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Date : 20150908


Dossier : IMM-6195-14

Référence : 2015 CF 1056

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE : 

CARLO ALFREDO CAMPODONICO PALMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demande d’asile présentée par le demandeur a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la Commission]. Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Le demandeur demande une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre commissaire de la Commission pour nouvelle décision.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est citoyen de l’Équateur. Il est homosexuel.

[4]               Le 16 janvier 2012, le demandeur a fait la connaissance de son petit ami, Abraham Josue, en clavardant sur Internet.

[5]               Le 17 mars 2012, le demandeur a été dévalisé par trois hommes armés pendant que le taxi qu’il avait pris était arrêté à un feu de circulation. Le demandeur a été agressé sexuellement. Il a témoigné que cet incident s’était probablement produit parce qu’il se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment.

[6]               Le 4 avril 2012, le demandeur a signalé l’incident à la police. La police a dressé un rapport.

[7]               En juin 2012, le demandeur et M. Josue ont été dévalisés dans un parc par trois agents de police à motocyclette. Le demandeur n’a pas déposé de plainte.

[8]               En juillet 2012, le frère du demandeur a menacé le demandeur de viol s’il apprenait que le demandeur avait une relation avec un autre homme. Le demandeur est allé voir la police, mais a finalement décidé de ne pas porter plainte contre son frère étant donné les graves conséquences que son frère pouvait subir.

[9]               Le 15 septembre 2012, le demandeur et M. Josue se trouvaient dans un taxi le soir. Comme le taxi se déplaçait dans la mauvaise direction, une voiture s’est arrêtée en face. Deux hommes ont pénétré dans le taxi et ordonné au chauffeur de poursuivre sa course. Ils sont arrivés par la suite dans un endroit isolé, où le demandeur et M. Josue ont été agressés sexuellement.

[10]           Le 17 septembre 2012, le demandeur et M. Josue se sont rendus au centre Redima et ont passé un test de dépistage du VIH. Le test de M. Josue s’est révélé positif. On leur a conseillé de signaler l’agression sexuelle à la police.

[11]           En octobre 2012, le demandeur a accompagné M. Josue pour signaler l’incident à la police. La police a transmis l’affaire au bureau du procureur du service de la violence sexuelle et familiale. Dans le bureau du procureur, le demandeur a abordé une femme non identifiée qui semblait occuper, selon lui, un poste important. Il s’est informé de la plainte déposée en mars 2012 à la police, et la femme a dit que le bureau s’informerait à la police.

[12]           Le 18 octobre 2012, le procureur général a demandé un examen médicolégal pour le demandeur et M. Josue. Le même jour, le médecin examinateur a procédé à l’examen médical et préparé le rapport médical.

[13]           Le 1er novembre 2012, le demandeur s’est envolé vers New York. Le 5 novembre 2012, il est arrivé à Vancouver muni d’un visa. Il a ensuite demandé l’asile le 29 novembre 2012.

[14]           Le 13 décembre 2012, le demandeur et M. Josue ont envoyé une lettre au bureau du procureur général en Équateur et ont demandé le soutien de la communauté des GLBTI [gais, lesbiennes, bisexuels, transgenres et intersexuels] relativement à l’incident du 15 septembre 2012.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[15]           L’audience de la Commission a eu lieu le 23 juillet 2014. Le 31 juillet 2014, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur et déterminé qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La Commission a communiqué la décision défavorable le 5 août 2014.

[16]           La Commission a estimé que le demandeur n’était pas crédible. Selon la Commission, la question déterminante était celle de la protection de l’État. Si le demandeur alléguait que l’État ne pouvait le protéger ou ne le protégerait pas, a déclaré la Commission, il incombait au demandeur de produire des éléments de preuve clairs et convaincants pour établir que l’État était incapable de le protéger. La Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau. Le demandeur n’avait pas transmis son insatisfaction envers la réponse de la police à une autorité supérieure, que ce soit au sein de la hiérarchie policière ou d’un autre organisme gouvernemental.

[17]           La Cour a déjà conclu, a indiqué la Commission, que même si les policiers n’ont pas appréhendé les coupables ou que la plainte déposée par un demandeur n’a pas été examinée avec la rigueur souhaitée par ce dernier, il ne faut pas en déduire pour autant que la protection de l’État offerte dans le pays d’origine du demandeur est inadéquate.

[18]           La Commission n’a pas conclu que l’incident de mars 2012 illustrait l’absence de protection de l’État. Le demandeur n’avait pas produit le rapport de police en preuve. La Commission a conclu qu’aucun élément de preuve n’établissait ce qui avait été consigné et que le demandeur, s’il était insatisfait de la progression de l’enquête, ne s’était pas tourné vers une autorité supérieure. La discussion du demandeur avec une femme non identifiée au bureau du procureur n’a pas convaincu la Commission que le demandeur avait cherché à obtenir la protection de l’État auprès d’autorités supérieures.

[19]           La Commission a conclu que l’incident de juin 2012 n’était pas un exemple d’absence de protection de l’État. Dans ce cas‑là, le demandeur avait choisi de ne pas déposer de plainte auprès de la police, et rien ne démontre que le procureur n’était pas disposé à recevoir la plainte.

[20]           En ce qui concerne l’incident de septembre 2012, la Commission a estimé que la police avait pris la plainte au sérieux. La police a reçu la plainte du demandeur et dirigé celui‑ci vers le bureau du procureur. Le procureur a pris rendez‑vous pour que le demandeur et M. Josue passent un examen médical. Le rapport médical indiquait également que le demandeur avait besoin d’une évaluation et de soins médicaux et psychologiques. De l’avis de la Commission, ces mesures montraient une préoccupation à l’égard de la santé physique et psychologique du demandeur.

[21]           La Commission a jugé que le demandeur n’avait pas d’élément de preuve concluant ou même probable établissant que la police n’avait pas pris sa plainte au sérieux. Elle a déterminé que l’allégation de protection de l’État inadéquate avancée par le demandeur reposait sur une croyance subjective. La Commission a retenu que M. Josue avait envoyé une lettre au bureau du procureur général en vue d’obtenir le soutien de la communauté des LGBT [lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres]. Elle a reconnu que la corruption était un problème au sein de la police nationale. Elle a aussi mentionné qu’une agence de nouvelles du gouvernement avait annoncé le congédiement de 340 agents entre janvier et août 2013. Selon la Commission, ces congédiements donnaient à penser que la corruption n’était pas tolérée. Elle a renvoyé à la documentation sur le pays selon laquelle des mesures importantes avaient été prises à l’appui des droits des homosexuels sous l’administration du président Correa et conclu que le gouvernement prenait des mesures pour régler les questions touchant les LGBT.

[22]           La Commission a indiqué que si la police nationale avait beaucoup de chemin à faire avant d’offrir une protection qui respectait les normes des forces policières d’autres pays démocratiques comme le Canada, la perfection n’était pas la norme. S’appuyant sur la décision Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 CF 780, [1994] ACF no 1922, la Commission a déclaré que la norme de protection efficace ne devait pas être trop élevée. Tant que le gouvernement prend des mesures sérieuses pour fournir une protection ou augmenter la protection offerte, a‑t‑elle conclu, il incombe au demandeur de chercher à obtenir cette protection. La Commission a ajouté que les efforts déployés par l’État doivent assurer concrètement une protection adéquate des citoyens.

[23]           Selon la Commission, la preuve établissait qu’une protection adéquate existait. Elle a estimé que le demandeur n’était pas satisfait de l’état de l’enquête, mais que cette insatisfaction ne signifiait pas que la protection de l’État était inadéquate dans le contexte d’une demande d’asile.

[24]           En outre, la Commission a déterminé qu’aucun élément de preuve crédible n’établissait que des personnes dans une situation semblable n’avaient pas obtenu la protection de l’État.

[25]           La Commission a donc conclu que, dans ces circonstances, « le demandeur d’asile pourrait raisonnablement bénéficier de la protection de l’État s’il en avait besoin et s’il la sollicitait ». La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

III.             Questions en litige

[26]           Le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

1.                  La Commission a‑t‑elle mal exposé la preuve produite par le demandeur et la preuve documentaire sur le pays relativement à la protection de l’État, sélectionné les éléments de preuve et fait abstraction d’éléments de preuve importants sur la question de la protection de l’État?

2.                  La Commission a‑t‑elle mal énoncé le fardeau qui incombait au demandeur en évaluant s’il avait réfuté la présomption de protection de l’État adéquate en Équateur et a‑t‑elle par conséquent appliqué le mauvais critère juridique?

[27]           Le défendeur soulève une question : le demandeur a‑t‑il démontré qu’une erreur susceptible de contrôle justifiait une intervention judiciaire?

[28]           Je reformulerais les questions en litige comme suit : 

A.                Quelle est la norme de contrôle?

B.                 La Commission a‑t‑elle mal compris le critère applicable à la protection de l’État?

C.                 La Commission a‑t‑elle fait une analyse raisonnable de la protection de l’État?

IV.             Observations écrites du demandeur

[29]           Le demandeur soutient que la norme de la décision raisonnable doit s’appliquer au contrôle des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit.

[30]           La Commission ne peut faire abstraction des éléments de preuve qui sont pertinents pour la question dont elle est saisie (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 [Cepeda-Gutierrez]).

[31]           Premièrement, le demandeur soutient que la Commission a mal exposé et fait abstraction d’importants éléments de preuve. Selon lui, la Commission a commis une erreur en concluant qu’aucun élément de preuve crédible établissant que des personnes dans une situation semblable n’avaient pas obtenu la protection de l’État n’incitait le demandeur à croire que la protection de l’État ne lui serait pas raisonnablement offerte. Le demandeur affirme que des éléments de preuve crédibles montraient que des organisations de LGBT se plaignaient auprès du gouvernement du fait que la police et les procureurs ne procédaient pas à des enquêtes approfondies sur les décès de LGBT. Cette information se trouve dans la partie qui porte sur l’Équateur des Country Reports on Human Rights Practices for 2013 des États‑Unis, la source même que la Commission a citée pour appuyer son affirmation à propos de la formation des cadets de la police.

[32]           Le demandeur soutient que cet élément de preuve concernant des personnes dans une situation semblable était pertinent pour la question de la capacité et de la volonté de l’État équatorien d’assurer la protection des LGBT. Si la Commission n’avait pas l’obligation de retenir cet élément de preuve, elle était néanmoins tenue de l’examiner et de l’apprécier dans le cadre de son évaluation (Koky c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1407, aux paragraphes 57, 59 et 70, [2011] ACF no 1715).

[33]           Le demandeur conteste aussi la déclaration de la Commission selon laquelle il n’avait pas d’élément de preuve concluant ou même probable établissant que la police n’avait pas pris sa plainte au sérieux. Il soutient que la police n’avait pas pris sa plainte au sérieux parce que, étant donné le comportement du chauffeur de taxi durant l’incident de septembre 2012, la police n’avait jamais demandé le nom de la compagnie de taxi ni de détails qui auraient permis d’identifier le chauffeur. De plus, la Commission a fait mention de la lettre que M. Josue avait envoyée au bureau du procureur général, mais ne l’a pas analysée sous l’angle de la protection de l’État. Le demandeur affirme que le simple fait que cette lettre avait dû être rédigée était pertinent au regard de la volonté de la police de protéger les personnes dans une situation semblable.

[34]           Deuxièmement, le demandeur soutient que le principe énoncé par la Commission quant au fardeau incombant au demandeur, au paragraphe 43, n’est pas ce que prévoit le droit et n’est pas étayé par la décision Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, 124 FTR 160 [Kadenko]. Selon la décision Kadenko, le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur d’asile est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie qui existe dans l’État en cause. Plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile doit avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui. Le demandeur affirme que la Commission n’a pas reconnu la proportionnalité du fardeau. La Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs d’asile provenant d’un pays démocratique doivent s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer « qu’ils n’étaient pas tenus d’épuiser tous les recours dont ils disposaient dans leur pays avant de demander l’asile au Canada ».

[35]           Dans le cas présent, la Commission a conclu que la police nationale en Équateur avait beaucoup de chemin à faire avant de respecter les normes des forces policières d’autres pays démocratiques. Selon le demandeur, la Commission n’a pas tenu compte de cette conclusion dans son évaluation du fardeau qui incombait au demandeur lorsqu’il tentait de réfuter la présomption de protection de l’État. Le demandeur soutient que les propos de la Commission soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Il est impossible de savoir clairement à quel point la Commission pensait que les capacités d’enquête de la police équatorienne étaient faibles.

V.                Observations écrites et mémoire supplémentaire du défendeur

[36]           Le défendeur convient avec le demandeur que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il estime que les motifs de la Commission ne doivent pas être scrutés au microscope.

[37]           Premièrement, le défendeur soutient que la Commission a dûment examiné la preuve. Il affirme que la Commission est réputée avoir examiné l’ensemble de la preuve et n’a pas à faire référence à chacun des éléments de preuve, sauf s’il convient de les mentionner [Cepeda‑Gutierrez].

[38]           Pour ce qui est des documents sur la situation au pays traitant des enquêtes menées par la police sur les décès de LGBT, cet élément de preuve ne concernait pas des personnes dans une situation semblable. L’affirmation présentée concernait plus particulièrement les enquêtes menées sur les décès de LGBT, et non la façon dont la police enquêtait généralement sur les crimes commis contre les LGBT. Par conséquent, la Commission ne peut être blâmée pour ne pas avoir expressément mentionné cet élément de preuve, lequel n’était pas, de prime abord, pertinent en l’espèce.

[39]           La Commission s’est penchée sur les difficultés des LGBT en indiquant que le gouvernement était conscient des problèmes qui existaient au sein des forces policières, au paragraphe 55. Le défendeur soutient que la Commission a traité les éléments de preuve concernant la formation sur les droits de la personne, ce qui, à première vue, est suffisamment vaste pour englober les questions touchant les LGBT. De plus, les éléments de preuve concernant les LGBT n’indiquent pas que la protection de l’État est inexistante, mais seulement qu’elle serait inadéquate.

[40]           Quant au défaut de la police de poser certaines questions sur le taxi, le défendeur affirme que cette absence de questionnement ne méritait pas de mention particulière, car elle ne constituait pas un élément de preuve concluant ou probable établissant que la police ne prenait pas la plainte du demandeur au sérieux. L’enquête était à ses débuts, et rien n’empêchait le demandeur de prendre à tout moment l’initiative de fournir ces renseignements à la police ou aux procureurs. Le demandeur a quitté le pays deux semaines après avoir passé l’examen médical. Aucun élément de preuve ne montrait à la Commission qu’il avait fait d’autres efforts pour aider à l’enquête.

[41]           Le défendeur affirme que la Commission a expressément fait mention de la lettre envoyée au procureur général, et qu’elle l’a bel et bien examinée et analysée. La Commission a retenu que le demandeur et M. Josue étaient insatisfaits de la réponse de la police et ont donc cherché à obtenir le soutien de la communauté des LGBT en écrivant au procureur général. Toutefois, la Commission pouvait aussi prendre en considération d’autres éléments et rendre une décision fondée sur l’ensemble de la preuve.

[42]           Le défendeur affirme que le demandeur demande à la Cour de réévaluer les éléments de preuve, ce qui déborde le cadre du contrôle judiciaire.

[43]           Deuxièmement, le défendeur soutient que la Commission a tenu compte du principe de la proportionnalité dans son analyse de la protection de l’État. Il affirme que l’argument du demandeur privilégie la forme plutôt que le fond. La Commission a examiné le degré de démocratie et la situation en Équateur. Elle a indiqué que l’Équateur était considéré comme une démocratie fonctionnelle. La Commission a reconnu qu’il ne suffisait pas que l’État ait la volonté d’offrir de la protection; il fallait que les efforts de l’État se traduisent dans les faits par une protection adéquate des citoyens. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas suffisamment tenté de mettre à l’épreuve l’efficacité de la protection de l’État qui lui était offerte en Équateur.

[44]           Le défendeur soutient que la Commission, en appliquant le principe de la proportionnalité aux faits de l’espèce et en tenant expressément compte des circonstances personnelles du demandeur, n’a pas jugé que le demandeur avait pris des mesures suffisantes pour obtenir la protection de l’État en Équateur. Selon le demandeur, le simple fait que le demandeur n’accepte pas cette conclusion ne suffit pas.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[45]           Lorsque la norme de contrôle est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il n’est pas nécessaire de répéter l’analyse (Dunsmuir, au paragraphe 62).

[46]           En ce qui concerne le critère applicable à la protection de l’État, la norme de la décision correcte est celle qui convient. Dans la décision Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, [2013] ACF no 1099, le juge en chef Paul Crampton a conclu que la norme de la décision correcte devait être appliquée dans l’examen de la question de savoir si la Commission avait mal compris le critère applicable à la protection de l’État. J’ai confirmé cette conclusion dans la décision Dawidowicz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 115, au paragraphe 23, [2014] ACF no 105.

[47]           En ce qui concerne le caractère raisonnable de l’analyse de la protection de l’État, la norme de la décision raisonnable doit être appliquée. Dans l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 36, [2008] ACF no 399, la Cour d’appel fédérale précise que la norme de contrôle applicable à l’analyse de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable.

[48]           La norme de la décision raisonnable signifie que je ne devrais pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient aux issues acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47). En l’espèce, j’annulerai la décision de la Commission seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339, lorsqu’une cour applique la norme de la décision raisonnable, elle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue ni ne peut réévaluer la preuve.

[49]           Je souhaite traiter d’abord la question 3.

B.                 Question 3 – La Commission a‑t‑elle fait une analyse raisonnable de la protection de l’État?

[50]           J’estime que la conclusion sur la protection de l’État tirée par la Commission était déraisonnable.

[51]           Tout d’abord, en ce qui a trait aux documents sur la situation au pays parlant des enquêtes menées par la police sur les décès de LGBT, j’estime que la Commission a fait abstraction de cet élément de preuve en déclarant qu’aucun d’élément de preuve crédible n’établissait que des personnes dans une situation semblable n’avaient pas obtenu la protection de l’État.

[52]           Dans la décision Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 16, M. le juge John M. Evans a conclu que la Commission est réputée avoir examiné l’ensemble de la preuve et n’a pas besoin de faire référence à chacun des éléments de preuve, sauf s’il convient de les mentionner. L’obligation de tenir compte de la preuve qui incombe à la Commission augmente en fonction de l’importance des éléments de preuve, à savoir que « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” » (Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17).

[53]           À mon avis, les indications selon lesquelles la police et les procureurs ne mènent pas d’enquête approfondie sur les décès de LGBT constituent un élément de preuve pertinent à propos des personnes dans une situation semblable, et pertinent quant à la capacité et à la volonté de l’État équatorien de protéger les LGBT. Il contredit la conclusion de la Commission voulant qu’aucun d’élément de preuve crédible n’établissait l’absence de protection pour les personnes dans une situation semblable. Je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour dire que cet élément de preuve est trop spécifique pour être digne de mention. À mon avis, que l’élément de preuve concerne les enquêtes menées sur les décès de LGBT ou les enquêtes menées sur les agressions sexuelles commises contre des LGBT, il indiquerait vraisemblablement comment la police enquête généralement sur les crimes commis contre les LGBT.

[54]           En l’espèce, la Commission a reconnu la présence de corruption au sein de la police nationale et le fait que les forces policières ne satisfont pas aux normes des autres pays démocratiques. La Commission n’a mentionné nulle part les éléments de preuve défavorables qui concernaient l’absence de protection adéquate pour les personnes dans une situation semblable. Cette omission m’amène à croire que la Commission a été sélective dans son examen de la preuve et a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve qui figuraient au dossier.

[55]           À la lumière de ce qui précède, j’estime que la décision de la Commission était déraisonnable, parce que la Commission a commis une erreur en concluant qu’aucun élément de preuve crédible n’établissait l’absence de protection adéquate pour les personnes dans une situation semblable. J’ignore quelle aurait été la décision de la Commission si la Commission avait dûment examiné l’ensemble des éléments de preuve.

[56]           En raison de la conclusion que j’ai tirée relativement à la question 3, je n’aurai pas besoin de traiter la question 2.

[57]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvelle décision.

[58]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour nouvelle décision.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

[…]

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6195-14

 

INTITULÉ :

CARLO ALFREDO CAMPODONICO PALMA c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MarS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert J. Kincaid

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marjan Double

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert J. Kincaid Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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