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Date : 20150916


Dossier : T -1971-13

Référence : 2015 CF 1083

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

CONSTELLATION BRANDS INC., CONSTELLATION BRANDS QUÉBEC INC., CONSTELLATION BRANDS CANADA INC., SUMAC RIDGE ESTATE WINERY LTD ET FRANCISCAN WINEYARDS INC.

demanderesses

et

DOMAINES PINNACLE INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’un appel visant la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce, par laquelle cette dernière rejetait la déclaration d’opposition produite par Constellation Brands inc., Constellation Brands Québec inc., Constellation Brands Canada inc., Sumac Ridge Estate Winery ltd et Franciscan Vineyards inc. (les demanderesses) en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi). La Commission a estimé qu’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques de commerce des demanderesses et DOMAINE PINNACLE & Dessin (marque nominale et dessin-marque), qui est visée par la demande d’enregistrement déposée par Domaines Pinnacle inc.

[2]               Les demanderesses font essentiellement valoir que la Commission a commis une erreur de fait et de droit en ce qui a trait au critère relatif à la confusion prévu au paragraphe 6(5) de la Loi. Elles s’opposent plus particulièrement en ce qui a trait à l’application globale du critère et à la mauvaise application, ou à l’omission de tenir compte, d’un certain nombre de principes en lien avec les facteurs suivants du paragraphe 6(5) : (i) le degré de ressemblance; (ii) les autres circonstances en l’espèce; (iii) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues. Les demanderesses présentent également de nouveaux éléments de preuve et plaident que la Cour devrait examiner cette affaire de novo.

[3]               La Cour a rendu sa décision dans Restaurants la Pizzaiolle inc. c Pizzaiolo Restaurants inc., 2015 CF 240 (Pizzaiolle), après que les parties en l’espèce eurent mis au point leur dossier, mais avant le déroulement de l’audience. Les demanderesses font valoir que Pizzaiolle permet de trancher la présente affaire, alors que la défenderesse prétend que cette décision ne devrait pas être suivie.

[4]               Je suis d’avis que le meilleur argument des demanderesses porte sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner la marque nominale déposée conformément à ses termes, au lieu de recourir à l’usage effectif dans l’analyse du degré de ressemblance.

[5]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, l’appel sera accueilli.

I.                   Contexte

[6]               Franciscan Vineyards inc. (Franciscan) est un établissement vinicole situé dans le comté de Soledad Monterey en Californie, qui mène ses activités sous un certain nombre de noms commerciaux différents, y compris « Estancia Estates ». L’entreprise produit et embouteille du vin vendu au Canada et aux États-Unis, et elle le fait en lien avec la marque de commerce PINNAC LES (LMC 683119, enregistrée le 7 mars 2007 – marque nominale de la demanderesse : PINNACLES) et PINNACLES RANCHES. La marque PINNACLE (sans le « s ») a également été employée par une autre demanderesse, Sumac Ridge Estate Winery ltd (Sumac Ridge) située en Colombie-Britannique, en vertu d’un contrat de licence. L’enregistrement PINNACLES est employé au Canada depuis 1993.

[7]               La défenderesse est une entreprise familiale qui se spécialise dans la fabrication de cidre de glace depuis l’an 2000. La marque nominale et le dessin-marque sont employés en lien avec des boissons alcoolisées à base de pommes depuis 2001. La défenderesse a distribué et commercialisé ses produits au Canada et dans le monde en utilisant différents canaux et distributeurs.

[8]               Le 3 juin 2004, la défenderesse a déposé sa demande d’enregistrement no 1219008 (qui a été modifiée le 13 juillet 2005) de la marque nominale et du dessin-marque mentionnés ci‑dessus : DOMAINE PINNACLE & Dessin, en lien avec les marchandises suivantes :

marchandises (1) : boissons alcoolisées à base de pommes;

marchandises (2) : produits non alcoolisés à base de pommes, nommément, jus pétillant et non pétillant, cidre doux mousseux, boissons, purées, compotes, gelées, confitures, friandises, tartes, sauces, aliments pour bébés et céréales.

[9]               L’objet de la demande présente la marque nominale et le dessin-marque de la manière suivante :

[10]           Le 5 août 2008, les demanderesses ont produit une déclaration d’opposition qui a été rejetée par la Commission le 16 septembre 2013.

II.                La décision de la Commission

[11]           Les demanderesses ont soulevé plusieurs motifs d’opposition, mais la Commission a estimé que le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement de l’alinéa 38(2)b) de la Loi était déterminant. Essentiellement, la question en litige formulée était de savoir si la marque nominale et le dessin-marque sont une source de confusion avec la marque de commerce ou le mot servant de marque PINNACLES des demanderesses. La membre de la Commission a conclu que la défenderesse s’était acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existait pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques en cause. Elle a relevé que les marchandises (1) visées par la demande d’enregistrement et les vins des demanderesses « voyagent par les mêmes voies de commercialisation ou par des voies similaires et […] appartiennent tous deux à la même industrie », mais elle a néanmoins conclu que, dans l’ensemble, les autres facteurs faisaient pencher la prépondérance des probabilités en faveur de la défenderesse.

[12]           La Commission a d’abord interprété le critère de la confusion du paragraphe 6(2) de la Loi :

sur le plan de la confusion, qui porte à croire que les produits ou les services issus d’une source proviennent d’une autre source, plutôt que la confusion entre les marques de commerce en elles-mêmes;

sur le plan d’une première impression et d’un souvenir imparfait; [traduction] « du point de vue du consommateur moyen qui a un souvenir général et imprécis de la marque antérieure ». Par conséquent, les marques [de commerce] ne devraient pas être disséquées ou soumises à une analyse microscopique [; plutôt,] elles doivent être prises dans leur ensemble et évaluées comme un tout, en fonction de leur effet sur le consommateur moyen » (passage cité de Pernod Ricard c Molson Breweries, [1992] ACF no 706);

dans l’application du critère, toutes les circonstances de l’espèce, y compris les facteurs mentionnés au paragraphe 6(5), doivent être prises en compte;

puisque les facteurs mentionnés au paragraphe 6(5) ne sont pas exhaustifs, il incombe de tenir compte des circonstances de l’espèce;

puisque le paragraphe 6(5) n’attribue pas de poids juridique à chaque facteur, ce dernier doit être accordé aux facteurs selon les circonstances;

il convient de tenir compte des décisions suivantes : Mattel inc. c 3894207 Canada inc., 2006 CSC 22 (Mattel); Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot ltd (2006) et Masterpiece inc. c Alavida Lifestyles inc., 2011 CSC 27 (Masterpiece).

[13]           La Commission a ensuite examiné chaque facteur du paragraphe 6(5) en plus des autres circonstances en l’espèce.

A.                Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[14]           Après avoir comparé le chiffre d’affaires et les dépenses de mise en marché de Sumac pour les vins de la marque de commerce PINNACLE fournis dans l’affidavit de Howard avec les données fournies par la défenderesse dans l’affidavit de Crawford, la Commission a conclu que le « caractère distinctif inhérent et acquis » des marques de commerce jouait en faveur de la défenderesse.

[15]           L’analyse de la Commission débute avec la conclusion suivante : « J’estime que les marques de commerce concernées par la présente ont un caractère distinctif de valeur semblable et relativement faible. » L’analyse se poursuit :

En effet, les deux marques de commerce sont constituées du mot « pinnacle » (pinacle en français), lequel est défini comme l’apogée, le point culminant, un sommet ou une formation élevée de forme pointue, comme la cime d’une montagne. Par conséquent, les marques de commerce, lorsqu’examinées dans le contexte des marchandises en litige, peuvent évoquer le summum et ont vraisemblablement une connotation laudative. De même, elles peuvent évoquer une connotation géographique, particulièrement pour la marque dont le premier mot est DOMAINE.

[16]           Devant la Commission, les demanderesses ont fait valoir que le sens géographique n’était pas pertinent pour évaluer le caractère distinctif inhérent des marques de commerce des parties, puisqu’il n’y avait pas de preuve que le consommateur moyen des marchandises en cause connaissait les deux formations géologiques en question. Les demanderesses ont affirmé, selon elles, PINNACLES leur semblait aléatoire et unique, et que la marque était distinctive uniquement dans la mesure où elle contenait le nom commun PINNACLES.

[17]           La Commission s’est rangée du côté de la défenderesse, parce que la preuve au dossier établissait la connotation géographique du mot PINNACLE. La membre de la Commission a ajouté : « Toutefois, je n’affirme pas que ces marques de commerce sont clairement descriptives du lieu d’origine des marchandises concernées dans le présent litige. Plutôt, je crois que cette preuve étaye ma conclusion antérieure, c’est‑à-dire que les marques ont un caractère distinctif inhérent plutôt faible. »

[18]           La Commission a ensuite poursuivi son examen de la notion du caractère distinctif inhérent dans le contexte de l’analyse du critère de la confusion en citant Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition : « Les marques qui n’ont pas de caractère distinctif inhérent prononcé, comme APPLE, BEAUTY ou MASTERPIECE, méritent une protection réduite par rapport aux mots inventés. Ces marques sont faibles en raison de leur emploi commun dans le langage courant ou de la nuance apportée par leur caractère descriptif, et la portée de la protection varie en fonction de cette faiblesse. Cet aspect de l’analyse sur la probabilité de confusion tient compte de la capacité du consommateur ordinaire à discriminer les marques ayant en commun un élément non distinctif. »

[19]           En ce qui a trait à la mesure dans laquelle les marques de commerce en opposition sont devenues connues, la Commission a estimé que l’affidavit Crawford établissait que la défenderesse avait effectué un usage continu et étendu de la marque au Canada en lien avec les marchandises (1) depuis 2001. Pendant ce temps, la preuve des demanderesses établissait que le cidre de glace de la défenderesse en lien avec la marque était vendu aux mêmes kiosques de vente de la Société des alcools du Québec (SAQ) que ceux dans lesquelles la demanderesse vendait les vins Estancia Estates PINNACLES.

[20]           Au moment d’examiner les allégations à l’égard de l’usage de la marque de commerce PINNACLES par Franciscan, la Commission n’était pas disposée à accepter que l’étiquette PINNACLES RANCHES (telle qu’exposée sur la pièce no 6, déposée en preuve) sur chaque bouteille de vin vendue au Canada constituait en soi un usage de la marque de commerce enregistrée PINNACLES. La Commission a conclu, en se fondant sur Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie Internationale pour l’Informatique CII Honeywell Bull, [1985] 1 CF 406, (CAF), que l’impression générale créée par la marque lors de l’enregistrement était perdue, parce que la marque de commerce telle qu’employée était constituée des mots PINNACLES et RANCHES, qui étaient tout deux également prédominants. Le public, pour sa première impression, ne percevrait pas la marque de commerce utilisée comme étant la marque de commerce déposée.Pour ce qui est de Sumac Ridge Estate Winery ltd par contre, la Commission était d’accord avec les demanderesses que la variation entre PINNACLE et PINNACLES était mineure et que, par conséquent, elle constituait un usage du mot servant de marque déposée des demanderesses.

B.                 La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[21]           La Commission a conclu que, dans l’ensemble, les demanderesses étaient favorisées par le deuxième facteur pour ce qui est des marchandises (1) et (2). Toutefois, la Commission a estimé que ce facteur était moins important dans le cas des marchandises (1), puisque les deux marques de commerce étaient employées depuis longtemps.

[22]           La Commission a jugé que PINNACLES était employée au Canada par l’intermédiaire du contrat de licence accordé par Fransiscan à Sumac depuis 1997.

[23]           La marque de commerce de la défenderesse est employée en lien avec les marchandises (1) depuis 2001.

C.                 Le genre de produits, services ou entreprises, et d) la nature du commerce

[24]           La Commission, en examinant les facteurs c) et d) conjointement, a conclu qu’ils favorisaient les demanderesses à l’égard des marchandises (1) visées par la demande. Toutefois, pour ce qui est des marchandises (2) visées par la demande, la Commission a conclu que les facteurs c) et d) favorisaient la défenderesse.

[25]           Pour la Commission, qui a comparé l’énoncé des marchandises de Franciscan à celui de la défenderesse, il était clair que les vins des demanderesses et que les marchandises (1) visées par la demande de la défenderesse entraient dans la catégorie des boissons alcoolisées. Toutefois, pour ce qui est de la première partie des marchandises (2) visée par la demande les « produits non alcoolisés à base de pommes, nommément, jus pétillant et non pétillant, cidre doux mousseux, boissons », la Commission a jugé qu’elle ne faisait pas partie de la même industrie que les vins des demanderesses. Pour ce qui est de la deuxième partie des marchandises (2) visées par la demande, les « produits non alcoolisés à base de pommes », nommément, « purées, compotes, gelées, confitures, friandises, tartes, sauces, aliments pour bébés et céréales », la Commission a jugé qu’elle était « clairement différent[e] » du vin, et que, par conséquent, il était raisonnable de déduire que les voies de commercialisation correspondantes seraient également différentes.

D.                Le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées dans les idées qu’elles suggèrent

[26]           La Commission ne s’est pas exprimée explicitement sur le facteur e) quant à savoir s’il favorisait les demanderesses ou la défenderesse; toutefois, il semble que l’aspect visuel ait été déterminant, et donc qu’il ait favorisé la défenderesse. L’analyse peut être détaillée ainsi :

  • il y avait une certaine ressemblance entre les marques des parties, du fait que la marque contient le mot PINNACLE, qui constitue l’élément dominant de la marque nominale et du dessin-marque;
  • cette conclusion n’a pas changé même si le mot et le dessin-marque comprennent le mot DOMAINE et un élément graphique sophistiqué composé d’un flocon de neige superposé à une pomme; le mot PINNACLE demeure l’élément le plus distinctif, surtout si on examine l’aspect phonétique de la marque;
  • d’un point de vue visuel, les marques suggéraient des idées différentes; puisque le dessin de la pomme suggère des produits à base de ce fruit et que le flocon évoque le froid et l’hiver; en comparaison, les marques de commerce PINNACLES des demanderesses proposent l’idée d’un grand nombre de sommets.

E.                 Les autres circonstances de l’espèce

[27]           Contrairement aux autres arguments soumis par les demanderesses, la membre de la Commission, en se fondant sur l’arrêt Christian Dior SA c Dion Neckwear ltd (Dion Neckwear ltd), 2002 CAF 29, était seulement prête à donner du poids à une autre circonstance de l’espèce qui, selon elle, favorisait la défenderesse : l’absence de confusion réelle au milieu de la coexistence des marques. Depuis au moins 2001, il y avait une absence de confusion entre les marques de commerce des parties, et ce, malgré leur coexistence et leur usage sur le marché canadien; la preuve reposait sur l’usage concurrent dans les sociétés des alcools provinciales et sur le fait que les deux parties ont inscrit leurs produits dans les mêmes compétitions. La Commission, en se fondant sur la jurisprudence, a fait remarquer que « l’absence de confusion effective » était un facteur jugé important par les tribunaux pour déterminer la probabilité de confusion.

III.             Les questions en litige

[28]           Le présent appel soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable? Est‑ce que les nouveaux éléments de preuve présentés principalement par les demanderesses sont importants et significatifs?
  2. La Commission a‑t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans sa décision à savoir si la marque nominale et le dessin-marque de la défenderesse, DOMAINE PINNACLE et Dessin, prêtaient à confusion avec les mots servants de marques déposées PINNACLES et PINNACLE des demanderesses? Si la Cour devait plutôt entendre le présent appel de novo, la question consiste à savoir si une telle confusion est susceptible de se produire.

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[29]           Un nouvel élément de preuve peut être présenté en appel en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi; toutefois, la question demeure : est‑ce que ce nouvel élément de preuve aurait pu influer sur les conclusions de la Commission ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire? La réponse à cette question détermine la norme de contrôle que la Cour doit appliquer dans le présent appel. Si la réponse est affirmative, un examen de novo doit avoir lieu, et renvoyer l’affaire pour qu’elle soit jugée de nouveau n’est pas une option viable. Cependant, si les demanderesses n’ont pas présenté de nouveaux éléments de preuve, ou si elles en ont présenté, mais que cette preuve n’avait pas eu d’incidence prédominante sur la décision de la Commission, la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité (Mattel, ci‑dessus aux paragraphes 35, 37, 40‑41; Telus Corporation c Orange Personal Communications Services Ltd, 2005 CF 590, aux paragraphes 22 et 41, conf. par 2006 CAF 6; Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, [2000] ACF no 159, au paragraphe 51).

[30]           Je ferai d’abord remarquer que les trois éléments de preuve les plus concluants qui ont été soumis à la Commission sont : les affidavits souscrits par : (i) M. Fondiller, qui est entre autres premier vice-président, avocat général et secrétaire au sein de Franciscan; (ii) M. Howard qui est premier vice-président du marketing pour le Canada anglais au sein de Vincor International; (iii) M. Crawford, président-fondateur au sein de l’entreprise défenderesse. Les pièces suivantes ont été soumises à l’appui des affidavits :

  1. la pièce ICC 2 et le contre-interrogatoire de M. Crawford contenant des aveux faits par écrit ou verbalement au sujet de la confusion et de la ressemblance des marques (onglet 6);

      ii.            l’ajout du paragraphe 37 à l’affidavit de M. Fondiller, dans lequel il renvoie à la pièce 13, une déclaration déposée par la défenderesse censée contenir des énoncés contradictoires et présentée dans une autre affaire devant la Cour fédérale (dossier T ‑290‑13) au sujet de l’élément dominant de la marque de commerce de la défenderesse et de la confusion effective avec le mot « Pinnacle » (onglet 3);

  1. l’ajout des paragraphes 33 à 36 à l’affidavit de M. Fondiller et les pièces 11 et 12 portant sur des négociations entre les parties en l’espèce en vue d’en arriver à un règlement (onglet 3);
  2. les affidavits de 21 consommateurs canadiens portant sur leurs connaissances géographiques du « Parc national des Pinnacles » en Californie et du « Mont Pinacle » au Québec (onglet 5);
  3. l’ajout de l’interrogatoire de M. Crawford et des pièces U‑1, U‑2 et ICC 3 portant sur la preuve concernant les ventes relatives à la présence géographique du produit de la défenderesse et la preuve de l’usage réel de la marque de commerce de la défenderesse sur le marché (onglet 6).

[31]           Afin de déterminer si les nouveaux éléments de preuve auraient eu une incidence prédominante sur la décision de la Commission, la Cour doit examiner la nature et la qualité de la nouvelle preuve et tenir compte de son importance, de sa valeur probante et de sa fiabilité (Bojangles’ International LLC c Bojangles Café Ltd, 2006 CF 657, au paragraphe 10). La nouvelle preuve doit être plus qu’une simple répétition de la preuve existante, ou un complément de celle‑ci, mais doit accroître sa force probante (Vivat Holdings Ltd c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27); cela signifie que le critère en est un de qualité et non de quantité (Hawke & Co Outfitters LLC c Retail Royalty Co, 2012 CF 1539, au paragraphe 31).

[32]           J’ai examiné les éléments de preuve et je conclus, en ce qui concerne leur qualité, que les demanderesses n’ont pas réussi à me convaincre qu’ils ont une valeur probante telle qu’ils auraient eu une incidence prédominante sur l’analyse de la Commission et, par conséquent, sur sa décision.

[33]           En ce qui concerne les éléments (i), (ii) et (iii) ci‑dessus, les aveux allégués de M. Crawford, selon lesquels une confusion résulterait de l’utilisation par les demanderesses de la marque PINNACLES en lien avec du vin de glace, ont peu de valeur probante. À l’examen de l’ensemble de la preuve, il semble que M. Crawford a adopté des points de vue contradictoires selon le contexte. Quand il a défendu sa marque contre un tiers qui l’avait utilisée en lien avec de la vodka, la confusion était probable (la Cour a récemment homologué une transaction entre les parties dans Domaine Pinnacle inc. c Beam Suntory inc., 2015 CF 680). Elle était improbable quand il a parlé de la coexistence pour la première fois avec les demanderesses. Mais la confusion est redevenue probable quand il a discuté d’un possible contrat de licence qu’il aurait accordé aux demanderesses à l’égard de l’usage du mot servant de marque PINNACLES, après qu’il l’eut prétendument acheté auprès de ces dernières (une requête en homologation de transaction est en instance devant la Cour supérieure du Québec). En d’autres termes, ces soi‑disant aveux doivent être interprétés dans leur contexte, et ce contexte semble se caractériser par de nombreuses années de litige et de négociations en vue d’un règlement, non seulement entre les parties concernées dans le présent dossier, mais entre la défenderesse et un tiers. Nous pouvons en dire autant à propos de l’accord de distribution qui a été conclu entre la défenderesse et Vincor Québec, une société membre du groupe des demanderesses. Les aveux et l’accord de distribution témoignent simplement des stratégies et des décisions commerciales. Sans l’ensemble du contexte, ces documents et les aveux ont peu de valeur probante et, à mon avis, n’auraient pas eu une incidence significative à l’égard de la décision de la Commission. Quant aux aveux de M. Crawford selon lesquels PINNACLE constitue l’élément dominant de la marque de commerce de la défenderesse, ils n’auraient rien ajouté au dossier, puisqu’il s’agit d’une conclusion que la Commission avait déjà tirée en l’absence de ceux-ci.

[34]           Pour ce qui est des affidavits de 21 personnes qui ne savent pas où sont localisés le Parc national des Pinnacles en Californie et le Mont Pinacle au Québec (pièce iv), ils n’ont pas de valeur probante. Il semble que ces personnes n’étaient pas dûment assermentées et qu’elles aient surtout été sélectionnées parmi les connaissances des demanderesses. Elles ne représentent pas le consommateur canadien moyen. Il ne s’agit pas d’un sondage scientifique tel que décrit par le juge Rothstein aux paragraphes 94 à 97 de l’arrêt Masterpiece, ci‑dessus.

[35]           Finalement, pour ce qui est de la preuve concernant les ventes relatives à la présence géographique du produit de la défenderesse et la preuve de l’usage réel de la marque de commerce de la défenderesse sur le marché (pièce v), elles sont rarement évoquées dans les observations écrites des demanderesses reprochant les erreurs prétendument commises par la Commission. D’abord, même si les ventes de la défenderesse se concentraient principalement dans la province de Québec, les ventes effectuées hors Québec, en Colombie-Britannique plus particulièrement, étaient tout de même plus importantes que celles des demanderesses. Nous pouvons en dire autant au sujet des dépenses de mise en marché. Ensuite, pour ce qui est de l’usage effectif de la défenderesse de sa marque sur le marché, il faut porter attention aux dispositions de la demande et à ce qu’elle permettrait de faire à la défenderesse, et non pas ce que cette dernière fait actuellement (Mattel, ci‑dessus). J’ai du mal à voir de quelle manière ces éléments auraient pu avoir une incidence prédominante sur l’issue de la décision.

B.                 La probabilité raisonnable de confusion entre le dessin-marque et la marque nominale des opposantes

[36]           Je suis d’avis que la question déterminante dans le présent appel est l’erreur commise par la Commission dans sa façon de déterminer le degré de ressemblance entre les marques, en plus des effets de cette erreur sur l’« analyse globale » des facteurs du critère de la confusion effectuée par la Commission.

[37]           Les demanderesses contestent l’issue de la décision en se fondant sur la façon dont la Commission est parvenue à établir l’équilibre entre les différents facteurs. En outre, elles disent, en citant Masterpiece, que si l’on tient compte de la façon dont une « certaine ressemblance » est le facteur le plus déterminant de l’analyse, l’équilibre entre les facteurs aurait dû pencher du côté de la confusion.

[38]           Dans Masterpiece (aux paragraphes 11 et 12), la Cour suprême du Canada a statué que le juge O’Reilly avait commis une erreur dans son analyse du degré de ressemblance entre le mot servant de marque déposée d’Alavida, « MASTERPIECE LIVING », et les mots servant de marque non enregistrée de Masterpiece inc. « MASTERPIECE » et « MASTERPIECE LIVING ». Le passage pertinent de la décision du juge O’Reilly se lit ainsi :

[46] Il y a de toute évidence un degré de ressemblance entre le nom commercial et les marques de commerce de Masterpiece Inc. et la marque déposée d’Alavida « Masterpiece Living ». Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, je prends note qu’Alavida emploie « Masterpiece Living » comme slogan accompagnant son nom commercial. Au contraire, Masterpiece Inc. utilise « Masterpiece » pour nommer l’entreprise même, de même que d’autres mots ou expressions beaucoup moins importantes, et l’inscrit à côté du papillon qui constitue son logo distinctif. Ces différences diminueront la probabilité de confusion.

[39]           Il semble que la marque nominale était employée de diverses façons, et que ces usages divers justifiaient un degré de ressemblance « plus faible ». La Cour suprême a jugé que cela était une erreur et a précisé que la marque nominale déposée, composé à partir de simples mots, pourrait être présentée de diverses façons en vertu de l’enregistrement. En effet, rien n’empêcherait le titulaire de la marque de commerce de modifier sa publicité en mettant en relief un mot, en lui donnant plus d’importance ou en modifiant sa typographie. Comme la Cour suprême l’a affirmé (aux paragraphes 53 et 59 de son arrêt), la « seule représentation ne reflétait pas toute la portée des droits exclusifs que l’enregistrement de la marque conférait à Alavida […] l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement ».

[40]           À l’audience, les demanderesses se sont fortement appuyées sur la décision rendue récemment par la Cour dans l’affaire Pizzaiolle, précitée, qui, plaident-elles, renforce leur thèse selon laquelle la conclusion du juge Rothstein dans Masterpiece – portant que la Commission doit tenir compte de tous les usages possibles permis par l’enregistrement, et non pas juste l’usage effectif – et que Masterpiece ne se limite pas qu’aux marques nominales. Dans Pizzaiolle, le juge LeBlanc a conclu que la marque nominale LA PIZZAIOLLE (ou sa variante PIZZAIOLLE) permet à son titulaire de l’employer de n’importe quelle façon, dans n’importe quel format, avec n’importe quel lettrage, sur le même fond ovale vert avec la même description GOURMET PIZZA, puisque la défenderesse a présenté une demande visant la marque nominale et le dessin-marque.

[41]           Même si le juge LeBlanc semble ouvert à l’établissement d’une certaine distinction entre, d’une part, les symboles et les autres représentations graphiques distinctives, et de l’autre, le style de lettres, la couleur, le motif ou la forme graphique (paragraphe 74 de Pizzaiolle), je ne pense pas que la Loi appuie une telle distinction. Une marque de commerce est soit une marque nominale, un dessin-marque ou une marque nominale et un dessin-marque. S’il faut comprendre que l’enseignement de Masterpiece s’applique non seulement aux marques nominales, mais aussi aux marques nominales et aux dessins-marque, il faudrait donc l’appliquer à toutes les situations.

[42]           Après examen de la jurisprudence, je conclus, contrairement à l’affirmation de la défenderesse, que tant que l’analyse du critère de la confusion porte sur une marque nominale déposée, l’enseignement de Masterpiece sur la question des usages potentiels visés par un enregistrement est particulièrement pertinent et impossible à écarter, et ce, peu importe que la marque de commerce visée par la demande soit une marque nominale et un dessin-marque. Je conclus que cela est encore plus important dans les circonstances en l’espèce, parce que l’analyse de ce facteur par la Commission dépend de l’élément visuel et des idées suggérées. La Commission aurait dû tenir compte du fait que la marque nominale PINNACLE aurait pu avoir un autre style de lettrage, de couleur ou de conception graphique qui aurait pu évoquer, par exemple, « le froid et l’hiver », de manière similaire à la marque nominale et au dessin marque DOMAINE PINNACLE et Dessin visés par la demande.

V.                Conclusion

[43]           Pour les motifs qui précèdent, l’appel sera accueilli, la décision sera annulée, et le dossier renvoyé à un autre membre de la Commission pour qu’il l’étudie de nouveau.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. l’appel est accueilli;
  2. la décision de la Commission des oppositions des marques de commerce datée du 16 septembre 2013 est annulée;
  3. le dossier est renvoyé à un autre membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, qui soupèsera de nouveau tous les facteurs du critère de la confusion conformément aux présents motifs; et
  4. les dépens sont adjugés aux demanderesses.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


DOSSIER :

T -1971-13

INTITULÉ :

CONSTELLATION BRANDS INC. ET AL. c DOMAINES PINNACLE INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 mai 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

Le 16 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Me Mortimer Freiheit

(Freiheit Légal, Avocats)

Me Bruno Barrette

Me Yann Canneva

(Barrette Avocats inc.)

POUR LES DEMANDERESSEs

Me Rachid Benmokran

Me Robert Brouillette

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Freiheit Légal, Avocats

Avocats

Montréal (Québec)

Barrette Avocats inc.

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

Brouillette & associés

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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