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Date : 20150911


Dossier : T‑1599‑13

Référence : 2015 CF 1016

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2015

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

ICOS CORPORATION

défenderesse titulaire du brevet

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

(Version confidentielle du jugement et des motifs rendue le 26 août 2015)

[1]               Eli Lilly Canada Inc. [Lilly], la demanderesse en l’espèce, sollicite, conformément à l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement MBAC], une ordonnance interdisant au ministre de la Santé [le ministre] défendeur de délivrer à la défenderesse Apotex Inc. [Apotex] des avis de conformité [AC] qui l’autoriseraient à vendre des versions génériques de CIALIS et d’ADCIRCA, et ce, jusqu’à l’expiration du brevet canadien no2 379 948 [le brevet 948], le 26 avril 2020. Lilly commercialise CIALIS principalement aux fins du traitement de la dysfonction érectile [DE], et ADCIRCA aux fins du traitement de l’hypertension artérielle pulmonaire [HAP].

[2]               Le principe actif de CIALIS et d’ADCIRCA (ainsi que de leurs versions génériques commercialisées par Apotex) porte le nom de tadalafil. Ce dernier a été découvert par les Laboratoires Glaxo et a été initialement revendiqué au Canada dans un brevet qui a expiré en janvier 2015 (le brevet canadien no 2 181 377, ou brevet 377). Glaxo s’est d’abord associée avec ICOS Corporation pour la mise au point du tadalafil, lequel s’est révélé faiblement hydrosoluble. Au terme de la collaboration entre Glaxo et ICOS Corporation, Lilly s’est associée avec ICOS pour mettre au point du tadalafil sous forme de comprimé.

[3]               Le brevet 948, en litige en l’espèce, est un brevet de formulation du tadalafil qui revendique des formulations contenant des particules de taille réduite et certains excipients qui permettent de contrer le problème de la faible hydrosolubilité du tadalafil.

[4]               Le brevet 948 est inscrit à l’égard de CIALIS et d’ADCIRCA sur le Registre des brevets tenu par le ministre en vertu des articles 3 et 4 du Règlement MBAC. Apotex devait donc traiter du brevet 948 pour obtenir les AC, ce qu’elle a fait dans deux avis d’allégation [AA] datés du 16 août 2013 (CIALIS) et du 21 août 2013 (ADCIRCA) qu’elle a signifiés à Lilly. Cette dernière a répondu en déposant la présente demande d’interdiction, le 27 septembre 2013.

[5]               Apotex a soulevé plusieurs allégations additionnelles dans ses AA, mais au moment où l’affaire a été instruite, il n’en restait que trois, à savoir : les produits d’Apotex contrefont‑ils le brevet 948? Le brevet 948 est‑il invalide pour cause d’évidence ou bien est‑il invalide pour absence d’utilité?

[6]               Dans la décision Eli Lilly Canada c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178, 251 ACWS (3d) 124 [Mylan Tadalafil III], qui concernait une autre demande d’interdiction déposée par Lilly à l’encontre d’un fabricant de produits génériques, Mylan Pharmaceuticals ULC, le juge de Montigny a statué sur la même question relative à l’évidence que celle qui se pose ici, et a conclu que l’allégation d’évidence formulée par Mylan était justifiée. De plus, dans Mylan Tadalafil III, le juge de Montigny devait se prononcer sur un argument de non‑contrefaçon très semblable à celui avancé par Apotex en l’espèce. Le juge de Montigny a conclu que le produit générique de Mylan ne contrefaisait pas le brevet 948 et a donc rejeté la demande d’interdiction de Lilly.

[7]               Lilly a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale de la décision prononcée par le juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III. Mylan s’est également pourvue en appel de la décision antérieure, Eli Lilly Canada c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 17, 249 ACWS (3d) 191 [Mylan Tadalafil I], dans laquelle le juge de Montigny a fait droit à la demande d’interdiction de Lilly à l’égard du brevet canadien 2 226 784 [le brevet 784], qui revendique essentiellement l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE. Ces deux appels sont encore en instance devant la Cour d’appel fédérale.

[8]               Apotex affirme que, eu égard à la décision du juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III, la présente demande d’interdiction formée par Lilly constitue un abus de procédure au sens de l’alinéa 6(5)b) du Règlement MBAC, et qu’elle devrait donc être rejetée par voie sommaire.

[9]               Dès lors, les questions que la Cour est appelée à trancher en l’espèce sont les suivantes :

1.                  La présente demande devrait‑elle être rejetée parce qu’elle constitue un abus de procédure?

2.                  Les produits génériques d’Apotex contrefont‑ils le brevet 948?

3.                  Le brevet 948 est‑il invalide pour cause d’évidence?

4.                  Le brevet 948 est‑il invalide pour absence d’utilité?

[10]           Pour les motifs exposés ci‑après, j’ai conclu que, dans les circonstances assez particulières de l’espèce, la présente demande ne constitue pas un abus de procédure et que Lilly peut donc y donner suite. J’ai également conclu que les produits d’Apotex ne contrefont pas le brevet 948 et que son allégation d’évidence est justifiée, mais pas celle qui a trait à l’absence d’utilité. J’ai donc décidé que la présente demande devait être rejetée.

I.                   La présente demande constitue‑t‑elle un abus de procédure de la part de Lilly?

[11]           S’agissant de la première question, le point de départ de l’analyse concernant l’allégation d’abus de procédure est l’alinéa 6(5)b) du Règlement MBAC, qui reconnaît le pouvoir discrétionnaire de la Cour de suspendre la demande d’interdiction présentée en vertu de l’article 6 du Règlement si elle est « inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire » ou « constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure ». Dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163, 59 CPR (4th) 416 [Sanofi Ramipril], la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il y a abus de procédure, au sens de l’alinéa 6(5)b) du Règlement MBAC, lorsque le titulaire du brevet tente de débattre à nouveau des mêmes allégations que celles qui ont été rejetées dans le cadre d’une précédente demande d’interdiction visant un autre fabricant de produits génériques, même si les allégations sont formulées différemment dans les AA des deux dossiers, ou que le titulaire du brevet cherche à produire une preuve de meilleure qualité ou plus détaillée dans le second dossier. S’exprimant au nom de la majorité dans l’arrêt Sanofi Ramipril, le juge Sexton a statué que le fait de permettre à un titulaire de brevet de débattre à nouveau des mêmes questions dans de telles circonstances constituerait un abus de procédure, parce que celui‑ci tente d’attaquer indirectement la décision antérieure, et que dans cette affaire, cela créait un risque indésirable de jugements contradictoires puisque la première décision portait sur une question de fait et n’était donc pas contraignante dans l’instance suivante. Le juge Sexton a également conclu que la décision d’autoriser la remise en cause de la question pourrait entraîner un gaspillage des ressources judiciaires et encourager les titulaires de brevet à diviser leurs arguments et à s’engager dans une série de procès, ce qui est un autre indice d’un abus de procédure. Il a donc conclu que la seconde demande d’interdiction déposée par Sanofi dans cette affaire aurait dû être rejetée pour cause d’abus de procédure. Il a cependant fait remarquer que dans certaines circonstances l’équité pouvait exiger une issue différente, mais que ce n’était pas le cas dans l’affaire dont il était saisi.

[12]           Il importe de souligner qu’au moment où la Cour d’appel fédérale a statué sur l’affaire Sanofi Ramipril, la demande d’interdiction précédente déposée par Sanofi faisait l’objet d’une décision définitive, puisque l’appel devant la Cour d’appel fédérale et la demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada relatifs à cette demande avaient été rejetés. Ce n’était pas le cas lorsque l’instruction de la requête en rejet de la demande a commencé, et comme la demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada était encore en instance lorsque la requête en rejet de la seconde demande a été tranchée, la protonotaire Milczynski a d’abord refusé de rejeter la seconde demande d’interdiction de Sanofi dans Sanofi‑Aventis Canada c Novopharm (ordonnance de la protonotaire Milczynski, 8 mai 2006, dossier de la Cour no T‑1965‑05).

[13]           Apotex fait valoir que la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanofi Ramipril devrait être appliquée en l’espèce et que la demande d’interdiction de Lilly devrait être rejetée, puisque cette dernière cherche à débattre à nouveau du même argument relatif à l’évidence que celui qu’a rejeté le juge de Montigny dans la décision Mylan Tadalafil III, ce qu’elle ne saurait faire, car il s’agit d’un abus de procédure.

[14]           Lilly n’est pas d’accord et soutient qu’il existe une distinction importante entre la présente affaire et l’affaire Sanofi Ramipril puisqu’en l’espèce, l’appel de la décision antérieure prononcée contre elle est encore en instance. Elle fait observer que la décision de la protonotaire Milczynski dans Sanofi Ramipril et celle subséquemment rendue par la protonotaire Tabib dans Eli Lilly Canada c Novopharm, 2008 CF 513, 327 FTR 1, font toutes deux suite à une requête en rejet instruite alors que l’appel d’une décision antérieure était en instance, et que, dans chaque cas, les protonotaires ont refusé de rejeter les demandes d’interdiction subséquentes.

[15]           Dans Eli Lilly Canada c Novopharm, la protonotaire Tabib a expliqué son refus par des motifs détaillés et réfléchis, soulignant que le principal élément à considérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de rejeter ou non une demande subséquente d’interdiction fondée sur le Règlement MBAC alors qu’un appel visant la décision antérieure est en instance, est l’effet potentiel de l’appel sur la demande subséquente. En l’occurrence, la protonotaire a déterminé que l’autorisation d’instruire la seconde demande d’interdiction ne constituerait pas un abus de procédure puisque les préoccupations soulevées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanofi Ramipril n’entraient pas en jeu.

[16]           Plus précisément, la protonotaire Tabib a conclu que le risque de jugements contradictoires était négligeable puisque l’appel allait probablement être tranché avant la seconde demande d’interdiction. Elle a également conclu que le rejet de cette seconde demande d’interdiction serait injuste pour Lilly, car cette dernière subirait un préjudice si elle devait avoir gain de cause en appel. Elle a ajouté que cette séquence d’événements était susceptible d’entraîner d’autres litiges, car si elle rejetait la seconde demande d’interdiction et que l’appel était accueilli, il faudrait présenter une demande pour infirmer le rejet, ce qui pourrait bien obliger le juge à trancher la seconde demande d’interdiction dans un délai encore plus court.

[17]           Enfin, la protonotaire Tabib a jugé que le meilleur moyen d’assurer la cohérence du processus décisionnel aurait été de suspendre la seconde demande d’interdiction, en attendant que l’appel de la décision portant rejet de la première demande d’interdiction soit définitivement tranché. Elle a cependant fait remarquer que le Règlement MBAC ne permettait pas à la Cour de le faire sans le consentement des parties, compte tenu des délais prévus par la loi pour statuer sur les demandes d’interdiction. À cet égard, l’article 7 du Règlement MBAC prévoit que pendant les 24 mois suivant le dépôt d’une demande d’interdiction, il est interdit au ministre de délivrer un AC au fabricant de produits génériques pour le médicament visé par la demande d’interdiction. À moins que les parties à la demande ne consentent à ce que ce délai soit prorogé, il est loisible au ministre de délivrer l’AC au terme de la période de 24 mois. La protonotaire Tabib a conclu qu’en l’absence de consentement à une telle prorogation, le meilleur moyen d’assurer la cohérence était de rejeter la requête en rejet de Novopharm puisque Lilly avait accepté de se désister de la seconde demande d’interdiction si elle n’avait pas gain de cause en appel. Cet accord permettait d’assurer un résultat cohérent.

[18]           Comme le fait justement valoir Apotex, il y a une importante différence entre les faits dont la protonotaire Tabib était saisie et ceux de la présente affaire. Dans le cas précédent, contrairement à celui qui nous occupe, il était probable que l’appel concernant le refus de délivrer une ordonnance d’interdiction soit tranché avant que la seconde demande ne soit instruite. Bien qu’il ait été pour cette raison plus facile de conclure que la seconde demande ne constituait pas un abus de procédure (puisque le risque de décisions contradictoires était minime), je ne pense pas que, en l’espèce, la chronologie différente justifie une autre issue que celle de l’affaire Eli Lilly Canada c Novopharm.

[19]           À cet égard, je signale que la décision de rejeter ou non une demande telle que la présente pour cause d’abus de procédure est discrétionnaire : l’alinéa 6(5)b) du Règlement MBAC confirme que je peux rejeter cette demande si j’estime qu’elle constitue un abus de procédure. À mon avis, le principal élément à considérer dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en l’espèce consiste à déterminer quelle partie subira le préjudice le plus grave si la requête en rejet est rejetée.

[20]           À mon avis, c’est Lilly qui subira le préjudice le plus grave si je rejette la présente demande, puisqu’elle ne pourra plus la faire instruire sur le fond. Elle subirait de ce fait un préjudice grave si l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre de la décision du juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III est accueilli en Cour d’appel fédérale.

[21]           À cet égard, l’appel visant la décision du juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III n’a pas encore été instruit et ne le sera pas avant l’expiration du délai de 24 mois prévu par la loi, soit le 27 septembre 2015, mais il se peut qu’il le soit avant l’expiration du brevet 784 en juillet 2016. Il est donc peu probable que l’appel en instance dans l’affaire Mylan Tadalafil III soit rejeté en raison de son caractère théorique.

[22]           Si Lilly a gain de cause dans l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre de la décision du juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III, il serait impossible pour la Cour d’infirmer la décision de rejeter la présente demande et de réexaminer la demande d’interdiction avant le 27 septembre 2015. Par conséquent, si je fais droit à la demande de rejet d’Apotex, Lilly ne pourra plus solliciter d’ordonnance d’interdiction à l’égard du brevet 948 et des demandes d’AC d’Apotex. Cependant, si elle avait gain de cause en appel, Lilly pourrait sans doute demander une ordonnance d’interdiction en l’espèce.

[23]           Il ne sert à rien de dire, comme le fait Apotex, que Lilly pourrait néanmoins intenter une action en contrefaçon et obtenir des dommages‑intérêts, car elle aurait perdu l’avantage de la suspension prévue par le Règlement MBAC, qui est un avantage stratégique de taille. De plus, si Lilly a gain de cause en appel dans Mylan Tadalafil III, Apotex pourrait bénéficier d’un avantage concurrentiel indu par rapport à Mylan si je rejette la présente demande, puisqu’elle aurait le droit d’obtenir un AC pour son produit ADCIRCA et pour sa version générique de CIALIS en 2016 dès que le brevet 784 expirera, tandis que le droit de Mylan d’obtenir un AC pour son produit CIALIS dépendrait de l’issue de l’appel interjeté par Lilly et peut‑être aussi de l’issue de toute demande d’autorisation présentée par la suite à la Cour suprême du Canada. C’est non seulement injuste, mais c’est aussi exactement le genre de résultats potentiellement contradictoires qu’il faut éviter, puisqu’il s’agit d’un abus de procédure.

[24]           D’un autre côté, même si je faisais droit à la demande d’interdiction, Apotex ne perdrait pas la possibilité de faire valoir ses arguments puisqu’elle pourrait porter ma décision en appel et qu’elle aurait encore la possibilité de défendre sa position et de demander le rejet de la demande d’interdiction sur le fond par la Cour d’appel fédérale. Par ailleurs, Apotex aurait pu éviter les coûts et les inconvénients que l’instruction de la présente demande pendant que l’appel dans Mylan Tadalafil III est en instance peut occasionner, et ce, en acceptant simplement une suspension et une prorogation du délai de 24 mois pour la délivrance des AC qu’elle sollicite. Cependant, elle n’était pas disposée à procéder ainsi.

[25]           Ainsi, le préjudice serait beaucoup plus grave pour Lilly que pour Apotex si la présente demande était rejetée par voie sommaire. Par conséquent, je suis d’avis que la justice exige que Lilly soit autorisée à donner suite à la présente demande d’interdiction.

[26]           Plusieurs autres tribunaux sont parvenus à des conclusions similaires et ont estimé que ne constituait pas un abus de procédure le fait pour une partie de s’engager dans une seconde action ou demande alors que la première décision est portée en appel, puisqu’une décision frappée d’appel n’est pas une décision définitive pour l’application des doctrines de l’abus de procédure ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (voir, p. ex., Novopharm Ltd c Eli Lilly and Co, [1999] 1 CF 515, aux paragraphes 29 à 32, [1998] ACF no 1634 (CF 1re inst.); Wells c Canada (Ministre des Transports) (1993), 48 CPR (3d) 308, 63 FTR 213 (CF 1re inst.); Cardinal c R (1991), 47 FTR 203, 29 ACWS (3d) 723 (CF 1re inst.) (infirmée en partie pour d’autres motifs par (1993), 164 NR 301, 72 FTR 309); Starlight c Canada, 2001 CAF 342, au paragraphe 4, [2001] ACF no 1685; Nordic Laboratories Inc. c Sous‑MRN (1996), 113 FTR 168, aux paragraphes 23 à 28, [1996] ACF no 1067 (CF 1re inst.)).

[27]           D’ailleurs, dans la plupart des cas où une première décision est portée en appel, la seconde affaire concernant la même question est simplement suspendue en attendant que l’appel soit définitivement tranché dans la première affaire, ce qui permet de préserver les droits des parties et d’éviter les litiges futiles et le risque de décisions contradictoires. Malheureusement, compte tenu de l’article 7 du Règlement MBAC et du refus des parties de s’entendre sur une suspension en l’espèce, cette option ne s’offrait pas à moi. La solution la plus juste consiste donc à refuser la demande de rejet d’Apotex.

[28]           Bien qu’elle puisse donner lieu à des litiges inutiles (advenant que l’appel dans Mylan Tadalafil III soit rejeté), cette solution est préférable à l’injustice que subirait Lilly si la présente demande de rejet était accueillie. Par conséquent, je conclus que l’instruction de la présente demande d’interdiction déposée par Lilly alors que l’appel dans Mylan Tadalafil III est en instance ne constitue pas un abus de procédure, et je ne rejetterai donc pas la présente demande par voie sommaire.

II.                Le brevet 948

[29]           Je me pencherai maintenant sur le fond de la présente demande et commencerai par examiner les parties pertinentes du brevet 948.

[30]           Dans son paragraphe introductif, le brevet 948, intitulé « Compositions pharmaceutiques à base de bêta‑carboline », indique que l’invention revendiquée dans le brevet est la formulation de composés à base de ß‑carboline [traduction« formulés de manière à présenter une puissance constante et des caractéristiques souhaitables en matière de stabilité et de biodisponibilité » (brevet 948, page 1).

[31]           La section suivante du brevet décrit le contexte dans lequel s’inscrit l’invention et traite de trois autres brevets, soit les versions américaines du brevet 377, le brevet 784 et le brevet américain Butler no 5 985 326 (le brevet Butler). Le brevet 377 revendiquait un certain nombre de composés à base de ß‑carboline, notamment le tadalafil, et le brevet 784 revendiquait l’utilisation de ces composés pour traiter la dysfonction érectile (DE). Le brevet Butler divulgue une méthode de préparation du tadalafil sous forme de coprécipité avec le phtalate d’hydroxypropylméthylcellulose et la transformation de ce coprécipité en comprimés.

[32]           Après avoir décrit ces brevets, le brevet 948 mentionne que des études ont révélé des problèmes concernant la formulation du tadalafil sous forme de coprécipité, dont [traduction« des difficultés à produire des lots précisément reproductibles » et le fait que la concentration sanguine maximale du tadalafil n’était atteinte qu’en trois à quatre heures, [traduction] « le délai moyen de manifestation d’un effet thérapeutique n’ayant pas encore été établi avec précision » (brevet 948, page 2). Le brevet souligne qu’une formulation permettant [traduction« d’atteindre plus rapidement une concentration sanguine maximale et offrant de meilleures possibilités d’une manifestation rapide de l’effet thérapeutique » est souhaitable, car les patients préfèrent un produit dont les effets sont plus immédiats (pages 2 et 3 du brevet).

[33]           Après l’examen du contexte dans lequel s’inscrit l’invention, le brevet 948 propose un résumé de celle‑ci, indiquant qu’il s’agit d’une formulation pharmaceutique composée de particules de taille réduite de tadalafil sous sa forme de médicament libre, lesquelles sont [traduction« mélangées à un diluant, un lubrifiant, un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de la cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci, un délitant choisi parmi un groupe comprenant la crospovidone, la croscarmellose sodique et un mélange de celles‑ci, et, de façon facultative, de la cellulose microcristalline et/ou un agent mouillant… [et] de façon facultative… en plus… un deuxième diluant » (à la page 4 du brevet). On y indique que la formulation privilégiée comprend « environ » :

a)                  1 à 5, et, préférablement, environ de 2 à 4 % en poids de tadalafil sous forme de médicament libre dont les particules sont broyées de sorte que 90 % d’entre elles ont une taille inférieure à environ 40 micromètres;

b)                  50 à 85 % en poids et, préférablement, environ 50 à 75 % en poids de lactose;

c)                  0,25 à environ 2 % en poids de stéarate de magnésium;

d)                 1 à 5 % en poids d’hydroxypropylcellulose;

e)                  3 à 15 % en poids de croscarmellose sodique;

f)                   0 à 40 % en poids de cellulose microcristalline;

g)                  de 0 à 5 % en poids de laurylsulfate de sodium.

(brevet 948, pages 4 à 8)

[34]           Le brevet 948 définit ou analyse plus en profondeur plusieurs des termes qu’on y utilise. Les plus pertinents, pour les besoins de la présente demande, sont « médicament libre », « diluant hydrosoluble », « liant hydrophile » et « cellulose microcristalline ».

[35]           On entend par « médicament libre » les particules solides de tadalafil par opposition au tadalafil incorporé dans un coprécipité (page 5 du brevet). On entend par « diluant hydrosoluble » un composé généralement utilisé dans la formulation de comprimés pharmaceutiques pour leur donner du volume, notamment des sucres, des polysaccharides, des polyols, des cyclodextrines et des mélanges de ceux‑ci (page 6 du brevet). On entend par « liant hydrophile » un adhésif servant à lier entre eux les ingrédients du comprimé (page 9 du brevet). Les liants hydrophiles possibles classés dans le groupe des dérivés de la cellulose qui figurent dans le brevet sont l’hydroxypropylcellulose, l’hydroxypropylméthylcellulose, l’hydroxyéthylcellulose et l’hydroxybutylméthylcellulose (page 10 du brevet). Enfin, le brevet indique que les formulations revendiquées contiennent 0 à environ 40 % en poids de cellulose microcristalline et que celle‑ci [traduction« peut remplir diverses fonctions dans la formulation, p. ex. celle de délitant ou de deuxième diluant en plus du diluant hydrosoluble » (page 11 du brevet). Cette section de la description indique aussi que l’invention revendiquée dans le brevet 948 se dissout mieux, est mieux absorbée in vivo et est plus stable que les formulations précédentes (pages 12 et 13 du brevet).

[36]           Le brevet 948 décrit ensuite la technique à utiliser pour produire les comprimés ainsi que les formes pharmaceutiques privilégiées. On y retrouve 13 exemples non limitatifs montrant différentes formulations de l’invention revendiquée dans le brevet.

[37]           Le brevet 948 comporte 33 revendications. Les revendications 1 à 4, 7, 8, 11 à 15, 17 à 21, 23 à 31 et 33 sont celles qui sont en litige en l’espèce.

[38]           La revendication 1 est la seule revendication indépendante. On y décrit une formulation pharmaceutique contenant des particules de tadalafil sous forme de médicament libre, au moins 90 % des particules ayant une taille inférieure à environ 40 micromètres; environ 50 à 85 % en poids de diluant hydrosoluble; un lubrifiant; environ 1 à 5 % en poids de liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci; et un délitant choisi parmi un groupe comprenant la croscarmellose sodique, la crospovidone et un mélange de celles‑ci.

[39]           Les revendications 2 à 8, 10 à 15, 17 et 18 concernent des composants précis de la formulation visée par la revendication 1. Les revendications 19 à 21 concernent un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1. Les revendications 23 à 25 visent des tailles précises de particules de la formulation visée par la revendication 1. Les revendications 26 à 29 concernent des comprimés contenant la formulation visée par la revendication 1 dans lesquels le composé est présent en quantités d’environ 10 mg, 1 à 5 mg, 2,5 mg et 20 mg par comprimé, respectivement. Enfin, les revendications 30, 31 et 33 visent l’utilisation de la formulation et des comprimés pour traiter la dysfonction sexuelle, plus précisément, la DE.

[40]           Les revendications en litige dans la présente demande sont reproduites dans leur intégralité à l’annexe jointe aux présents motifs.

III.             Les témoins

[41]           Lilly a présenté en preuve les témoignages d’un technicien juridique (simplement pour présenter les documents présentés en preuve), de deux témoins factuels (Mme Kral et M. Pullman) et de deux experts (le Dr Goldstein et M. Bodmeier). Apotex a présenté l’affidavit de Duane Terrill, directeur adjoint aux affaires réglementaires chez Apotex, afin d’expliquer le contexte de la demande, l’affidavit d’un technicien juridique, pour produire des documents additionnels, et l’affidavit d’un expert, M. Mumper.

[42]           M. Pullman est un pharmacologue clinicien anciennement à l’emploi de Lilly. Il est le co‑inventeur d’un autre brevet visant le tadalafil, le brevet 2 371 684 (qui a fait l’objet d’une autre demande d’interdiction dans la cause Eli Lilly Canada c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 125, 249 ACWS (3d) 863). M. Pullman a pris part aux essais cliniques du tadalafil et présente, dans son affidavit, plusieurs études cliniques entreprises par Lilly.

[43]           Mme Martha Kral compte parmi les inventeurs du brevet 948 et était conseillère en recherche chez Lilly. Dans son affidavit, elle passe en revue les travaux de formulation du tadalafil, avant et pendant sa participation aux recherches, et relate les travaux ayant mené à l’invention revendiquée par le brevet 948. Elle joint plusieurs études à son affidavit, dont certaines menées par Glaxo, ainsi que les études de formulation et les études cliniques réalisées par Lilly.

[44]           M. Bodmeier enseigne la technologie pharmaceutique au Collège de pharmacie de l’Université Freie de Berlin, en Allemagne. Il a obtenu son doctorat à l’Université du Texas à Austin et enseigne aujourd’hui les sciences pharmaceutiques en plus d’effectuer des recherches dans ce domaine, notamment sur la formulation et l’utilisation d’excipients. Il a occupé de nombreux postes au sein du comité de rédaction de diverses revues pharmaceutiques, il a publié environ 170 articles scientifiques dans des revues à comité de lecture et il a rédigé 10 chapitres de livres sur une variété de sujets pharmaceutiques, notamment sur la formulation de médicaments faiblement hydrosolubles. M. Bodmeier était l’expert de Lilly en matière de contrefaçon et de validité dans Mylan Tadalafil III. Dans son affidavit en l’espèce, il exprime son avis sur les questions d’invalidité (y compris celles qui ne sont plus en litige) et sur la question de l’absence de contrefaçon. Il est d’avis que les versions génériques de CIALIS et d’ADCIRCA commercialisées par Apotex contrefont le brevet 948, et que ce dernier n’est pas invalide pour cause d’évidence ou de manque d’utilité.

[45]           Le Dr Goldstein est un urologue et était l’unique clinicien à témoigner à l’audience. Il a été codirecteur du Laboratory for Sexual Medicine Research de la School of Medicine de l’Université de Boston de 1981 à 2005 et rédacteur en chef de l’International Journal of Impotence Research de 2001 à 2004. De 2004 à 2014, il était rédacteur en chef du Journal of Sexual Medicine et est actuellement rédacteur en chef du Journal of Sexual Medicine Reviews. Il agit actuellement à titre d’expert‑conseil et est directeur du programme de médecine sexuelle et professeur clinicien de chirurgie à l’Alvarado Hospital et à l’Université de la Californie à San Diego. Il est membre de nombreuses organisations professionnelles et a beaucoup écrit dans les domaines associés à la dysfonction sexuelle, dont près de 300 articles évalués par les pairs ainsi que de multiples chapitres de livres. Il a reçu de nombreuses bourses de recherche d’organisations nationales ou internationales. Dans son affidavit, le Dr Goldstein offre son opinion sur l’utilité relativement aux revendications 30, 31 et 33 du brevet 948. Il est d’avis que la promesse de ces revendications a été démontrée par les études cliniques déposées par Lilly et, en conséquence, que ces revendications ne sont pas invalides pour cause d’inutilité.

[46]           Enfin, M. Mumper est chercheur dans le domaine pharmaceutique. Son profil est semblable à celui de M. Bodmeier. Il est professeur émérite John A. McNeill et vice‑doyen à l’Eshelman School of Pharmacy de l’Université de la Caroline du Nord, et est titulaire d’un doctorat en sciences pharmaceutiques. Il a cumulé plusieurs autres fonctions universitaires, a siégé aux comités de rédaction de plusieurs publications de premier plan du domaine pharmaceutique et a été très actif à titre de rédacteur et de conférencier sur divers sujets pharmaceutiques. Avant d’occuper le poste de professeur, M. Mumper a travaillé dans l’industrie (pour une société pharmaceutique innovatrice) et était actif dans le domaine de la formulation de médicaments, dont les médicaments faiblement hydrosolubles. Dans son affidavit, M. Mumper formule des opinions sur l’interprétation des brevets, la contrefaçon, l’utilité et l’évidence. Il est d’avis que les produits d’Apotex ne contrefont pas le brevet 948 et que ce dernier est invalide parce que l’utilité promise n’a été ni démontrée ni valablement prédite et que l’invention revendiquée était évidente.

IV.             Les produits génériques d’Apotex contrefont‑ils le brevet 948?

[47]           En gardant ce contexte à l’esprit, il est maintenant possible d’examiner la question de savoir si les produits d’Apotex contrefont le brevet 948. Préalablement à une telle analyse, il faut en premier lieu interpréter les revendications pertinentes du brevet 948 et en relever les éléments essentiels, car, en effet, il y a contrefaçon lorsque le contrevenant reproduit un ou plusieurs des éléments essentiels de l’invention revendiquée (Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au paragraphe 31, [2000] 2 RCS 1024; Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux paragraphes 43 à 45, [2000] 2 RCS 1067 [Whirlpool]).

A.                Interprétation du brevet 948 et détermination des éléments essentiels de la revendication 1

[48]           Au moment d’examiner les revendications du brevet 948, il est suffisant de restreindre l’analyse à la revendication 1 puisque c’est l’unique revendication indépendante du brevet et que si elle n’est pas contrefaite, aucune des revendications dépendantes suivantes ne peut l’être. À une exception près, les parties s’entendent quant à la nature des éléments essentiels de la revendication du brevet 948. Ce sont :

a)                  le tadalafil sous forme de médicament libre;

b)                  90 % des particules de tadalafil ont une taille inférieure à environ 40 micromètres;

c)                  environ 50 à 85 % en poids d’un diluant hydrosoluble;

d)                 un lubrifiant;

e)                  environ 1 à 5 % en poids d’un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci;

f)                   un délitant choisi parmi un groupe comprenant la croscarmellose sodique, la crospovidone et un mélange de celles‑ci (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 82; affidavit de M. Mumper, paragraphe 85).

[49]           Il y a toutefois mésentente sur le sens qu’il convient d’attribuer au mot « environ ». D’une part, Lilly et M. Bodmeier soutiennent que le mot « environ » signifie « plus ou moins dix pour cent ». Par conséquent, l’expression « environ 1 à environ 5 % » signifierait pour eux une quantité comprise entre 0,9 % et 5,5 %, et l’expression « environ 50 à environ 85 % » se rapporterait à une quantité comprise entre 45 et 93,5 % (arrondie par eux à 94 %) (affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 72, 86 et 90). D’autre part, Apotex et M. Mumper rejettent cette interprétation et sont plutôt d’avis que le mot « environ » a un sens d’approximation. Ils postulent que l’inventeur a utilisé le mot « environ » dans le brevet 948 pour éviter les valeurs trop nettes et ainsi permettre de petites variations des quantités dans la formulation, variations qui sont inévitables (affidavit de M. Mumper, paragraphes 96 à 101). Selon eux, le degré de variation de la quantité d’un excipient sera nettement inférieur à l’intervalle de 5 à 9 % postulé par Lilly et M. Bodmeier en ce qui concerne les limites de l’intervalle de contrefaçon pour un diluant hydrosoluble (affidavit de M. Mumper, paragraphes 135 et 136).

[50]           Parmi ces deux positions, je préfère celle adoptée par M. Mumper et Apotex, et ce, pour trois raisons. En premier lieu, cette interprétation se veut beaucoup plus logique. Le mot « environ » exprime réellement l’approximation, et c’est pousser un peu loin la crédulité que de penser qu’un intervalle « d’environ 50 à 85 % » signifie en réalité entre 45 et 94 %. Si c’est ce qu’on voulait réellement dire, pourquoi ne pas l’avoir fait, tout simplement? En bref, 45 n’est pas une approximation de 50, de même que 93,5 ou 94 n’est pas une approximation de 85. En deuxième lieu, M. Bodmeier ne peut expliquer son interprétation de plus ou moins 10 %, laquelle semble par conséquent avoir été choisie dans le but de favoriser une conclusion de contrefaçon de brevet. (Il fait remarquer au paragraphe 12 de son affidavit que le calcul de plus ou moins 10 % s’applique à la quantité de médicament contenue dans les formes pharmaceutiques, mais omet d’expliquer pourquoi une exigence réglementaire sur les écarts admissibles dans les quantités généralement très petites du principe actif d’un comprimé devrait s’appliquer à l’interprétation des quantités établies par l’inventeur dans le brevet 948). En troisième lieu, et point le plus important, je remets en doute la crédibilité de M. Bodmeier, car je considère qu’il a façonné sa preuve de manière à favoriser l’issue recherchée par Lilly dans la présente affaire.

[51]           À cet égard, M. Bodmeier a exprimé dans son affidavit l’idée selon laquelle l’invention revendiquée dans le brevet 948 n’était pas évidente puisque [traduction« il n’existait aucune garantie que l’une ou l’autre des options étudiées se traduirait par une formulation utilisable » (paragraphe 249 de l’affidavit de M. Bodmeier). Cette affirmation, qui était l’énoncé fondamental de son affidavit, résumait sa conclusion en ce qui a trait à l’évidence. M. Bodmeier a fait une déclaration identique dans l’affidavit qu’il a présenté dans l’affaire Mylan Tadalafil III.

[52]           Dans Mylan Tadalafil III, le juge de Montigny a rejeté le témoignage de M. Bodmeier en partie parce qu’il considérait que ce dernier avait fixé trop haut la barre du critère de l’évidence. Au paragraphe 150 de Mylan Tadalafil III, le juge de Montigny conclut ce qui suit :

[l]e critère applicable n’est pas de savoir si une personne versée dans l’art saurait avec certitude qu’une formulation fonctionnerait ou s’il y a une garantie que des formulations particulières fonctionneraient, comme l’a laissé entendre M. Bodmeier dans son affidavit [références omises]. On fixerait la barre trop haut. Le critère consiste plutôt à savoir si la personne versée dans l’art avait de bonnes raisons de chercher des solutions prévisibles ou des solutions offrant des « chances raisonnables de succès ».

[53]           Le juge Barnes a également écarté des preuves similaires fournies par M. Bodmeier dans l’arrêt Janssen c Teva Canada Limited, 2015 CF 184, au paragraphe 101, pour les mêmes motifs.

[54]           Dès le début de son contre‑interrogatoire en l’espèce, qui a eu lieu quelques jours seulement après la publication de la version confidentielle de la décision du juge de Montigny dans Mylan Tadalafil III, M. Bodmeier a indiqué qu’il souhaitait remplacer le verbe « garantir » au paragraphe 249 de son affidavit dans cette affaire par le verbe « s’attendre à », de sorte que le paragraphe se lirait comme suit :

[traduction] Nous ne pouvions pas nous attendre à ce que l’une ou l’autre des options étudiées se traduise par une formulation utilisable. En d’autres mots, il n’allait pas de soi qu’il serait possible d’obtenir une formulation fonctionnelle agissant rapidement.

[55]           Au cours de son contre‑interrogatoire, M. Bodmeier a expliqué avoir pris la décision de remplacer ce mot de son affidavit à la suite de discussions avec l’avocat parce qu’il s’agissait d’« une question linguistique » et qu’il ne comprenait pas que le verbe « garantir » avait le sens de 100 %, croyant plutôt qu’il signifiait une chance de succès un peu supérieure à 50 %. Il affirme que, lorsque son avocat lui a fait comprendre que ce n’est pas ce que signifie réellement le verbe « garantir », il a décidé de le remplacer par « s’attendre à » pour que ses propos aillent dans le sens de ce qu’il voulait dire d’entrée de jeu, c’est‑à‑dire qu’il n’y avait pas plus de 50 % de chances que l’une ou l’autre des options envisagées se traduise par une formulation utilisable (contre‑interrogatoire de M. Bodmeier, dossier de la demande [DD], pages 8843 à 8848).

[56]           Selon l’avocat de Lilly, il ne faut pas voir dans ce changement une tentative illégitime de la part de M. Bodmeier de modifier son témoignage afin d’éviter une décision semblable à celle du juge de Montigny. Il faut plutôt y voir une simple correction motivée par le fait que l’anglais n’est pas la langue maternelle de M. Bodmeier. Je rejette cet argument. Non seulement n’y a‑t‑il aucune preuve à cet effet, mais je trouve aussi inconcevable que M. Bodmeier – qui a obtenu son doctorat au Texas et qui, selon son curriculum vitae, a écrit des articles et donné des conférences scientifiques en anglais à d’innombrables reprises – ne sache pas faire la différence entre « garantir » et « s’attendre à ». Aussi suis‑je d’avis que ce changement constituait une tentative de la part de M. Bodmeier de modifier son témoignage afin d’éviter une conclusion défavorable pour Lilly, ce qui n’est pas là une façon d’agir convenable pour un expert indépendant.

[57]           Si j’ai tort et que l’anglais de M. Bodmeier est si mauvais qu’il est incapable de faire la différence entre « garantir » et « s’attendre à », alors sa maîtrise de la langue est telle qu’il ne convient pas qu’il se présente devant ce tribunal en tant que témoin expert. Par conséquent, je détermine qu’en cas de conflit entre la preuve de M. Bodmeier et celle de M. Mumper, la preuve présentée par M. Mumper doit être privilégiée. Je conclus donc que le mot « environ », tel qu’il est employé dans la revendication 1 du brevet 948, a le sens d’« approximativement », et non de plus ou moins 10 %.

B.                 Absence de contrefaçon

[58]           Apotex affirme que ses versions génériques de CIALIS et d’ADCIRCA ne contrefont pas le brevet 948, car elles ne contiennent pas environ 50 à 85 % en poids d’un diluant hydrosoluble, ni environ 1 à 5 % en poids d’un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci.

[59]           MM. Mumper et Bodmeier reconnaissent que la composition des comprimés génériques d’Apotex (telle que divulguée dans ses présentations abrégées de drogue nouvelle, présentées à l’appui de sa demande d’AC) est la suivante :

Composant des comprimés Apotex

Fonction indiquée par Apotex

Mg/

dose unitaire

(20 mg)

% p/p

(20 mg)

Mg/

dose unitaire

(10 mg)

% p/p

(10 mg)

Mg/

dose unitaire

(5 mg)

% p/p

(5 mg)

Mg/

dose unitaire

(2,5 mg)

% p/p

(2,5 mg)

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

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[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

[expurgé]

(affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 80, DD page 354; affidavit de M. Mumper, paragraphe 145, DD page 7533)

[60]           [Expurgé] est le seul liant figurant dans les formulations d’Apotex. Les deux parties conviennent que [expurgé] n’est ni un dérivé de la cellulose, ni la povidone, et qu’il ne correspond donc pas à la définition que fait le brevet 948 d’un « liant hydrophile », à savoir un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci (affidavit de M. Mumper, paragraphe 148; non contredit par M. Bodmeier). Par conséquent, s’il est admis que les excipients des comprimés Apotex exercent les fonctions qu’Apotex fait valoir, les produits d’Apotex ne contiennent pas environ 1 à 5 % en poids d’un liant hydrophile, car [expurgé] n’est pas un liant hydrophile du type revendiqué dans le brevet.

[61]           De plus, même si c’était le cas, la quantité contenue dans les comprimés d’Apotex est en dehors de l’intervalle essentiel d’environ 1 à 5 % en poids décrit à la revendication 1. Les comprimés contiennent environ [expurgé], ce qui, selon M. Mumper, n’équivaut pas à « environ » 5 % et est par ailleurs à l’extérieur de l’intervalle de plus ou moins 10 % avancé par M. Bodmeier (affidavit de M. Mumper, paragraphes 152 à 155). Ainsi, si les excipients contenus dans les produits d’Apotex exercent les fonctions établies dans les présentations abrégées de drogue nouvelle d’Apotex, il leur manque un élément essentiel de la revendication 1, à savoir la présence d’environ 1 à 5 % en poids d’un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone et un mélange de ceux‑ci.

[62]           En outre, les formulations d’Apotex semblent à première vue ne pas contenir environ 50 à 85 % en poids d’un diluant hydrosoluble si les excipients exercent les fonctions qu’Apotex fait valoir. Dans ses présentations abrégées de drogue nouvelle, Apotex mentionne [expurgé] diluants, à savoir [expurgé] et [expurgé]. Il n’est pas contesté que [expurgé] n’est pas hydrosoluble, alors que [expurgé] l’est (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 86; affidavit de M. Mumper, paragraphes 174 et 175). Les formulations d’Apotex ne contiennent qu’environ [expurgé], ce qui est largement inférieur aux quantités requises au regard de la revendication 1 du brevet 948, à savoir environ 50 à 85 %. Pour la même raison, si les excipients exercent les fonctions qu’Apotex fait valoir, alors les produits d’Apotex ne contrefont pas le brevet 948.

[63]           Lilly et M. Bodmeier affirment toutefois que les excipients contenus dans les formulations d’Apotex n’exercent pas les fonctions qu’Apotex fait valoir et qu’il y a donc contrefaçon du brevet 948. En particulier, M. Bodmeier affirme que les produits d’Apotex contiennent les quantités requises de liant hydrophile, car 0,9 % à 5,5 % de [expurgé] contenu dans les comprimés agit comme un liant (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 91). Il affirme également que ces produits contiennent la quantité requise de diluant hydrosoluble, car [expurgé] et [expurgé] agissent comme des diluants hydrosolubles, et leur pourcentage combiné est d’environ [expurgé], ce qui, selon M. Bodmeier, entre dans le champ d’application de la revendication 1 du brevet 948 vu son opinion sur la façon dont on doit interpréter le mot « environ », à savoir plus ou moins 10 % (affidavit de M. Bodmeier, paragraphes 86 et 87).

[64]           Or, M. Mumper rejette ces affirmations et souligne que M. Bodmeier n’a fourni aucune preuve à l’appui de son argument selon lequel seul 0,9 % à 5 % de [expurgé] (dont le poids se situe à peu près dans l’intervalle de [expurgé], selon la quantité de tadalafil contenue dans le comprimé d’Apotex) agit comme un liant, ni de son affirmation selon laquelle tout le [expurgé] agit comme diluant, et non pas comme liant. En outre, M. Mumper conteste l’argument selon lequel [expurgé] est « hydrophile » et est d’avis que [expurgé] n’est pas habituellement ajouté à des préparations pharmaceutiques en tant que simple diluant (affidavit de M. Mumper, paragraphes 107 à 110, 159, 182 et 183; contre‑interrogatoire de M. Mumper, DD pages 9185 à 9189).

[65]           Je rejette la position de M. Bodmeier et de Lilly sur ces questions pour plusieurs raisons et non seulement à cause du manque général de crédibilité de M. Bodmeier, dont j’ai parlé plus tôt.

[66]           En premier lieu, je considère qu’il incombe à Lilly d’établir que les produits d’Apotex contrefont le brevet 948 (Eli Lilly Canada c Apotex, 2009 CF 320, aux paragraphes 37 à 41, 75 CPR (4th) 165; Novopharm Ltd c Pfizer Canada, 2005 CAF 270, aux paragraphes 19 à 24, 42 CPR (4th) 97). Or, la preuve présentée par M. Bodmeier, qui se résume à des spéculations quant au rôle joué par 0,9 % à 5 % en poids de [expurgé] et de [expurgé] dans les formulations d’Apotex, n’a pas permis à Lilly de se décharger de ce fardeau. M. Bodmeier n’offre aucune preuve pour étayer son affirmation concernant la fonction de ces excipients, son affirmation selon laquelle seul 0,9 % à 5 % en poids d’une quantité totale d’à peu près [expurgé] de [expurgé] contenue dans les comprimés joue un rôle de liant hydrophile et son affirmation selon laquelle [expurgé] agit comme un diluant. De telles spéculations dénuées de fondement ne sauraient constituer une preuve de la fonction de ces excipients.

[67]           M. Bodmeier a avancé un argument similaire dans Mylan Tadalafil III, que le juge de Montigny a rejeté pour le même motif. Ce dernier a déclaré, au paragraphe 86 :

[j]e conviens avec Mylan que l’argument qu’invoque Lilly s’appuie sur de multiples couches de conjectures. Tout d’abord, M. Bodmeier émet l’opinion que [expurgé] est plus liant qu’il ne le serait [traduction] « habituellement » s’il était ajouté comme excipient dans une formulation en comprimés. Certes, M. Brittain a confirmé en contre‑interrogatoire qu’un pourcentage de 2 % à 5 % est un chiffre normal. Mais cela ne ressemble en rien au fait d’établir que des quantités supérieures à cette plage cessent de produire la fonction adhésive d’un liant. Aucun des deux experts n’a affirmé catégoriquement que [expurgé] ne peut agir comme liant dans une proportion de [expurgé] et, en tout état de cause, aucun essai n’a été réalisé à l’appui d’une telle conclusion. Des conjectures, même si elles émanent d’experts, ne sont pas des preuves, et elles ne sont manifestement pas suffisantes pour s’acquitter du fardeau de la preuve dans une affaire de contrefaçon.

[68]           En deuxième lieu, compte tenu de l’interprétation applicable du mot « environ » à la revendication 1 du brevet 948, dont il a été question plus haut, même si [expurgé] contenu dans les formulations d’Apotex agit comme un diluant hydrosoluble, la quantité totale de diluant dans les formulations n’atteint pas la quantité requise pour qu’il y ait contrefaçon, à savoir 50 à 85 % en poids. En effet, le pourcentage total de [expurgé] et de [expurgé] dans les formulations d’Apotex n’est que d’environ 45 %, ce qui, comme je l’ai déterminé, n’est pas « environ » 50 %.

[69]           Troisièmement, même si les deux experts reconnaissent que [expurgé] est un dérivé de cellulose, compte tenu de la manière dont [expurgé] est décrit dans le brevet, je conviens avec M. Mumper que [expurgé] ne peut être considéré comme un « liant hydrophile » au sens des revendications du brevet. À cet égard, comme le note justement Apotex, l’inventeur peut attribuer un sens particulier aux termes employés pour définir l’invention revendiquée dans un brevet. Le sens ordinaire d’un mot ou celui que lui attribue le dictionnaire n’est donc pas nécessairement décisif. La Cour doit plutôt interpréter le sens des termes contenus dans le brevet en tenant compte de la manière dont ils sont employés dans l’ensemble du mémoire descriptif (voir Whirlpool, précité, au paragraphe 52; Western Electric Co c Baldwin International Radio of Canada Ltd, [1934] RCS 570, aux pages 572 et 582, [1934] 4 DLR 129; Lundbeck Canada c Ratiopharm, 2009 CF 1102, aux paragraphes 51 à 53, 79 CPR (4th) 243).

[70]           En l’espèce, le brevet 948 désigne à plusieurs endroits [expurgé] comme un excipient qui peut être ajouté à la formulation de la revendication 1. Par exemple, dans la divulgation, [expurgé] est décrit comme [expurgé]. Le brevet ne décrit nulle part [expurgé] comme un liant. De plus, la revendication 2 porte sur la formulation de la revendication 1 à laquelle [expurgé]. Je conviens avec Apotex qu’il est impossible que ces mentions permettent de considérer que [expurgé] est visé par la revendication 1.

[71]           En dernier lieu, j’accepte la preuve présentée par M. Mumper selon laquelle [expurgé] n’est pas généralement considéré comme « hydrophile » par les formulateurs, et que [expurgé] n’est pas généralement ajouté aux formulations pharmaceutiques en tant que simple diluant. Par conséquent, la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 948, qui peut, les parties en conviennent, être un formulateur, ne considérerait pas que [expurgé] est un liant hydrophile ou que [expurgé] est un diluant, au sens de la revendication 1 du brevet.

[72]           Par conséquent, et pour ces motifs, je conclus que l’allégation de non‑contrefaçon d’Apotex est justifiée. Cette conclusion suffit en soi pour rejeter la présente demande. Cependant, compte tenu de la probabilité qu’un appel soit interjeté, j’estime prudent d’examiner brièvement les deux autres arguments avancés par Apotex.

V.                Le brevet 948 est‑il invalide pour cause d’évidence?

[73]           Le premier des arguments additionnels soulevés par Apotex est que le brevet 948 est invalide pour cause d’évidence.

A.                Principes applicables

[74]           Le concept d’évidence découle à la fois de la définition du terme « invention » à l’article 2 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, et de l’article 28.3 de la même loi. L’article 2 définit l’« invention » comme « [t]oute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ». L’article 28.3 dispose :

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject‑matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject‑matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[75]           L’évidence renvoie à l’absence d’originalité de l’invention revendiquée, ou en substance, elle impose de conclure qu’aucune nouveauté brevetable n’a été découverte dans l’invention revendiquée. Dans l’arrêt Apotex Inc. c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, au paragraphe 67, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi‑Synthelabo], la Cour suprême du Canada a précisé le critère de l’évidence, et a établi la démarche à quatre volets à suivre pour l’appréciation de ce critère :

1.                  identifier la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse et déterminer ses connaissances générales à la date pertinente, laquelle correspond, dans le cas de brevets déposés à partir du 1er octobre 1996, à celle de la revendication (en l’espèce, le 3 août 1999);

2.                  définir l’idée originale des revendications en cause (au besoin, par voie d’interprétation);

3.                  recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de l’« état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend les revendications;

4.                  déterminer si, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité.

[76]           S’agissant de la quatrième question, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, a fourni aux paragraphes 69 à 71 une liste non exhaustive des facteurs permettant de déterminer si un essai « va de soi ». La voici :

1.                  Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2.                  Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3.                  L’art antérieur fournit‑il un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

4.                  Quelle « démarche a mené à l’invention »? Si d’importantes expériences ont été nécessaires, la conclusion selon laquelle n’« allait pas de soi » peut se justifier; inversement, la preuve que les expériences ont été rapides, faciles, directes et peu coûteuses peut motiver la conclusion contraire.

[77]           La jurisprudence reconnaît que, pour qu’une invention « aille de soi », la solution choisie doit être plus ou moins évidente : il ne suffit donc pas que l’art antérieur indique simplement que la découverte de l’invention est envisageable ou qu’il peut être profitable d’effectuer les expériences qui y ont mené (voir p. ex. Sanofi‑Synthelabo, précité, aux paragraphes 61 à 71; Pfizer Canada c Apotex, 2009 CAF 8, aux paragraphes 22 à 29, [2009] 4 RCF 223; Ratiopharm Inc. c Pfizer Ltd, 2010 CAF 204, aux paragraphes 15, 27 et 28, 87 CPR (4th) 185; Pfizer Canada c Pharmascience, 2013 CF 120, au paragraphe 187, 111 CPR (4th) 88). La jurisprudence reconnaît aussi que c’est une erreur que de chercher à déterminer rétrospectivement si une invention « allait de soi », car une invention peut très bien paraître évidente après le fait. Comme le mentionnait le juge Hugessen dans l’extrait souvent cité de l’arrêt Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, à la page 295, 64 NR 287 (CAF) :

Une fois qu’elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l’infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « J’aurais pu faire cela » : avant d’accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l’avez‑vous pas fait? »

B.                 Argument préliminaire de Lilly

[78]           Lilly a fait valoir durant les plaidoiries qu’Apotex ne pouvait soulever la question de l’évidence, car ses AA étaient insuffisants à cet égard, Apotex y ayant exposé une idée originale différente de celle décrite par M. Mumper dans son affidavit. Lilly a soutenu que la déposition de ce dernier sur le sujet était donc irrecevable et que l’allégation d’évidence avancée par Apotex devait être rejetée puisqu’elle n’avait pas été dûment soulevée.

[79]           Cet argument est infondé. Bien que je convienne avec Lilly que les AA d’Apotex et l’affidavit de M. Mumper présentent des différences dans la façon dont l’idée originale y est exposée, je ne pense pas qu’il faille pour autant radier la déposition de ce dernier, surtout que Lilly l’a contre‑interrogé et qu’elle ne s’est pas opposée à l’admissibilité de son témoignage, et qu’elle n’a en fait contesté la recevabilité de son affidavit qu’au moment des plaidoiries. Il est donc difficile pour Lilly de soutenir que les légères différences dans la description de l’idée originale contenue dans les AA et l’affidavit de M. Mumper lui ont porté préjudice. Par ailleurs, et de manière plus fondamentale, la définition de l’idée originale est une question d’interprétation et il n’est donc pas nécessaire de la soulever dans l’AA (voir AB Hassle c Apotex, 2001 CFPI 530, aux paragraphes 61 à 65, 12 CPR (4th) 289; TR Hughes et D Clarizio, Hughes and Woodley on Patents, feuilles mobiles (consulté le 20 août 2015), 2e éd. (Markham : LexisNexis Butterworths, 2005), vol. 1, §23, à 215.

[80]           Ainsi, il n’était pas nécessaire que l’affidavit de M. Mumper expose l’idée originale telle qu’elle était exposée dans l’AA d’Apotex, et rien ne justifie de radier la déposition de ce dernier. Apotex a donc mis en jeu la question de l’évidence dans la preuve qu’elle a présentée, de sorte qu’il incombe maintenant à Lilly d’établir que l’allégation d’évidence est injustifiée (Pfizer Canada c Canada (Santé), 2007 CAF 209, aux paragraphes 105 à 110, 60 CPR (4th) 81). Pour les motifs qui suivent, je conclus que Lilly ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

C.                 Analyse

(1)               La personne versée dans l’art

[81]           Comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt Sanofi‑Synthelabo nous enseigne que le premier volet de l’analyse concernant l’évidence consiste à définir l’ensemble des compétences que doit posséder la personne fictive versée dans l’art à qui s’adresse le brevet, car c’est de son point de vue que celui‑ci doit être interprété.

[82]           En l’espèce, il n’y a pas de différence notable entre les opinions des experts sur les attributs de la personne versée dans l’art à qui le brevet 948 s’adresse. Les experts conviennent qu’il s’agit d’un formulateur pharmaceutique qualifié, au fait des textes pharmaceutiques courants, et qui rechercherait les brevets pertinents dans le cours de ses travaux de formulation d’un médicament.

[83]           Plus particulièrement, M. Mumper estime que la personne versée dans l’art à qui le brevet 948 s’adressait possède à la fois les compétences d’un formulateur pharmaceutique versé dans la formulation de médicaments administrés par voie orale peu solubles dans l’eau, d’un pharmacologue versé dans l’absorption in vivo et la biodisponibilité de médicaments administrés par voie orale, et d’un clinicien versé dans l’utilisation d’inhibiteurs de la PDE V (incluant le tadalafil) dans le traitement de diverses affections, y compris la DE et l’HAP (affidavit Mumper, paragraphe 44).

[84]           Le Dr Goldstein, qui a exprimé un avis semblable, estime que le brevet 948 s’adresse principalement à un formulateur pharmaceutique, mais ajoute que la personne fictive versée dans l’art serait aussi un clinicien ayant de l’expérience dans le traitement de la DE et de l’HAP, ou d’autres affections liées à la PDE V (affidavit Goldstein, paragraphe 15).

[85]           Enfin, M. Bodmeier estime que la personne versée dans l’art à qui le brevet 948 s’adresse est un formulateur pharmaceutique ayant un diplôme universitaire en pharmacologie et quelques années d’expérience dans le domaine des formes posologiques en industrie pharmaceutique (affidavit Bodmeier, paragraphe 28).

[86]           Je conviens avec les experts que la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 948 est entre autres (et principalement, d’ailleurs) un formulateur pharmaceutique qualifié, puisque le brevet porte sur de nouvelles formulations du tadalafil. Le juge de Montigny est parvenu à une conclusion analogue dans la décision Mylan Tadalafil III (au paragraphe 76) en ce qui concerne les principaux attributs de la personne versée dans l’art à l’égard de ce brevet.

(2)               L’idée originale

[87]           Ayant identifié la personne à qui le brevet 948 s’adresse, je passe maintenant au deuxième volet de l’analyse de l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, qui consiste à définir l’idée originale des revendications en cause. Les parties divergent sur ce point.

[88]           D’une part, Lilly et M. Bodmeier sont d’avis que l’idée originale de ces revendications concerne [traduction« une formulation pharmaceutique particulière de tadalafil (…) dont les effets thérapeutiques se manifestent rapidement et qui assure une concentration suffisante de tadalafil au site d’action intracellulaire, permettant ainsi une durée d’action relativement prolongée » (affidavit de M. Bodmeier, paragraphe 233).

[89]           D’autre part, M. Mumper et Apotex affirment que l’idée originale des revendications pertinentes du brevet 948 ne concerne que des formulations renfermant du tadalafil sous forme de médicament libre et micronisée, un diluant hydrosoluble et un liant hydrophile (affidavit de M. Mumper, paragraphe 143). M. Mumper estime que les éléments originaux revendiqués dans les formulations se limitent à ces trois‑ci et excluent les autres excipients contenus dans les formulations parce que ces trois éléments influent sur les taux de dissolution, alors que les autres excipients n’exercent pas nécessairement une telle fonction (affidavit de M. Mumper, paragraphes 263 à 269).

[90]           M. Mumper rejette l’idée originale suggérée par M. Bodmeier, estimant que le brevet 948 concerne les formulations comme telles plutôt que leurs effets ou actions thérapeutiques. Il fait remarquer à cet égard que le brevet 948 ne mentionne qu’une seule fois le concept d’action précoce dans la section intitulée Description de l’invention, qu’il ne précise pas que les formulations seront en fait associées à une action thérapeutique précoce, et qu’il divulgue d’ailleurs que les inventeurs n’étaient pas certains qu’un taux de dissolution rapide se traduirait par un effet thérapeutique rapide (affidavit Mumper, paragraphes 272 et 273). M. Mumper observe aussi que le brevet 948 ne dit rien de la concentration de tadalafil administré au niveau intracellulaire, ni de sa durée d’action, et rejette pour cette autre raison l’idée originale suggérée par M. Bodmeier (affidavit Mumper, paragraphe 277).

[91]           Dans la décision Mylan Tadalafil III, le juge de Montigny a déterminé que l’idée originale des revendications pertinentes du brevet 948 était « l’amélioration de la dissolution et de la stabilité du tadalafil que l’on obtient en réduisant la taille de ses particules et en intégrant à sa formulation des excipients particuliers » (au paragraphe 138). L’idée originale énoncée par le juge de Montigny est donc un peu plus étroite que celle avancée par M. Bodmeier et un peu plus large que celle que suggère M. Mumper en l’espèce.

[92]           La définition de l’idée originale des revendications d’un brevet est une question d’interprétation et est donc une question de droit (voir Apotex Inc. c Allergan Inc., 2012 CAF 308, au paragraphe 50, 105 CPR (4th) 371). Comme je l’ai déclaré dans Eli Lilly c Apotex, 2015 CF 875, aux paragraphes 88 à 92, [2015] ACF no 870 (QL), la doctrine de la courtoisie judiciaire m’oblige à souscrire à une conclusion de droit déjà tirée par l’un de mes collègues, sauf si je conclus qu’il existe des raisons convaincantes de s’en écarter.

[93]           En l’espèce, j’estime que rien ne justifie de s’écarter de l’interprétation de l’idée originale des revendications pertinentes du brevet 948 adoptée par le juge de Montigny. Plus précisément, je conviens que l’idée originale est davantage qu’une simple formulation, comme le fait valoir M. Mumper, car il appert clairement du mémoire descriptif que l’invention s’attache essentiellement à l’amélioration de la dissolution et de la stabilité associées aux formulations énoncées dans les revendications. L’idée originale est donc plus large que ne le soutient M. Mumper. Cependant, je conviens avec ce dernier qu’elle ne va pas jusqu’à englober des notions d’effet thérapeutique précoce, de concentrations de tadalafil au site d’action intracellulaire ou de durée d’action prolongée, ces concepts n’étant pas examinés dans les revendications ou ailleurs dans le brevet.

[94]           Par conséquent, je conclus que l’idée originale des revendications en cause dans la présente demande concerne l’amélioration de la stabilité et de la dissolution du tadalafil obtenue par la diminution de la taille de ses particules et sa formulation avec des excipients spécifiques. J’estime en outre, pour les raisons invoquées par M. Mumper, que ces excipients sont plus particulièrement un diluant soluble dans l’eau et un liant hydrophile.

(3)               Il existe des différences entre ce qui fait partie de l’état de la technique et l’idée originale qui sous‑tendent les revendications

[95]           S’agissant des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art (à laquelle fait référence l’art antérieur) les parties conviennent qu’à la date de la revendication, soit le 2 août 1999, le tadalafil était un composé connu revendiqué dans le brevet 377 et visé par le brevet 784, lequel portait sur son utilisation dans le traitement de la DE. Elles admettent également que le brevet Butler, qui indiquait que le tadalafil était peu soluble dans l’eau, divulguait une formulation de cet agent sous forme de coprécipité (affidavit Bodmeier, paragraphe 187; affidavit Mumper, paragraphe 51, brevet Butler, page 2, lignes 8 à 18, DD, page 3712).

[96]           Il est également admis que la réduction de la taille des particules est un moyen couramment utilisé pour augmenter la solubilité de médicaments peu solubles dans l’eau (affidavit Bodmeier, paragraphe 237 et 238; affidavit Mumper, paragraphe 294). Il n’est pas non plus contesté qu’il était reconnu que l’ajout d’un diluant soluble dans l’eau et d’un liant hydrophile contribuait à la dissolution d’un comprimé oral (affidavit Mumper, paragraphe 305 à 307; non contesté par Bodmeier). De même, il est admis que les autres excipients mentionnés dans les revendications, à savoir les lubrifiants, les désintégrants et les agents mouillants étaient couramment utilisés dans la formulation de comprimés (affidavit Bodmeier, paragraphes 45 et 46; affidavit Mumper, paragraphes 296 et 297). Enfin, il n’est pas contesté que l’ensemble des excipients spécifiques mentionnés dans les revendications étaient connus et fréquemment utilisés dans la formulation de comprimés (affidavit Mumper, paragraphes 311, 314 et 325; non contesté par Bodmeier).

[97]           Ainsi, la seule différence entre l’art antérieur et les formulations revendiquées dans le brevet 948 tient à ce que les formulations particulières revendiquées n’avaient jamais été divulguées en association avec le tadalafil.

(4)               Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?

[98]           M. Mumper allègue aussi que les formulations visées par les revendications pertinentes sont évidentes pour deux raisons. D’abord, il estime que la micronisation du tadalafil sous sa forme libre afin de réduire la taille de ses particules était une étape allant de soi, puisque la réduction de la taille des particules est [traduction« l’une des premières, sinon la première, méthodes qu’un formulateur versé dans l’art mettrait en œuvre pour rehausser la faible hydrosolubilité d’un médicament » (affidavit de M. Mumper, paragraphe 294). Ensuite, il allègue que les diluants hydrosolubles, les liants hydrophiles et les autres excipients mentionnés dans le brevet 948 étaient couramment utilisés par les formulateurs pour accroître le taux global de dissolution et la biodisponibilité des médicaments faiblement hydrosolubles, et donc que leur utilisation allait aussi de soi (affidavit de M. Mumper, paragraphes 296, 297 et 310).

[99]           Pour étayer son opinion, M. Mumper présente plusieurs citations tirées de manuels couramment utilisés par les formulateurs et de brevets antérieurs. Il cite par exemple, au paragraphe 294 de son affidavit, le passage suivant d’Alsaidan et al., Drug Development and Industrial Pharmacy (1998) :

[traduction] La bonne absorption d’un médicament va de pair avec ses caractéristiques de solubilité. Dans le cas des médicaments relativement insolubles, le taux de dissolution est généralement l’étape cinétiquement déterminante du processus d’absorption global. La réduction de la taille des particules demeure la méthode acceptée pour accroître le taux de dissolution. [souligné par M. Mumper]

[100]       Citant Pharmaceutics : The Science of Dosage Form Design au paragraphe 298 de son affidavit, M. Mumper note en outre que :

[traduction]

Le taux global de dissolution et la biodisponibilité d’une substance médicamenteuse faiblement hydrosoluble présentée dans un comprimé non enrobé classique dépendent de nombreux facteurs en lien avec la formulation et la fabrication de ce type de forme pharmaceutique [citation omise]. Ces facteurs sont les suivants :

2          la nature et la quantité de diluant, de liant, de délitant, de lubrifiant et de tout agent mouillant,

3          les interactions entre la substance médicamenteuse et les excipients (p. ex. la complexation), la taille des granules et leur méthode de fabrication, [souligné par M. Mumper]

[101]       Il poursuit en citant d’autres textes pharmaceutiques courants allant dans le même sens.

[102]       M. Mumper décrit ensuite les formulations figurant dans le brevet américain no 5 811 120 [le brevet américain 120], qui contrent le problème de la faible hydrosolubilité d’une classe de composés apparentés au raloxifène, déclarant au paragraphe 311 de son affidavit que :

[traduction] [l]es formulations décrites dans le brevet américain 120 contrent le problème de la faible hydrosolubilité et de la piètre biodisponibilité des ingrédients actifs entre autres par l’ajout d’un diluant hydrosoluble (p. ex. le lactose), d’un liant hydrophile (p. ex. la polyvinylpyrrolidone, l’hydroxypropylcellulose ou l’hydroxypropylméthylcellulose) et d’un agent mouillant (un agent de surface, p. ex. du polysorbate 80).

[103]       Il renvoie également à la demande de brevet international PCT (no WO 98/232) qui illustre aussi l’accroissement de l’hydrosolubilité et de la biodisponibilité d’un médicament faiblement soluble par l’ajout d’un diluant hydrosoluble, d’un liant hydrophile et d’un agent mouillant (affidavit de M. Mumper, paragraphes 319 à 324).

[104]       De plus, M. Mumper estime que le fait que le [expurgé] montre que les formulations revendiquées dans le brevet 948 sont évidentes (affidavit Mumper, aux paragraphes 343 à 355).

[105]       M. Bodmeier fait valoir, d’autre part, que l’élaboration des formulations revendiquées dans le brevet 948 témoigne d’un esprit inventif parce qu’en somme le brevet présente de nouvelles formulations du tadalafil qui n’avaient jamais été divulguées auparavant. Il affirme que chaque médicament est unique de sorte qu’il n’est pas possible de prédire ce que contiendra la formulation effective finale, notant qu’il [traduction« n’existe aucune garantie [remplacé par attente] que l’une des options aboutira à une formulation utilisable » (affidavit Bodmeier, au paragraphe 249).

[106]       Dans la décision Mylan Tadalafil III, le juge de Montigny a rejeté le témoignage de M. Bodmeier et a plutôt retenu une déposition semblable à celle que M. Mumper a faite en l’espèce. Plus particulièrement, il a conclu que l’amélioration de la dissolution et de la stabilité du tadalafil obtenue par la diminution de la taille de ses particules et par sa formulation avec des excipients spécifiques était évidente, compte tenu des connaissances générales courantes du formulateur versé dans l’art en 1999 en ce qui concerne les deux excipients sélectionnés et la réduction de la taille des particules du tadalafil (Mylan Tadalafil III, aux paragraphes 156 et 159).

[107]       S’agissant des excipients revendiqués dans le brevet 948, le juge de Montigny a conclu que leur utilisation n’avait rien d’inventif puisqu’il s’agissait d’excipients courants qui seraient parmi les premiers à être essayés en vue d’obtenir une formulation stable et à dissolution plus rapide d’un médicament peu soluble dans l’eau comme le tadalafil. Il a également conclu que les quantités des excipients choisis étaient comprises dans les proportions normales indiquées dans les ouvrages généralement consultés par les formulateurs. Il a donc conclu qu’il aurait été évident pour le formulateur versé dans l’art en 1999 de formuler un comprimé de tadalafil avec les excipients revendiqués dans le brevet 948 (Mylan Tadalafil III, aux paragraphes 147 à 150).

[108]       Pour ce qui est de la taille des particules et de l’utilisation du tadalafil sous sa forme de médicament libre, le juge de Montigny s’est demandé s’il s’agissait d’éléments évidents étant donné que le brevet Butler recommandait une formulation à base de coprécipité. Le juge de Montigny a analysé les avis d’experts et l’art antérieur ainsi que la démarche ayant mené à l’invention, notamment les travaux menés par Glaxo ayant abouti au brevet Butler. En définitive, il a conclu que les problèmes liés à la formulation à base de coprécipité divulguée dans le brevet Butler rendaient évidente l’utilisation du tadalafil sous forme de médicament libre à granulométrie réduite, puisque sa piètre solubilité dans l’eau était connue et que la réduction de la taille des particules était une technique couramment utilisée pour améliorer la dissolution de médicaments peu solubles dans l’eau (Mylan Tadalafil III, aux paragraphes 156 à 159).

[109]       En formulant cette conclusion, le juge de Montigny a rejeté un argument semblable à celui qu’a avancé Lilly, à savoir que la série d’expériences entreprise par Glaxo avant que les droits du tadalafil soient transférés à Lilly démontre que les formulations revendiquées dans le brevet 948 n’étaient pas évidentes, car Glaxo a essayé plusieurs autres solutions possibles pour formuler le tadalafil. Le juge de Montigny a rejeté cet argument pour deux raisons : d’abord parce que Mme Kral n’avait pas une connaissance directe des travaux réalisés par Glaxo, et parce que les renseignements au sujet de ces travaux préliminaires et des motivations derrière les choix faits par Glaxo n’étaient pas suffisants pour que la Cour puisse tirer quelque conclusion que ce soit des travaux effectués aux Laboratoires Glaxo; ensuite, parce qu’il a constaté qu’une personne versée dans l’art partirait avec une longueur d’avance sur les premiers formulateurs de Glaxo, car le point culminant des travaux menés par Glaxo a été publié dans le brevet Butler. Voici ses remarques sur les points suivants :

[157]    À l’audience et dans son mémoire des faits et du droit, Lilly a passé un temps considérable à décrire les premiers travaux de formulation relatifs au tadalafil qui avaient été faits chez Glaxo, soutenant que ces travaux avaient duré plus de six ans. Je ne trouve pas que cette preuve sur les mesures concrètes qui ont été prises est très convaincante, et ce, pour quelques raisons. Premièrement, Mme Kral n’a commencé à étudier le tadalafil qu’au moment où le projet a été transféré à Lilly, en 1998. Elle n’a pas participé aux recherches menées chez Glaxo, et, sans un déposant ayant pris part aux travaux faits chez Glaxo, la Cour ne peut pas évaluer le bien fondé des mesures prises par Glaxo. Par exemple, il semble, d’après un premier rapport d’étude de Glaxo, que la biodisponibilité par voie orale du tadalafil [expurgé] a été mise à l’essai dans [expurgé] et que l’on a observé un degré élevé de biodisponibilité [citations omises]. Glaxo a néanmoins renoncé à poursuivre à cause, semble‑t‑il, des effets défavorables associés au [expurgé], l’excipient utilisé dans le cadre de cet essai. Pourtant, nous n’avons aucune explication de la raison pour laquelle Glaxo n’a pas mis à l’essai le tadalafil [expurgé] avec un autre excipient qui aurait aidé de la même façon [expurgé], par exemple, un [expurgé] courant utilisé dans le cadre du brevet 948. Il n’y a pas d’autre moyen de savoir si Glaxo aurait dû étudier [expurgé] davantage, comme l’a laissé entendre M. Brittain [l’expert de Mylan, citations omises], ou s’il y avait une bonne raison de ne pas le faire. Nous n’avons également aucune preuve de ce qui s’est passé dans le cas des formulations orales divulguées dans les brevets 377 et 784. Quant au fait que la même étude a révélé qu’un tadalafil [expurgé] comportant des tailles de particules de [expurgé] microns n’améliorait la biodisponibilité que d’environ [expurgé], cette étude montrait qu’un simple [expurgé] ne fonctionnait pas, mais elle n’a pas enseigné qu’il fallait éviter d’utiliser [expurgé] comme l’un des outils permettant d’améliorer la biodisponibilité.

[158]    Je conviens également avec Mylan que, pour les besoins de l’examen relatif à l’évidence, la personne versée dans l’art ne se serait pas trouvée dans une position semblable à celle des formulateurs de Glaxo. Le point culminant des travaux de Glaxo – la formulation de tadalafil à base de coprécipité – a été divulgué dans le brevet Butler, et la personne versée dans l’art aurait également profité des brevets 377 et 784. Partant de ce point, la première mesure qu’aurait prise la personne versée dans l’art aurait été de caractériser physiquement le tadalafil et la formulation à base de coprécipité de Glaxo, ce que Lilly a fait et ce qui, comme l’a reconnu Mme Kral, est habituellement fait afin d’aider les formulateurs [citations omises]. Cette étude aurait révélé, comme elle l’a fait pour Lilly, que la taille des particules du tadalafil a été réduite dans le cadre du procédé de fabrication du coprécipité et que la biodisponibilité accrue était le résultat d’une combinaison de la taille réduite des particules et du tadalafil dispersé. L’étude a conclu, sur ce fondement, comme l’aurait fait la personne versée dans l’art, qu’une « formulation qui utilise un [expurgé] et le maintien[t] dans un [expurgé] sera vraisemblablement supérieure à l’actuelle formulation [à base de coprécipité] » [citations omises].

[110]       Lilly avance que le juge de Montigny s’est trompé dans son appréciation des travaux menés par Glaxo, et qu’il a appliqué le mauvais critère pour déterminer si l’idée originale du brevet 948 était évidente. À cet égard, Lilly soutient que le juge de Montigny s’est demandé s’il existait des chances raisonnables de succès relativement à la formulation qu’elle a choisie, au lieu de chercher à savoir s’il allait plus ou moins de soi que la formulation sélectionnée réussisse. Lilly fait donc valoir que je ne devrais pas suivre la décision du juge de Montigny, mais plutôt conclure que l’invention revendiquée dans le brevet 948 n’est pas évidente. Elle affirme que Mme Kral et son équipe ont fait preuve d’un esprit inventif dans l’élaboration des formulations revendiquées dans le brevet 948 étant donné qu’il n’allait pas de soi qu’elles seraient stables et que leur dissolution serait plus rapide.

[111]       Je n’accepte aucun des arguments avancés par Lilly. En ce qui concerne les travaux menés par Glaxo, Lilly n’a produit aucun élément de preuve visant à étayer les choix de Glaxo et j’estime, à l’instar du juge de Montigny, que les rapports de Glaxo qui sont joints à l’affidavit de Mme Kral n’expliquent pas pourquoi Glaxo n’a pas emprunté la voie plus évidente qui consistait à diminuer la taille des particules et à utiliser les excipients d’usage courant que Lilly a fini par sélectionner. Ceci est d’autant plus vrai que, comme le note M. Mumper, le coprécipité divulgué dans le brevet Butler est un polymère de type entérique connu pour prévenir la libération du médicament dans l’estomac, et donc appelé à réduire les taux de dissolution et la biodisponibilité (affidavit Mumper, aux paragraphes 286 à 289).

[112]       Quant à l’allégation selon laquelle le juge de Montigny a appliqué le mauvais critère dans son examen de l’évidence, elle est inconséquente puisque, compte tenu de la preuve, j’estime qu’il allait plus ou moins de soi que l’amélioration de la dissolution et de la stabilité du tadalafil découlerait d’une diminution de la taille des particules et de sa formulation avec des excipients spécifiques, notamment un diluant soluble dans l’eau et un liant hydrophile, puisque ces étapes étaient bien connues des formulateurs versés dans l’art en août 1999 comme les premières à suivre pour formuler un comprimé stable et augmenter la dissolution d’un médicament peu soluble dans l’eau. En résumé, j’accepte le témoignage de M. Mumper sur ces points à la fois parce qu’il était plus crédible que celui de M. Bodmeier, pour les motifs que j’ai déjà exposés, et parce que contrairement à ce dernier, M. Mumper a étayé ses opinions par de nombreuses références à l’art antérieur.

[113]       De plus, j’estime que la démarche suivie par Lilly atteste la nature évidente de l’invention revendiquée dans le brevet 948, étant donné que la première formulation retenue s’est avérée efficace (avec de légères modifications). D’ailleurs, une des études cliniques de Lilly jointe en pièce J à l’affidavit de Mme Kral indique que Lilly a élaboré la formulation du comprimé de tadalafil, pour laquelle elle cherche à obtenir la protection du brevet 948, [traduction« […] sur la base d’expériences antérieures de fabrication d’autres produits commerciaux de Lilly (olanzapine et raloxifène) » (DD, page 6553). Comme l’indique M. Mumper aux paragraphes 349 et 351 de son affidavit, ces médicaments, comme le tadalafil, sont peu solubles dans l’eau, et Lilly avait déjà réussi à les formuler semblablement en réduisant leur granulométrie et en utilisant des excipients analogues ou identiques à ceux revendiqués dans le brevet 948.

[114]       Par conséquent, je conclus que l’utilisation de tadalafil sous sa forme de médicament libre, la réduction de la taille de ses particules et sa formulation avec les excipients revendiqués dans le brevet 948 allaient de soi pour obtenir une formulation stable et à dissolution rapide du tadalafil. Je conclus donc que l’allégation d’évidence avancée par Apotex est justifiée.

VI.             Le brevet 948 est‑il invalide pour absence d’utilité?

[115]       J’examinerai finalement l’allégation d’inutilité avancée par Apotex.

A.                Principes applicables

[116]       Les inventions brevetables doivent être utiles, l’article 2 de la Loi sur les brevets définissant l’« invention » (susceptible d’être brevetée) comme « [t]oute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité ».

[117]       La notion de « promesse du brevet », qui est au cœur de l’évaluation de l’utilité d’une invention revendiquée, établit le critère à l’aune duquel l’utilité est mesurée. À cet égard, il n’est pas nécessaire que le brevet énonce la promesse de son utilité, et lorsqu’il ne promet aucun résultat particulier, la jurisprudence reconnaît qu’une « simple étincelle » d’utilité dans l’invention justifiera l’octroi d’un brevet. Si le brevet promet un résultat, l’utilité est mesurée au regard de cette promesse (Sanofi‑Aventis c Apotex Inc., 2013 CAF 186, aux paragraphes 48 et 49, 114 CPR (4th) 1 [Sanofi‑Aventis Plavix]).

[118]       Déterminer si un brevet formule une promesse et, le cas échéant, le contenu de cette promesse, est une question d’interprétation et constitue, à ce titre, à une question de droit qui doit être tranchée au début de l’analyse relative à l’utilité (Apotex c Bristol‑Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, au paragraphe 27, 162 ACWS (3d) 911; Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, aux paragraphes 80 et 93, 85 CPR (4th) 413 [Olanzapine].

[119]       La promesse du brevet peut être formulée expressément dans le brevet ou, plus couramment, se dégager d’une interprétation des revendications faite à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif. La promesse doit être interprétée du point de vue de la personne versée dans l’art et appréhendée dans le contexte de l’état de la science et des informations disponibles à la date de dépôt du brevet (Olanzapine, aux paragraphes 80 et 93). De plus, comme l’a récemment indiqué la juge Dawson dans l’arrêt Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CAF 158 (CanLII), [2015] ACF no 802 (QL) [Esomeprazole CAF], [traduction« certaines promesses peuvent être interprétées comme imposant des exigences en matière d’utilité à chacune des revendications du brevet, tandis que d’autres promesses peuvent viser uniquement un sous‑ensemble de revendications. Dans chaque affaire, il s’agit d’interpréter correctement les revendications pertinentes » (au paragraphe 5).

[120]       La jurisprudence nous enseigne que la Cour ne doit pas s’empresser de conclure que chaque déclaration contenue dans le brevet est une promesse (Sanofi‑Aventis Plavix, aux paragraphes 123 à 131). Comme l’a indiqué la Cour dans le jugement Astrazeneca Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, au paragraphe 139, 96 CPR (4th) 159, cité avec approbation dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Plavix, au paragraphe 67, toutes les déclarations faisant état d’un avantage dans le brevet ne s’élèvent pas au rang de promesses, et les objectifs que le breveté indique vouloir atteindre ne constituent pas nécessairement des promesses.

[121]       Lorsque le brevet est contesté pour cause d’inutilité, le breveté doit établir que l’utilité est démontrée ou qu’elle est valablement prédite à la date de dépôt au Canada. La preuve de l’utilité démontrée qui peut être produite, et qui l’est souvent, va au‑delà des divulgations contenues dans le brevet (voir p. ex. Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2011 CAF 236, au paragraphe 30, 95 CPR (4th) 193 [Latanoprost]; Olanzapine, au paragraphe 92). Cependant, cette preuve doit renvoyer à l’état de la technique à la date de la demande du brevet; les éléments de preuve postérieurs à la date du dépôt sont irrecevables (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 219, au paragraphe 131, 449 NR 111 [Eurocopter]).

[122]       D’un autre côté, lorsque le brevet repose sur une prédiction valable, la preuve doit établir que la prédiction en question avait un fondement factuel. De plus, pour qu’un brevet soit maintenu en raison d’une prédiction valable, l’inventeur doit avoir eu « un raisonnement clair et valable » à l’appui de la revendication à la date du dépôt, et le mémoire descriptif doit divulguer adéquatement le fondement de la prédiction et le raisonnement qui l’étaye (Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, au paragraphe 70, [2002] 4 RCS 153; Eurocopter, au paragraphe 134).

B.                 Thèses des parties

[123]       En l’espèce, Lilly invoque seulement l’utilité démontrée, et non la prédiction valable, à l’appui de la validité du brevet 948, puisque celui‑ci ne divulgue aucun essai ni étude. Elle ne remplit donc pas l’exigence de divulgation d’un raisonnement clair et valable permettant d’étayer un argument de prédiction valable.

[124]       S’agissant de l’utilité démontrée, Lilly affirme que le brevet 948 promet une réponse pharmacologique rapide grâce aux nouvelles formulations du tadalafil, et que cette promesse vise toutes les revendications en cause de la manière suivante :

a) les revendications 1 à 4, 7 et 8, 11 à 15, 17 et 18 ainsi que 23 à 25 promettent de nouvelles formulations efficaces du tadalafil qui assurent une réponse pharmacologique rapide;

b) les revendications 19 à 21 et 26 à 29 promettent des comprimés fabriqués à partir des nouvelles formulations efficaces du tadalafil qui assurent une réponse pharmacologique rapide;

c) la revendication 30 promet l’utilisation des formulations du tadalafil dans le traitement de la dysfonction sexuelle avec début d’action rapide;

d) la revendication 31 promet l’utilisation de comprimés fabriqués à partir des formulations aux fins du traitement de la dysfonction sexuelle avec début d’action rapide;

e) la revendication 33 promet l’utilisation de comprimés fabriqués à partir des formulations pour traiter la DE chez l’homme avec début d’action rapide (mémoire des faits et du droit d’Eli Lilly, au paragraphe 94).

[125]       Lilly soutient que les études jointes à l’affidavit de Mme Kral démontrent cette utilité promise relativement à toutes les revendications pertinentes. Plus particulièrement, Lilly affirme que les études jointes en pièces L [expurgé], M [expurgé] et O [expurgé] à l’affidavit de Mme Kral établissent que les comprimés préparés selon certaines des formulations revendiquées dans le brevet se dissolvent plus rapidement que la formulation à base de coprécipité revendiquée dans le brevet Butler, et que les formulations revendiquées mises à l’essai ont permis d’atteindre une concentration maximale dans le sang (Tmax) plus rapidement que la formulation à base de coprécipité. D’après Lilly, cela démontre la réponse pharmacologique rapide promise, comme M. Bodmeier l’a indiqué dans son affidavit (affidavit Bodmeier, aux paragraphes 271 à 274).

[126]       Lilly s’appuie également sur l’affidavit du Dr Goldstein, précisant qu’il est le seul clinicien à avoir témoigné, et soutient que cet affidavit établit une corrélation entre l’obtention plus rapide du Tmax dans l’étude jointe en pièce L à l’affidavit de Mme Kral et le déclenchement plus rapide de l’érection observé dans l’étude jointe à son affidavit en pièce N [expurgé].

[127]       Apotex soutient pour sa part que les formulations visées par les revendications pertinentes promettent les avantages suivants par rapport à l’art antérieur (notamment les formulations énoncées au brevet Butler) :

                     dissolution plus rapide;

                     stabilité améliorée;

                     uniformité posologique améliorée;

                     simplification de la commercialisation et de la manutention.

De plus, Apotex allègue que le brevet 948 promet que les différentes formulations relevant de la revendication 1 s’avéreront utiles dans le traitement de la dysfonction sexuelle, y compris la DE et le trouble de l’excitation chez la femme. Apotex fait donc valoir que le brevet 948 formule des promesses beaucoup plus détaillées que ne le prétend Lilly.

[128]       Apotex affirme en outre que Lilly n’a pas établi l’utilité démontrée comme elle était tenue de le faire et avance quatre principaux arguments à cet égard.

[129]       Premièrement, elle invoque les arrêts Latanoprost, au paragraphe 30, et Pharmascience Inc. c Canada (Santé), 2014 CAF 133, aux paragraphes 39 et 40, [2014] ACF no 573, et soutient que Lilly ne peut s’appuyer sur des études cliniques non divulguées pour établir l’utilité démontrée et que pour établir celle‑ci, le breveté doit mentionner dans le brevet certains éléments de preuve à cet effet.

[130]       Deuxièmement, Apotex fait valoir que, suivant les promesses du brevet 948, telles qu’elle‑même ou Lilly les a formulées, cette dernière ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombe puisque les études en question ne se rapportent qu’au comprimé destiné au marché et non aux nombreuses autres formulations revendiquées dans le brevet 948 et ce, même si les études jointes aux affidavits de Mme Kral et de M. Pullman pouvaient être invoquées pour établir l’utilité. Elle signale à cet égard que la revendication la plus étroite du brevet, soit la revendication 16, englobe un très grand nombre de formulations, et elle soutient que les essais se rapportant à une seule d’entre elles ne peuvent établir l’utilité.

[131]       Troisièmement, Apotex soutient que l’efficacité n’a été évaluée qu’à l’égard de la DE et que les revendications plus larges concernant l’efficacité du traitement du trouble de l’excitation chez la femme n’ont pas été démontrées.

[132]       Enfin, même pour ce qui est du comprimé destiné au marché et des promesses du brevet formulées par Lilly, Apotex allègue que les études invoquées ne démontrent pas véritablement l’utilité puisque toutes les formes posologiques n’ont pas été testées et qu’il faut donc s’appuyer sur la prédiction valable pour prouver l’utilité, ce que Lilly ne peut pas faire puisqu’aucune des données qu’elle invoque n’est mentionnée dans le brevet.

C.                 Analyse

(1)               La portée de la promesse formulée

[133]       S’agissant premièrement de savoir ce que le brevet 948 promet, mentionnons qu’il ne contient aucune promesse explicite et ne fait état des avantages des formulations revendiquées que dans la divulgation, pour ensuite les décrire très brièvement.

[134]       Plus particulièrement, dans la section du brevet intitulée « Domaine de l’invention », il est indiqué que les composés de ß‑carboline [traduction« sont formulés de manière à présenter une puissance constante et des caractéristiques souhaitables en matière de stabilité et de biodisponibilité » (page 1, lignes 17 à 19 du brevet 948). Plus loin, dans la section intitulée « Description de l’invention », les problèmes liés à la formulation à base de coprécipité revendiquée dans le brevet Butler sont rapportés (c.‑à‑d. difficultés de reproductibilité et le fait que le Tmax ne puisse être atteint que trois à quatre heures après l’ingestion, page 2, lignes 19 à 29 du brevet 948).

[135]       Dans la partie intitulée « Sommaire de l’invention », il est indiqué que l’uniformité posologique, la stabilité et la biodisponibilité sont améliorées en formulant le tadalafil avec des excipients particuliers revendiqués dans le brevet et en réduisant la taille de ses particules dans les formulations revendiquées (page 7, lignes 20 à 30; page 8, lignes 10 à 20 du brevet 948). Aux pages 12 et 13 de cette section du brevet (aux lignes 32 à 35 et à la ligne 1 de la page 8), les demanderesses déclarent que [traduction« en plus de l’amélioration de la dissolution et de l’absorption in vivo, la stabilité est une autre propriété physique importante. La présente invention permet d’obtenir des formulations plus stables que les formulations antérieures ».

[136]       Ces quelques déclarations ne suffisent pas vraiment pour fonder une promesse, mais les parties reconnaissent néanmoins que le présent brevet en contient une. Dans la mesure où le brevet 948 contient une promesse, celle‑ci englobe toutes les revendications et renvoie aux caractéristiques améliorées des formulations revendiquées. Je conviens avec les parties que les notions d’[traduction] « amélioration » ou de [traduction] « hausse »invitent à la comparaison. Dans le contexte du présent brevet, cette comparaison doit se faire avec les formulations à base de coprécipité revendiquées dans le brevet Butler, le brevet 948 énonçant clairement qu’il entend apporter une solution aux problèmes posés par les formulations Butler.

[137]       Pour ce qui est de l’amélioration promise par rapport au coprécipité Butler, il est évident que tous les comprimés vendus au Canada doivent présenter des caractéristiques de stabilité physique et de reproductibilité. Je conviens donc avec Lilly que ces éléments de la formulation ne constituent pas des promesses du brevet 948. Je crois plutôt que la promesse contenue dans les revendications pertinentes du brevet, dans la mesure où il y en a une, est restreinte – à savoir que les formulations revendiquées se dissoudront plus rapidement et qu’elles permettront donc d’améliorer la biodisponibilité par rapport à la formulation à base de coprécipité revendiquée dans le brevet Butler.

(2)               Cette promesse est‑elle démontrée?

[138]       Comme nous l’avons mentionné, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si un brevet doit citer les études ou les données qui démontrent l’utilité. À mon avis, il n’est pas nécessaire que de telles données soient mentionnées dans un brevet, et Lilly peut donc invoquer les études jointes aux affidavits de Mme Kral et de M. Pullman pour étayer sa démonstration de l’utilité du brevet 948.

[139]       À cet égard, suivant la règle habituelle, il est fort possible que le fondement factuel de la prédiction valable doive être divulgué, mais la démonstration de l’utilité n’obéit pas à une telle exigence de divulgation, qui peut être remplie si le breveté peut démontrer l’utilité dans le cadre d’une contestation. Cette démonstration exige généralement une preuve allant au‑delà de ce qui figure dans le brevet (voir Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents, feuilles mobiles (consulté le 17 août 2015), 5e éd. (Toronto : Carswell, 2013), paragraphe 6 :13(a); Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, aux pages 517 à 527, 56 CPR (2d) 145 ; Novopharm Limited c Pfizer Canada Inc., 2010 CAF 242, aux paragraphes 80 à 82, 88 CPR (4th) 405 [Sildenafil CAF], infirmée pour d’autres motifs par 2012 CSC 60; Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, aux paragraphes 39 et 40, [2012] 3 RCS 625 [Sildenafil CSC]; arrêt Olanzapine, au paragraphe 74; arrêt Sanofi‑Aventis Plavix, aux paragraphes 38 à 40).

[140]       Cependant, Apotex s’appuie sur une déclaration de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Sildenafil CAF, précité, et Latanoprost, où la Cour faisait remarquer de manière incidente qu’« [i]l n’existe aucune exigence à satisfaire en matière de démonstration de l’utilité dans l’exposé de l’invention; dès lors que cet exposé cite une étude démontrant que le brevet réalise ce qu’il garantit comme résultat, cette exigence est satisfaite » (Latanoprost, au paragraphe 30, citant Sildenafil CAF, au paragraphe 90). Apotex invoque également la récente décision Laboratoires Servier et Servier Canada c Canada (Santé), 2015 CF 108, [2015] ACF no 173 (QL), dans laquelle le juge Roy a exclu la preuve de l’utilité démontrée parce qu’elle ne figurait pas dans la divulgation du brevet. S’appuyant sur l’arrêt Latanoprost, le juge Roy a déclaré que la divulgation du brevet [traduction« doit » faire référence aux études qui démontrent l’utilité (au paragraphe 211), et a donc refusé d’admettre la preuve qui n’était pas citée dans le brevet.

[141]       J’estime avec égards que la décision du juge Roy sur ce point est erronée et qu’elle ne devrait pas être suivie parce qu’elle sort de leur contexte les remarques incidentes formulées dans les arrêts Sildenafil CAF et Latanoprost, et qu’elle passe sous silence les nombreuses autres affaires où une conclusion contraire a été tirée. En plus des décisions citées au paragraphe 139 des présents motifs, mentionnons que dans, GlaxoSmithKline Inc. c Pharmascience Inc., 2011 CF 239, au paragraphe 96, 91 CPR (4th) 189 [Rosigilitazone], le juge Hugues a conclu qu’« [i]l n’est pas nécessaire que le brevet démontre l’utilité dans l’exposé dès lors que la Cour estime que cette preuve a été faite en cas de contestation judiciaire ». Dans le même ordre d’idées, le juge Rennie a récemment déclaré dans AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2014 CF 638, 244 ACWS (3d) 180 [Esomeprazole CF], conf. par Esomeprazole CAF, qu’« il n’est pas contesté qu’une divulgation n’est pas nécessaire pour la démonstration de l’utilité » (au paragraphe 130).

[142]       Ainsi, la jurisprudence prépondérante reconnaît qu’il n’est pas nécessaire que la preuve démontrant l’utilité soit mentionnée dans le brevet pour que le breveté puisse l’invoquer. Lilly peut donc s’appuyer sur les pièces jointes aux affidavits de Mme Kral et de M. Pullman pour étayer sa démonstration de l’utilité du brevet 948 en l’espèce.

[143]       Quant à ce que ces pièces établissent, je conviens avec Lilly que les pièces L et M jointes à l’affidavit de Mme Kral établissent que le comprimé destiné au marché se dissout plus rapidement et atteint le Tmax plus rapidement que la formulation de Butler. Je reconnais également que la pièce N jointe à l’affidavit de Mme Kral établit que les particules de [expurgé] micromètres du tadalafil se dissolvent plus rapidement que les particules de taille supérieure de [expurgé] micromètres, qui ont également été évaluées dans le cadre de cette étude. Enfin, je souscris à l’opinion du Dr Goldstein que l’atteinte plus rapide du Tmax chez les sujets ayant ingéré le comprimé destiné au marché dans le cadre de l’étude décrite dans la pièce L jointe à l’affidavit de Mme Kral est un résultat comparable au déclenchement plus rapide de l’érection chez les sujets ayant ingéré le comprimé destiné au marché dans le cadre de l’étude décrite dans la pièce N jointe à son affidavit, puisque les doses ayant mené au Tmax plus rapide ont également entraîné des érections plus rapides.

[144]       Même s’il est vrai, comme le fait valoir Apotex, que Lilly n’a pas mis à l’essai toutes les formulations revendiquées dans le brevet 948, j’estime qu’il n’était pas nécessaire qu’elle le fasse pour établir l’utilité, comme l’a récemment affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eurocopter, au paragraphe 137. En l’espèce, les essais effectués suffisaient pour établir l’utilité revendiquée de la promesse allant plutôt de soi selon laquelle les formulations sans enrobage entérique entraîneraient une dissolution plus rapide et une meilleure biodisponibilité que les formulations du brevet Butler, qui contenaient un enrobage entérique.

[145]       Je conclus donc que les allégations d’inutilité formulées par Apotex ne sont pas justifiées.

VII.          Confidentialité et dépens

[146]       J’ai indiqué à l’audience que je maintiendrais l’ordonnance de confidentialité que la protonotaire Tabib a rendue le 5 février 2014 et que j’accorderais aux parties la possibilité de présenter des observations sur les parties du jugement et des motifs qu’il convient d’expurger. C’est ce qu’elles ont fait et j’ai produit la version publique des présents motifs après avoir reçu leurs observations.

[147]       Un grand nombre des expurgations contenues aux pages 23 à 27 de la version publique du jugement et des motifs pourraient ne plus être nécessaires si le ministre délivre un AC à Apotex et que le ou les produits de cette dernière sont mis en marché, puisque leur contenu serait vraisemblablement divulgué dans la ou les monographies qu’Apotex serait tenue de rendre publiques. Par conséquent, Apotex devra aviser la Cour dans les 48 heures de la délivrance d’un AC relatif à ses versions génériques de CIALIS ou d’ADCIRCA de manière à faciliter la suppression des expurgations dès lors superflues de la version publique des présents motifs.

[148]       Les parties ont convenu que les dépens suivront l’issue de la cause, mais ont demandé un délai additionnel pour présenter des observations concernant leur montant, que j’ai accepté de leur accorder. Par conséquent, si les parties ne peuvent pas s’entendre sur les dépens, Apotex devra déposer ses observations en la matière, qui ne devront pas dépasser quinze pages, dans les quinze jours de la publication de la version confidentielle du jugement et des motifs. Lilly disposera de quinze jours suivant la réception des observations d’Apotex pour déposer ses observations en réponse concernant les dépens, qui ne devront pas non plus dépasser quinze pages. Par la suite, dans les cinq jours de la réception des observations que Lilly aura déposées en réponse, Apotex pourra, si elle le souhaite, déposer des observations en réplique qui ne devront pas dépasser cinq pages.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                   La demande est rejetée;

2.                   L’ordonnance de confidentialité que la protonotaire Tabib a rendue le 5 février 2014 est maintenue. Si le ministre de la Santé délivre un AC à Apotex relativement aux produits visés par la présente demande, Apotex devra aviser la Cour dans les 48 heures de la délivrance de l’AC de manière à faciliter la modification de la version publique du jugement et des motifs et la suppression des expurgations se rapportant au contenu du ou des produits d’Apotex à l’égard desquels un AC a été délivré;

3.                  Les dépens suivront l’issue de la cause. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens payables par Lilly à Apotex, celle‑ci devra déposer ses observations en la matière, qui ne devront pas dépasser quinze pages, dans les quinze jours de la publication de la version confidentielle du jugement et des motifs. Lilly disposera de quinze jours suivant la réception des observations d’Apotex pour déposer ses observations en réponse concernant les dépens, qui ne devront pas non plus dépasser quinze pages. Par la suite, dans les cinq jours de la réception des observations que Lilly aura déposées en réponse, Apotex pourra, si elle le souhaite, déposer des observations en réplique qui ne devront pas dépasser cinq pages;

4.                  Aucuns dépens ne seront adjugés au ministre ou contre lui.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

[traduction]

1. Une formulation pharmaceutique comprenant un composé de formule structurale

dans laquelle ledit composé est sous forme de particules de médicament libre et 90 % des particules ont une taille inférieure à environ 40 micromètres; environ 50 % à environ 85 % en poids de diluant hydrosoluble; un lubrifiant; environ 1 % à environ 5 % en poids d’un liant hydrophile choisi parmi un groupe comprenant un dérivé de cellulose, la povidone, et un mélange de ceux‑ci; et un délitant choisi parmi un groupe comprenant la croscarmellose sodique, la crospovidone et un mélange de celles‑ci.

2. La formulation visée par la revendication 1, comprenant en outre de la cellulose microcristalline.

3. La formulation visée par la revendication 1, comprenant en outre un agent mouillant.

4. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le composé actif est présent en une quantité d’environ 0,5 % à environ 10 % en poids de la formulation.

7. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le lubrifiant est présent en une quantité d’environ 0,25 % à environ 2 % en poids de la formulation.

8. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le lubrifiant est choisi parmi un groupe comprenant le talc, le stéarate de magnésium, le stéarate de calcium, l’acide stéarique, le dioxyde de silicone colloïdal, le silicate de calcium, un amidon, l’huile minérale, une cire, le béhénate de glycéryle, le polyéthylène glycol, le benzoate de sodium, l’acétate de sodium, le stéarylfumarate de sodium, des huiles végétales hydrogénées et des mélanges de ceux‑ci.

11. La formulation visée par la revendication 2, dans laquelle la cellulose microcristalline est présente en une quantité d’environ 5 % à environ 40 % en poids de la formulation.

12. La formulation visée par la revendication 3, dans laquelle l’agent mouillant est présent en une quantité de 0,1 % à environ 5 % en poids de la formulation.

13. La formulation visée par la revendication 12, dans laquelle l’agent mouillant est choisi parmi un groupe comprenant le laurylsulfate de sodium, le docusate de sodium, l’huile de ricin éthoxylée, un glycéride polyglycolysé, un monoglycéride acétylé, un ester d’acide gras et de sorbitane, un poloxamère, un ester d’acide gras et de sorbitane polyoxyéthylèné, un polyoxyéthylène, un monoglycéride, un diglycéride et des mélanges de ces substances.

14. La formulation visée par la revendication 3, dans laquelle l’agent mouillant est choisi parmi un groupe comprenant le laurylsulfate de sodium, le polysorbate 80 et un mélange de ceux‑ci.

15. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le composé est présent sous forme de particules de médicament libre, 90 % desquelles ont une taille inférieure à environ 10 micromètres.

17. La formulation visée par la revendication 15, comprenant en outre environ 5 % à environ 40 % en poids de la formulation de cellulose microcristalline.

18. La formulation visée par la revendication 15, comprenant en outre environ 0,1 % à environ 5 % en poids de la formulation de laurylsulfate de sodium.

19. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 1 à environ 20 mg par comprimé.

20. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 5 à environ 15 mg par comprimé.

21. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 5 ou environ 10 mg par comprimé.

23. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le composé est présent sous forme de particules de médicament libre, 90 % desquelles ont une taille inférieure à environ 30 micromètres.

24. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le composé est présent sous forme de particules de médicament libre, 90 % desquelles ont une taille inférieure à environ 25 micromètres.

25. La formulation visée par la revendication 1, dans laquelle le composé est présent sous forme de particules de médicament libre, 90 % desquelles ont une taille inférieure à environ 15 micromètres.

26. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 10 mg par comprimé.

27. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 1 mg à environ 5 mg par comprimé.

28. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 2,5 mg par comprimé.

29. Un comprimé contenant la formulation visée par la revendication 1, dans lequel le composé est présent en une quantité d’environ 20 mg par comprimé.

30. L’utilisation d’une quantité efficace d’une formulation selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 18 ou 23 à 25 pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient.

31. L’utilisation d’une quantité efficace d’un comprimé selon l’une ou l’autre des revendications 19 à 21 ou 26 à 29 pour le traitement de la dysfonction sexuelle chez un patient.

33. L’utilisation selon l’une ou l’autre des revendications 30 à 32, où la dysfonction sexuelle est la dysfonction érectile masculine.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1599‑13

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC. c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET ICOS CORPORATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 25, 26, 27 ET 28 mai 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GLEASON

DATE DE LA VERSION CONFIDENTIELLE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 26 août 2015

DATE DE LA VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 septembre 2015

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Beverley Moore

Chantal Saunders

pour la demanderesse

ET LA DÉFENDERESSE TITULAIRE DU BREVET

Harry Radomski

Jordan Scopa

Sandon Shogilev

POUR LA défenderesse

APOTEX INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA demanderesse

ET LA DÉFENDERESSE TITULAIRE DU BREVET

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA défenderesse

APOTEX INC.

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour LE défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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