’une enquête sur un cas de révocation menée en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi par le CCM à la demande du ministre de la Justice ou d’un procureur général d’une province comme dans les affaires Boilard et Cosgrove, mais d’une enquête sur une « plainte ordinaire » effectuée en vertu du paragraphe 63(2) de la Loi.

[12]           À ce chapitre, en l’absence d’une autre partie intéressée venant soutenir la légalité de la décision contestée, l’intervention du Procureur général du Canada devant la Cour fédérale devrait tendre à celle d’un amicus curiae, même s’il possède plus de latitude qu’un amicus curiae. Après tout, le défendeur représente l’intérêt public : Samatar, précité aux para 43-44. Les questions d’indépendance ou d’impartialité d’ordre institutionnel relèvent de l’expertise du Procureur général du Canada. Il reste qu’aux fins du débat devant la Cour aujourd’hui, le défendeur devrait d’abord et avant tout éclairer la Cour, d’une façon objective et complète, sur le droit applicable et les faits mentionnés dans les procédures, sans aller chercher des justifications qui ne sont pas fournies par l’office fédéral lui-même dans la décision contestée (ou dans les lettres du CCM). Or, jusqu’à aujourd’hui, le défendeur s’est très bien acquitté dans le présent dossier de cette tâche délicate.

[13]           Ayant considéré et soupesé tous les facteurs pertinents (Rothmans, Benson & Hedges c Canada (Procureur général), [1990] 1 CF 74, [1989] ACF no 446 au para 12, confirmé par [1990] 1 CF 90 (CAF); Canada (Procureur général) c Conseil de la Bande de Pictou Landing et Maurina Beadle, 2014 CAF 21 au para 11), notant par ailleurs que le CCM n’a jamais exprimé le désir d’intervenir dans le présent dossier Girouard 1, précité au para 2, le 24 février 2015, la Cour a néanmoins autorisé la production, dans l’intérêt de la justice, d’un affidavit complété par le directeur exécutif et avocat général du CCM, Me Norman Sabourin [directeur exécutif], en date du 6 février 2015, et d’un certain nombre de lettres antérieures émanant du CCM, et ce, dans la mesure où leur contenu est susceptible d’éclairer la Cour dans le cadre de son examen de la requête du demandeur en annulation de l’ordonnance rendue le 5 décembre 2014. La requête en intervention du CCM a autrement été rejetée par la Cour.

[14]           L’alinéa 399(2)a) des Règles prévoit que :

399. […] (2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

399. […](2) On motion, the Court may set aside or vary an order

 

 

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

 

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

[15]           À cause du principe de la finalité des jugements, la Règle 399 revêt un caractère d’exception et la Cour n’annulera pas une ordonnance à la légère (Rostamian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1991) 27 ACWS (3d) 557, [1991] ACF no 525 (CAF) au para 5). Dans l’affaire Ayangma c Canada, 2003 CAF 382 au para 3, la Cour d’appel fédérale résume ainsi les conditions qui doivent être réunies pour que la Cour puisse faire droit à une requête en vertu de l’alinéa 399(2)a) des Règles :

1- les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux » au sens de l'alinéa 399(2)a);

2- les « faits nouveaux » ne doivent pas être des faits nouveaux que l'intéressé aurait pu découvrir avant que l'ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable;

3- les « faits nouveaux » doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question.

[16]           Bien que le demandeur satisfasse aux deux premières conditions, je ne suis pas convaincu en l’espèce que les « faits nouveaux » qu’il invoque dans sa requête en annulation sont « de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question », puisque la radiation de sa demande de contrôle judiciaire est fondée sur son caractère prématuré.

I.                   Les éléments découverts depuis peu doivent constituer des « faits nouveaux »

[17]           Reprenons l’exercice depuis le début. Aux fins d’appréciation de leur pertinence au sens de l’alinéa 399(2)a) des Règles, les faits nouveaux allégués par le demandeur s’inscrivent dans une chronologie qui doit tenir compte du fait que deux demandes de contrôle judiciaire ont été déposées par le demandeur relativement à l’enquête du CCM. À moins d’indication contraire, les références aux pièces renvoient aux procédures déposées dans le présent dossier (T‑646-14).

[18]           Le 30 septembre 2010, le demandeur a été nommé à la Cour supérieure du Québec. En mai 2012, il a fait l’objet d’une allégation par un témoin repenti ayant déclaré, dans le cadre d’une enquête criminelle, qu’il aurait vendu au demandeur, alors avocat, de la cocaïne jusqu’à la fin 1989 ou 1991. Au reste, ce n’est pas la seule allégation visant des actions du demandeur alors qu’il était avocat. Le 30 octobre 2012, le Directeur des poursuites criminelles et pénales de la province de Québec a transmis ces informations au juge en chef de la Cour supérieure du Québec, l’honorable François Rolland (pièce D-3). Le demandeur – qui a toujours nié la véracité des allégations en question – a été relevé de ses fonctions judiciaires dans l’intérim. Les bâtonniers Gérald R. Tremblay et Louis Masson représentent depuis le début le demandeur au niveau des procédures devant le CCM et la Cour fédérale.

[19]           Le 30 novembre 2012, le juge Rolland s’est adressé au CCM afin qu’il procède à un examen de la conduite du demandeur, en lui transmettant une copie des documents pertinents (pièce D-3) [la plainte]. Dans les faits, le directeur exécutif a traité cette lettre comme une plainte et a décidé d’ouvrir un dossier. Lorsque la plainte est manifestement irrationnelle ou qu’elle constitue un abus évident de la procédure de dépôt des plaintes, le directeur exécutif peut fermer le dossier : article 2.2 des Procédures; Canada (Procureur général) c Cosgrove, 2007 CAF 103 au para 70 [Cosgrove]. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[20]           On arrive au deuxième niveau. Le vice-président du Comité sur la conduite des juges du CCJ, feu l’honorable Edmond Blanchard, juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale et juge de la Cour fédérale [vice-président], a étudié la plainte et examiné les documents au dossier, lesquels comprenaient la version du demandeur (lettre du 11 janvier 2013). Le 7 février 2013, comme le permettent l’article 7.1 et l’alinéa 5.1c) des Procédures, le vice-président a demandé à Me Raymond Doray, du cabinet d’avocats Lavery [l’avocat externe], de procéder à une « enquête supplémentaire » (pièce D-4). Le nom des personnes rencontrées et le contenu des informations recueillies à cette occasion sont confidentiels. Il suffit de mentionner ce qui suit.

[21]           Entre le 27 février et le 6 mai 2013, l’avocat externe a eu diverses rencontres ou entretiens téléphoniques avec des juges, une représentante des poursuites criminelles et pénales, et aussi des enquêteurs de la Sûreté du Québec. Le 6 mai 2013, une première version du « rapport de synthèse » (volume 1) de l’avocat externe a été communiquée au demandeur. Les 9 et 10 juillet 2013, l’avocat externe a eu d’autres entretiens téléphoniques avec des juges, des anciens associés ou des professionnels connaissant le demandeur (volume 2). Enfin, le 13 août 2013, l’avocat externe a rencontré le demandeur en compagnie de ses procureurs (volume 3). Puis, le ou vers le 13 août 2013, l’avocat externe a finalisé son rapport de synthèse (pièce D-5). Le 14 août 2013, par l’entremise de ses procureurs, le demandeur a fait parvenir à l’avocat externe des observations écrites.

[22]           Par la suite, tel que le souligne le directeur exécutif du CCM dans son affidavit du 6 février 2015, l’avocat externe a produit un « rapport confidentiel à caractère juridique » à l’attention du vice-président du CCJ. Le demandeur dit avoir découvert l’existence de ce second « rapport confidentiel » après l’émission de l’ordonnance du 5 décembre 2014. Je suis satisfait en l’espèce qu’il s’agit d’un « fait nouveau ». Aucun tel rapport ne fait partie du dossier certifié de l’office fédéral. Reste à savoir si ce second rapport pouvait être raisonnablement découvert avant le 5 décembre 2014 par le demandeur et s’il a un caractère déterminant.

[23]           Le 22 octobre 2013, le vice-président a décidé de constituer un Comité d’examen composé des honorables juges Ernest Drapeau, Glen Joyal et Arthur J. LeBlanc. On est alors passé au troisième niveau. Par l’entremise d’une lettre qui leur est adressée et est signée par le directeur exécutif, le vice-président a fait part aux membres du Comité d’examen des nombreuses interrogations qu’il entretenait au niveau de la crédibilité du demandeur, ainsi que de sa recommandation de poursuivre l’enquête (pièce D-6). Le même jour, par envoi séparé, le directeur exécutif du CCJ a fait parvenir au demandeur une copie de la lettre du vice-président et des documents relatifs au dossier.

[24]           Le 6 février 2014, le Comité d’examen a décidé de constituer un Comité d’enquête en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, estimant que l’affaire en cause est suffisamment grave pour justifier la révocation du demandeur à titre de juge. Les motifs du Comité d’examen se retrouvent dans le rapport confidentiel daté du même jour (pièce D-7).

[25]           Le 11 février 2014, le demandeur a été informé de la décision unanime du Comité d’examen par le directeur exécutif. Dans la lettre rendue publique à l’audience du 24 février 2015 (ANS-2), le directeur exécutif précise :

[…]

Conformément à l’article 9.9 des Procédures relatives aux plaintes du CCM (les « Procédures »), je vous fais tenir copie d’un rapport qui énonce les motifs de décision du Comité d’examen à cet égard. Une copie est également transmise à vos procureurs. Je vous prierais de noter que ce rapport est confidentiel et, tel qu’il est mentionné au rapport, certaines des pièces en annexe pourraient faire l’objet d’un interdit de publication éventuel par le Comité d’enquête.

En vertu des dispositions du Règlement, on invitera le ministre de la Justice à désigner un ou plusieurs avocats pour siéger au Comité d’enquête. Le juge en chef Blanchard procédera, en vertu du paragraphe 2(1) du Règlement, à la nomination de membres du Conseil pour siéger au Comité d’enquête. Il procédera aussi à la nomination d’un avocat indépendant qui sera chargé de présenter l’affaire au Comité d’enquête. Je vous aviserai de la composition du Comité d’enquête lorsqu’elle sera finalisée.

Par ailleurs, je vous prie de noter que le Conseil [entend] émettre un communiqué de presse sous peu au sujet de la constitution de ce Comité d’enquête.

[...]

[26]           L’enquête qui s’amorce alors devant le Comité d’enquête constitue le quatrième niveau. Après quoi, le CCM examine la plainte et est appelé à se prononcer sur son mérite (cinquième niveau). Le CCM présente ensuite au ministre de la Justice un rapport sur ses conclusions et recommandations, ce qui pourrait ultimement déboucher sur la révocation du juge (sixième niveau).

[27]           Le 12 février 2014, conformément au paragraphe 1.1(4) du Règlement, le directeur exécutif s’est adressé au ministre de la Justice afin qu’il procède à la nomination d’un ou plusieurs avocats au Comité d’enquête (pièce ANS-3).

[28]           Le 13 mars 2014, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du Comité d’examen [le premier avis de demande]. Le demandeur cherche ainsi à faire annuler la décision contestée et à faire invalider ou déclarer inapplicables, en tout ou en partie, le Règlement et les Procédures (voir Girouard 1, précité au para 11).

[29]           Par lettre en date du 9 avril 2014 (pièce ANS-3), invité à désigner un ou plusieurs avocats à siéger au Comité d’enquête, le ministre de la Justice a désigné Me Ronald LeBlanc, c.r.

[30]           Le 10 avril 2014, suite à la demande formulée par le demandeur dans son premier avis de demande, la greffière de la conduite judiciaire au CCM a déposé à la Cour, en vertu de la Règle 318, sous enveloppe scellée, une copie certifiée du dossier confidentiel qui était devant le Comité d’examen [dossier de l’office fédéral]. La confidentialité de ces documents a été maintenue par la Cour qui a rendu diverses ordonnances de confidentialité qui n’ont pas été révoquées à ce jour, bien qu’une grande partie de la correspondance échangée depuis la décision du Comité d’examen soit devenue aujourd’hui publique (p. ex. pièces ANS-1 à ANS-4 annexées à l’affidavit du directeur exécutif et pièce CCM-1 déposée à l’audience du 24 février 2015).

[31]           Le 16 avril 2014, le défendeur a signifié et déposé un avis de requête demandant la radiation du premier avis de demande de contrôle judiciaire [la première requête en radiation]. Celle-ci était présentable à la séance générale devant avoir lieu à Québec le 15 mai 2014. La requête n’a pas été entendue à cette dernière date, mais a été remise pour être entendue à une séance spéciale étant donné que l’audition prévue était de plus de 2 heures.

[32]           Ce printemps-là, notre collègue Blanchard fut absent de la Cour. Nous devions l’apprendre ultimement : ce serait son dernier printemps. Les dernières semaines, il est demeuré alité dans un établissement hospitalier. Dans son affidavit, le directeur exécutif explique qu’il était néanmoins en communication téléphonique avec ce dernier :

Suite à [la lettre du 9 avril 2014 du ministre de la justice], par voie de communication téléphonique, le juge en chef Blanchard m’a informé de sa décision de désigner à titre de membres du Comité d’enquête l’honorable Richard Chartier, juge en chef du Manitoba (président) et l’honorable Paul Crampton, juge en chef de la Cour fédérale, conformément à l’article 2 du Règlement. II m’a demandé de prendre les mesures administratives d’usage pour donner effet à sa décision.

En avril 2014, par voie de communication téléphonique, le juge en chef Blanchard m’a informé de son intention de nommer Me Marie Cossette comme avocate indépendante, conformément à l’article 3 du Règlement.

Le 29 avril 2014, j’ai eu des discussions avec Me Gérald R. Tremblay, l’un des procureurs du juge Girouard, et je l’ai informé de l’intention du juge en chef Blanchard de nommer Me Marie Cossette à titre d’avocat indépendant.

Compte tenu que Me Cossette, bien qu’exerçant à Québec, faisait partie du même cabinet Lavery que Me Raymond Doray, qui lui exerce à Montréal, mes discussions avec Me Tremblay visaient à m’assurer, au nom du juge en chef Blanchard, que cette situation ne causerait pas de difficulté et le soussigné a donc invité Me Tremblay à indiquer s’il voyait des difficultés à ce que Me Cossette soit nommée.

Le 5 mai 2014, j’ai fait un suivi avec Me Tremblay au sujet de la nomination de Me Cossette. Peu après, il m’informait qu’il n’avait pas de préoccupations, en autant qu’une « muraille de chine » soit en place entre Me Doray et Me Cossette.

J’ai avisé le juge en chef Blanchard, qui m’a confirmé sa décision de nommer Me Cossette et m’a demandé de prendre les mesures administratives d’usage pour donner effet à sa décision.

J’ai immédiatement avisé Me Cossette de sa nomination et je lui ai demandé de communiquer avec Me Tremblay pour discuter de la question d’une « muraille de chine ».

En aucun temps, le soussigné n’a été impliqué dans les discussions entre l’avocate indépendante et Me Tremblay concernant la rédaction de la pièce P-3 produite dans le dossier T-1557-14, sous le sceau de la confidentialité.

[33]           Le 18 juin 2014, le CCM a dévoilé publiquement les noms des membres du Comité d'enquête et de la personne qui agirait comme avocate indépendante. Cela dit, bien qu'aucune lettre officielle n'avait été adressée au demandeur, le directeur exécutif avait, en mai 2014, fait part de ces nominations au bâtonnier Tremblay.

[34]           Le deuxième « fait nouveau » est dévoilé dans l’affidavit du 6 février 2015 du directeur exécutif. Concurremment à la publication du Communiqué officiel, le directeur exécutif du CCM a transmis, le 18 juin 2014, aux trois membres du Comité d’enquête une lettre (pièce ANS-4) dans laquelle il mentionne notamment :

Le juge en chef Blanchard m’a prié de vous fournir le rapport du Comité d’examen dans cette affaire. Je vous prie de noter l’enregistrement vidéo qui y est joint. Il est possible que le juge vise à exclure cette pièce de la preuve.

[35]           Voilà un « fait nouveau » dont la Cour n’était certainement pas instruite lorsqu’elle a rendu son ordonnance le 5 décembre 2014. Le 9 février 2015, lors de son interrogatoire sur affidavit, le directeur exécutif expliquera à ce sujet :

Et en raison des représentations faites au nom du juge Girouard, je savais qu’il pourrait y avoir des questions soulevées au sujet de l’admission ou l’exclusion des pièces. Et je l’ai mentionné, le juge en chef Blanchard croyait que c’était bon de le mentionner, de sorte que si quelqu’un avait des difficultés avec ces, – avec la nature du rapport et des pièces jointes, bien! il pourrait prendre les mesures nécessaires pour s’y objecter.

[36]           De plus, non seulement le rapport du Comité d’examen du 6 février 2014 et le vidéo en question ont-ils été transmis, par le directeur exécutif le 18 juin 2014, aux membres du Comité d’enquête à cette occasion, mais également « ses annexes » (paragraphe 48 de l’affidavit du 6 février 2015 du directeur exécutif du CCM et paragraphe 60 des prétentions écrites du CCM en date du 6 février 2015.

[37]           Du même coup, le 18 juin 2014, le directeur exécutif du CCM a également transmis « la même information à l’avocate indépendante ». Dans ce dernier cas, il ne s’agit cependant pas d’un « fait nouveau », puisque les procureurs du demandeur et du défendeur conviennent que la décision du Comité d’examen et les informations au dossier du CCM doivent être divulguées à l’avocate indépendante pour lui permettre de préparer le préavis qui doit être donné au juge en vertu du paragraphe 5(2) du Règlement. C’est bien ce que les uns et les autres ont expliqué verbalement à la Cour, le 20 novembre 2014, lors de l’audition des requêtes en radiation. Nous reviendrons plus loin sur cette question au niveau de l’analyse du troisième critère de l’alinéa 399(2)a) des Règles.

[38]           Dorénavant affranchi de ses fonctions de vice-président du CCJ, le juge en chef Blanchard nous a quitté le 27 juin 2014. Depuis, les questions touchant à la gestion du dossier du demandeur relèvent du président du CCJ, l’honorable Michael MacDonald, juge en chef de la Nouvelle-Écosse.

[39]           Le 9 juillet 2014, le demandeur a signifié et déposé un avis de demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1557-14 à l’encontre de « [l]a décision du 18 juin 2014 du Conseil canadien de la magistrature [...] dévoilant la composition des membres du Comité d’enquête « [...] [et qui] indique que son mandat est de « revoir l’ensemble de l’affaire » » [le deuxième avis de demande].

[40]           Selon les inscriptions enregistrées dans les dossiers T-646-14 et T-1557-14, la directive suivante du juge en chef Crampton en date du 13 mars 2014 a été communiquée et transmise par télécopieur aux procureurs des parties le 16 juillet 2014 :

Étant donné mes tâches comme membre du comité d’enquête du Conseil canadien de la magistrature qui examinera la conduite de l’honorable Michel Girouard, j’assigne au juge Simon Noël toutes les tâches de l’administration (y incluant les assignations) du (ou des) dossier (s) impliquant le juge Girouard et l’enquête à son égard, le tout conformément à l’article 6 (2) a) de la Loi sur les Cours fédérales.

[41]           Le 31 juillet 2014, la greffière de la conduite judiciaire au CCM a déposé à la Cour, en vertu de la Règle 318, une copie certifiée des « documents en possession du Conseil », avec le caveat suivant :

La demande de contrôle judiciaire n’est pas précise en ce qui concerne la « décision » contestée. De l’avis du Conseil, aucune décision n’a été prise en date du 18 juin 2014. Dans la mesure où la demande de contrôle judiciaire est valide, et dans la mesure où elle porte sur la décision du Vice-président du Conseil de désigner les membres du Comité d’enquête et de désigner un avocat indépendant au sens du paragraphe 1.1(2) du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes, je vous fais tenir, conformément à l’article 318, les documents relatifs à cette décision.

[42]           De fait, le dossier certifié dans le dossier T-1557-14 comprend la lettre en date du 12 février 2014 adressée par le directeur exécutif au ministre de la Justice, la lettre en date du 9 avril 2014 adressée par le ministre de la Justice au directeur exécutif (ANS-3), le Communiqué public du 18 juin 2014, ainsi qu’une lettre du 27 juin 2014 adressée par le directeur exécutif aux procureurs du demandeur qui précise ceci : « [l]es décisions dont il est fait mention dans le Communiqué de presse du Conseil ont été rendues conformément aux dispositions du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes ».

[43]           Le 12 août 2014, le défendeur a signifié et déposé une requête en radiation à l’encontre du deuxième avis de demande, alléguant qu’aucune « décision » n’avait encore été prise par le Comité d’enquête et que le demandeur ne pouvait pas contester la légalité du communiqué de presse du 18 juin 2014 [la deuxième requête en radiation].

[44]           Suite aux directives du juge Noël, les deux requêtes en radiation ont été entendues par la Cour le 20 novembre 2014. Tel que susdit, elles ont été accueillies le 5 décembre 2014. Aucun appel n’a été porté dans le présent dossier ou dans le dossier T-1557-14. Les deux ordonnances ont donc un caractère final.

[45]           On en arrive à l’incident déclencheur de la présente requête en annulation. Le 11 décembre 2014, Me Doug Mitchell [l’avocat du Comité d’enquête], a transmis à l’avocate indépendante et aux procureurs du demandeur une lettre qui se lit comme suit :

Je vous écris au nom du Comité d’enquête suite à la réception et à la lecture du jugement du Juge Martineau daté du 5 décembre 2014.

Au paragraphe 45 du jugement, le Juge Martineau indique :

« Il est par ailleurs impossible à ce stade de prévoir la tournure des évènements. Se pourrait-il que des allégations examinées antérieurement par le Comité d’examen ne fassent pas l’objet de l’enquête ou soient retirées? Je l’ignore totalement. Selon ce qu’a expliqué le représentant du Procureur général à l’audience, la Cour comprend qu’il incombera à l’avocate indépendante de réviser le dossier et de déterminer elle-même « avec impartialité et conformément à l’intérêt public » quels éléments de preuve précis seront présentés à l’enquête (paragraphes 3(3) et 5(2) du Règlement). La Cour doit également présumer à ce stade qu’aucun élément du dossier (pièces D-3 à D‑7) n’a été communiqué ou transmis au Comité d’enquête. Dans cette logique, l’investigation conduite précédemment par le Comité d’examen, même si elle a pu avoir un caractère inquisitoire, n’a pas compromis le droit fondamental du demandeur de se défendre, à l’occasion d’un débat contradictoire devant le Comité d’enquête, des faits particuliers qui pourront lui être reprochés. »

Le Comité aimerait vous préciser que ce qu’a écrit le Juge Martineau au paragraphe 45 n’est pas exact, puisque le 18 juin 2014, le vice-président du Comité sur la conduite des juges du Conseil canadien de la magistrature, a fait parvenir à chaque membre du Comité d’enquête le rapport du Comité d’examen dans cette affaire, ainsi que la preuve à l’appui.

De plus, le Comité aimerait vous informer qu’un membre du Comité a examiné la décision du Comité d’examen, mais pas la preuve à l’appui, qu’un membre a examiné toute la documentation soumise par le Conseil canadien de la magistrature et qu’aucun membre n’a examiné les éléments de la documentation.

Le Comité souhaite vous aviser que le Comité d’enquête compte se fier uniquement sur la preuve qu’il jugera recevable à l’audience pour trancher toutes les questions nécessaires à l’accomplissement de ses tâches. De plus, comme vous le savez, les juges sont habiles de par leurs fonctions d’ignorer une preuve qu’ils ont entendue dans certain[s] contexte[s], par exemple dans un voir-dire ou une preuve qu’ils déclareront irrecevable soit durant l’audience soit dans le jugement final.

En espérant le tout conforme, je vous prie d’agréer, chers collègues, l’expression de mes sentiments les meilleurs. [soulignements ajoutés]

[46]           Le contenu de la lettre du 11 décembre 2014 de l’avocat du Comité d’enquête constitue un « fait nouveau ». Je suis satisfait que, jusqu’à la date de cette dernière communication, le demandeur n’avait pas connaissance du fait que « [...] le 18 juin 2014, le vice-président du Comité sur la conduite des juges du Conseil canadien de la magistrature, a fait parvenir à chaque membre du Comité d’enquête le rapport du Comité d’examen dans cette affaire, ainsi que la preuve à l’appui ». Le demandeur ne pouvait pas non plus savoir, comme le précise l’avocat du Comité d’enquête « [...] qu’un membre du Comité a examiné la décision du Comité d’examen, mais pas la preuve à l’appui, qu’un membre a examiné toute la documentation soumise par le Conseil canadien de la magistrature et qu’aucun membre n’a examiné les éléments de la documentation ».

[47]           Enfin, je suis également satisfait que les faits qui sont relatés aux paragraphes 28 et 46 de l’affidavit en date du 6 février 2015 du directeur exécutif du CCM sont des « faits nouveaux », à savoir : 1) après que le demandeur a fait parvenir à l’avocat externe, le 14 août 2013, par l’entremise de ses procureurs, des observations écrites concernant le rapport de synthèse, ce dernier « a produit un rapport confidentiel à caractère juridique à l’attention du juge en chef Blanchard » [rapport confidentiel]; 2) « [l]e Rapport confidentiel de l’avocat externe dans cette affaire n’a pas été partagé avec le Comité d’examen, ni avec le Comité d’enquête, ni à l’avocat indépendant, ni à quiconque autre qu’au juge en chef Blanchard »; et 3) « [s]eul le Document synthèse a été partagé ». Tous ces « faits nouveaux » sont également connus depuis peu par le demandeur.

II.                Les faits nouveaux ne doivent pas être des faits nouveaux que l’intéressé aurait pu découvrir avant que l’ordonnance ne soit rendue en faisant preuve de diligence raisonnable

[48]           Tous les faits nouveaux allégués par le demandeur ont trait à des informations qui étaient sous le contrôle exclusif du CCM, de sorte que le demandeur n’était pas placé dans une position où il lui était possible de les découvrir avant l’ordonnance du 5 décembre 2014.

[49]           D’une part, lors de son interrogatoire sur affidavit, lequel a eu lieu le 9 février 2015, le directeur exécutif a reconnu que le « rapport confidentiel » de l’avocat externe dont s’est servi le vice-président du CCJ « n’a pas été dévoilé [au demandeur] » et que « l’existence même de l’avis juridique n’a pas été dévoilé[e] ». D’autre part, le 20 novembre 2014, lorsque les deux requêtes en radiation du défendeur ont été plaidées, rien ne permettait de faire croire au demandeur que le directeur exécutif du CCM et/ou feu Edmond Blanchard avaient pu prendre l’initiative, le 18 juin 2014, de transmettre quelque information que ce soit aux membres du Comité d’enquête.

[50]           Je suis donc satisfait que les faits nouveaux mentionnés par l’avocat du Comité d’enquête dans sa lettre du 11 décembre 2014 ne pouvaient être découverts par le demandeur, avant l’ordonnance du 5 décembre 2014, en faisant preuve de diligence raisonnable. La deuxième condition jurisprudentielle est satisfaite par le demandeur.

III.             Les faits nouveaux doivent être de nature à exercer une influence déterminante sur la décision en question

[51]           Les procureurs du demandeur ont repris devant moi, le 24 février 2015, une argumentation qui n’est pas vraiment nouvelle. Pour preuve, dans le deuxième avis de demande de contrôle qui a été déposé à la Cour le 9 juillet 2014, sous le titre « la contradiction juridictionnelle », le demandeur allègue aux paragraphes 18 à 21 :

Après avoir établi que le Comité d’enquête décidera de la portée de son enquête, la décision du 18 juin 2014 indique que son mandat est de « revoir l’ensemble de l’affaire »;

Le demandeur soumet qu’il n’y a, à cette étape, rien qui puisse être « revu »;

En effet, le comité d’enquête doit débuter son enquête, le cas échéant, sans avoir pris connaissance d’autres éléments que ceux qui seront éventuellement portés à sa connaissance;

Ce cloisonnement étanche est d’ailleurs cristallisé par l’existence de mesures de prévention qui visent à assurer que l’avocat indépendant pour assister le comité d’enquête ne prenne pas connaissance d’autres éléments du dossier que ceux qui seront légalement mis en preuve, le cas échéant. Ces mesures de prévention apparaissent à la pièce P-3 qui sera produite devant le Tribunal après qu’ait été présentée une demande de mise sous scellé, de confidentialité, de non diffusion et de non publication de ce document. Il est donc contraire aux dispositions législatives et réglementaires que le comité d’enquête soit appelé à « revoir l’ensemble de l’affaire » alors qu’il n’y a ni cadre juridictionnel, ni preuve et, pour le moment, rien qui puisse être « revu ».

[52]           Selon le demandeur, les faits nouveaux divulgués par l’avocat du Comité d’enquête et le directeur exécutif du CCM démontrent que le principe de cloisonnement qui encadre chaque étape du processus de traitement d’une plainte au CCM n’a pas été respecté. L’article 9.10 des Procédures prévoit clairement qu’une fois le rapport rédigé, les membres du Comité d’examen sont functus officio, et ce, justement pour éviter que la connaissance acquise durant l’examen ne pollue l’enquête. Aucune règle ne prévoit que le rapport du Comité d’examen doit être transmis au Comité d’enquête, et ce faisant, le CCM a irrémédiablement influencé le cours de l’enquête. Or, le Comité d’enquête a reçu des documents et des informations provenant du Comité d’examen avant même que l’avocate indépendante n’ait préparé et transmis au demandeur le préavis requis en vertu du Règlement. D’ailleurs, lors de l’audition de la présente requête en annulation, les allégations au sujet desquelles le Comité d’enquête tiendra une enquête restaient à être précisées par l’avocate indépendante dans un « avis d’allégations détaillé final » et qu’elle comptait transmettre au demandeur le 13 mars 2015. Le demandeur allègue que ceci crée une situation d’iniquité procédurale irrémédiable.

[53]           De plus, plusieurs documents et un vidéo, dont l’admissibilité n’a fait l’objet d’aucun débat au sujet de leur dépôt à titre d’éléments de preuve, ont déjà été examinés par les membres du Comité d’enquête. Huit mois se sont écoulés depuis le 18 juin 2014. Selon le demandeur, cela indique clairement que l’enquête a débuté en l’absence du demandeur, ce qui enfreint son droit fondamental à une défense pleine et entière.

[54]           Lors de l’audience, les procureurs du demandeur, à l’appui de la demande d’arrêt immédiat des procédures, ont allégué le parti pris apparent des membres actuels du Comité d’enquête à l’égard de certaines questions litigieuses. Le demandeur réfère à la lettre du 11 décembre 2014 qui leur est adressée au nom du Comité d’enquête. Si l’on en croit l’avocat du Comité d’enquête : « les juges sont habiles de par leurs fonctions d’ignorer une preuve qu’ils ont entendue dans un certain contexte, par exemple dans un voir-dire ou une preuve qu’ils déclareront irrecevable soit durant l’audience soit dans le jugement final ». C’est peut-être vrai, concèdent les procureurs du demandeur, mais pas avant que le débat n’ait eu lieu en bonne et due forme devant le tribunal ! C’est justement là où le bât blesse, puisque la déclaration du 11 décembre 2014 semble indiquer que les membres du Comité d’enquête ont déjà considéré la question des apparences de partialité, en l’absence du demandeur, et ont à l’avance décidé qu’ils ne se récuseraient pas, ce qui constitue une claire violation de l’équité procédurale. De surcroît, selon la lettre datée du 11 décembre 2014, il est impossible de savoir quels éléments précis de la documentation ou du rapport du Comité d’examen ont été considérés par le Comité d’enquête depuis.

[55]           Le demandeur prétend qu’à la lumière de ces faits nouveaux, la Cour n’a pas d’autre option que d’annuler l’ordonnance du 5 décembre 2014 et d’ordonner un arrêt immédiat des procédures devant le Comité d’enquête, sinon d’ordonner que les présentes procédures se continuent devant la Cour fédérale, et de permettre au demandeur d’amender son avis de demande de contrôle judiciaire pour alléguer ces nouveaux vices.

[56]           Le défendeur ne remet pas vraiment en cause le fait qu’il ait pu y avoir certains accrocs au principe du cloisonnement – les faits parlent d’eux-mêmes – mais cela n’affecte pas la validité de la conclusion de la Cour voulant que la demande de contrôle judiciaire est prématurée. Après tout, le Comité d’enquête a plein pouvoir pour trancher toute question de droit et de compétence. En l’espèce, les nouveaux manquements allégués à l’équité procédurale ne constituent pas une « circonstance exceptionnelle » permettant un recours anticipé aux tribunaux. De plus, l’avocate indépendante et le Comité d’enquête ne sont pas liés par le rapport du Comité d’examen. Le Comité d’enquête est maître de la procédure. Le Comité d’enquête peut donc remédier à tout bris antérieur à un principe d’équité procédurale. Il incombe au demandeur de soulever devant le Comité d’enquête les vices qu’il allègue aujourd’hui. Il lui appartiendra, le cas échéant, de présenter une requête en arrêt des procédures ou une requête en récusation devant le Comité d’enquête, et il pourra toujours contester l’admissibilité en preuve de tout document, ainsi que la valeur probante du vidéo en question. Enfin, le préjudice qu’allègue le demandeur est spéculatif, de sorte que la demande de contrôle judiciaire du demandeur demeure, à tous égards, prématurée.

[57]           Le 20 novembre 2014, lors de l’audition des requêtes en radiation, la Cour a tenté de cerner la question de la portée de l’enquête et du rôle qu’exerce l’avocat(e) indépendant(e) devant le Comité d’enquête. Le demandeur n’a fait aucune admission dans le présent dossier. L’avis formel d’allégations ne lui avait pas non plus été communiqué. En ce qui concerne les allégations dans la plainte, qui sont niées, le demandeur prétend qu’elles ne révèlent aucune cause d’action disciplinaire en vertu de l’article 65 de la Loi. Il faut comprendre que si la compétence du Comité d’enquête provient exclusivement du rapport du Comité d’examen et qu’on ne peut rien changer par après, cela aura bien entendu une incidence directe sur le fardeau de preuve. L’échange suivant est particulièrement révélateur :

Me Gérald Tremblay pour l’honorable Michel Girouard : Et, en tous les cas, et là, c’est… c’est du flou artistique, là. Mais une chose est certaine, c’est : l’indépendance de cette avocate-là ou de cet avocat-là doit être totale et le problème du premier dossier « Lori Douglas », c’est que l’avocat qui assiste le Conseil, donc qui… il est… il est presque sur le banc, il est juste un petit peu à l’écart, est descendu dans l’arène pour poser des questions que le comité aurait voulu que maître Pratte pose. Alors, c’est de l’interférence dans le travail de… de… du comité indépendant, et cetera, et cetera et c’est ça qui a fait dérailler le processus là-dedans.

La Cour : Mais moi, ma question était plus simple…

Me Tremblay : Oui.

La Cour : … et plus technique, c’était une question très technique. Quand le préavis est préparé, 1’avocat indépendant, là, vous m’avez dit, Maître Joyal, qu’il y avait trois (3) allégations qui ont été faites par le Comité d’examen, c’est la raison pour laquelle on décante – on… on… on déclenche le processus à une nouvelle étape, qui est la quatrième étape.

Me Claude Joyal pour le Procureur général du Canada : C’est ça.

La Cour : Alors, le préavis, est-ce que c’est en fonction des trois (3) allégations qui ont été faites ou ça va être…

Me Joyal : Ça commence…

La Cour : … soit une des trois (3), soit les deux (2), soit les trois (3) ou ça pourrait être une quatrième ou une cinquième?

Me Tremblay : Oui, ça… ça peut pas… ça peut pas aller bien… bien plus que ça, mais ça commence là et elle fait – il fait son… son propre évaluation et là dit : « Voici mon avis d’allégation »  et qui peut… qui… le point de départ, c’est ce que le… c’est que le… le… le… le Comité d’examen a…a donné, là, mais là, ça recommence à nouveau comme un… je veux pas faire l’analogie du procureur de la Couronne trop, trop, là, mais c’est son évaluation à partir de là puis elle – « voici ce que je retiens, moi. »

La Cour : O.K.

Me Tremblay : Et là, l’autre… l’autre… peut faire une requête pour… pour dire : « Bien, je suis pas d’accord… »

La Cour : Oui.

Me Tremblay : « … il y en a une de trop, il y en a deux (2) de trop », et cetera.

La Cour : ça répond à ma question.

Me Tremblay : Merci.

La Cour : Je vous ai interrompu, Maître Joyal, je m’en excuse.

[…]

La Cour : … donc, on – le – l’avocat indépendant aurait, pour répondre à ma question, il y avait trois (3) allégations qui sont faites par le Comité d’examen qui justifient, si je peux m’exprimer ainsi, le… la décision administrative, vous dites, du Comité d’examen de… d’aller à la quatrième étape et de nommer un comité…

Me Joyal : C’est ça.

La Cour : … d’enquête.

Me Joyal : Oui.

La Cour : Mais avant que l’enquête…

Me Tremblay : Commence.

La Cour : … formellement ne débute, en vertu de l’article 63 de la loi, ce que vous m’avez lu…

Me Joyal : Oui.

La Cour : … doit avoir un préavis raisonnable, le règlement nous explique que c’est l’avocat, finalement, qui va le préparer, ça sera pas le Comité d’enquête, ça va être l’avocat indépendant et l’avocat d’enquête, à la suite de sa propre enquête, pourrait restreindre ou étendre la portée de… des allégations, c’est-à-dire qu’il pourrait ne retenir qu’une (1) allégation contre le juge, comme il pourrait décider d’en rajouter…

Me Joyal : Oui.

La Cour : … dépendamment de son évaluation indépendante. À ce moment-là, ça va être formalisé dans un… dans un préavis qui va être adressé au juge.

Me Joyal : Oui. Je vais… et je vais poursuivre, deux (2) petites remarques. Quand on réfère à l’article 63(1), au troisième paragraphe, on réfère à la situation où le Conseil procède à une enquête à la demande…

[…]

Me Joyal : Oui. Ça, c’est… c’est… c’est le… c’est le cas où le Conseil procède à une enquête à la demande d’un procureur général. Autre chose, c’est… c’est une aparté, Maître Tremblay me corrigera, lui qui a l’expérience en matière de déontologie de la magistrature, il y a aussi la situation où l’avocat indépendant pourrait décider qu’il n’y a pas matière.

Me Tremblay : Oui.

Me Joyal : Et ça, c’est la règle qu’on appelle « la règle Boilard »…

[…]

Me Tremblay : Juste sur le plan anecdotique, confrère, là, je veux pas du tout vous interrompre, mais vu qu’on est là-dedans, dans l’affaire « Boilard », ce qui est intéressant sur le plan anecdotique, c’est que maître… notre regretté collègue maître Langlois était l’avocat indépendant. Je plaide que même si c’est obligatoire de tenir l’enquête à cause de 63, une fois qu’on est devant le Comité, si « it discloses no offence known to law » le Comité devrait arrêter là tout de suite parce que tout ce qu’il y avait dans l’allégation, c’est les… il s’est désisté de… de… du procès des Hells, hein. Il y a aucune – rien autour, il a pas dit qu’il y avait du cash qui avait passé, d’influence, alors, le Comité a marché pareil puis ils ont… ils ont… ils ont déposé un blâme et le Conseil de la Magistrature, « in banco », en… en… toute la gang – tout le groupe, pardon, faut être – on est dans un – tout le groupe au Château Laurier, ont été obligés de prendre une salle de bal, ils ont réentendu et ils ont mis de côté le blâme qui avait été prononcé par, c’était le juge Richard, le juge Robert et la… Michael Cain de Chicoutimi, ils l’ont mis de côté puis ils ont dit : « Ils auraient dû arrêter dès le début. » Donc, ça veut dire que le processus commence, mais que l’avocat indépendant avait dit : « Vous devriez arrêter », mais il est pas… il est lié, ils sont pas – et puis le – alors, ils ont dit : « À l’article 63, on est obligés de procéder » et la… le Conseil en total, là, a décidé qu’ils auraient dû arrêter parce que le texte de la plainte ne dévoilait pas une infraction déontologique.

La Cour : Donc, la réponse c’est : ça s’arrête ou ça s’arrête pas.

Me Tremblay : Ç’arrête là.

La Cour : Ça s’arrête.

Me Joyal : Ça s’arrête. Et il y a une décision, et je vous la retrouverai peut-être dans le courant de la matinée, qui mentionne que cette règle, la règle Boilard, fait partie… participe au maintien de l’indépendance judiciaire, c’est-à-dire qu’une plainte qui est non fondée ne doit pas aller… ne doit pas aller plus loin.

Me Tremblay : Oui.

Me Joyal : Et tout ceci en… en vue de préserver l’indépendance judiciaire. Je vous retrouverai le… l’arrêt, s’il y a un ajournement. Je poursuis avec ma présentation, Monsieur le Juge…

[…]

[58]           De fait, après vérification, dans le rapport du CCM en date du19 décembre 2003 transmis au ministre de la Justice, les 26 juges signataires du rapport du CCM transmis au ministre de la Justice dans le cas Boilard sont unanimement d’accord sur les points suivants :

[…]

Le 3 février 2003, Me Langlois a recommandé au comité de scinder l’enquête en deux phases. Il estimait que cette mesure lui permettrait, dans un premier temps, de trancher « de façon préliminaire » la demande d’enquête en se fondant sur les documents incontestables et incontestés. Cette recommandation a été refusée. À l’issue des audiences, Me Langlois s’est dit d’avis qu’il y aurait eu lieu de mettre fin à l’enquête sans tirer de conclusion au sujet du juge Boilard. Il a estimé que la décision du juge Boilard concernait la capacité d’un juge de présider un procès en toute indépendance et impartialité, et relevait, de ce fait, « de l’exercice pur de la discrétion judiciaire du juge ». Il a ajouté que, dans sa demande, le Procureur général n’alléguait pas que la décision du juge était fondée sur des motifs illégitimes, inappropriés ou non judiciaires.

Le Conseil souscrit, de façon générale, à l’approche adoptée par l’avocat indépendant, ainsi qu’aux opinions qu’il a exprimées.

[…]

Bref, le Conseil canadien de la magistrature conclut que le comité d’enquête aurait dû suivre le conseil de l’avocat indépendant d’examiner préalablement les questions en litige, ce qui aurait ensuite dû l’amener, compte tenu des faits divulgués, à refuser d’examiner davantage la demande du Procureur général. Rien ne permet donc de conclure que la décision du juge Boilard de se récuser constituait un manquement aux devoirs de sa charge.

Le Conseil est d’avis comme le comité d’enquête qu’il n’y a pas lieu de recommander la révocation du juge Boilard. Par ailleurs, le Conseil est d’avis que rien ne permet de conclure que la conduite du juge Boilard était inappropriée au sens de l’article 65(2)b), c) ou d) de la Loi sur les juges.

[…]

[59]           Dans Cosgrove, précité au paragraphe 52, la Cour d’appel fédérale fait référence à la règle Boilard :

Une deuxième contrainte se trouve dans le paragraphe 63(1) lui-même. La lecture que je fais de cette disposition, c’est qu’un procureur général a le droit de demander l’ouverture d’une enquête sur la conduite d’un juge en application du paragraphe 63(1), mais uniquement si cette conduite est suffisamment grave pour justifier la destitution du juge pour l’un des motifs précisés dans les alinéas 65(2)a) à d). Dans le Rapport du Conseil canadien de la magistrature présenté au ministre de la Justice du Canada en vertu de l’art. 65(1) de la Loi sur les juges et concernant le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure du Québec (2003), le Conseil écrivait (à la page 3) qu’il peut refuser de mener une enquête demandée en vertu du paragraphe 63(1), ou que le comité d’enquête peut refuser de poursuivre une enquête, si la requête présentée par un procureur général n’allègue pas un cas de mauvaise foi ou d’abus d’autorité, et si elle ne révèle à première vue aucun argument défendable en faveur d’une destitution. [soulignements ajoutés]

[60]           Bien que l’enquête dans l’affaire Boilard ait été menée suite à une demande faite par le Procureur général de la province de Québec en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi, les parties conviennent que la règle Boilard peut également s’appliquer à une enquête faite à la suite d’une plainte ordinaire au sujet de laquelle une enquête est menée en vertu du paragraphe 63(2) de la Loi. Dans les deux cas, le Conseil doit être satisfait qu’il existe un motif d’intervention en vertu des alinéas 65(2)a) à d) de la Loi.

[61]           Le 20 novembre 2014, tout apparaissait clair : le Comité d’enquête n’avait pas commencé ses travaux et n’avait pas encore siégé. Il n’y avait aucun conflit à l’horizon entre le Comité d’enquête et l’avocate indépendante. Il n’y avait même pas de préavis officiel (bien que des versions préliminaires du préavis à venir aient pu faire l’objet de discussions entre l’avocate indépendante et les procureurs du demandeur). Ce n’est toutefois qu’après que les ordonnances de radiation ont été prononcées par la Cour le 5 décembre 2014 que le demandeur et l’avocate indépendante ont été informés qu’il y avait eu communication préalable du rapport du Comité d’examen, du rapport de synthèse, des documents et du vidéo en question. En rétrospective, l’initiative, en juin 2014, de transmettre l’ensemble du dossier au Comité d’enquête ne serait peut-être pas étrangère à la Décision du Comité d’enquête au sujet de l’hon. Lori Douglas concernant certaines questions préliminaires (15 mai 2012) (affidavit du 6 février 2015 du directeur exécutif, para 50; interrogatoire du 9 février 2015 du directeur exécutif, pages 59-62). Cette dernière décision interlocutoire a été rendue le 15 mai 2012 par le premier Comité d’enquête dans Douglas, lequel a démissionné en bloc le 23 novembre 2013. Elle n’est pas incluse par les procureurs dans la masse d’autorités diverses que les parties ont soumises de part et d’autre lors de l’audition du 20 novembre 2014. Il y a sans doute une raison fort simple : c’est une décision qui peut prêter à controverse. Sa légalité n’a pas été examinée par les cours de justice. À la connaissance de la Cour, cette décision ne semble pas avoir été suivie à date par d’autres Comités d’enquête du CCM.

[62]           Sans me prononcer sur ce point, il ressort des représentations orales faites par les procureurs au dossier que le premier Comité d’enquête dans Douglas a considéré – peut être précipitamment si l’on considère la jurisprudence développée autour de la « règle Boilard » –  : 1) que l’enquête formelle devant le Comité d’enquête n’est que la continuation de l’enquête plus large commencée plus tôt; 2) que la compétence du Comité d’enquête provient exclusivement de la décision du Comité d’examen; et 3) que l’avocat indépendant est tenu de conduire l’enquête de la façon dont l’entend le Comité d’enquête. Il n’empêche, je ne crois pas qu’il y ait lieu d’annuler mon ordonnance du 5 décembre 2014 et de recommencer l’exercice d’entendre une deuxième fois les représentations des procureurs sur le mérite de la demande de contrôle judiciaire. Ce que j’ai écrit dans ma décision antérieure tient toujours et me permet de disposer aujourd’hui de la requête en annulation : les vices supplémentaires résultant des nouveaux faits pourront être considérés par le Comité d’enquête (voir par exemple la Décision du Comité d’enquête au sujet de l’honorable Lori Douglas concernant la demande de récusation de tous les membres du Comité d’enquête en raison d’une allégation de crainte raisonnable de partialité (20 août 2012); Comité d’enquête au sujet de l’honorable Lori Douglas, motifs de démission du Comité d’enquête (20 novembre 2013 aux para 3 et 15). La demande de contrôle judiciaire du demandeur dans le présent dossier est prématurée à tous égards.

[63]           Le 5 décembre 2014, la Cour a statué que le Comité d’enquête a plein pouvoir pour se prononcer sur toute question de droit ou de compétence soulevée par le demandeur dans son avis de demande, incluant la validité du Règlement et des Procédures (para 27-28, 33-35). Dans Girouard 1, précité, la Cour indique clairement la voie à suivre :

[26]      Ayant considéré la Loi dans son ensemble et les facteurs mentionnés dans Martin, [2003 CSC 54],  je suis d’avis que le Comité d’enquête – contrairement au Comité d’examen – possède le pouvoir implicite de trancher toutes les questions de droit découlant des dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement. Cela inclut, en premier lieu, la question de la portée de son enquête, mais également toute question litigieuse touchant aux aspects essentiels à l’exercice de sa compétence plénière en matière d’allégations visant un magistrat toujours en fonction. Pensons à la détermination du fardeau de preuve et à la disposition de toute objection à la preuve découlant du caractère protégé d’actes visés par le secret professionnel (avocat-client), ce que soulève incidemment le demandeur dans son avis de demande. [soulignements ajoutés]

[64]           De plus, soulignant que dans le présent dossier – contrairement à celui de l’enquête concernant l’honorable Lori Douglas – il n’y avait aucune allégation de partialité à l’endroit des membres du Comité d’enquête ou d’atteinte à l’indépendance de l’avocate indépendante, la Cour a rejeté, dans Girouard 1, précité, l’allégation générale du demandeur voulant qu’une violation antérieure de l’équité procédurale, s’il en est, ait pu vicier l’ensemble du processus d’enquête, puisque celui-ci est un processus de novo qui comporte d’importantes garanties procédurales. Cela suffisait pour ne pas étudier l’allégation du demandeur à l’effet que le vice-président du CCJ s’était « ingéré » dans le processus décisionnel du Comité d’examen (le demandeur soutient que la lettre du 22 octobre 2013 constitue un véritable « réquisitoire » et qu’une telle inférence n’est pas autorisée par la Loi, ni par l’article 8.1 des Procédures). Le demandeur soulève également comme « fait nouveau », dans sa requête en annulation, qu’un « rapport confidentiel » rédigé en 2013 par l’avocat externe ne lui a pas été transmis et n’a pas été inclus dans le dossier certifié de l’office fédéral. Aux dires du directeur exécutif qui a été interrogé à ce sujet le 9 février 2015 par les procureurs du demandeur, il s’agirait d’un « avis juridique » couvert par le secret professionnel, mais le demandeur allègue qu’une fois le processus d’enquête amorcé, le rapport confidentiel en question devait lui être communiqué, comme tout autre document ayant trait à la plainte, de sorte qu’il y a lieu pour la Cour de décider si le rapport confidentiel doit faire ou non partie du dossier. Je ne me prononcerai pas aujourd’hui sur cette question très litigieuse. Libre au demandeur de soulever la question du second « rapport confidentiel » de l’avocat externe auprès du Comité d’enquête avant de rechercher un remède judiciaire devant la Cour. S’il n’obtient aucune réponse, en temps opportun, le demandeur pourra toujours ultérieurement contester la légalité de l’ensemble du processus d’enquête, en plus d’attaquer, le cas échéant, toutes les décisions interlocutoires qui auront été prises par le Comité d’enquête. Ce n’est donc que partie remise.

[65]           Il faut par ailleurs replacer dans son contexte véritable le paragraphe 45 de Girouard 1, précité, que cite l’avocat du Comité d’enquête dans la lettre du 11 décembre 2014 :

[39]      Faut-il le rappeler, le dossier du demandeur n’est qu’au début de la quatrième étape, et la situation factuelle, telle qu’elle se présente aujourd’hui, m’apparaît fort différente de celle de l’affaire Douglas, précitée. Les renseignements qui ont été recueillis jusqu’ici par l’avocat externe ou le Comité d’examen ne constituent pas de la preuve. Le demandeur n’a pas été « jugé ». D’autre part, il n’y a aucune allégation de partialité ou d’atteinte à l’indépendance de l’avocate devant présenter l’affaire au Comité d’enquête. Et surtout, ne faisons pas de procès d’intention : les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent à première vue. Aucun témoin n’a été entendu. La crédibilité des uns et des autres devra être exclusivement évaluée par le Comité d’enquête – si jamais il déclare avoir compétence. Il faut donc présumer à ce stade que les membres du Comité d’enquête n’ont aucun parti pris, ni idée préconçue, et qu’ils ne se formeront une opinion que lorsqu’ils auront entendu toute la preuve et considéré toute explication, le cas échéant, fournie par le demandeur.

[40]      Bien que le représentant du Procureur général semblait d’avis à l’audition que ce n’est qu’à la conclusion de la sixième étape qu’une demande de contrôle judiciaire pourrait être portée par le demandeur –une prétention qui n’a pas été retenue dans Douglas, précité et qu’il n’est pas nécessaire de trancher de façon finale aujourd’hui – il est suffisant de décider, qu’à ce stade du dossier, le demandeur doit à tout le moins attendre la conclusion de la quatrième étape. C’est que d’une part, ni le Comité d’enquête, ni l’avocat indépendant, ne sont liés par le rapport du Comité d’examen, et que d’autre part, le préavis qui doit être donné en vertu de la Loi et du Règlement, n’a pas encore été transmis au demandeur, ce qui rend pratiquement impossible à ce stade un examen éclairé des multiples arguments du demandeur.

[...]

[42]      Loin de moi l’idée de banaliser cette affaire. Les allégations examinées par le Comité d’examen sont graves. La réputation du demandeur est véritablement en jeu. Sa vie personnelle et sa carrière professionnelle également. La nécessité faisant loi, il y a urgence à agir. Des délais considérables ont déjà été encourus. Le demandeur est toujours dans l’incertitude. De fait, bien qu’une avocate indépendante ait été nommée et que la composition du Comité d’enquête ait été publiquement annoncée le 18 juin 2014 (voir l’autre décision rendue ce jour dans le dossier T 1557-14, 2014 CF 1176 aux paras 1 et 2), le demandeur n’a toujours pas été formellement avisé « des plaintes ou accusations » que le Comité d’enquête entend examiner en vertu de l’article 64 de la Loi et du paragraphe 5(1) du Règlement.

[43]      Du même souffle, malgré les délais encourus à ce jour, le préavis qui sera donné au demandeur devra être suffisamment précis et long pour lui permettre « d’offrir une réponse complète » (paragraphe 5(2) du Règlement). De surcroît, les garanties qu’offre la Loi et le Règlement au demandeur ne sont pas factices. Le Comité d’enquête doit conduire l’audience conformément au principe de l’équité et il doit s’assurer que le juge qui fait l’objet de l’enquête a la possibilité de se faire entendre, de contre-interroger les témoins et de présenter tous les éléments de preuve utiles à sa décharge (article 64 de la Loi et article 7 du Règlement). On peut donc imaginer qu’avant que le Comité d’enquête accepte en preuve la déclaration d’un témoin repenti, le demandeur aura eu l’opportunité de contre-interroger son auteur.

[44]      Voilà pourquoi je rejette la prétention du demandeur selon laquelle la décision du Comité d’examen soit déterminante en soi ou qu’une violation des règles d’équité procédurale ait pu vicier l’ensemble du processus d’enquête (McBride v Canada (National Defence), 2012 FCA 181 aux paras 41-45, confirmant 2011 CF 1019). Le Comité d’enquête ne siège pas en appel de la décision du Comité d’examen. On parle ici d’un processus de novo. Du point de vue de l’équité procédurale, peu importe les reproches antérieurs du demandeur, la Loi et le Règlement comportent, au niveau de l’enquête elle-même, des garanties procédurales très importantes. Celles-ci sont de nature à assurer une protection adéquate des droits du demandeur qui désire notamment pouvoir contre-interroger les auteurs des allégations formulées contre lui.

[45]      Il est par ailleurs impossible à ce stade de prévoir la tournure des évènements. Se pourrait-il que des allégations examinées antérieurement par le Comité d’examen ne fassent pas l’objet de l’enquête ou soient retirées? Je l’ignore totalement. Selon ce qu’a expliqué le représentant du Procureur général à l’audience, la Cour comprend qu’il incombera à l’avocate indépendante de réviser le dossier et de déterminer elle-même « avec impartialité et conformément à l’intérêt public » quels éléments de preuve précis seront présentés à l’enquête (paragraphes 3(3) et 5(2) du Règlement). La Cour doit également présumer à ce stade qu’aucun élément du dossier (pièces D-3 à D‑7) n’a été communiqué ou transmis au Comité d’enquête. Dans cette logique, l’investigation conduite précédemment par le Comité d’examen, même si elle a pu avoir un caractère inquisitoire, n’a pas compromis le droit fondamental du demandeur de se défendre, à l’occasion d’un débat contradictoire devant le Comité d’enquête, des faits particuliers qui pourront lui être reprochés. [soulignements ajoutés]

[66]           Il faut par ailleurs relier les commentaires du paragraphe 45 de Girouard, ci-haut, aux observations qui sont par ailleurs faites dans Girouard 2, aux paragraphes 15 et 16 :

[15]      Lorsque le Comité d’enquête est constitué de trois membres, il peut comprendre un membre de la profession juridique désigné par le ministre de la Justice. Les deux autres membres sont des membres du CCM désignés par le président (ou le vice-président) du Comité sur la conduite des juges. Le 18 juin 2014, le CCM a publié un communiqué de presse dévoilant les noms des trois membres du Comité d’enquête ainsi que celui de l’avocate indépendante du CCM. Ce qui a pu être écrit par l’auteur du communiqué quant à tout aspect juridique de l’affaire ne lie manifestement pas le Comité d’enquête. Or, dans les faits, on sait aujourd’hui qu’aucune décision n’a encore été prise par le Comité d’enquête.

[16]      Devant moi à l’audition, l’un des savants procureurs du demandeur, le bâtonnier Louis Masson, a indiqué que c’est « ex abundanti cautela » – c'est-à-dire par excès de prudence – que le demandeur a institué la présente demande de contrôle judiciaire. En l’espèce, la Cour a décidé aujourd’hui que les moyens soulevés par le demandeur dans le dossier T-646-14 à l’encontre de la légalité ou du mérite de la décision du Comité d’examen de constituer un Comité d’enquête sont prématurés et qu’il y a lieu de permettre au Comité d’enquête d’en disposer, préférablement de manière préliminaire : 2014 CF 1175. La présente demande de contrôle judiciaire n’est donc pas nécessaire et est prématurée. [soulignements ajoutés]

[67]           Jusqu’à preuve du contraire, aucune décision n’a encore été prise par le Comité d’enquête. Les faits allégués dans la plainte ont été niés en bloc par le demandeur. D’un autre côté, le rapport de l’avocat externe et le rapport du Comité d’examen ne font pas preuve de leur contenu. Dans Girouard 1, précité aux paragraphes 46 et 47, la Cour a déjà disposé des allégations de préjudice continu formulées par le demandeur :

[46]      S’agissant par ailleurs du préjudice continu que peut subir le demandeur à cause de la poursuite de l’enquête, il s’agit essentiellement des préjudices moraux et pécuniaires pouvant résulter d’atteintes injustifiées à sa réputation dans le cas où la plainte ou les accusations portées contre lui pourraient s’avérer, en fin de compte, non fondées en l’espèce. Or, des mesures concrètes ont déjà été prises pour protéger la réputation du demandeur, et ce, tant au niveau du CCM que de la Cour. Jusqu’ici, tous les éléments du dossier du CCM (pièces D-3 à D-7) sont demeurés confidentiels. Bien que le Comité d’enquête tient l’audience en public, il peut néanmoins ordonner un huis clos total ou partiel et interdire la publication de tout renseignement ou document qui lui est présenté (paragraphes 63(5) et (6) de la Loi; article 6 du Règlement). Bien entendu, cela inclut tout élément du dossier du CCM (pièces D-3 à D-7), en supposant que l’avocate indépendante décide de déposer en preuve devant le Comité d’enquête tout tel élément du dossier, ce qui n’est pas évident à ce stade, car les pièces D-3 à D-7 contiennent des informations de nature à révéler des enquêtes pénales en cours ou passées, tandis que le rapport de l’avocat externe (pièce D-5) est protégé par le privilège du conseil juridique et/ou un privilège d’intérêt public (Slansky c Procureur général du Canada, 2013 CAF 199 au para 9).

[47]      En terminant, je dois également me rendre à une évidence : rien n’empêche le demandeur d’adresser au Comité d’enquête une requête en arrêt des procédures (voire en récusation s’il estime qu’il existe une crainte raisonnable de partialité) et de faire valoir les arguments de droit administratif et de droit constitutionnel qui sont notamment mentionnés dans son avis de demande de contrôle judiciaire. Le demandeur soulève plusieurs questions importantes, certaines d’intérêt public, qui devraient être préférablement décidées de façon préliminaire par le Comité d’enquête. D’ailleurs, par le passé, des Comités d’enquête ont déjà dû se prononcer sur diverses questions préliminaires de compétence, de preuve, et même, de droit constitutionnel. Même s’il n’est peut-être pas clair selon la jurisprudence que le Comité d’enquête a le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire ayant force de chose jugée pour l’ensemble du Canada, il n’empêche, il peut toujours refuser d’appliquer un texte inconstitutionnel ou contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, s’il parvient à la conclusion que le Règlement, voire les Procédures relatives aux plaintes, ne respectent pas la Loi ou la Constitution. Cela suffit pour me convaincre, à ce stade, que des recours efficaces sont ouverts au demandeur et qu’il lui appartient d’épuiser ces recours avant de s’adresser à cette Cour.

[68]           Bien que le « rapport de synthèse » de l’avocat externe parle de « témoignages » et d’« éléments de preuve », il ne s’agit pas de preuves, mais plutôt d’« éléments d’information » recueillis pendant le processus d’examen préalable de la plainte. Les témoins idoines pouvant être appelés à témoigner devant le Comité d’enquête n’ont pas été interrogés sous serment par le demandeur et l’avocate indépendante. Aussi, l’utilisation de l’expression « preuve à l’appui » par l’avocat du Comité d’enquête dans sa lettre du 11 décembre 2014 m’apparaît malheureuse. Ce n’est pas le rôle du directeur exécutif, du président (vice-président) du CCJ et du Comité d’examen de « juger » le demandeur. Les questions de crédibilité et de preuve sont du ressort du Comité d’enquête. D’ailleurs, le Comité d’examen l’a bien compris lorsqu’il explique dans son rapport du 6 février 2014 (cette partie n’est pas de nature confidentielle) : « Un comité d’examen n’a pas pour mandat de trancher des questions de preuve. Son mandat est de recueillir de l’information et de décider, à la lumière de cette information, de la suite à donner, conformément aux dispositions de la Loi, du Règlement et des Procédures ». Cette étape fait partie d’une « procédure d’examen préalable », telle que décrite par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Cosgrove, précitée.

[69]           Qu’on me comprenne bien, la raison pour laquelle je ne suis pas intervenu le 5 décembre 2014 et pour laquelle je n’interviens pas aujourd’hui, c’est que les allégations du demandeur sont prématurées. Physiquement parlant, les membres du Comité d’enquête ont pu prendre connaissance des documents et du vidéo litigieux, mais légalement parlant, en ce qui me concerne, ils ne sont pas encore admis en preuve. On doit présumer à cette étape des procédures que les éléments d’information au dossier du CCM ne deviendront des « preuves » que lorsqu’ils auront été légalement produits devant le Comité d’enquête. Le dossier du CCM constitué antérieurement ne fait pas preuve de son contenu et n’est pas automatiquement déposé en bloc à l’ouverture de l’enquête publique devant le Comité d’enquête. De leur côté, les rapports de l’avocat externe et du Comité d’examen – qui sont essentiellement des outils d’analyse des informations colligées durant la phase d’investigation confidentielle de nature inquisitoire – ne sont pas des « éléments de preuve » au sens propre de cette expression juridique. Le fait que tous ces documents, incluant le vidéo en question, aient été communiqués unilatéralement par le directeur exécutif – agissant présumément à la demande du vice-président du CCJ qui est décédé aujourd’hui – et ce, sans que le Comité d’enquête en fasse la demande et qu’il y ait un débat à ce sujet, suffit à distinguer le présent dossier de l’affaire Douglas. C’est une question qui devra toutefois être débattue de façon préliminaire devant le Comité d’enquête.

[70]           Il faut également faire une nette distinction entre la partialité et la règle audi alteram partem. La Cour suprême l’a bien rappelé dans l’arrêt Ellis-Don Ltd. c Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 RCS 221, où la question de la violation des règles de justice naturelle s’est posée lorsque l’appelante a appris que le grief aurait été rejeté dans un projet de décision initial et que ce projet avait été discuté au cours d’une réunion plénière de la Commission des relations de travail de l’Ontario.

[71]           Voici ce qu’écrit le juge LeBel au nom de la majorité au paragraphe 49 :

Dans le cas d’une présumée violation de la règle audi alteram partem, même s’il peut s’avérer difficile de prouver ce fait dans certains cas, celui qui demande le contrôle judiciaire doit démontrer l’existence d’une violation réelle. Aucune décision n’appuie la proposition avancée par l’appelante, selon laquelle une « crainte » de violation suffit pour donner lieu au contrôle judiciaire. Dans Consolidated-Bathurst, précité, le juge Gonthier a fait une distinction claire entre les deux problèmes : la partialité et la règle audi alteram partem. D’une part, il a examiné la question de savoir si le processus de consultation institutionnelle avait donné lieu à une crainte de partialité. En étudiant l’application de la règle audi alteram partem, il n’a jamais indiqué qu’une crainte de violation suffisait pour justifier une intervention. En fait, il était d’avis que le dossier dont notre Cour était saisie ne révélait aucune preuve que d’autres questions ou arguments avaient été abordés à la réunion plénière de la Commission. Il a donc conclu que l’appelant n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une violation de la règle audi alteram partem : voir Consolidated-Bathurst, p. 339-340. Par conséquent, il faut examiner la nature du problème de justice naturelle en cause pour déterminer le seuil justifiant le contrôle judiciaire. L’arrêt Consolidated-Bathurst n’appuie pas l’affirmation que le seuil justifiant le contrôle judiciaire dans tous les cas de présumée violation des règles de justice naturelle est simplement la crainte de violation de ces règles.

[72]           Sans me prononcer sur le mérite des reproches formulés par le demandeur, il faut présumer, pour le moment, de l’impartialité de chacun des membres du Comité d’enquête (Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 RCS 369 à la p 394 [Committee for Justice]; Taylor Ventures Ltd (Trustee of) v Taylor, 2005 BCCA 350 au para 7; Telus Communications Inc c Syndicat des travailleurs en communications, 2005 CAF 262 aux para 36-38; Wightman c Widdrington (Succession de), 2007 QCCA 1687 au para 47). Je le dis en à-côté, sans savoir si le demandeur compte ou non présenter une requête en récusation devant le Comité d’enquête. Loin de là, mais dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c Canada, [2003] 2 RCS 259, 2003 CSC 45 – où la Cour suprême a approfondi les critères dans Committee for Justice, précité – on reprend le principe bien connu énoncé dans R v Sussex Justices, ex parte McCarthy [1923] All ER Rep 233, [1924] 1 KB 256, et voulant que « la confiance du public dans notre système juridique prend sa source dans la conviction fondamentale selon laquelle ceux qui rendent jugement doivent non seulement toujours le faire sans partialité ni préjugé, mais doivent également être perçus comme agissant de la sorte » (au para 57). La Cour suprême note également que la « crainte raisonnable de partialité », telle qu’énoncée dans Committee for Justice, précité, s’est imposée comme critère de récusation.

[73]           Enfin, même si je suis prêt à présumer, pour les fins des présentes, que la règle de cloisonnement ne semble pas avoir été respectée, en l’absence d’une preuve de préjudice concret, je ne suis pas disposé, à cette étape des procédures, à ordonner l’arrêt immédiat des procédures devant le Comité d’enquête. À première vue, il ne s’agit pas d’un cas de violation appréhendée à un principe de la justice naturelle où la partie affectée se retrouve sans remède parce qu’une décision finale a déjà été rendue. L’enquête devant le Comité d’enquête n’a pas réellement commencé. Bien que la décision du Comité d’examen, le rapport de l’avocat externe et ses annexes, incluant le vidéo en question, lui ont été unilatéralement communiqués, leur exclusion pourra être débattue préliminairement. Clairement, l’intérêt public et la prépondérance des inconvénients favorisent la poursuite de l’enquête, le tout sans préjudice au droit du demandeur de faire toute requête en arrêt des procédures ou en récusation devant le Comité d’enquête.

[74]           Pour ces motifs, la requête en annulation est rejetée. Il n’y a pas lieu d’accorder de dépens.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en annulation de l’ordonnance du 5 décembre 2014 soit rejetée sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-646-14

 

INTITULÉ :

MICHEL GIROUARD c LE COMITÉ D'EXAMEN CONSTITUÉ EN VERTU DES PROCÉDURES RELATIVES À L'EXAMEN DES PLAINTES DÉPOSÉES AU CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE AU SUJET DES JUGES DE NOMINATION FÉDÉRALE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 février 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Le bâtonnier Gérald R. Tremblay, Ad. E.

 

Pour le demandeur

 

Le bâtonnier Louis Masson, Ad. E.

 

Pour le demandeur

 

Me Robert DeBlois, LL.L., CRHA

Me Pierre G. Gingras

Pour le DÉFENDEUR

LE CONSEIL CANADIEN DE LA

MAGISTRATURE

 

Me Claude Joyal, Ad.E, c.r.

 

Pour le DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Joli-Coeur Lacasse

Avocats

Québec (Québec)

 

Pour le demandeur

 

DeBlois & Associés, S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

Pour le DÉFENDEUR

LE CONSEIL CANADIEN DE LA

MAGISTRATURE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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