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Date : 20150709


Dossier : IMM-4803-14

Référence : 2015 CF 844

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

MOHAMMAD J A JUMA

(alias MOHAMMAD JUMA)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Mohammad J. A. Juma a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). M. Juma conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a décidé qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[2]               M. Juma est un musulman palestinien. Il vivait autrefois à Bureen, un village de Cisjordanie. La Cisjordanie et la Bande de Gaza constituent en Israël les territoires palestiniens occupés (les territoires occupés). Selon M. Juma, il lui est impossible de retourner dans les territoires occupés, car il craint avec raison d’être exposé à un risque du fait de sa nationalité et de ses opinions politiques.

[3]               Selon la Cour, la Commission a raisonnablement tiré des inférences défavorables quant à la crédibilité de M. Juma fondées sur les contradictions relevées dans son témoignage, le manque de documents étayant ses dires et le retard dans la présentation de sa demande d’asile. La Cour souscrit aussi à l’avis de la Commission selon lequel tout risque auquel M. Juma peut être exposé dans les territoires occupés est de caractère général. La Commission n’a pas violé le droit de M.  Juma à l’équité procédurale. La demande contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.                Le contexte

[4]               M. Juma a fondé sa demande d’asile sur les affirmations suivantes :

  • Le village de Bureen est situé près de trois colonies de peuplement israéliennes. Les habitants de ces colonies attaquent régulièrement Bureen en raison du conflit israélo‑palestinien. Les habitants de Bureen font par ailleurs l’objet de détentions arbitraires, de violations aveugles de leurs droits et même de meurtres de la part de l’armée israélienne.
  • En 2005, M. Juma a été détenu par des soldats de l’armée israélienne alors qu’il se rendait de son village à la ville de Nablus où il suivait des cours à l’université. M. Juma a été détenu pendant plusieurs heures et averti de ne plus revenir. Par la suite, il a été remis en liberté.
  • Parce qu’il échouerait à ces examens s’il ne pouvait pas se rendre à l’université, M. Juma a donc, le jour suivant, tenté d’effectuer le même trajet, et a été à nouveau détenu par l’armée israélienne. Les soldats l’ont maltraité et menacé de le tuer. Lorsque la mère de M. Juma est partie à sa recherche, elle aussi a été agressée par des soldats israéliens et a dû être hospitalisée. Peu de temps après, M. Juma a renoncé à ses études et, craignant pour sa sécurité, ne quittait plus que rarement sa maison.
  • Des parents de M. Juma vivant aux États‑Unis ont obtenu que lui soit délivré un visa d’étudiant afin qu’il puisse temporairement quitter les territoires occupés. En septembre 2005, à son arrivée aux États‑Unis, M. Juma a appris qu’il était trop tard pour s’inscrire à des cours et qu’il lui faudrait retourner dans les territoires occupés pour y déposer une nouvelle demande de permis d’étudiant. M. Juma a décidé de demeurer illégalement aux États‑Unis en attendant qu’il lui soit possible de retourner en toute sécurité dans les territoires occupés.
  • En septembre 2006, M. Juma est arrêté par des agents des services d’immigration des États‑Unis. En raison de sa situation irrégulière, il passe deux mois en détention. Il a été libéré sous caution; la caution a été versée par sa famille. En 2008, alors qu’il était encore sous le coup de la libération sous caution et qu’il attendait que soit fixée la date de l’audience au tribunal, M. Juma a épousé une citoyenne américaine. Sa nouvelle épouse a déposé une demande de parrainage. Les services américains d’immigration ont mis en doute l’authenticité du mariage. M. Juma a passé les quatre années suivantes contester la décision, jusqu’à ce que sa femme et lui se séparent en 2012.
  • Se trouvant aux États‑Unis sans statut, et ayant appris qu’il ne pouvait pas y présenter une demande d’asile puisque plus d’une année s’est écoulée depuis son arrivée, M. Juma est arrivé au Canada.

[5]               Le 10 mai 2012, M. Juma a présenté une demande d’asile. Le 20 mai 2014, la Commission a rejeté sa demande. Le 13 juin 2014, M. Juma a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour et cette autorisation a été accordée le 25 février 2015.

[6]               M. Juma dit qu’il craint d’être renvoyé dans son pays d’origine, parce qu’il est un jeune palestinien originaire d’un secteur instable de la région. Il affirme craindre avec raison d’être persécuté à cause de sa nationalité et de ses opinions politiques. Ayant vécu à l’étranger depuis 10 ans, M. Juma estime qu’il éveillera la défiance tant des autorités israéliennes que des autorités palestiniennes. Les autorités israéliennes le soupçonneront de s’être lié à des groupes hostiles à l’étranger, et le détiendront vraisemblablement afin de l’interroger. Inversement, les autorités palestiniennes le soupçonneront d’être un partisan d’Israël ou de groupes de faction palestiniens en raison du temps qu’il a passé en Amérique du Nord.

III.             La décision de la Commission

[7]               La Commission a rejeté la demande de M. Juma estimant qu’il manquait de crédibilité. La Commission a tiré une conclusion défavorable du fait que M. Juma n’avait pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis entre septembre 2005 et mai 2012. La Commission a en outre estimé que le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de M. Juma ne contenait pas suffisamment de détails ou de documents concernant son séjour aux États‑Unis.

[8]               La Commission a conclu que M. Juma était en quête des meilleures occasions pour obtenir un statut ou la protection à titre de réfugié. Selon la Commission, « une personne ayant véritablement qualité de réfugié au sens de la Convention demande l’asile dans les plus brefs délais, dès qu’elle se trouve hors de portée de ses oppresseurs ».

[9]               Lors de l’examen de la demande d’asile de M. Juma au titre de l’article 97 de la LIPR, la Commission a conclu que M. Juma n’avait pas la qualité de personne à protéger, parce que son renvoi en Israël et dans les territoires occupés ne l’exposerait pas personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. La Commission a aussi conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour décider que M. Juma serait soumis à la torture.

[10]           En ce qui concerne l’allégation de M. Juma, selon laquelle les 10 années qu’il a passées à l’extérieur des territoires occupés porteraient à la fois les autorités israéliennes et palestiniennes à penser qu’il était lié à des groupes hostiles, la Commission a conclu que les craintes exprimées par M. Juma étaient de caractère général et que le risque auquel il pourrait être exposé n’était pas un risque personnel. La Commission a décidé que le fait que M. Juma a pu renouveler son passeport palestinien démontrait bien que les autorités palestiniennes ne croyaient vraisemblablement pas qu'il constituait une menace; autrement, ils ne lui auraient pas renouvelé un document lui permettant de retourner dans les territoires occupés.

IV.             Les questions en litige

[11]           Les questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

A.    La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

B.     La décision de la Commission était‑elle conforme à l’équité procédurale?

V.                Analyse

[12]           Les conclusions de la Commission sont judiciairement contrôlées par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Khosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, au paragraphe 58 (Khosa); Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 22).

[13]           Une décision raisonnable possède les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59).

[14]           Les questions d’équité procédurale renvoient aux principes de justice naturelle et sont soumises au contrôle selon la norme de la décision correcte (arrêt Khosa, au paragraphe 43; Établissement de mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Bien que la norme de la décision correcte soit la norme appropriée, selon la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale, la Cour devrait adopter une « norme hybride » permettant une certaine retenue à l’égard du choix de procédure de la SPR (Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l’énergie, 2014 CAF 245, aux paragraphes 70 à 72 et 81; Jones c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 419, au paragraphe 17; voir également Sound c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, aux paragraphes 34 à 42; Maritime Broadcasting System Ltd. c La Guilde canadienne des médias, 2014 CAF 59, aux paragraphes 50 à 56). Cela ne modifie pas la norme de contrôle applicable, mais pourrait toutefois influer sur la manière dont la Cour évalue l’étendue de l’obligation de la Commission et tranche la question de savoir s’il y a eu manquement à cette obligation (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 281, au paragraphe 31; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 21 et 27).

A.                La décision de la Commission était‑elle raisonnable?

[15]           M. Juma affirme que la décision de la Commission était déraisonnable pour deux raisons : a) parce que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de M. Juma; b) parce que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le risque auquel il était exposé était généralisé.

[16]           Pour que le demandeur puisse établir au titre de l’article 96 de la Loi qu’il craint avec raison d’être persécuté, il doit avoir une crainte subjective et cette crainte avec raison doit avoir un fondement objectif (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). En l’espèce, la Commission a estimé que M. Juma n’avait pas de crainte subjective de persécution.

[17]           M. Juma allègue que le retard qu’il a mis à demander asile n’est pas décisif, alors que le ministre déclare qu’il était loisible à la Commission de rendre une telle décision étant donné les conclusions défavorables auxquelles elle était arrivée relativement à la crédibilité de M. Juma.

[18]           Il est loisible à la Commission de prendre en compte le retard que le demandeur a mis à la déposer sa demande d’asile lorsqu’elle examine celle-ci (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CAF), au paragraphe 4). Il existe une présomption selon laquelle une personne qui craint avec raison d’être persécutée demandera l’asile à la première occasion. Si cette personne ne le fait pas, le bien-fondé de la crainte subjective qu’elle invoque pourra être remis en question (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 62 (Singh), au paragraphe 24). Bien qu’en retard ne soit pas décisif en soi, il « peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande » (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, au paragraphe 14). À défaut d’explication satisfaisante pour justifier la lenteur, la demande « peut être déclarée irrecevable, même si les allégations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles » (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, au paragraphe 28; Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 412, au paragraphe 20; Licao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 89, aux paragraphes 49 et 53; voir également Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 17).

[19]           La question de savoir si la Commission est convaincue ou non par les raisons qu’invoque le demandeur d’asile pour justifier son retard est une question de fait et non pas de droit. Il convient de faire montre d’une grande déférence envers la Commission en raison de son expertise et de sa position particulière en tant que juge des faits (Huseynova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 408, au paragraphe 6; Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1136, au paragraphe 11; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 698, au paragraphe 11). La Cour n’interviendra que si l’appréciation de la crédibilité du demandeur est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou encore si la décision a été rendue sans que la Commission ne tienne compte des éléments dont elle disposait (Camara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362, au paragraphe 12).

[20]           En l’espèce, après avoir quitté la Palestine, M. Juma a attendu presque sept années avant de présenter sa demande d’asile. Lorsqu’il a été interrogé au sujet de ce retard, M. Juma a donné des réponses que la Commission a estimées évasives et non convaincantes. La Commission a aussi tiré une inférence défavorable du fait que M. Juma n’a produit aucun document confirmant le récit qu’il avait fait de ses interactions avec les services américains d’immigration pendant sept années. Il était donc impossible que la Commission évalue si les allégations qu’il avait avancées aux États‑Unis concordaient avec celles qu’il a faites au Canada.

[21]           Selon la Cour, il était raisonnable que la Commission tire une inférence défavorable du retard de M. Juma à solliciter l’asile et qu’elle conclue que M. Juma n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté (Jeune c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, au paragraphe 15). Bien que M. Juma eût pu avoir un visa d’études valide pour les États-Unis lorsqu’il y est entré la première fois, cela ne diminue en rien le caractère raisonnable de l’appréciation de la Commission (Peti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 82, au paragraphe 42).

[22]           La Cour conclut aussi qu’il était loisible à la Commission de tirer des inférences défavorables des contradictions relevées dans le FRP de M. Juma, et de son incapacité à produire des documents étayant certains éléments de sa demande d’asile, contrairement à l’obligation qui pèse sur lui au titre de l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256. Il est bien établi que le fait de ne pas produire de pièces justificatives peut nuire à la crédibilité du demandeur d’asile (Mercado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 289, au paragraphe 32).

[23]           M. Juma reproche aussi à la Commission d’avoir commis une erreur d’appréciation, dans l’examen de sa demande au titre de l’article 97 de la LIPR. Selon lui, l’analyse de la Commission était viciée, car elle n’a pas pris en compte son allégation selon laquelle il était exposé à un risque élevé dans les territoires occupés, parce qu’il est un homme jeune originaire de Bureen, un secteur particulièrement instable de la Cisjordanie, à peu de distance de trois colonies de peuplement israéliennes. Selon M. Juma, la Commission a pris en compte le risque auquel il était exposé de la part des autorités israéliennes et palestiniennes, mais elle ne s’est pas penchée sur le risque qui pourrait venir des colons israéliens de la Cisjordanie.

[24]           Pour qu’une demande d’asile fondée sur l’article 97 de la LIPR soit accueillie, le demandeur d’asile doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’en cas de renvoi dans son pays d’origine, il serait exposé personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le risque ne peut être ni indéterminé ni aléatoire ni généralisé. Il existe une présomption selon laquelle les États sont en mesure de protéger leurs citoyens. Cette présomption est réfutée uniquement par des preuves claires et convaincantes que la protection de l’État est insuffisante ou inexistante (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 38 (Carrillo)). La preuve doit être digne de foi et avoir une valeur probante (arrêt Carrillo, au paragraphe 30).

[25]           La Cour reconnaît que le risque que posent les colons a été directement soulevé par la conseil de M. Juma à la Commission. Ce risque a été énoncé dans le FRP modifié qui a été préparé grâce à l’aide de la conseil et il a été évoqué de manière détaillée dans les observations que la conseil a présentées après l’audience. Toutefois, le témoignage de M. Juma à la Commission ne corrobore pas les observations avancées par sa conseil pour le compte de M. Juma. Le ministre relève que M. Juma a fait état de [traduction] « toute une panoplie de risques » émanant de diverses sources, notamment les autorités israéliennes, les autorités palestiniennes et les colons de la Cisjordanie.

[26]           Lorsqu’on lui a demandé s’il était exposé à un risque plus élevé en raison de son sexe et de son âge, M. Juma a répondu que tout le monde est exposé au risque, même les enfants de quatre ans, même les bébés. La Commission a conclu que les réponses de M. Juma étaient décousues, et qu’il n’a pu citer aucun facteur concret en raison duquel il serait exposé à un risque personnel. Au vu d’une telle conclusion, il n’était pas nécessaire que la Commission évalue le risque de différentes sources de manière plus précise qu’elle ne l’a fait. Les éléments de preuve documentaire examinés par la Commission confirmaient la possibilité d’un risque élevé auquel sont exposées les personnes ayant le même profil que M. Juma, mais il en ressortait aussi que ce risque est principalement dû aux activités auxquelles se livrent ces personnes (par exemple, des manifestations et du militantisme).

[27]           Compte tenu des éléments de preuve produits par M. Juma, la Cour estime qu’il était raisonnable que la Commission conclue que le risque auquel M. Juma était exposé était généralisé. Même en admettant que les personnes ayant le profil de M. Juma étaient exposées à un risque élevé, la Cour a décidé que ce risque peut néanmoins être considéré comme un risque généralisé, lorsqu’il touche davantage un sous‑groupe de personnes (De Parada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 845, aux paragraphes 21 et 22; Paz Guifarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, aux paragraphes 30, 32 et 33; voir aussi Avila Diaz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 797, aux paragraphes 38 à 40).

B.                 La décision de la Commission était‑elle conforme à l’équité procédurale?

[28]           M. Juma soutient que la Commission n’a pas respecté les principes de justice naturelle, parce qu’elle s’est fondée sur ses connaissances spécialisées pour arriver à la conclusion qu’il n’était pas une personne présentant de l’intérêt pour les autorités palestiniennes étant donné qu’il a été en mesure de renouveler son passeport sans problèmes. M. Juma affirme que la Commission a dû se fonder sur ses connaissances spécialisées, car elle n’a fait référence à aucune preuve documentaire relative à la nature et à la portée des contrôles exercés sur les entrées et les sorties des Palestiniens.

[29]           M. Juma reconnaît que la Commission peut prendre en compte certains faits, mais il déclare que le demandeur doit en être avisé et avoir l’occasion d’y répondre. Selon l’alinéa 170i) de la LIPR, la Commission peut admettre « les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation ».

[30]           Je suis en désaccord avec M. Juma lorsqu’il prétend que la conclusion de la Commission concernant sa capacité à renouveler son passeport doit être attribuée à ses connaissances spécialisées. Au contraire, la Cour conclut que la décision de la Commission était fondée sur le raisonnement et le bon sens. La conclusion de la Commission reposait sur le raisonnement et non pas les connaissances spécialisées :

Le tribunal juge qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que si l’AP [l’Autorité palestinienne] avait soupçonné le demandeur d’asile de représenter un risque quelconque, elle n’aurait pas renouvelé un document facilitant le retour du demandeur d’asile sur son territoire.

[31]           Lorsqu’elle évalue la crédibilité d’un demandeur d’asile, il est loisible à la Commission de se fonder sur le raisonnement et le bon sens (Singh, au paragraphe 1; Shahamati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1994] ACF  no 415). En outre, la Cour relève que M. Juma allègue que les autorités palestiniennes sauront qu’il a passé plus de 10 ans à l’étranger, et qu’elles auront donc un regard suspicieux à son égard. Une telle allégation repose aussi sur l’hypothèse que les autorités palestiniennes ont accès à des bases de données permettant d’archiver et de consulter ce type de renseignements.

[32]           La Cour est donc d’avis que la Commission a fondé ses conclusions sur les éléments de preuve dont elle disposait, et non sur des connaissances personnelles ou spécialisées, ou sur des éléments de preuve extrinsèques qui n’auraient pas été portés à la connaissance du demandeur. Par conséquent, la Cour conclut que l’alinéa 170i) de la LIPR n’est d’aucune pertinence en l’espèce et que les principes d’équité procédurale ont été respectés.

VI.             Dispositif

[33]           Pour les motifs exposés susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4803-14

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD J. A. JUMA 

C

 MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE jUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

POUR LE DEMANDEUR

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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