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Date : 20150904


Dossier : IMM-574-15

Référence : 2015 CF 1048

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

FRANZ CARL (JR.) ALUB GUERRERO

KRISTINE MAJE MERAMBEL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par un agent des visas et gestionnaire de la Division des immigrants économiques, à l’ambassade du Canada aux Philippines. Au moyen de la décision du 14 janvier 2015, les demandes de résidence permanente des demandeurs ont été rejetées, aux motifs qu’ils n’avaient pas répondu de façon honnête ou n’avaient pas produit tous les documents requis, en contravention aux paragraphes 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et les demandeurs ont été déclarés interdits de territoire au Canada pour fausses déclarations, au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR [la décision].

[2]               Les demandeurs sollicitent de la Cour qu’elle annule la décision et renvoie l’affaire à un autre agent des visas pour qu’il l’examine à nouveau.

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est accueillie.

I.                   Le contexte

[4]               Le demandeur, Franz Carl (Jr.) Alub Guerrero [Guerrero], est un citoyen des Philippines âgé de 33 ans. Il a épousé la demanderesse, Kristine Maje Merambel [Merambel], le 23 avril 2013, aux Philippines. Ils soutiennent que leur relation a commencé en 2004.

[5]               Guerrero vit au Canada depuis septembre 2007, il occupe un emploi de superviseur des services alimentaires. Il a présenté une demande de résidence permanente en novembre 2010 dans le Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Merambel a été ajoutée à sa demande après leur mariage en 2013.

[6]               Le 15 novembre 2013, Guerrero est allé au point d’entrée de Carway, en Alberta, afin de terminer le traitement de sa demande de résidence permanente. Il était accompagné de sa prétendue ancienne petite amie, Mae Yvette Martinez [Martinez], qui travaille pour le même employeur que lui. Ils ont été interrogés et les employés de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] ont été mis au courant de leur relation. En conséquence, les visas permanents des demandeurs ont été révoqués. Un litige existe quant à savoir si Martinez et Guerrero ont admis qu’ils entretenaient encore une relation à ce moment-là, ou s’ils ont plutôt dit qu’ils avaient eu une relation dans le passé. Après l’incident au point d’entrée, Guerrero a avoué son infidélité à Merambel.

[7]               Le 6 janvier 2014, le bureau des visas des Philippines a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale à Guerrero, lettre invoquant des dispositions de la LIPR visant les obligations de divulgation qui pèsent sur un demandeur de résidence permanente et les conséquences d’une présentation erronée. Le bureau des visas demandait aussi à Guerrero de répondre aux doutes selon lesquels il entretenait toujours une relation avec Martinez et que sa relation avec Merambel ne semblait donc pas authentique. En réponse, Guerrero a produit une déclaration solennelle, des lettres de Merambel et de Martinez, et des documents visant à établir le caractère authentique de son mariage.

[8]               La décision a été rendue le 14 janvier 2015; la demande de résidence permanente des demandeurs a été rejetée, au motif de l’existence de contradictions entre le témoignage au point d’entrée et la déclaration solennelle de Guerrero. Selon la décision, le mariage des demandeurs n’était pas authentique et Guerrero avait fait une présentation erronée ou une réticence sur des faits importants liés à sa relation conjugale avec Martinez.

[9]               Le 4 février 2015, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision.

II.                La décision contestée

[10]           Il ressort de la décision que le 15 novembre 2013, à Carway, en Alberta, le demandeur a fait une présentation erronée ou une réticence quant au caractère authentique de sa relation matrimoniale avec Merambel. Il ressort en outre de la décision que celle-ci a été rendue parce que, lorsqu’il a présenté sa demande de résidence permanente, à cette date‑là, le demandeur était accompagné de Martinez. Son épouse, Merambel, avec laquelle il s’est marié en avril 2013 et qui était incluse dans la demande n’était pas présente. Pendant l’interrogatoire mené par l’agent des services frontaliers, le demandeur a révélé que Martinez était sa petite amie de longue date avec laquelle il entretenait une relation conjugale au Canada depuis 2009. Martinez a confirmé qu’ils entretenaient une relation conjugale depuis 2009. Une telle présentation erronée ou réticence sur des faits était importante et a entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, car l’épouse déclarée du demandeur, Merambel, avait obtenu un visa de résident permanent en tant que membre de la famille admissible dans la demande du demandeur.

[11]           La décision contient une lettre, datée du 14 janvier 2015 d’un agent des visas, selon laquelle le mariage du demandeur avec Merambel n’était pas authentique et qu’il visait principalement à faciliter l’entrée de celle-ci au Canada. Il ressort de la lettre que, le 6 janvier 2014, en guise d’équité procédurale, le demandeur s’est vu offrir la possibilité de dissiper les doutes de l’agent; ces doutes étaient soulevés par les renseignements reçus au point d’entrée, mais la réponse du demandeur n’a pas apaisé de tels doutes.

[12]           En conséquence, la demande de résidence permanente a été refusée et le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pendant une période de cinq ans, à partir de la date de la lettre et conformément au paragraphe 40(3) de la LIPR. Le demandeur ne peut pas présenter de demande de statut de résident permanent pendant cette période de cinq ans.

[13]           Le dossier dont la Cour dispose comprend aussi des entrées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) qui font partie des motifs de la décision et dont il ressort que :

A.    Certains renseignements fournis dans la déclaration solennelle du demandeur contredisent les renseignements qu’il a produits lorsqu’il a été interrogé au point d’entrée. Par exemple, le demandeur a déclaré que Martinez et lui avaient entretenu une relation pendant seulement quatre mois en 2009. Il a déclaré qu’il a mis un terme à cette relation lorsqu’il est allé rendre visite à Merambel aux Philippines en mai 2009 et qu’il n’a pas repris cette relation avec Martinez à son retour. Il a déclaré que Martinez et lui ont repris leur relation seulement lorsqu’ils ont déménagé ensemble dans la même maison en juin 2010. Au contraire, au point d’entrée, il a admis qu’il entretenait une relation avec Martinez depuis 2008 et qu’ils vivaient ensemble depuis 2009; il a en outre déclaré qu’il mettrait un terme à cette relation lorsque Merambel s’installerait au Canada;

B.     Dans les documents accompagnant sa déclaration solennelle, le demandeur a déclaré que Merambel et lui entretenaient une relation depuis janvier 2004, et il a fourni des éléments de preuve du caractère authentique et continu de leur relation matrimoniale. Ce qui suit ressort des notes du SMGC :

                                                              i.      Le demandeur a fait une proposition de mariage à Merambel en 2009 lorsqu’il lui a rendu visite, mais ils se sont seulement mariés en 2013;

                                                            ii.      Ils se sont mariés selon un rite civil, malgré des fiançailles qui ont duré longtemps, et les photos du mariage n’établissent pas que celui-ci avait bénéficié du genre de préparatifs qui sont habituels après des fiançailles de longue durée;

                                                          iii.      Une propriété conjointe a été achetée en décembre 2013, après que l’établissement eut été refusé au demandeur, et il n’a remis l’argent qu’une seule fois avant le mariage. Après le mariage, il a remis l’argent trois fois, l’une des fois étant après qu’on lui eut refusé l’établissement;

C.     Selon la lettre de Merambel, les fiançailles ont été de longue durée parce que le demandeur aidait financièrement sa famille, et, lorsqu’elle a eu connaissance de la liaison, elle était en colère, mais a décidé de lui pardonner en raison de leur histoire commune;

D.    La lettre de Martinez confirmait les mêmes dates que celle des documents du demandeur et selon celle-ci, bien que leur relation se soit terminée en avril 2013, elle éprouvait encore des sentiments à l’égard du demandeur et elle retournerait aux Philippines;

E.     L’agent n’a pas été convaincu que la relation matrimoniale était authentique et continue, et que l’autre relation était terminée. Bien qu’il ait épousé Merambel en avril 2013, il appert que la relation de Guerrero avec Martinez a continué jusqu’à son établissement. Les éléments de preuve produits à l’appui du caractère authentique de sa relation matrimoniale n’étaient pas suffisants pour dissiper les doutes de l’agent;

F.      Tout bien pesé, l’agent a estimé que le demandeur a conclu un mariage de convenance et a ajouté Merambel en tant qu’épouse après avoir présenté sa demande, dans le but de faciliter l’entrée de celle-ci au Canada;

G.    Selon la prépondérance des probabilités, il est plus probable que le demandeur a fait une présentation erronée de son statut matrimonial, qui est un fait important dans la prise de décision en application de la LIPR.

III.             Les questions en litige

[14]           Le demandeur a soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

A.    La question de savoir si l’agent a commis un manquement à l’obligation d’équité lorsqu’il s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques (les notes au point d’entrée) sans préalablement donner au demandeur l’occasion de répondre;

B.     La question de savoir si les conclusions relatives aux contradictions entre le témoignage au point d’entrée et la déclaration solennelle du demandeur n’étaient pas fondées;

C.     La question de savoir s’il y a eu une erreur lorsque des éléments de preuve n’ont pas été pris en compte ou ont été rejetés sans explication;

D.    La question de savoir si la conclusion relative au caractère authentique du mariage des demandeurs est déraisonnable.

IV.             La norme de contrôle

[15]           Les parties sont d’accord, et je partage leur avis, que les agents des visas bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’ils rendent leurs décisions, et que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision d’un agent de rejeter une demande de résidence permanente pour fausses déclarations est la décision raisonnable (Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 433, au paragraphe 11).

[16]           Les demandeurs soutiennent aussi que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404). Bien qu’il y ait indubitablement beaucoup de précédents à l’appui d’un tel point de vue, aux paragraphes 67 à 72 du récent arrêt Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 rendu par la Cour d’appel fédérale, le juge a procédé à une analyse de la jurisprudence dont il ressort qu’une certaine déférence devrait néanmoins être accordée au décideur quant à certains éléments de la décision touchant à la procédure. Cet arrêt ne règle pas ce que le juge Stratas a qualifié d’un « embrouillamini jurisprudentiel » relativement à cette question, en partie parce qu’il n’était pas nécessaire de trancher cette question, étant donné que la Cour d’appel fédérale avait conclu que, même en appliquant la norme de la décision correcte, rien ne justifiait de modifier la décision en question pour manquement à l’équité procédurale.

[17]           En l’espèce, de façon semblable et en raison des motifs exposés ci‑dessous, je conclus que le souci de l’équité procédurale exige que la décision soit examinée à nouveau, même si je devais accorder un certain degré de retenue à la façon dont le décideur a abordé le processus.

V.                Les observations des parties

A.                La position des demandeurs

[18]           Premièrement, les demandeurs allèguent que l’agent des visas ne leur a pas donné les notes du point d’entrée, afin de leur offrir l’occasion de répondre aux contradictions prétendues entre ces notes et les éléments de preuve produits ultérieurement. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale qui leur était due.

[19]           Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que l’agent des visas a commis une erreur relativement aux conclusions d’existence de contradictions prétendues entre la déclaration solennelle de Guerrero et le témoignage donné au point d’entrée. Les demandeurs soutiennent qu’un examen approprié de la déclaration solennelle ne révèle aucune des contradictions prétendues :

A.    Guerrero a déclaré qu’il a rencontré Martinez en décembre 2008, ce qui ne contredit pas ce qu’il a dit au point d’entrée relativement à leur relation qui a commencé en 2008;

B.     La déclaration solennelle de Guerrero ne contredit pas que Martinez et lui aient vécu dans la même maison entre juin 2010 et novembre 2014. Guerrero décrit des conditions communes de logement avec de nombreux collègues;

C.     Ni Guerrero ni Martinez n’ont dit aux agents au point d’entrée que leur relation a été continue depuis qu’ils ont commencé à se fréquenter pour la première fois.

[20]           Les demandeurs soutiennent que l’agent des visas a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se concentrant sur les moindres détails et en omettant ce qui constitue l’essence du témoignage relatif à la relation entre Guerrero et Martinez. Une telle fixation a empêché l’agent des visas d’évaluer de façon adéquate la question sous-jacente de savoir si les demandeurs entretenaient une véritable relation matrimoniale.

[21]           Troisièmement, les demandeurs soutiennent que l’agent des visas a commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve ou les a rejetés sans explication. L’agent fait référence aux lettres de Martinez et de Merambel, mais il reste muet quant au rôle que les éléments de preuve ont joué dans la décision rendue. L’agent ne donne aucune analyse quant au fait que ces lettres corroboraient la déclaration solennelle de Guerrero en ce qui a trait à ses liaisons. Ces éléments de preuve étaient cruciaux dans l’examen du caractère authentique du mariage des demandeurs.

[22]           Quatrièmement, les demandeurs soutiennent que les conclusions de l’agent portant sur le caractère authentique du mariage étaient déraisonnables. Merambel n’a jamais cessé d’être membre de la catégorie du regroupement familial de Guerrero en raison de la liaison de celui-ci. Les demandeurs reconnaissent qu’il n’est pas contesté que Guerrero et Martinez entretenaient une relation amoureuse. La contestation portait plutôt sur le moment et la durée de cette relation, et la question de savoir si cette relation a continué après que Guerrero eut épousé Merambel en avril 2013. Les demandeurs avancent aussi l’argument qu’il est possible d’entretenir deux relations à la fois. En d’autres termes, l’existence de la relation avec Martinez n’était pas un obstacle au caractère authentique de la relation avec Merambel.

[23]           Les demandeurs soutiennent aussi que l’agent conteste le caractère authentique de leur relation sur la foi de généralisations et de stéréotypes. Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a fourni aucun fondement permettant d’étayer les hypothèses sous-jacentes à la conclusion que le mariage n’était pas authentique.

B.                 La position du défendeur

[24]           En premier lieu, le défendeur soutient qu’il n’y a pas de fondement à l’allégation de manquement à l’équité procédurale avancée par les demandeurs. Dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent des visas a averti Guerrero des doutes qu’il avait relativement à la validité du mariage et du raisonnement sous‑jacent à ces doutes. La réponse des demandeurs à ladite lettre révèle aussi que ces derniers avaient pleinement connaissance des doutes de l’agent. Le défendeur relève que fournir les notes du point d’entrée dans une telle situation, comme faisant partie de l’obligation à l’équité procédurale n’est pas une pratique courante, et le défendeur conteste le fait que les demandeurs ont qualifié ces notes de preuve extrinsèque, étant donné que de telles notes reflètent les déclarations mêmes de Guerrero au point d’entrée. Dans la plaidoirie en réplique à cette question, les demandeurs soutiennent que, dans l’intérêt de l’équité procédurale, une telle pratique devrait être modifiée dans les situations où les notes au point d’entrée seront utilisées afin de contester la crédibilité d’un demandeur.

[25]           En deuxième lieu, l’agent a adéquatement examiné la déclaration solennelle, et les contradictions relevées dans la décision reflètent la preuve produite. L’agent n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité en se concentrant sur les moindres détails. Il a examiné l’ensemble de la preuve lorsqu’il a rendu sa décision, et a fait référence aux contradictions et incohérences, lesquelles l’ont empêché de rendre une décision favorable.

[26]           En troisième lieu, le défendeur soutient qu’aucun élément de preuve n’a été méconnu et que les arguments avancés par les demandeurs sont simplement une invitation lancée à la Cour afin qu’elle soupèse à nouveau la preuve. L’agent n’est pas tenu de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs.

[27]           En quatrième lieu, le défendeur soutient que les conclusions relatives au caractère authentique du mariage étaient raisonnables. Il incombe au demandeur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage est authentique. Il y a eu un examen adéquat et approfondi des réponses et des observations. Les notes du SMGC décrivent des contradictions précises et révèlent la raison pour laquelle le peu d’explications fournies n’était pas convaincant. L’agent n’était pas tenu d’aviser les demandeurs de ses doutes et de la façon dont ces derniers influençaient la décision qu’il allait rendre. Dans l’ensemble, la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             Analyse

[28]           Selon moi, la présente demande repose sur la question de l’équité procédurale soulevée par les demandeurs. Ils invoquent la décision Muliadi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] 2 CF 205, à l’appui du principe qu’un demandeur doit se voir accorder une occasion juste de corriger ou réfuter des déclarations défavorables avant qu’une décision ne soit rendue. Ce principe a été élaboré plus en profondeur par la Cour et il est souvent exprimé en guise d’exigence que, si un agent a l’intention de fonder une décision sur des renseignements extrinsèques dont le demandeur n’a pas connaissance, ce dernier devrait avoir l’occasion de répondre afin de dissiper chez l’agent tout doute découlant de ces éléments de preuve (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 145, au paragraphe 7). Toutefois, lorsque la question survient seulement en raison de documents produits par le demandeur, il n’incombe nullement à l’autre partie de prévoir la possibilité que le demandeur s’explique puisque celui qui présente le document est réputé en connaître le contenu (Poon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 198 FTR 56 (CF 1re inst.), au paragraphe 12; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 173 FTR 266 (CF 1re inst.)).

[29]           La jurisprudence établit aussi une distinction entre les doutes portant sur le caractère suffisant de la preuve dont le décideur est saisi et les doutes quant à la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de la preuve. L’obligation de donner une occasion de réponse est soulevée dans la dernière situation, mais pas dans la première (Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24).

[30]           En l’espèce, la preuve dont les demandeurs disent qu’ils auraient dû avoir connaissance avant que la décision ne soit rendue est constituée des notes au point d’entrée. Ces notes sont censées documenter les déclarations faites par Guerrero et Martinez aux agents de l’ASFC en novembre 2013, au point d’entrée de Carway, en Alberta. Le défendeur soutient que les notes devraient être considérées comme étant le témoignage donné par Guerrero, dont il avait connaissance, et ne sont donc pas des preuves extrinsèques qui auraient dû être divulguées aux demandeurs.

[31]           L’enjeu réside dans le fait que, lorsque le défendeur avance cet argument avant la production du dossier certifié du tribunal comme partie du processus de la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont jamais vu, examiné ou approuvé ces notes. Les notes sont donc distinctes d’une déclaration écrite ou d’autres éléments de preuve documentaire présentés par un demandeur, et elles sont distinctes du dossier que quiconque constitue sur ce que le demandeur a dit, lorsque lui a été donnée l’occasion d’examiner un tel dossier. Selon moi, en l’absence d’une telle occasion et en fonction de l’utilisation faite du dossier, l’obligation d’équité procédurale peut être enclenchée, de sorte que la personne visée n’est pas privée de l’occasion de soulever des réserves quant au fait que les déclarations ont été enregistrées de façon exacte.

[32]           La question revient donc à savoir si l’utilisation précise des notes au point d’entrée en l’espèce déclenche une telle obligation d’équité procédurale, et si le contenu de la lettre relative à l’équité procédurale fournie au demandeur servait à s’acquitter de cette obligation. Nous ne sommes pas en présence d’une situation dans laquelle la décision repose uniquement sur le caractère suffisant de la preuve. Comme cela ressort de la décision et comme cela a été confirmé par le défendeur à l’audience, selon le défendeur, la présentation erronée sur laquelle la décision repose était l’omission de révéler l’existence de la relation avec Martinez, laquelle a continué pendant la période du mariage. Ce qui à son tour a entraîné des doutes quant au caractère authentique du mariage.

[33]           Les notes du SMGC révèlent que l’agent a fondé son analyse en partie sur la preuve documentaire produite par les demandeurs, telles que les photos et les opérations financières, lesquelles n’ont pas convaincu l’agent que le mariage était authentique, et qui pouvaient être qualifiées d’une question de caractère suffisant. Toutefois, il ressort également de façon évidente de ces notes que la décision est fondée, du moins en partie, sur les contradictions entre les notes au point d’entrée et la preuve contenue dans la déclaration solennelle Guerrero et les lettres de Martinez et de Merambel.

[34]           L’agent renvoie aux contradictions liées au moment précis du début de la relation avec Martinez, quand cette relation s’est terminée, et quand elle a recommencé. Les demandeurs s’opposent à la question de savoir si la preuve étaye une telle conclusion de contradictions et ils soutiennent qu’une telle conclusion se concentre sur les moindres détails et ne tient pas compte de l’essence de la preuve produite. Toutefois, il y a certainement une contradiction fondamentale entre les notes au point d’entrée et la preuve produite en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Les notes au point d’entrée font ressortir que Guerrero a déclaré en novembre 2013 qu’il entretenait toujours une relation avec Martinez, relation à laquelle il mettrait fin lorsque son épouse s’installerait au Canada. Tandis que la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale révèle que la relation s’est terminée au moment du mariage en avril 2013. Il ressort de la décision que c’était, du moins en partie, sur la foi de cette contradiction que l’agent a conclu que le mariage n’était pas authentique. Ainsi, la décision repose en partie sur une décision défavorable quant à la crédibilité, laquelle fait naître l’obligation d’équité.

[35]           La lettre relative à l’équité procédurale du 6 janvier 2014 visait à s’acquitter de cette obligation. Voici les paragraphes importants de la lettre :

[traduction]

Vous avez inclus une conjointe qui vous accompagne, Kristine Maje Merambel, dans votre demande. Vous l’avez épousée le 23 avril 2013. Toutefois, lorsque vous avez tenté d’obtenir l’établissement en novembre 2013 à Carway, en Alberta, il est apparu que vous entreteniez une relation de longue date avec une petite amie au Canada. Vous pourriez donc être jugé non recevable, car votre mariage à Kristine ne semble pas être authentique et peut avoir été conclu aux fins d’obtenir la résidence permanente au Canada.

Avant qu’une décision relative à votre interdiction de territoire ne soit rendue, vous pouvez nous envoyer une explication écrite sur l’état actuel de votre relation avec Kristine, ainsi que sur votre relation avec votre petite amie au Canada. Vous devez aussi fournir des éléments de preuve documentaire à l’appui de votre relation. Veuillez noter que les affidavits de tierce partie ne sont pas en soi des éléments de preuve concluants à l’appui d’une relation matrimoniale continue.

[36]           La question est de savoir si une telle lettre a donné aux demandeurs l’occasion requise de corriger ou réfuter les déclarations défavorables avant que la décision ne soit rendue. Je conclus que ladite lettre énonce les doutes de l’agent, selon lesquels Guerrero entretenait une relation de longue date avec une petite amie au Canada, de sorte que son mariage ne semblait pas être authentique. Toutefois, cette lettre n’énonce pas les détails des déclarations censées avoir été faites antérieurement par Guerrero et Martinez, comme cela ressort des notes au point d’entrée sur lesquelles les doutes de l’agent étaient fondés. Il ressort de l’affidavit de Guerrero, produit à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, qu’il a avisé les agents de l’ASFC en novembre 2013 que sa relation avec Martinez s’était terminée en avril 2013 quand il a épousé Merambel et qu’il n’a jamais déclaré qu’il mettrait un terme à cette relation lorsque son épouse viendrait au Canada.

[37]           Les agents de l’ASFC sont probablement bien formés et ont les compétences nécessaires à la prise de notes exactes afin de saisir les déclarations verbales faites par un demandeur ou d’autres témoins dans ce type de situation. Ainsi, Guerrero peut s’être attendu à être exposé à une difficulté importante dans sa tentative de convaincre l’agent de ce qu’il alléguait – les agents de l’ASFC ont commis une erreur et mal compris ce qu’il leur disait en novembre 2013. Toutefois, sans avoir été mis au courant des détails des déclarations qui lui étaient attribuées ainsi qu’à Martinez, il a été privé de l’occasion de tenter de rectifier ces déclarations, ce qui, selon moi, constitue un manquement à l’obligation d’équité.

[38]           Nous sommes en présence du type de préoccupations, bien que ce soit dans un contexte différent que le juge Keith Boswell a abordé dans la récente décision Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 905 [Huang]. Cette affaire concernait ce que le juge Boswell a déclaré être une exception obscure, applicable aux entrevues des époux, à l’obligation de rechercher une clarification à toute incompréhension possible dans les cas où la preuve aurait été suffisante, s’il n’y avait pas eu des doutes quant à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements fournis par le demandeur. Lorsqu’il a conclu, dans cette affaire, qu’il pesait sur l’agent une obligation de révéler à la demanderesse le contenu d’une entrevue avec son époux, le juge Boswell a décidé au paragraphe 17 que le manquement à l’équité procédurale était important, que si l’agent avait demandé à la demanderesse d’expliquer les contradictions apparentes, elle aurait peut-être été en mesure de le convaincre qu’il s’agissait de simples malentendus.

[39]           En l’espèce, des contradictions existaient eu égard aux deux ensembles de déclarations tous les deux attribués à Guerrero, et aussi partiellement eu égard aux déclarations attribuées à Martinez. Quoi qu’il en soit, le raisonnement adopté dans la décision Huang est applicable étant donné que Guerrero aurait dû se voir accorder l’occasion de convaincre l’agent de son opinion selon laquelle les contradictions résultaient d’un malentendu visant le témoignage donné lors de l’entrevue au point d’entrée.

[40]           J’ai à l’esprit le point de vue du défendeur selon lequel il n’est pas de pratique courante de donner les notes au point d’entrée dans une situation telle que celle-ci, comme faisant partie de l’obligation d’équité procédurale. Je ne donne pas à penser qu’il devrait y avoir une obligation générale à cet égard. Ma conclusion est plutôt que, vu les circonstances précises de la présente affaire, étant donné l’utilisation précise qui a été faite de telles notes par l’agent lorsqu’il a rendu la décision, la lettre relative à l’équité procédurale ne contenait pas suffisamment de détails pour s’acquitter de l’obligation d’équité. Je conclus que la manière dont l’agent s’est acquitté de cette obligation n’était donc pas adéquate, et si je devais accorder un certain degré de déférence à la façon dont l’agent a abordé cette obligation, je conclurais aussi qu’une telle méthode était déraisonnable.

[41]           Sur un tel fondement, la décision doit être annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il l’examine à nouveau. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour examine les autres questions soulevées par les demandeurs.

[42]           Les parties ont été consultées et aucune d’elles n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il l’examine à nouveau. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-574-15

 

INTITULÉ :

FRANZ CARL (JR.) ALUB GUERRERO, KRISTINE MAJE MERAMBEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 août 2015

 

Jugement et motifs :

Le juge SOUTHCOTT

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 4 septembre 2015

 

COMPARUTIONS :

Peter Wong

 

Pour les demandeurs

 

Souheil Saab

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 


 

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