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Date : 20150707


Dossier : T-2417-14

Référence : 2015 CF 830

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

BEN MCBEATH

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La Cour est saisie du contrôle judiciaire de la décision du Service correctionnel du Canada (SCC), rendue le 27 octobre 2014, de ne pas annuler la vacance de l’emploi du demandeur au SCC et de ne pas le réintégrer dans ses fonctions de chef des finances de l’Établissement de Matsqui à la suite de la réduction de sa peine criminelle le 15 juillet 2014.

[2]               En 2011, le demandeur a plaidé coupable à : (i) une accusation d’enlèvement d’un enfant âgé de moins de 16 ans en vertu de l’article 280 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le Code criminel], (ii) deux accusations d’infliction de lésions corporelles (à son épouse) en vertu de l’alinéa 267b) du Code criminel, et (iii) une accusation de présence illégale dans une maison d’habitation contrairement à l’article 349 du Code criminel. Il a été condamné à 38 mois d’emprisonnement. Avec un crédit selon un ratio d’un jour contre un pour les huit mois passés sous garde avant le procès, la durée résiduelle de sa peine était de 30 mois.

[3]               Le paragraphe 750(1) du Code criminel prévoit ce qui suit :

Vacance

Public office vacated for conviction

 

750. (1) Tout emploi public, notamment une fonction relevant de la Couronne, devient vacant dès que son titulaire a été déclaré coupable d’un acte criminel et condamné en conséquence à un emprisonnement de deux ans ou plus.

750. (1) Where a person is convicted of an indictable offence for which the person is sentenced to imprisonment for two years or more and holds, at the time that person is convicted, an office under the Crown or other public employment, the office or employment forthwith becomes vacant.

 

[4]               Le demandeur a donc été avisé que, par l’application de cette disposition, son emploi au SCC avait pris fin.

[5]               La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a par la suite réduit la peine du demandeur et majoré le crédit pour la période passée sous garde avant son procès : R c McBeath, 2014 BCCA 305. Plus particulièrement, la peine totale a été réduite de 38 mois à 36 mois moins un jour, et le crédit pour la période passée sous garde avant le procès a été majoré de huit mois à 12 mois, ce qui représentait un crédit majoré selon un ratio d’un jour et demi contre un à la lumière de l’arrêt R c Summers, 2014 CSC 26. Le demandeur a alors soutenu, et soutient toujours, que la réduction de la peine et la majoration du crédit pour la période passée sous garde avant le procès lui permettaient d’échapper au paragraphe 750(1) du Code criminel parce que la durée résiduelle de la peine qu’il devait purger était de moins de deux ans.

[6]               Le 5 août 2014, le représentant syndical du demandeur a informé SCC de la réduction de sentence. Par lettre en date du 27 octobre 2014, SCC a informé le demandeur qu’il ne considérait pas que la réduction de la peine du demandeur rendait le paragraphe 750(1) du Code criminel inapplicable. Dans cette lettre, SCC a fait observer que, bien que la peine du demandeur ait été réduite à la suite d’un appel, la condamnation du demandeur n’avait pas été annulée. Le paragraphe 750(6) du Code criminel, qui prévoit que « [l]’annulation d’une condamnation par une autorité compétente fait disparaître l’incapacité imposée par le présent article », ne s’appliquait donc pas à la situation du demandeur.

II.                Questions

[7]               La présente affaire soulève les trois questions suivantes :

  1. La lettre datée du 27 octobre 2014 constitue‑t‑elle une décision au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi] de manière à pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire?
  2. SCC a‑t‑il commis une erreur dans l’interprétation et l’application de l’article 750 du Code criminel?
  3. SCC a‑t‑il manqué aux principes d’équité procédurale?

[8]               Vu ma conclusion quant à la seconde question, je n’ai pas à examiner les deux autres.

III.             Analyse

[9]               Les parties conviennent que la question de savoir si SCC a commis une erreur dans l’interprétation et l’application de l’article 750 du Code criminel devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Je conviens avec le demandeur que la jurisprudence confirme que les questions de droit criminel doivent être tranchées selon la norme de la décision correcte vu l’importance d’une interprétation uniforme du Code criminel : Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 674, au paragraphe 7; Allen c Alberta (Law Enforcement Review Board), 2013 ABCA 187, aux paragraphes 13 à 14.

[10]           Je conviens avec le demandeur que l’approche dominante en matière d’interprétation législative a été établie dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, où la Cour a affirmé ceci, au paragraphe 21 :

[…] Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie.  Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi.  À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[11]           Je souscris également à l’argument du demandeur voulant qu’il existe une présomption selon laquelle le législateur ne peut avoir voulu des résultats absurdes.

[12]           La question à laquelle la Cour doit répondre est de savoir si les termes « condamné […] à un emprisonnement de deux ans ou plus » figurant au paragraphe 750(1) du Code criminel font référence à la durée de la peine après la prise en compte du crédit pour la période passée en détention présentencielle, ou à la durée totale de la peine (y compris la période passée en détention présentencielle).

[13]           Les paragraphes 719(1), (3) et (4) du Code criminel prévoient ce qui suit :

Début de la peine

Commencement of sentence

 

719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

 

Infliction de la peine

Determination of sentence

 

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d’une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l’infraction; il doit, le cas échéant, restreindre le temps alloué pour cette période à un maximum d’un jour pour chaque jour passé sous garde.

 

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence but the court shall limit any credit for that time to a maximum of one day for each day spent in custody.

Début de l’emprisonnement

When time begins to run

 

(4) Malgré le paragraphe (1), une période d’emprisonnement, infligée par un tribunal de première instance ou par le tribunal saisi d’un appel, commence à courir ou est censée reprise, selon le cas, à la date où la personne déclarée coupable est arrêtée et mise sous garde aux termes de la sentence.

 

(4) Notwithstanding subsection (1), a term of imprisonment, whether imposed by a trial court or the court appealed to, commences or shall be deemed to be resumed, as the case may be, on the day on which the convicted person is arrested and taken into custody under the sentence.

[14]           Dans l’arrêt R c Fice, 2005 CSC 32 [Fice], le juge Bastarache, qui s’exprimait au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada (CSC), a examiné la question de savoir si le crédit pour la période de détention présentencielle devrait influer sur le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la détermination de la peine de prononcer un emprisonnement avec sursis. Au début de ses motifs, le juge Bastarache a souligné qu’il s’agissait d’un problème d’interprétation législative concernant l’application du paragraphe 719(3) et de l’article 742.1 du Code criminel. L’alinéa 742.1a) prévoit qu’un « emprisonnement de moins de deux ans » doit être ordonné avant qu’un sursis puisse être autorisé.

[15]           Le juge Bastarache a conclu que la période passée en détention présentencielle fait partie de la durée totale de l’emprisonnement plutôt que de constituer un facteur atténuant susceptible d’avoir une incidence sur la fourchette des peines applicables quant à la possibilité d’ordonner l’emprisonnement avec sursis : Fice, au paragraphe 18. Le juge Bastarache a statué que les termes « emprisonnement de moins de deux ans » figurant à l’alinéa 742.1a) du Code criminel réfèrent à la période totale que le tribunal prend en compte pour déterminer la sévérité de la sanction requise par la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant : Fice, au paragraphe 40.

[16]           Dans l’arrêt R c Mathieu, 2008 CSC 21 [Mathieu], le juge Fish, exprimant l’opinion unanime de la CSC, a décidé que les termes « emprisonnement maximal de deux ans » figurant à l’alinéa 731(1)b) du Code criminel, en ce qui a trait à la possibilité de prononcer une ordonnance de probation, renvoient à la peine d’emprisonnement infligée au moment de la sentence, après la prise en compte du crédit pour la période passée sous garde avant le procès. Le juge Fish a estimé que la détention préalablement subie par le contrevenant n’est qu’un facteur dont le juge tient compte en fixant la peine : Mathieu, au paragraphe 17. En arrivant à cette conclusion, le juge Fish a affirmé que cette interprétation permettait d’assurer la cohérence et la logique internes du Code criminel : Mathieu, aux paragraphes 12 à 17.

[17]           Le juge Fish a néanmoins reconnu qu’il est permis, exceptionnellement, de considérer que la durée de la détention provisoire s’ajoute à la peine d’emprisonnement infligée au moment de la sentence : Mathieu, au paragraphe 7, citant les décisions antérieures de la CSC dans R c Wust, 2000 CSC 18 [Wust] et Fice. Le juge Fish a en outre pris soin de préciser que l’arrêt Mathieu ne remettait pas en question la position des juges majoritaires dans l’arrêt Fice.

[18]           La reconnaissance par le juge Fish de la nécessité de considérer, lorsque les circonstances s’y prêtent, que la durée de la détention provisoire s’ajoute à la peine d’emprisonnement infligée au moment de la sentence montre bien le peu de poids qui est accordé au principe voulant qu’une expression employée dans une loi soit réputée avoir le même sens dans chacune des dispositions de celle‑ci : Sommers et Gray c La Reine, [1959] RCS 678, à la page 685; Schwartz c Canada, [1996] 1 RCS 254, au par. 61. Les termes employés dans les différents contextes d’une même loi peuvent avoir un sens différent : voir Pierre‑André Côté, Interprétations des lois, 4e éd. (Montréal : Édition Thémis, 2009), à la page 384.

[19]           Se pose donc la question clé de savoir si l’expression « condamné […] à un emprisonnement de deux ans ou plus » figurant au paragraphe 750(1) du Code criminel est censée être visée par la règle générale mentionnée par le juge Fish, ou par l’exception.

[20]           Dans l’arrêt R c McDonald (1998), 40 OR (3d) 641, [1998] OJ no 2990 (QL), (CA) (appliqué par la CSC dans l’arrêt Wust), au paragraphe 57, la Cour d’appel de l’Ontario a expliqué que les dispositions du Code criminel doivent être interprétées conformément à l’alinéa 718.2b) :

[traduction] Comme le juge en chef Lamer l’a affirmé dans l’arrêt R. c. McIntosh, à la page 699 R.C.S., « il est raisonnable d’interpréter les dispositions d’une loi dans leur contexte ». Il est donc utile d’examiner les autres dispositions du Code qui peuvent jeter un éclairage sur le lien qui unit l’alinéa 344a) et l’article 719. L’alinéa 718.2b) précise que le tribunal qui détermine la peine à infliger doit tenir compte du principe relatif à « l’harmonisation des peines, c’est‑à‑dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables ». Si le tribunal qui détermine la peine ne peut prendre en compte la période passée en détention présentencielle, il peut en résulter une énorme disparité entre deux accusés qui ont commis des infractions semblables dans des circonstances semblables, mais dont un seul a réussi à obtenir une mise en liberté en attendant le prononcé de sa sentence.

[Non souligné dans l’original.]

[21]           De la même façon, le fait de ne pas considérer que la période passée en détention présentencielle fait partie de la durée totale de l’emprisonnement dont il est question à l’article 750 du Code criminel pourrait faire en sorte qu’un fonctionnaire déclaré coupable d’une certaine infraction dans certaines circonstances subisse la vacance de son emploi, alors qu’un autre fonctionnaire ayant commis la même infraction dans les mêmes circonstances pourrait éviter une telle vacance, simplement parce que le premier aurait plaidé coupable peu de temps après son arrestation (et n’aurait donc pas bénéficié de l’application d’un crédit à l’égard de sa peine pour la période passée en détention présentencielle), tandis que l’autre aurait plaidé non coupable et passé plusieurs mois en détention présentencielle pouvant faire l’objet d’un crédit. Cela ferait en sorte que le fonctionnaire qui a reconnu sa culpabilité dès le départ serait traité plus durement que celui qui a refusé de plaider coupable. À mon avis, il s’agit d’un résultat absurde que le législateur n’a pas pu vouloir.

[22]           L’article 750 du Code criminel est l’expression de l’intention du législateur d’empêcher les personnes ayant commis des infractions assez graves de continuer à occuper leur emploi au sein de la fonction publique. Vu l’importance des décisions prises par les fonctionnaires dans la vie des membres du public, leur intégrité constitue une préoccupation légitime. J’estime donc que la Cour devrait tirer une conclusion semblable à celle tirée par le juge Bastarache dans l’arrêt Fice, et relevant de l’exception envisagée par le juge Fish dans l’arrêt Mathieu. L’article 750 du Code criminel réfère à la période totale que le tribunal prend en compte pour déterminer la sévérité de la sanction requise par la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant.

[23]           À mon avis, SCC n’a pas commis d’erreur en examinant la période de crédit passée sous garde avant le procès dans l’application de l’article 750 du Code criminel, et n’a pas commis d’erreur en concluant que l’article 750 demeurait applicable en l’espèce, même après la décision de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.

IV.             Conclusion

[24]           À mon avis, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2417-14

 

INTITULÉ :

BEN MCBEATH c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Mathew Létourneau

Vivian Gates

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Adrian Bieniasiewicz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Association canadienne des agents financiers

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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