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Date : 20150901


Dossier : IMM-6202-14

Référence : 2015 CF 1040

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er septembre 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

NK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Aperçu

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 15 juillet 2014 par un agent d’immigration qui a rejeté la demande de résidence permanente d’un demandeur d’asile au motif qu’il est interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La demande de résidence permanente était fondée sur une demande d’asile accueillie le 3 février 1999 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. Ce contrôle judiciaire est demandé au titre du paragraphe 72(1) de la Loi.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur, citoyen du Pakistan, est arrivé au Canada en mai 1997 et a présenté une demande d’asile par la suite. En février 1999, la Section de la protection des réfugiés de la Commission lui a reconnu la qualité de réfugié au sens de la Convention. Au cours du même mois, il a déposé une demande de résidence permanente.

[3]               Le 21 mars 2005, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a produit un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. Dans son rapport, l’agent déclare le demandeur interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi puisqu’il avait été membre du Mouvement Mohajir Quami et du Mouvement Mohajir Quami-Haqiqi [le MMQH], organisations reconnues pour se livrer à des actes de terrorisme. L’agent a ensuite soumis son rapport à la Section de l’immigration de la Commission.

[4]               En février 2006, le demandeur a présenté une demande de dispense ministérielle au titre du paragraphe 34(2) de la Loi (tel qu’il était alors libellé).

[5]               En juin 2006, la Section de l’immigration a conclu que le demandeur n’était pas visé par l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

[6]               En octobre 2007, le ministre a interjeté appel de la décision de la Section de l’immigration devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] et a obtenu gain de cause. La SAI a conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la Loi en raison de son appartenance au MMQH, c’est-à-dire au motif qu’il était membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre à des actes de terrorisme. Une mesure d’expulsion a été prononcée à son endroit.

[7]               Le demandeur a contesté cette décision d’interdiction de territoire devant la Cour fédérale, mais la demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire a été rejetée en août 2008.

[8]               Le ministre a rejeté la demande de dispense en mai 2012. Le demandeur a contesté le refus devant la Cour, mais, par consentement unanime, la demande de dispense a été renvoyée pour réexamen. Ce réexamen était pendant au moment du dépôt des actes de procédure pour le contrôle judiciaire, mais les parties m’ont avisé par la suite, à l’audience de la demande de contrôle judiciaire du 24 mars 2015, que le ministre avait une nouvelle fois rejeté la demande de dispense. Ce deuxième refus fait actuellement l’objet d’une demande de contrôle judiciaire distincte présentée par le demandeur.

III.             Observations et décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Dans une lettre du 22 mai 2014, un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] donne au demandeur l’occasion de produire au plus tard le 30 juin 2014 des observations à jour à l’appui de sa demande de résidence permanente présentée en février 2009. Dans sa lettre du 27 juin 2014, le demandeur fait valoir deux points essentiels. Premièrement, il soutient que la loi a été modifiée depuis le mois d’octobre 2007, moment où la SAI a conclu qu’il était interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) en raison de l’incidence de l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola]. Deuxièmement, il soutient que l’agent doit suspendre le traitement de la demande de résidence permanente jusqu’à ce que la décision relativement à la demande de dispense soit rendue.

[10]           L’agent a examiné en détail les antécédents du demandeur, depuis les observations présentées dans sa demande d’asile initiale déposée en 1999 jusqu’à celles présentées en juillet 2014. À son avis, le demandeur avait admis avoir participé aux activités du MMQH, une organisation qui se livre à des actes de terrorisme. Il a donc conclu que le demandeur était un membre à part entière de l’organisation en cause, en se fondant sur la décision de la SAI et les déclarations faites par le demandeur dans sa lettre du 25 juillet 2011. En ce qui concerne l’arrêt Ezokola, l’agent a déclaré avoir accordé [traduction« beaucoup d’importance » à la décision de la SAI et indiqué qu’il [traduction« n’a pas le pouvoir judiciaire d’annuler la décision d’interdiction de territoire rendue par la SAI en se fondant sur l’arrêt Ezokola ».

[11]           Quant à la question du report, l’agent a estimé qu’il n’y avait aucune raison de reporter sa décision relativement à la demande de résidence permanente en attendant que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense.

[12]           L’agent a donc rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, estimant (i) qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f), (ii) qu’il ne pouvait tenir compte de l’incidence de l’arrêt Ezokola sur le statut du demandeur et (iii) qu’il était inutile d’attendre que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense. La demande de contrôle judiciaire conteste la décision défavorable rendue par l’agent.

IV.             Norme de contrôle

[13]           La Cour examine la décision discrétionnaire d’un décideur administratif. En général, la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l’alinéa 34(1)f) de la Loi est celle de la décision raisonnable (Nassereddine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 85, au paragraphe 20; Najafi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 876, au paragraphe 82). Par conséquent, elle n’interviendra que s’il n’y a pas justification de la décision, transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[14]           Cependant, lorsqu’il s’agit de questions d’équité, une autre norme s’applique. Il est vrai que l’équité procédurale exige que le demandeur ait une réelle possibilité de présenter les divers types de preuve au soutien de ses arguments et que le décideur les examine en détail (Miller c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 371, au paragraphe 16). Il faut un contrôle beaucoup plus strict de la norme de la décision correcte, soit l’absence de déférence (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa), 2009 CSC 12, au paragraphe 43).

V.                Questions en litige et analyse

A.                Examen de la décision Ezokola

[15]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a déclaré ne pas avoir la capacité de réexaminer une décision antérieure de la SAI relativement à l’interdiction de territoire. Il fait valoir que, depuis que la SAI a rendu sa décision en 2007, la loi a été modifiée à la suite de l’arrêt Ezokola de la Cour suprême, qu’il a porté à l’attention de l’agent et que ce dernier a refusé d’examiner à tort. De l’avis du demandeur, le paragraphe 21(2) de la Loi oblige l’agent à se demander si l’arrêt Ezokola a modifié la règle de droit visée à l’alinéa 34(1)f). Le demandeur reconnaît que l’examen de l’incidence de l’arrêt Ezokola constitue un exercice difficile pour un agent de CIC, étant donné que cet arrêt porte sur un autre article de la Loi, mais il est néanmoins pertinent dans le présent litige et l’agent aurait dû faire cet exercice.

[16]           Le défendeur répond que, selon la décision rendue par la SAI en 2007, le demandeur est interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) et que l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en se conformant à la décision. L’arrêt Ezokola porte sur l’interprétation de l’alinéa 1Fa) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, RT Can 1969, no 6, tel qu’incorporé dans la Loi, mais dans une partie totalement différente, et n’a donc aucun effet sur l’affaire qui nous occupe.

[17]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’agent a commis une erreur en refusant d’examiner l’incidence de l’arrêt Ezokola sur l’alinéa 34(1)f) de la Loi. Cependant, pour les motifs qui suivent, cette décision n’était pas déterminante quant à la décision, dans les circonstances, en raison de la jurisprudence subséquente établie par les cours d’appel.

[18]           Dans le contexte de l’analyse de l’interdiction de territoire, l’agent a tiré une conclusion favorable relativement à l’interdiction de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f), accordant de l’importance aux décisions antérieures de la Commission et expliquant les raisons selon lui pour lesquelles le demandeur devrait demeurer interdit de territoire au titre de cet alinéa. L’agent a examiné les éléments de preuve et tiré des conclusions au sujet du MMQH et de la participation du demandeur à ce mouvement. L’analyse comprenait un examen de la preuve soumise par le demandeur depuis la présentation de sa demande de réfugié jusqu’à ses déclarations ultérieures censées minimiser sa participation au MMQH.

[19]           Toutefois, l’agent a commis une erreur en déclarant ne pas [traduction« avoir le pouvoir judiciaire d’annuler la décision d’interdiction de territoire rendue par la SAI en se fondant sur l’arrêt Ezokola » (dossier certifié du tribunal [le DCT], page 7). Il aurait dû évaluer la pertinence de l’arrêt de la Cour suprême rendu dans l’intervalle, plutôt que de renoncer à l’examiner.

[20]           Le demandeur soutient que l’arrêt Ezokola rendu dans l’intervalle a vicié la décision antérieure de la SAI en raison de son incidence sur la disposition en question de la Loi (alinéa 34(1)f)). L’équité procédurale requiert que l’arrêt soit examiné et analysé. L’agent a commis une erreur en refusant de le faire.

[21]           Si l’agent n’avait pas le « pouvoir judiciaire » d’examiner la manière dont l’arrêt de la Cour suprême s’appliquait aux faits qui lui avaient été présentés sous le régime de la Loi, de l’un ou l’autre de ses règlements ou des politiques internes de CIC, ni l’agent ni le défendeur n’ont fourni d’éléments de preuve d’une telle restriction, et je ne pourrais en trouver moi-même. En fait, la loi et les directives indiquent le contraire, les agents de CIC qui prennent les décisions en matière de résidence permanente doivent être convaincus que l’étranger qui présente une demande satisfait aux exigences de la Loi et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (voir, par exemple, l’article 11 de la Loi, l’article 6.4 du Guide opérationnel de CIC ENF 2/OP 18, « Évaluation de l’interdiction de territoire » [ENF 2]). Pour la partie de l’analyse portant sur l’interdiction de territoire, l’agent doit également tenir compte des causes où il y a interprétation de la loi, y compris, évidemment, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada.

[22]           Habituellement, il convient de réparer ce genre d’erreur en renvoyant l’affaire pour réexamen. Toutefois, depuis l’audition de la présente affaire, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a rendu la décision Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 [Kanagendren]. La CAF a conclu que l’arrêt Ezokola ne modifie pas l’actuel critère juridique servant à évaluer l’appartenance à une organisation terroriste aux termes de l’alinéa 34(1)f) (Kanagendren, aux paragraphes 28 et 38), réfutant directement l’argument que le demandeur a tenté d’avancer devant l’agent.

[23]           Normalement, la décision est renvoyée pour réexamen à la suite d’un manquement à l’équité procédurale. Toutefois, une cour de révision peut refuser d’accueillir une demande de contrôle judiciaire, malgré l’erreur commise, lorsqu’elle est convaincue qu’un tel manquement n’aurait rien changé à la décision (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, au paragraphe 228; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Patel, 2002 CAF 55, aux paragraphes 4 et 5; Sarker c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1168, aux paragraphes 16 et 17; Mwaura c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 874, au paragraphe 30).

[24]           Puisque la décision Kanagendren de la CAF permet de régler la question en litige, il serait futile de la renvoyer pour réexamen : un autre agent serait lié par la décision Kanagendren et en arriverait à la même conclusion après avoir examiné l’incidence de l’arrêt Ezokola sur l’alinéa 34(1)f), rendant ainsi l’exercice tout à fait futile.

B.                 Étapes de la prise de décision

[25]           Le demandeur soutient que la jurisprudence existante ne permet pas de trancher la question de savoir si un agent devrait, au moment de prendre une décision relativement à une demande de résidence permanente, attendre la décision du ministre relativement à la demande de dispense en suspens. De plus, il fait valoir que sous le régime de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, la décision relativement à la demande de dispense devait être prise d’abord. Le demandeur souligne que l’article 34 de la loi actuelle n’exige pas que la décision relativement à l’interdiction de territoire soit suspendue en attendant que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense (Azeem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 402; Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121) [Poshteh]). Cependant, puisque la décision relativement à la demande de dispense du demandeur était en suspens au moment de l’abrogation du paragraphe 34(2) de la Loi, permettant au ministre d’accorder la dispense, il soutient que l’ancienne disposition s’applique en l’espèce, conformément à l’article 43 de la Loi d’interprétation, LRC, 1985, c I-21.

[26]           Le demandeur invoque également l’alinéa 173b) de la Loi, qui exige de la Section de l’immigration qu’elle procède dans les meilleurs délais, soulignant qu’aucune exigence semblable ne s’applique à l’agent d’immigration concernant la prise de décision relativement aux demandes de résidence permanente aux termes du paragraphe 21(2). Il soutient que, pour déterminer l’intention du législateur, la loi doit être interprétée téléologiquement. Il n’y a aucun intérêt pratique à trancher la demande de résidence permanente en défaveur du demandeur alors qu’une demande de dispense est en suspens, ce qui pourrait, dans le cas d’une décision favorable, régler la question de l’interdiction de territoire. Le droit a intérêt à empêcher une multiplicité d’instances.

[27]           Enfin, le demandeur attire l’attention sur l’article 13.6 de l’ENF 2, en vigueur lorsque le paragraphe 34(2) existait, mais qui a été supprimé depuis, et qui prévoyait que [traduction« la demande d’entrée au Canada doit être laissée en suspens pendant que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile étudie la question de la dispense ».

[28]           Le demandeur souligne qu’en général les immigrants éventuels doivent présenter une demande de visa d’immigrant dans un bureau de visas canadien situé à l’étranger, mais les réfugiés au sens de la Convention font exception, puisqu’ils peuvent présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Il soutient que le guide de procédure est conçu pour s’appliquer à l’ensemble des demandeurs de résidence permanente, sans distinction du lieu où la demande est présentée, et que l’agent a commis une erreur en ne reportant pas la prise de décision.

[29]           Le défendeur réplique que l’agent a procédé de manière tout à fait raisonnable et conforme à la loi, qui n’exige pas qu’il attende que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense avant de prendre une décision relativement à la demande de résidence permanente. Il a souligné plus particulièrement que ni les dispositions sur la dispense ni celles sur la résidence permanente ne prévoient l’ordre de traitement de demandes présentées concurremment, et que le choix de l’agent de prendre une décision relativement à une demande plutôt qu’à l’autre ne contrevient pas à la loi. Par conséquent, il ne s’agit pas d’une erreur.

[30]           Je suis d’accord avec le défendeur sur la question de l’ordre, en ce sens que l’agent avait tout à fait le droit de prendre une décision relativement à la demande lorsqu’il l’a fait : rien dans les lois, que ce soit la Loi ou ses règlements, n’empêche un agent de prendre une décision relativement à une demande de résidence permanente avant que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense. D’autres sources pertinentes concernant l’interprétation, notamment la jurisprudence et les directives, permettent également à l’agent de prendre des décisions sans restriction temporelle (voir, par exemple, le bulletin opérationnel 524 ci-dessous ou Poshteh, au paragraphe 10).

C.                 Entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[31]           Sur la question de l’ordre de la prise de décision, le demandeur soutient que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a pris une décision prématurée en respectant les directives du bulletin opérationnel 524 [BO 524], propre à CIC, daté du 16 mai 2013 (voir le BO 524 dans l’affidavit de Gwen Smoluk, pièce A). Premièrement, le demandeur soutient que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en omettant de consulter l’ASFC pour savoir à quelle étape était rendue la décision relativement à la demande de dispense. Deuxièmement, l’agent aurait dû suivre une autre directive – l’article 5.22 du Guide de l’immigration IP 5 de CIC – qui lui permet d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour suspendre le traitement de la demande en attendant la décision relativement à une demande de dispense.

[32]           Le défendeur réplique qu’aucun élément de preuve ne permet de penser que l’agent a suivi les directives de la note interne. Même si c’était le cas, il affirme qu’au final il est établi en droit que les agents ont le pouvoir de prendre, à leur discrétion, des décisions relatives aux demandes de résidence permanente après avoir examiné les faits. Selon le dossier, c’est manifestement ce que l’agent a fait. L’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire l’emporte sur les directives, dont les agents doivent tenir compte, tant qu’elles n’entravent pas l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 54 et 55, citant la décision Lim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, au paragraphe 4).

[33]           Je conclus que, selon la politique, les agents de CIC ne devraient pas reporter la prise de décision parce qu’une décision relativement à une demande de dispense est en suspens. Le texte qui suit, extrait du BO 524, est très explicite.

Le présent bulletin opérationnel (BO) fournit des directives sur le traitement des demandes de résidence permanente (DRP) actuellement en attente présentées par des personnes interdites de territoire pour raison de sécurité (art. 34) […] et ayant une demande de dispense ministérielle (DM) en attente.

[…]

À compter de maintenant, les DRP ne devraient plus automatiquement être mises en suspens en attendant une décision concernant une demande de DM.

[…]

Auparavant, le chapitre 10 intitulé Refus des cas de sécurité nationale/Traitement des demandes en vertu de l’intérêt national du Guide sur le traitement des demandes au Canada donnait pour instruction aux agents de garder les demandes en suspens jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par le ministre de la Sécurité publique d’accorder ou de refuser une DM conformément aux articles pertinents.

[…]

Dans Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121, la Cour d’appel fédérale a établi que le paragraphe 34(2) ne comportait pas d’aspect temporel, ce qui veut dire qu’une demande de DM peut être présentée à tout moment et que les agents peuvent traiter les DRP jusqu’à ce qu’elles soient réglées, quel que soit l’état de la demande de DM, dans le cas où une telle demande a été présentée. La demande de DM continuera d’être traitée en conséquence, en vue de la prise de décision finale par le ministre de la Sécurité publique.

Le Guide IP 5 a été mis à jour et indique maintenant que les agents « peuvent » mettre en suspens les DRP en attentant une décision concernant une demande de DM, contrairement aux directives antérieures selon lesquelles les agents devaient automatiquement mettre les demandes en suspens. Cette directive permet aux agents de rendre une décision finale au cas par cas, faisant preuve d’une certaine souplesse, en fonction des circonstances.

Les agents de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) doivent rendre une décision concernant toutes les DRP et ne plus automatiquement mettre ces demandes en suspens en attendant une décision du ministre de la Sécurité publique concernant une demande de DM. [Souligné dans l’original.]

[34]           Selon cette directive, les agents ont le pouvoir discrétionnaire de décider des cas de résidence permanente lorsqu’ils le veulent. Ils ne sont plus soumis à la directive voulant qu’ils mettent ces cas en suspens. Je suis également d’avis que rien ne prouve que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. De plus, rien n’indique que l’agent s’est fondé sur le BO 524 et, même s’il l’avait fait, il a clairement tenu compte des faits qui lui avaient été soumis pour prendre sa décision et a expliqué les raisons l’ayant amené à conclure qu’en prenant une décision relativement à la demande de résidence permanente avant que soit rendue la décision relativement à la demande de dispense, il n’y aurait pas de conséquences déraisonnables ou préjudiciables :

[traduction] J’estime que le demandeur n’a pas été vraiment en mesure de démontrer qu’il subirait un quelconque préjudice personnel, financier ou en droit, réel ou permanent, s’il devait présenter une nouvelle demande de résidence permanente dans l’éventualité où le ministre lui accorderait par la suite une dispense relativement à l’interdiction de territoire au titre du paragraphe 34(2) de la LIRP (qui était en vigueur au moment où le demandeur a initialement présenté sa demande de dispense). Je constate qu’il a toujours le statut de réfugié au Canada au sens de la Convention, qu’il ne peut donc être renvoyé au Pakistan et qu’il a un permis de travail valide jusqu’au 25 avril 2015; dans ces circonstances, j’estime qu’il n’est ni déraisonnable ni préjudiciable pour le demandeur de lui demander de présenter une nouvelle demande de résidence permanente [décision de l’agent, DD, p 86].

[35]           Par conséquent, l’agent a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a rendu sa décision relativement à la demande de résidence permanente. Il n’y a aucune preuve que son travail a été entravé par une quelconque directive. La preuve indique plutôt qu’il a tenu compte des circonstances de l’espèce et qu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire en fonction de ces circonstances (Yhap c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 1 CF 722 (C.F. 1re inst.)).

D.                Manquement à l’équité procédurale

[36]           Le demandeur déclare que l’impossibilité de consulter les documents internes du défendeur avant la prise de décision constitue une violation de son droit à l’équité procédurale. Il s’agit du BO 524, ainsi que d’un courriel ministériel produit dans le DCT remis au demandeur une fois la décision prise.

[37]           Le défendeur n’est pas d’accord. Selon lui, le processus était équitable, l’agent a accordé beaucoup d’importance aux faits, et CIC ou l’agent n’était pas obligé de communiquer tous les documents internes et les courriels au demandeur. Si tel était le cas, le processus de divulgation deviendrait tout à fait ingérable, notamment dans un dossier comme celui‑ci, qui est actif depuis plus de 15 ans.

[38]           Je conviens que l’agent n’avait pas l’obligation de communiquer les documents internes, qu’il s’agisse des courriels ou du BO 524. L’agent a donné au demandeur l’occasion de produire des observations sur la demande de résidence permanente, ce que le demandeur a fait. L’agent a alors tenu compte de ces observations, ce qui apparaît évident dans la décision. La communication de tous les courriels s’avèrerait lourde et rien ne justifie de le faire. La directive sur laquelle il s’est appuyé n’a causé aucun préjudice au demandeur et le gouvernement n’a nullement l’obligation de publier de telles directives.

VI.             Questions certifiées

[39]           Le demandeur a proposé les deux questions suivantes aux fins de certification :

                    i.                        L’agent d’immigration est-il légalement habilité à prendre une décision relativement à une demande en suspens de résidence permanente alors que la décision relativement à une demande de dispense ministérielle présentée conformément à l’ancien paragraphe 34(2) ou à l’actuel article 42.1 de la Loi n’a pas encore été prise?

                  ii.                        Lorsqu’il prend une décision relativement à une demande de résidence permanente, l’agent d’immigration a‑t‑il compétence pour tirer ses propres conclusions sur l’admissibilité du demandeur alors que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déjà conclu à l’interdiction de territoire et que la jurisprudence subséquente met en question la validité juridique de cette conclusion, ou en a-t-il l’obligation aux termes du paragraphe 21(2) de la Loi?

[40]           Dans le cas de la question (i), il n’y a rien dans les lois, les politiques ou les procédures qui exige que l’agent attende la décision relativement à la demande de dispense. Quant à la question (ii), la décision Kanagendren se prononce de façon concluante sur le droit. Les questions ne sont donc pas déterminantes pour le contrôle judiciaire, elles ne transcendent pas les intérêts des parties au litige et ne portent pas sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

4.      L’intitulé ne porte que les initiales (NK) pour des raisons de confidentialité, comme les deux parties l’ont convenu.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6202-14

 

INTITULÉ :

NK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 MARS 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

pour le demandeur

 

Aliyah Rahaman

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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