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Date : 20150826


Dossier : IMM-583-15

Référence : 2015 CF 1009

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 26 août 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

SOGHRA SHARIFIAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]        Il ne faut pas disséquer les décisions de première instance au scalpel mais plutôt les examiner dans leur ensemble. Les causes où sont essentiellement en jeu des questions de fait ne justifient donc pas l’intervention de la Cour, à moins que les conclusions du juge des faits soient manifestement déraisonnables; par le terme « conclusions », on entend celles qui ont été formulées eu égard à l’ensemble de la preuve, et il faut les lire en contexte.

(Décision Sherwani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 37, au paragraphe 1, rendue par le soussigné.)

II.                Introduction

[1]               La demanderesse conteste, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la décision datée du 5 janvier 2015 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

III.             Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Iran qui allègue craindre avec raison d’être persécutée du fait de ses opinions politiques et de ses croyances religieuses présumées, étant donné qu’elle est membre ou partisane des derviches Nematollahi Gonabadi.

[3]               La demanderesse est titulaire de plusieurs diplômes universitaires, dont un baccalauréat en génie des ressources naturelles et une maîtrise en gestion de l’enseignement. Elle a été enseignante pendant 10 ans, puis, pendant 14 ans, elle a occupé le poste de directrice d’une école secondaire de formation technique commerciale et professionnelle jusqu’à sa retraite, en mai 2009.

[4]               Aux alentours de 2006, elle a commencé à participer activement aux activités d’une organisation religieuse et sociale connue sous le nom de Daravish‑E‑Zahabieh, constituée d’environ 25 intellectuels très instruits qui se réunissaient chaque mois pour écouter des conférenciers ou pour discuter entre eux. Les enjeux prioritaires dont ils discutaient étaient les enjeux féminins, les enjeux politiques de l’heure et les critiques à l’égard du régime iranien.

[5]               Le groupe Daravish‑E‑Zahabieh avait tissé des liens avec les derviches Nematollahi Gonabadi, qui forment une secte musulmane chiite adepte du soufisme dont les membres ont été persécutés, harcelés et interdits par le régime iranien.

[6]               Le 20 avril 2012, la demanderesse a obtenu un visa de visiteur afin de rendre visite à son frère au Canada. Elle est arrivée à Toronto le 5 mai 2012.

[7]               Au cours du mois de juin 2012, elle a reçu un appel téléphonique de son époux, qui disait avoir reçu, le 5 juin 2012, un appel anonyme d’un homme qui demandait à parler à la demanderesse. Quelques jours plus tard, un homme et une femme se sont présentés au domicile de la demanderesse et ont demandé à parler à celle‑ci. Comme d’autres amis avaient vécu des incidents semblables, l’époux de la demanderesse a conseillé à sa femme de ne pas rentrer en Iran. L’époux de la demanderesse s’était informé et avait appris que deux amis de sa femme qui faisaient partie du groupe Daravish‑E‑Zahabieh avaient été capturés par l’unité du renseignement du Sepah, ou bien s’étaient réfugiés dans la clandestinité.

[8]               Craignant d’être arrêtée à son retour en Iran, la demanderesse a demandé l’asile à Montréal, le 20 juin 2012.

[9]               L’audience devant la SPR a eu lieu le 8 décembre 2014, et la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée le 5 janvier 2015.

IV.             Décision contestée

[10]           La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse en concluant qu’il n’y avait aucune possibilité raisonnable ou sérieuse que la demanderesse soit persécutée si elle devait retourner en Iran. La SPR était d’avis que l’exposé circonstancié de la demanderesse était, dans une large mesure, une pure invention.

[11]           Selon la SPR, la demanderesse « a exagéré sa participation dans le groupe des derviches à un point tel qu’elle a déformé les faits » (décision de la SPR, dossier certifié du tribunal, au paragraphe 9). En particulier, la SPR tire les conclusions suivantes :

i.        Dans sa réponse à la question 26 du formulaire de demande d’asile, la demanderesse ne mentionne pas être membre de l’organisation des derviches Nematollahi Gonabadi et elle ne mentionne pas non plus les derviches Gonabadi dans sa réponse à la question 1(h) de son formulaire de renseignements personnels [FRP]. En outre, dans sa réponse à la question 31 de son FRP, la demanderesse ne mentionne nullement fréquenter le temple des derviches. Elle dit plutôt qu’une cérémonie commémorative a eu lieu lorsque l’un des derviches chevronnés de son groupe est décédé et aussi que, à plusieurs occasions au cours des deux dernières années, des membres du groupe étaient allés prier à la mosquée Ghoba, une mosquée musulmane chiite, pour que soient libérés des derviches emprisonnés par le régime iranien.

ii.      De l’avis de la SPR, l’exposé circonstancié de la demanderesse sur ce qui s’est produit le 5 juin 2012 et plusieurs jours par la suite à son domicile n’est pas vraisemblable. De plus, dans la déclaration où il raconte ces événements, l’époux de la demanderesse ne mentionne pas que deux personnes s’étaient présentées au domicile de la demanderesse, qu’il avait pu confirmer que le numéro de téléphone était celui de l’unité du renseignement du Sepah et que deux membres du groupe s’étaient réfugiés dans la clandestinité ou avaient été capturés par l’unité du renseignement du Sepah. Le défaut de l’époux de la demanderesse de mentionner ces renseignements mène la SPR à conclure que les allégations de la demanderesse à ces égards sont une pure invention.

iii.    Se fondant sur la preuve documentaire produite par la demanderesse, la SPR estime que la demanderesse ne possède aucun des attributs des personnes persécutées par l’État iranien qui l’exposeraient au risque d’être arrêtée et persécutée.

iv.    La SPR conclut qu’une version modifiée déposée le 24 octobre 2014 par la demanderesse, selon laquelle un informateur du gouvernement vivrait dans le même immeuble à logements que la demanderesse et son époux, n’est pas vraisemblable et a été inventée de toutes pièces, étant donné que l’information n’est pas corroborée par une attestation écrite de l’époux de la demanderesse.

v.      La SPR souligne que la demanderesse a quitté l’Iran légalement le 3 mai 2012, munie d’un passeport valide et d’un visa de visiteur du Canada valide. Au cours des 30 mois précédant l’audience, aucun signe n’a laissé croire que l’unité du renseignement du Sepah ou toute autre force de sécurité du régime iranien était à la recherche de la demanderesse ou tentait de l’arrêter ou de la convoquer.

V.                Dispositions législatives

[12]           Les dispositions pertinentes de la LIPR quant à la détermination du statut de réfugié sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Question en litige

[13]           La décision rendue par la SPR en ce qui concerne la crédibilité et la crainte fondée de persécution de la demanderesse est‑elle raisonnable?

VII.          Thèses des parties

A.                Thèse de la demanderesse

[14]           Pour ce qui est de la crédibilité, contrairement à la conclusion tirée par la SPR, la demanderesse soutient avoir mentionné qu’elle était membre du groupe des derviches Gonabadi dès le moment où elle a demandé l’asile. Elle affirme qu’en ne reconnaissant pas sa crédibilité, la SPR a omis d’examiner dans sa totalité la preuve qu’elle avait présentée. Selon la demanderesse, la SPR a montré un zèle excessif dans ses conclusions sur la crédibilité en tentant de trouver des incohérences et des contradictions dans la demande d’asile de la demanderesse.

[15]           La demanderesse ajoute qu’il était déraisonnable pour la SPR de ne pas reconnaître sa crédibilité en raison de l’information manquante dans la déclaration de son époux. La demanderesse soutient également que la SPR n’a pas observé les principes de la justice naturelle en ne lui donnant pas l’occasion de dissiper les doutes de la SPR concernant l’imprécision perçue de la lettre de son époux.

[16]           Selon la demanderesse, la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve documentaire démontrant que les partisans de la communauté des derviches, ou de tout autre groupe minoritaire, sont recherchés et persécutés par le gouvernement, notamment le rapport annuel de 2013 de la United States Commission on International Religious Freedom et l’article « International Campaign for Human Rights in Iran » (dossier de la demanderesse, aux pages 35 et 52 à 54).

[17]           De plus, la demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en ne reconnaissant pas sa crédibilité au motif que les autorités iraniennes ne lui avaient pas délivré de citation à comparaître ni n’avaient lancé de mandat d’arrestation contre elle, étant donné les éléments de preuve établissant que de tels documents ne sont pas toujours produits.

B.                 Thèse du défendeur

[18]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse manquait de crédibilité quand elle alléguait être membre d’un groupe illégal ayant l’intention de perturber la sécurité nationale. La demanderesse a déposé une lettre rédigée par son mari, laquelle contenait des allégations générales. Comme la lettre passe sous silence certains faits essentiels de la demande d’asile de la demanderesse, la SPR a été raisonnablement amenée à remettre en question la véracité des allégations de celle‑ci.

[19]           Bien que la SPR ait commis une erreur, affirme le défendeur, en indiquant que la demanderesse n’avait jamais mentionné dans les notes au point d’entrée qu’elle était membre du groupe Daravish‑E‑Zahabieh, cette erreur ne justifie pas l’intervention de la Cour, et la décision doit être lue dans sa totalité. Selon le défendeur, la SPR a raisonnablement fait remarquer que la demanderesse n’avait pas mentionné dans son FRP qu’elle fréquentait le temple des derviches, un élément important de sa demande d’asile.

[20]           La Cour fédérale a déjà souligné qu’il était raisonnable pour la SPR de mettre en doute la véracité d’un récit lorsqu’un demandeur néglige de mentionner des faits importants dans son FRP, mais les ajoute par la suite dans son témoignage.

[21]           Pour ce qui est du manquement à l’équité procédurale allégué par la demanderesse, le défendeur affirme qu’il est bien établi que « [l]e défaut d’un revendicateur de satisfaire à ses obligations quant au fardeau de la preuve ne peut être imputé à la Commission et se transformer en faute de la Commission » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (CA), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 11 [Ranganathan]).

[22]           Enfin, le défendeur soutient que la SPR est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve au dossier. Le fait que la SPR ne mentionne pas chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle.

VIII.       Analyse

[23]           La Cour a constamment répété que la crédibilité d’un récit est gravement compromise lorsque le demandeur omet de mentionner des éléments importants ou essentiels dans son exposé circonstancié du FRP et qu’il ajoute ensuite à son récit des éléments qui changent substantiellement le récit initial (Grinevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF n444, au paragraphe 4).

[24]           En analysant la preuve dans son ensemble et la chronologie de sa présentation ainsi que ses graves lacunes, la Cour cite la Cour d’appel fédérale qui a clairement statué que « [l]e défaut d’un revendicateur de satisfaire à ses obligations quant au fardeau de la preuve ne peut être imputé à la Commission et se transformer en faute de la Commission » (Ranganathan, précité, au paragraphe 11).

IX.             Conclusion

[25]           Pour l’ensemble de ces motifs, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-583-15

 

INTITULÉ :

SOGHRA SHARIFIAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AOÛT 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

POUR La demanderesse

Lynne Lazaroff

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR La demanderesse

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR Le défendeur

 

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