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Date : 20150902


Dossier : IMM-7050-14

Référence : 2015 CF 1042

[traduction française, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2015

En présence de madame la juge Strickland

Entre :

SAMUEL DERI

demandeur

et

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SAR), datée du 17 septembre 2014, dans laquelle la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger selon les articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen du Ghana. En septembre 2013, il s’est enfui au Canada et a présenté une demande d’asile. Dans l’exposé circonstancié du Fondement de la demande d’asile (le FDA) initial, il a allégué que les membres de la famille de son père l’ont menacé de mort après qu’il eut déclaré qu’il n’accepterait pas la nomination à titre de chef de la tribu Dagari. Le 18 octobre 2013, il a présenté un ajout à l’exposé circonstancié de son FDA dans lequel il expliquait qu’il était bisexuel et qu’il craignait que sa collectivité au Ghana ne découvre son orientation sexuelle. En novembre 2013, le demandeur a appris qu’il était séropositif et, à la première séance de l’audience devant la SPR le 6 décembre 2013, il a présenté la lettre d’un médecin confirmant sa séropositivité. Avant la deuxième séance de son audience le 16 janvier 2014, le demandeur a présenté un deuxième ajout à l’exposé circonstancié de son FDA dans lequel il expliquait qu’il craignait d’être persécuté à son retour au Ghana en raison de sa séropositivité. En effet, après avoir divulgué sa séropositivité à son épouse qui est au Ghana, il avait reçu des menaces de mort de la famille de celle-ci.

[3]               À la deuxième séance de l’audience, le demandeur a expliqué à la SPR qu’il est en fait homosexuel et qu’il a appris que son partenaire masculin lui avait transmis le VIH. Il avait entretenu une relation avec ce partenaire pendant plusieurs années. À l’appui de l’allégation de persécution en raison de sa séropositivité, le conseil du demandeur a présenté trois articles portant sur la stigmatisation dont font l’objet les Ghanéens qui sont séropositifs. Le 9 mai 2014, la SPR a rendu une décision défavorable concluant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié ni de personne à protéger.

[4]               Dans le cadre de l’appel interjeté à la SAR, les observations du demandeur ont principalement porté sur le risque de persécution auquel il serait exposé au Ghana en raison de sa séropositivité. Son nouveau conseil a demandé à la SAR d’examiner quatre articles concernant la stigmatisation et la séropositivité au Ghana, le demandeur étant d’avis que la preuve présentée à la SPR sur cette question était insuffisante. Son nouveau conseil a également présenté des observations détaillées sur les raisons pour lesquelles la SAR devait accepter les nouveaux éléments de preuve suivant le paragraphe 110(4) de la LIPR.

[5]               La SAR a refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve concluant qu’ils ne répondaient pas aux exigences du paragraphe 110(4). La SAR a prononcé sa décision défavorable le 17 septembre 2014, confirmant la décision de la SPR.

La décision de la SPR

[6]               Les questions déterminantes devant la SPR étaient la crédibilité du demandeur, le bien‑fondé de sa crainte d’être persécuté et la question de la discrimination par opposition à la persécution.

[7]               En ce qui a trait à la crédibilité, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni des éléments de preuve crédibles concernant sa crainte d’être persécuté en raison de son refus d’accepter la nomination de chef de la tribu. La SPR a de plus conclu que les éléments de preuve du demandeur contredisaient la preuve documentaire objective qui selon laquelle la nomination en qualité de chef n’était pas imposée à quiconque n’aspirait pas à ce poste.

[8]               En ce qui a trait à la séropositivité du demandeur, la SPR a reconnu que le demandeur appartenait à un groupe social et que les personnes séropositives au Ghana « font l’objet d’une certaine stigmatisation sociale ». Toutefois, compte tenu de la preuve documentaire, la SPR a conclu que même si le demandeur pouvait faire l’objet de discrimination à son retour au Ghana, cette discrimination n’était pas suffisamment constante et punitive pour constituer de la persécution aux termes de la LIPR.

[9]               Enfin, la SPR a examiné l’allégation du demandeur selon laquelle il craignait également d’être persécuté parce qu’il est un homosexuel et a conclu que la preuve du demandeur concernant cette question n’était pas crédible pour plusieurs raisons, notamment le fait qu’il n’a pas mentionné ce renseignement dans l’exposé circonstancié de son FDA initial. Bien que le demandeur ait fourni la preuve de ses communications par courriel avec son partenaire masculin au Ghana, la SPR a conclu qu’il était invraisemblable que cette preuve ne contienne pas de communications concernant la séropositivité du demandeur, plus particulièrement compte tenu du fait que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait divulgué sa séropositivité à son partenaire. 

[10]           La SPR a également conclu que le demandeur n’était pas crédible dans l’ensemble et, pour tous ces motifs, elle a rejeté la demande d’asile du demandeur.

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire – la décision de la SAR

[11]           En appel, la SAR a tout d’abord examiné l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve suivant le paragraphe 110(4) de la LIPR. Ces éléments de preuve comprenaient quatre articles concernant la stigmatisation et la discrimination liées au VIH. La SAR a conclu que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas survenus après le rejet de la demande d’asile du demandeur, puisque chaque article a été présenté avant la dernière séance du demandeur devant la SPR le 16 janvier 2014 et après qu’il eut découvert qu’il était séropositif. Dans l’affidavit qu’il a présenté à la SAR, le demandeur a déclaré qu’il [traduction] « ne savai[t] pas qu[’il] devai[t] recueillir ces éléments de preuve pour [son] audience devant la SPR » et qu’il [traduction] « ne savai[t] pas pourquoi [son] conseil n’en a pas recueilli davantage. » La SAR a cependant rejeté cette explication, soulignant que le demandeur était représenté par un conseil expérimenté qui a présenté des éléments de preuve portant sur le traitement réservé aux personnes atteintes du VIH au Ghana et qu’il a fourni de nombreuses observations à propos des risques auxquels l’appelant serait exposé en tant que personne séropositive s’il devait retourner au Ghana. En outre, le demandeur n’a produit aucun élément de preuve donnant à penser que son conseil avait fait preuve d’incompétence en ne présentant pas plus d’éléments de preuve documentaire.

[12]           De plus, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas fourni une preuve suffisante pour montrer que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas normalement accessibles, ou, s’ils l’étaient, qu’il ne les aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet de sa demande d’asile par la SPR.

[13]           Par conséquent, la SAR a conclu comme suit :

[18]      La SAR constate qu’elle est liée par le paragraphe 110(4) de la LIPR, et non par la jurisprudence relative à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR); elle n’a donc pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter de nouveaux éléments de preuve qui ne sont pas visés par le paragraphe 110(4).

[14]           S’appuyant sur la décision de la Cour dans l’affaire Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 (Huruglica), la SAR a souligné que sa tâche consistait à mener une évaluation indépendante de la demande d’asile du demandeur en examinant l’ensemble de la preuve qui a été présentée au moment du rejet. Ainsi, la SAR a refusé d’effectuer ses propres recherches indépendantes, comme l’a expliqué le nouveau conseil dans ses observations, et a plutôt limité son analyse aux éléments de preuve dont disposait la SPR au moment du rejet. Finalement, la SAR a indiqué qu’elle ne tiendrait aucunement compte des arguments du conseil qui se rapportaient aux nouveaux éléments de preuve ni d’éléments de preuve qui n’étaient pas devant la SPR, par exemple les plus récentes versions du cartable national de documentation (le CND) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, y compris le plus récent rapport du Département d’État des États‑Unis.

[15]           En ce qui a trait à la décision de la SPR, la SAR a tout d’abord effectué une évaluation indépendante des conclusions de la SPR en matière de crédibilité, malgré le fait que le demandeur ne contestait aucune de ces conclusions en appel. Après avoir examiné la preuve versée au dossier, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles et qu’il n’était pas un témoin crédible. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SAR a conclu qu’il en ressortait que le demandeur était un homme hétérosexuel venant du Ghana qui a fait l’objet d’un diagnostic de séropositivité après son arrivée au Canada.

[16]           La SAR a ensuite examiné les éléments de preuve concernant l’aspect « sur place » de la demande d’asile du demandeur, compte tenu de son statut de personne séropositive et a examiné la question de savoir s’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution en raison de sa séropositivité. Ce faisant, la SAR a examiné la preuve dont disposait la SPR. Après cet examen, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour la convaincre que le traitement dont il ferait l’objet équivaudrait à de la persécution. La SAR a de plus conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi selon lesquels il serait considéré comme ayant un comportement sexuel immoral ou comme étant un homosexuel en raison de sa séropositivité. Même si c’était le cas, le demandeur n’a pas non plus fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi selon lesquels la stigmatisation dont il pourrait être victime équivaudrait à de la persécution et entraînerait la violation d’un de ses droits fondamentaux.

[17]           En conséquence, la SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’alinéa 111(1) de la LIPR. L’appel a donc été rejeté.

Les questions en litige

[18]           À mon avis, les questions en litige peuvent être formulées comme suit :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’interprétation du paragraphe 110(4) en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui étaient autrement techniquement irrecevables et a‑t‑elle ainsi omis de prendre en compte les valeurs consacrées par la Charte en refusant d’admettre ces nouveaux éléments de preuve?

2.      La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’application du paragraphe 110(4) lorsqu’elle a refusé d’examiner des documents mis à jour dans le CND?

3.      La SAR a-t-elle conclu de façon déraisonnable que les éléments de preuve concernant la discrimination dont les personnes séropositives étaient victimes au Ghana n’équivalaient pas à de la persécution?

La norme de contrôle

[19]           En ce qui concerne la première question, le demandeur soutient que l’interprétation du paragraphe 110(4) par la SAR est une pure question de droit qui soulève des questions relevant de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte) et, à ce titre, elle devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir)). Tout comme les questions relatives à la norme de contrôle soulevées dans la décision Huruglica, le critère à appliquer en vertu de cette disposition est également « une question juridique qui déborde largement le domaine de spécialisation de la SAR, même si elle dépend de l’interprétation de la LIPR, la loi constitutive de la SAR » (Huruglica, au paragraphe 30).

[20]           Le demandeur soutient également qu’un examen selon la norme de la décision correcte est important pour assurer la cohérence judiciaire. Permettre à chaque commissaire de la SAR d’appliquer son propre critère lors de l’appréciation de nouveaux éléments de preuve entraîne une situation absurde dans laquelle l’application du droit change selon chaque commissaire, plutôt que selon la preuve fournie. La Cour d’appel fédérale a reconnu ce point dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), dans lequel elle a mis au point un critère juridique pour apprécier l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve lors d’un d’examen des risques avant renvoi (ERAR), aux termes de l’alinéa 113a) de la LIPR, et qui s’appliquerait à toutes les demandes d’ERAR.

[21]           Pour sa part, le défendeur soutient que l’interprétation du paragraphe 110(4) par la SAR relève directement de son champ d’expertise et ne comporte pas une question qui est d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ni aucune autre circonstance particulière qui nécessiterait un examen selon la norme de la décision correcte. Le critère de la décision raisonnable devrait donc s’appliquer à la présente question (Saskatchewan Human Rights Commission c Whatcott, 2013 CSC 11, au paragraphe 167; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 45 et 46; McLean c Colombie-Britannique, 2013 CSC 67, aux paragraphes 26 et 30; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, au paragraphe 42 (Singh)).

[22]           De plus, lorsque des valeurs consacrées par la Charte sont appliquées à une décision administrative individuelle, elles sont appliquées en relation à un ensemble particulier de faits et, par conséquent, une norme de contrôle fondée sur la retenue doit être appliquée (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, aux paragraphes 35, 36 et 52 à 58 (Doré)).

[23]           Je souscris aux observations du défendeur. Dans la récente décision Singh (actuellement en appel, voir : A‑512‑14), la juge Gagné a étudié la même jurisprudence citée par le défendeur ci-dessus et, compte tenu de celle-ci, elle a tiré la conclusion suivante :

[42]      Par conséquent, je suis d’avis que tant l’interprétation que fait la SAR du paragraphe 110(4) de la Loi (comme une question de droit qui ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui ne déborde pas le cadre de la compétence spécialisée de la SAR) que son application aux faits en l’espèce (comme une question mixte de fait et de droit) doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

[24]           Au nom de la courtoisie judiciaire, j’examinerai donc la décision de la SAR selon laquelle le paragraphe 110(4) ne lui conférait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve en appliquant la norme de la décision raisonnable.

[25]           En ce qui a trait à la deuxième question en litige, l’application du paragraphe 110(4) par la SAR est une question mixte de fait et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh, au paragraphe 42; Iyamuremye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 494, au paragraphe 43).

[26]           En ce qui concerne la troisième question, l’appréciation que fait la SAR de la preuve documentaire dont disposait la SPR comporte des conclusions de fait qui sont assujetties à la déférence et donc susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, au paragraphe 51). En conséquence, la Cour n’interviendra pas tant que l’appréciation de la SAR est justifiée, transparente et intelligible et qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

Question no 1 — La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’interprétation du paragraphe 110(4) en concluant qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui étaient autrement techniquement irrecevables et a‑t‑elle ainsi omis de prendre en compte les valeurs consacrées par la Charte en refusant d’admettre ces nouveaux éléments de preuve?

A.                La position du demandeur

[27]           Le demandeur soutient que cette question vise les facteurs que la SAR doit prendre en compte lorsqu’elle applique la règle relative aux nouveaux éléments de preuve énoncée au paragraphe 110(4) de la LIPR. Plus précisément, il s’agit de la manière dont la SAR doit examiner sa compétence liée à la Charte lorsque de nouveaux éléments de preuve sont invoqués qui peuvent ne pas être techniquement recevables, mais qui présentent une preuve sérieuse de risque qui met en doute les conclusions de fond de la décision de la SPR.

[28]           Le demandeur fait valoir que le critère formulé dans l’arrêt Raza n’est pas pertinent dans le contexte de la SAR. Il propose plutôt un nouveau critère tiré de l’arrêt Doré de la Cour suprême du Canada selon lequel les considérations relatives à la Charte sont implicites dans l’appréciation de la SAR au titre du paragraphe 110(4). Selon ce nouveau critère proposé, dans le cas où de nouveaux éléments de preuve présentés ne sont pas techniquement recevables, la SAR doit examiner la question de savoir si les éléments de preuve contredisent une conclusion précise de la SPR et, si les éléments de preuve sont admis, s’ils peuvent mener la SAR à une conclusion différente relativement à un aspect central de la demande d’asile. Si c’est le cas, la SAR a l’obligation d’effectuer une analyse de la proportionnalité dans le cadre de laquelle elle met en équilibre la gravité de l’atteinte au droit protégé par la Charte et l’objectif prévu par la loi. L’omission d’effectuer cette analyse, ou de prendre en compte les valeurs consacrées par la Charte dans l’application du paragraphe 110(4), est une erreur de droit.

[29]           À l’appui de la position qui étend la compétence de la SAR en vertu du paragraphe 110(4) pour inclure le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuves qui sont techniquement irrecevables, le demandeur fait valoir les arguments suivants.

a)      Application non uniforme à la SAR — Le demandeur soutient qu’il existe à l’heure actuelle à la SAR trois interprétations différentes de sa compétence en vertu du paragraphe 110(4). La première interprétation est une interprétation législative stricte, comme celle appliquée par la SAR en l’espèce. Selon cette approche, les facteurs discutés dans l’arrêt Raza et la jurisprudence connexe concernant les demandes d’ERAR ne s’appliquent pas au paragraphe 110(4).

La deuxième interprétation comporte l’application du critère énoncé dans l’arrêt Raza et qui a été mis au point pour trancher la question de savoir si des éléments de preuve sont admissibles en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR, une disposition presque identique qui s’applique dans le contexte d’un ERAR (voir par exemple, X (RE), 2014 CanLII 55520 (CA CISR); X (RE), 2014 CanLII 60409 (CA CISR)). Le demandeur fait valoir qu’une application stricte du critère énoncé dans l’arrêt Raza n’englobe pas complètement les différences distinctes entre les objectifs d’un ERAR par opposition à un appel de novo prévu par la SAR. À titre d’exemple, le critère omet de prendre en compte des situations, comme celle en l’espèce, où les éléments de preuve peuvent avoir été accessibles au moment de l’audience devant la SPR, mais soulèvent néanmoins une question grave relative à un risque. L’arrêt Raza est cependant utile pour établir que, parallèlement aux restrictions prévues par la loi, il existe plusieurs considérations supplémentaires qui « résultent implicitement » de l’objet de la disposition et qui doivent donc être prises en compte (Raza, au paragraphe 14). Dans le contexte de la SAR, un facteur qui « résulte implicitement » de la disposition est celui de savoir si le paragraphe 110(4) est interprété d’une manière compatible avec les obligations de la SAR aux termes de la Charte.

Enfin, le demandeur souligne que d’autres commissaires de la SAR ont adopté une interprétation plus large du paragraphe 110(4) qui reconnaît le fait que les objets qui sous-tendent la SAR sont différents de ceux qui contribuent à la prise de décision d’un agent d’ERAR (voir par exemple X (Re), 2014 CanLII 33085 (CA CISR), aux paragraphes 17 à 21).

Le demandeur souligne que ces différentes interprétations du paragraphe 110(4) sont troublantes parce qu’elles créent des incohérences graves dans les décisions des commissaires de la SAR. À ce titre, la présente affaire soulève l’occasion de clarifier le critère d’admissibilité de nouveaux éléments de preuve que devrait appliquer la SAR.

b)      Objet de la SAR — Selon le demandeur, la SAR a, dans Singh, appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Raza pour établir que les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas admissibles. Toutefois, la juge Gagné a conclu qu’il était déraisonnable pour la SAR d’appliquer de façon stricte les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza pour interpréter le paragraphe 110(4) sans tenir compte du fait que son rôle est très différent de celui d’un agent d’ERAR. Elle a également insisté sur le fait que la SAR, contrairement à l’agent d’ERAR, est un tribunal administratif quasi judiciaire qui a le pouvoir, en vertu de l’alinéa 111(1) de la LIPR, de casser la décision de la SPR et d’y substituer la décision qui à son avis aurait dû être rendue. De plus, elle a souligné que l’objectif sous‑jacent de l’alinéa 113a) de la LIPR n’est pas de la nature d’un appel, mais d’assurer que le demandeur a une dernière chance que soit évalué tout nouveau risque de refoulement (que la SPR n’a pas déjà évalué) avant le renvoi (paragraphe 50). Par contraste, la SAR examine ces éléments de preuve à l’occasion d’un examen en appel de la justesse de la décision de la SPR. Une interprétation stricte du paragraphe 110(4) limiterait la capacité d’un demandeur d’avoir accès à un « véritable appel fondé sur les faits ». Ainsi, les critères d’admissibilité des éléments de preuve doivent être assez souples pour que cet appel puisse avoir lieu.

S’appuyant sur les conclusions tirées dans Singh, le demandeur soutient que le fait que la SAR tient une audience de novo, qu’elle dispose de vastes pouvoirs réparateurs et qu’elle constitue souvent la dernière évaluation des risques avant le renvoi sont tous des indicateurs importants selon lesquels la SAR doit également veiller à ce que les droits du demandeur garantis par la Charte, qui font partie intégrante de la procédure de demande d’asile, soient maintenus dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4).

c)      Considérations implicites : compétences parallèles au titre de la Charte et de la loi — Le demandeur soutient qu’en plus du pouvoir discrétionnaire accordé par la loi, la SAR dispose également d’une compétence inhérente au titre de la Charte parce que celle-ci est une partie essentielle de la procédure de demande d’asile, qui a été précisément mise en œuvre pour protéger les droits garantis par l’article 7 de la Charte. En outre, en vertu des alinéas 3(3)d) et f) de la LIPR, toutes les dispositions de la LIPR doivent être interprétées et appliquées d’une manière conforme à la Charte et aux instruments internationaux portant sur les droits de la personne. Lorsque des éléments de preuve qui peuvent soulever un véritable risque sont techniquement irrecevables en raison de restrictions législatives expresses, il survient un conflit entre la compétence de la SAR aux termes de l’article 7 de la Charte qui empêche un demandeur d’être renvoyé dans un pays où il existe un risque possible et la compétence de la SAR en vertu de la condition légale, que le législateur a mise en place pour éviter les litiges inutiles. Le demandeur fait valoir que le paragraphe 110(4) doit être interprété d’une manière qui reconnaît ces [traduction« compétences parallèles ».

d)     Prépondérance de la compétence liée à la Charte — Le demandeur s’appuie sur deux décisions rendues dans le contexte de l’ERAR dans lesquelles, selon lui, le principe de la prépondérance, où les droits garantis par la Charte l’emportent sur les droits prévus par la loi, est appliqué (Elezi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 240, au paragraphe 45 (Elezi); Ramos Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 101, au paragraphe 49 (Sanchez)). Dans la décision Sanchez, la Cour a conclu comme suit :

[49]      […] même si l’agent d’ERAR peut exclure un rapport en application de l’alinéa 113a) de la LIPR, il disposait du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte le rapport de Harvard. Un agent d’ERAR n’est pas tenu de prendre en considération uniquement les éléments de preuve soumis par le demandeur; il a au contraire l’obligation de procéder à une recherche indépendante suffisamment étendue pour en arriver à une décision bien fondée. En l’espèce, l’agent a bel et bien consulté d’autres sources que les documents présentés, y compris deux Réponses aux demandes d’information d’avril 2006 et donc également antérieures à l’audience, et s’est appuyé sur ces sources. L’agent d’ERAR a par conséquent commis une erreur en n’exerçant pas comme il se devait le pouvoir discrétionnaire dont il disposait de prendre en considération des éléments de preuve substantiels et crédibles qui étayaient les allégations de risque de M. Ramos Sanchez. [Notes de bas de page omises.]

Le demandeur fait également valoir que si, selon Sanchez, un agent d’ERAR a une obligation de nature discrétionnaire de procéder à une recherche indépendante au-delà des rapports versés au dossier, il serait alors absurde de déclarer qu’il ne peut pas non plus prendre en compte des éléments de preuve clairs qui figurent dans le dossier.

e)      La méthode de la pondération — Le demandeur soutient que dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’interprétation de l’alinéa 113a) de la LIPR comportait à la fois une interprétation explicite de cette disposition, ainsi que des considérations implicites. La SAR, contrairement aux officiers d’ERAR, est un tribunal compétent et à ce titre, elle dispose du pouvoir discrétionnaire d’accorder des réparations fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte (R c Conway, 2010 CSC 22, au paragraphe 81 (Conway); LIPR, article 162; Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, article 25 (les Règles de la SAR)). Par conséquent, le demandeur fait valoir que l’interprétation du paragraphe 110(4) devrait également viser des considérations implicites comme le fait que la SAR est tenue, à titre de tribunal compétent, de veiller à ce que les valeurs et les droits garantis par la Charte soient protégés.

[30]           Selon le demandeur, une interprétation stricte du paragraphe 110(4), en l’absence de tout élément de pouvoir discrétionnaire fondé sur la Charte, mènerait à un régime rigide dans lequel les nouveaux éléments de preuve seraient rejetés en vertu d’une interprétation technique de la loi et les demandeurs seraient régulièrement forcés à solliciter une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte. Une telle approche donnerait lieu à un régime rigide à deux volets en vertu duquel les principes de la Charte s’opposent directement à l’intention du législateur, sans que la SAR dispose de souplesse pour prendre en compte les droits relevant des deux volets.

[31]           La jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada favorise une approche plus nuancée selon laquelle les valeurs de la Charte se fondent dans toutes les décisions raisonnables et qu’elles « ressortisse[nt] au mandat légal de la Commission et à son pouvoir discrétionnaire exercé dans le respect des valeurs de la Charte » (Conway, au paragraphe 103). Plus récemment, dans l’arrêt Doré, la Cour suprême a confirmé que lorsqu’une loi conférait un pouvoir de nature discrétionnaire à un décideur, ce dernier est tenu de prendre en compte et de pondérer les valeurs de la Charte dans le cadre de l’exercice raisonnable de ce pouvoir (paragraphes 6, 7 et 35). Le cadre analytique de l’arrêt Doré, qui guide les décideurs dans l’application des valeurs de la Charte lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire (aux paragraphes 55 à 58), a récemment été confirmé de nouveau par l’arrêt majoritaire de la Cour suprême dans École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, au paragraphe 3 (École secondaire Loyola).

[32]           Suivant l’arrêt Doré, le demandeur soutient que la compétence parallèle de la SAR fondée sur la Charte devrait se fondre implicitement dans l’analyse au titre du paragraphe 110(4). Ainsi, même si la SAR conclut que les nouveaux éléments de preuve sont techniquement irrecevables, elle doit par la suite examiner la question de savoir si ces éléments de preuve, s’ils étaient inclus, soulèveraient une possibilité sérieuse d’exposition à un risque. Ce faisant, la SAR doit pondérer le désir de célérité du législateur tout en veillant en même temps à ce que le droit du demandeur garanti par la Charte ne fasse pas l’objet d’une atteinte plus importante que nécessaire.

[33]           Dans la présente affaire, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve pour établir si la discrimination dont le demandeur serait la victime en raison de sa séropositivité équivalait à de la persécution. Cette analyse se fondait cependant uniquement sur les documents dont disposait la SPR et, si la SAR était simplement [traduction] « allée à la page suivante », c’est‑à‑dire si elle avait accepté les nouveaux éléments de preuve, elle aurait trouvé une pléthore d’éléments de preuve décrivant clairement la stigmatisation extrême que subissent les personnes séropositives. Une analyse de ces éléments de preuve pouvait nettement contredire la décision de la SPR selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à la persécution à son retour au Ghana.

[34]           Lors de son examen de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve, la SAR avait l’obligation d’examiner la question de savoir si le rejet de ces éléments de preuve aurait une incidence sur les droits du demandeur garantis par l’article 7 de la Charte et, dans un tel cas, la SAR était tenue de pondérer toute atteinte à l’intention du législateur de faire en sorte que la SAR soit un processus rapide et expéditif. L’omission de se livrer à cet exercice de pondération équivaut à une erreur de droit.

B.                 La position du défendeur

[35]           Selon le défendeur, l’application du critère relatif à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve ne comportait aucune erreur. Le demandeur n’a pas démontré que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve. La SAR a correctement appliqué le paragraphe 110(4) et a raisonnablement conclu que les nouveaux éléments de preuve ne répondaient pas aux exigences prévues par la loi, ce que reconnaît le demandeur. Le demandeur n’a pas établi qu’il n’avait pu fournir un nouvel élément de preuve relatif à la situation du pays à la SPR. Il était donc loisible à la SAR d’appliquer les restrictions prévues par la loi lors de son examen de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve.

[36]           Le défendeur fait valoir que l’interprétation que fait la SAR du paragraphe 110(4) est conforme à la Charte et que les valeurs de la Charte n’accordent pas un pouvoir discrétionnaire extralégislatif d’admettre des éléments de preuve qui sont nettement irrecevables en vertu de cette disposition. À l’appui de ces prétentions, le défendeur fait les observations suivantes.

a)      Le demandeur a mal compris le rôle de la SAR — En guise d’observation préliminaire, le défendeur fait valoir que le demandeur a mal qualifié le rôle de la SAR. Un appel devant la SAR n’est pas un appel de novo; il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision de la SPR, principalement ou entièrement fondé sur des documents, à l’occasion duquel elle examine les erreurs potentielles de la décision de la SPR que soulève l’appelant (Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 711, au paragraphe 26; Spasoja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 913, aux paragraphes 42 à 44; Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321, au paragraphe 18).

De plus, la SAR n’est pas un organisme qui permet à un appelant de présenter une meilleure preuve lorsque celle présentée à la SPR a été déclarée insuffisante. La limite relative à l’acceptation de nouveaux éléments de preuve prévue au paragraphe 110(4) indique clairement que cette fonction n’était pas prévue. 

b)      L’application du paragraphe 110(4) par la SAR n’est pas fondamentalement incompatible — Le défendeur conteste l’affirmation du demandeur selon laquelle différents commissaires de la SAR appliquent de façon très différente l’analyse selon l’arrêt Raza. Le défendeur soutient que ces décisions sont cohérentes en ce qu’elles exigent toutes que l’appelant satisfasse d’abord au critère énoncé dans le paragraphe 110(4). Si le critère n’est pas rempli, alors l’enquête prend fin et la preuve n’est pas admise (X (Re), 2014 CanLII 55520 (CA CISR), au paragraphe 4; X (Re), 2014 CanLII 60386 (CA CISR), aux paragraphes 23 à 28). De plus, le critère énoncé dans l’arrêt Raza est simplement une reconnaissance selon laquelle des éléments de preuve peuvent être quand même exclus « pour l’un des motifs énoncés » (Raza, aux paragraphes 13 à 16), même si les conditions prévues par la loi sont respectées.

c)      Le demandeur n’a pas démontré que la Charte s’appliquait — Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas établi que ses droits protégés par l’article 7 de la Charte étaient en cause. Selon l’arrêt Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72, au paragraphe 75, pour que l’article 7 entre en jeu, il doit exister un lien de causalité suffisant entre l’effet imputable à l’État et le préjudice subi par le demandeur. Le demandeur n’a fourni aucune preuve établissant que le refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve mettait en cause ses droits garantis par l’article 7.

S’appuyant sur l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711, à la page 736 (Chiarelli), le défendeur fait valoir que si l’expulsion en soi de ressortissants étrangers ne porte pas atteinte à leur droit à la liberté ou à la sécurité de leur personne, le refus d’admettre des éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR ne le fait pas non plus.

En outre, même si l’article 7 s’appliquait en l’espèce, le demandeur n’a pas démontré qu’il a été privé de ses droits d’une manière qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale, puisque le droit d’appel ne constitue pas un tel principe. Comme le droit d’appel n’est pas un principe de justice fondamentale, la restriction imposée à l’accès du demandeur à un tel appel ne viole pas ses droits protégés par l’article 7. En règle générale, les parties qui souhaitent interjeter un appel sont tout d’abord tenues de faire la preuve de ce qu’elles avancent devant le décideur de première instance et elles n’ont pas le droit de présenter de nouveaux éléments de preuve en appel (Palmer et Palmer c La Reine (1979), [1980] 1 RCS 759).

La Cour suprême du Canada a statué que puisque les appels sont une création de la loi, il n’existe aucun droit d’appel absolu (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 RCS 539, au paragraphe 47). De plus, le fait que la Cour fédérale peut contrôler la décision de la SAR offre une indication supplémentaire selon laquelle le demandeur bénéficie de la justice fondamentale et que la SAR n’est pas tenue de mener un appel de novo de l’audience de la SPR (Chiarelli, au paragraphe 41; Kourtessis c Ministre du Revenu national, [1993] 2 RCS 53, aux pages 69 et 70; Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 CF 646 (CA), aux pages 664 à 667; autorisation de pourvoi rejetée [1997] ACSC no 332; Luitjens c Canada (Secrétaire d’État), [1992] ACF no 319).

d)     Les nouveaux éléments de preuve ne soulèvent pas de question fondée sur la Charte — Le défendeur soutient également que les nouveaux éléments de preuve en cause ne fournissent pas une preuve sérieuse ou convaincante que le demandeur sera exposé à un risque au Ghana. Les nouveaux éléments de preuve fournissent plutôt un commentaire général concernant l’existence de la stigmatisation à l’égard des personnes séropositives au Ghana. Aucun document ne vise précisément le demandeur. La situation est différente de celle de la décision Elezi, sur laquelle s’appuie le demandeur concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande d’ERAR. Dans cette décision, la cour a souligné que « [c]ontrairement aux rapports sur la situation ayant cours dans le pays », les nouveaux éléments de preuve visaient le demandeur de façon précise et tendaient à confirmer son récit.

e)      Le paragraphe 110(4) est compatible avec la Charte – De plus, les demandeurs d’asile ne bénéficient pas d’une garantie fondamentale d’avoir l’occasion continue de fournir de meilleurs éléments de preuve en appel lorsqu’ils ont eu l’occasion de présenter leurs éléments de preuve à la SPR. Il est de pratique courante devant les tribunaux judiciaires et administratifs d’exiger que les parties à un litige présentent la preuve la meilleure et la plus complète devant le décideur de première instance et cela est entièrement compatible avec les principes de justice fondamentale.

L’admission de nouveaux éléments de preuve devant un agent d’ERAR est limitée par une disposition très semblable, qui permet à un agent d’ERAR de refuser de recevoir de nouveaux éléments de preuve lorsque ceux‑ci ne respectent pas les exigences prévues par la loi. Il a été reconnu que cette restriction à l’égard de nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’un ERAR est compatible avec l’article 7 de la Charte (Doumbouya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1187, aux paragraphes 92 à 94; Abdollahzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1310, au paragraphe 35; Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 175, au paragraphe 34; Moizisk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 48, au paragraphe 13).

La possibilité d’admettre de nouveaux éléments de preuve à l’occasion d’un appel devant la SAR est une couche de protection supplémentaire dans un système qui était déjà conforme à la Charte. La preuve de nouveaux risques ou de nouveaux éléments de preuve appuyant des allégations de risque déjà invoquées devant la SPR peuvent être présentés, pourvu que l’appelant puisse fournir une explication raisonnable concernant les raisons pour lesquelles il n’a pas présenté ces éléments de preuve à la SPR. Un demandeur a également le loisir de solliciter le contrôle judiciaire du refus de la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve lorsqu’il estime que ce refus est déraisonnable. Les demandeurs d’asile déboutés ont également une occasion supplémentaire de soulever lors de leur renvoi de nouveaux risques qui n’avaient pas été examinés auparavant, un processus qui a récemment été déclaré conforme à la Charte (Peter c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073).

f)       Aucune allégation d’atteinte à la Charte — Le défendeur souligne que le demandeur n’a pas allégué que le critère prévu au paragraphe 110(4) violait la Charte. De surcroît, le demandeur n’a pas montré que le paragraphe 110(4) comportait une ambiguïté qui justifie le recours aux valeurs consacrées par la Charte. Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, [2002] 2 RCS 559, si une loi n’est pas ambiguë, les tribunaux doivent donner effet à l’intention clairement exprimée par le législateur et ne pas recourir aux valeurs de la Charte pour interpréter la loi (R c Clarke, 2014 CSC 28, aux paragraphes 62 à 64; R c Rodgers, [2006] 1 RCS 554).

g)      Les valeurs de la Charte n’accordent pas un pouvoir discrétionnaire extralégislatif — Le défendeur fait valoir qu’en soutenant que la SAR possède une [traduction] « compétence parallèle » en vertu de la Charte, le demandeur attaque de fait le paragraphe 110(4) sans en contester la constitutionnalité. En l’absence d’une contestation constitutionnelle directe, le demandeur ne peut pas recourir à la Charte pour contester une limite claire à laquelle est soumise l’admission de nouveaux éléments de preuve.

Bien que le défendeur s’appuie sur l’affaire Elezi, cette décision est peu utile parce qu’outre la nature différente de la preuve, la Cour a également conclu qu’il eût été difficile, dans les circonstances de cette affaire, de croire que le demandeur aurait pu raisonnablement présenter ses nouveaux éléments de preuve à la SPR (au paragraphe 43). La décision de l’agent a été déclarée déraisonnable puisque le demandeur respectait le critère relatif à l’admission de nouveaux éléments de preuve. Ainsi, dans la mesure où la Cour a indiqué qu’un agent peut accepter une preuve qui est « techniquement irrecevable », cette conclusion est une remarque incidente (Foinding c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 500, au paragraphe 34; Ghannedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 879, au paragraphe 19).

L’analyse selon l’arrêt Doré n’a lieu qu’en présence d’une décision administrative discrétionnaire. Le paragraphe 110(4) ne confère pas à la SAR le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne respectent pas les exigences prévues dans ce paragraphe. Le demandeur n’a pas contesté la conclusion de la SAR selon laquelle il n’a pas fourni une explication raisonnable pour ne pas avoir présenté ses nouveaux éléments de preuve devant la SPR. Dans la mesure où le demandeur reconnaît qu’aucune des exigences prévues pour l’admission d’une nouvelle preuve en vertu du paragraphe 110(4) n’a été satisfaite en l’espèce, la SAR n’avait aucun pouvoir discrétionnaire à exercer et, par conséquent, l’analyse selon l’arrêt Doré ne s’applique pas (voir École secondaire Loyola au paragraphe 35; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 52 (Baker)).

h)      La décision de la SAR est conforme aux valeurs de la Charte — Selon le défendeur, quoi qu’il en soit, l’application que fait la SAR du paragraphe 110(4) pour apprécier le caractère raisonnable de l’explication du demandeur à l’égard du fait qu’il n’a pas fourni la preuve à la SPR est conforme aux valeurs de la Charte. La SAR a pondéré de manière appropriée ces valeurs à la lumière de l’objectif du paragraphe 110(4), qui consiste à offrir aux demandeurs d’asile un mécanisme d’appel rapide et efficace (Débats de la Chambre des communes, 40e législature, 3e session, no 033 (le 26 avril 2010), à la page 143 (l'honorable Jason Kenney, ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme); Chambre des communes, Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, 40e législature, 3e session (le mardi 1er juin 2010), aux pages 13 et 14 (John Butt, gestionnaire, Développement de programmes, CIC)). Le mandat de la SAR consiste à identifier les erreurs que comportent les décisions de la SPR et que soulève la partie qui interjette appel. L’appel devant la SAR n’est pas destiné à être une audience de novo et à examiner de nouveau dans son entier la demande d’asile d’un requérant. Il est donc raisonnable que des restrictions soient appliquées à la portée de la preuve que la SAR peut accepter.

[37]           La limite quant aux nouveaux éléments de preuve est également compatible avec l’objectif global de la LIPR qui consiste à mettre en place une procédure équitable et efficace qui est respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile (LIPR, alinéa 3(2)e)) et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus par le Canada à tout être humain. La SAR doit pondérer ces objectifs et, par conséquent, la portée de sa fonction, y compris l’acceptation de nouveaux éléments de preuve, est limitée.

[38]           La décision de la SAR était également raisonnable parce que le demandeur a eu l’occasion de présenter les nouveaux éléments de preuve pour examen dans sa demande d’asile, puisque les documents étaient accessibles au moment de son audience. Il a également eu la possibilité de les faire examiner par la SAR en expliquant de façon raisonnable pourquoi il ne les avait pas présentés à la SPR. Son incapacité à le faire découlait des lacunes de ses propres actions.

[39]           La SAR a également pris en compte le fait que le demandeur était représenté devant la SPR par un conseil expérimenté qui a fourni de nombreuses observations à propos des risques auxquels le demandeur était exposé en raison de sa séropositivité. Il était loisible au demandeur de démontrer qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle en raison de l’incompétence de son ancien conseil, mais il ne l’a pas fait (R c GDB, [2000] 1 RCS 520, aux paragraphes 26 à 29; Williams c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 258, au paragraphe 20; Cove c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, aux paragraphes 6 à 8; Betesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 173, aux paragraphes 15 et 16; Ghannedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 879, au paragraphe 19).

[40]           Enfin, les nouveaux éléments de preuve ne sont pas des éléments d’une preuve portant sur une nouvelle allégation de risque que la SPR n’a pas pris en compte ou des éléments de preuve qui visent personnellement le demandeur. Les nouveaux éléments de preuve étaient plutôt des documents généraux sur la situation générale du pays concernant la stigmatisation à l’égard des personnes séropositives au Ghana. Les nouveaux éléments de preuve ne montraient pas que le demandeur serait exposé à un risque au Ghana en raison de sa séropositivité. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure que la nature de ces éléments de preuve ne justifiait pas de les admettre lorsqu’elle a examiné le caractère raisonnable de l’explication du demandeur pour ne les avoir pas fournis plus tôt.

[41]           Pour tous ces motifs, le défendeur soutient que la décision de la SAR représente un équilibre raisonnable et juste des valeurs de la Charte et des objectifs législatifs en cause.

Analyse

[42]           La position du demandeur repose essentiellement sur l’arrêt Doré de la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême devait trancher une contestation de la constitutionnalité d’une décision d’un organisme disciplinaire, selon laquelle la décision enfreignait la liberté d’expression du demandeur garantie par la Charte. Cette contestation soulevait la question concernant la manière de protéger les garanties de la Charte et les valeurs qu’elles reflètent dans le contexte de décisions administratives en matière contentieuse. La Cour suprême a affirmé que normalement, si le décideur a rendu une décision administrative conforme à son mandat en exerçant un pouvoir discrétionnaire, le contrôle judiciaire qui la concerne vise à juger de son caractère raisonnable. La question à trancher était celle de savoir si la présence d’une question relative à la Charte appelait le remplacement de ce cadre d’analyse de droit administratif par le test énoncé dans l’arrêt R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 [Oakes], test utilisé traditionnellement pour déterminer si l’État a justifié la violation de la Charte par une loi en démontrant que cette violation s’inscrivait dans les « limites raisonnables » au sens de l’article premier (Doré, aux paragraphes 2 et 3). La juge Abella a déclaré qu’il allait sans dire que les décideurs administratifs devaient agir de manière compatible avec les valeurs sous-jacentes à l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire, y compris les valeurs consacrées par la Charte (au paragraphe 24).

[43]           Lorsqu’elle a examiné ces deux approches, la juge Abella a déclaré ce qui suit :

[34]      […] Aujourd’hui, la Cour a deux options quant à la révision des décisions administratives de nature discrétionnaire qui soulèvent des questions relatives aux valeurs consacrées par la Charte. La première consiste à adopter le cadre d’analyse décrit dans Oakes et élaboré pour examiner la constitutionnalité des lois. Cette approche protège indéniablement les droits visés par la Charte, mais elle le fait au détriment d’une conception plus riche du droit administratif. Comme l’exprime le professeur Evans, si les tribunaux étaient trop prompts à esquiver le droit administratif au profit de la Charte, [traduction] « une source précieuse de connaissance et d’expérience en matière de droit et de gouvernance ne sera pas prise en compte ou sera complètement perdue ».

[35]      En choisissant plutôt la seconde option, la Cour donnerait son aval à cette conception plus riche du droit administratif en vertu de laquelle le pouvoir discrétionnaire est exercé « à l’aune des garanties constitutionnelles et des valeurs que comportent celles‑ci » (Multani, par. 152, le juge LeBel). Cette approche n’exige pas de se rabattre sur l’analyse requise par l’article premier telle qu’elle a été établie dans Oakes pour protéger les valeurs consacrées par la Charte; elle suppose plutôt que les décisions administratives prennent toujours en considération les valeurs fondamentales. La Charte n’agit alors que comme [traduction] « un rappel que certaines valeurs sont manifestement fondamentales et [. . .] ne peuvent être violées à la légère » (Cartier, p. 86). L’approche du droit administratif reconnaît, en outre, la légitimité que la Cour a donnée à la prise de décisions administratives dans des arrêts tels Dunsmuir et Conway. Ces derniers soulignent que les organismes administratifs ont le pouvoir, et même le devoir, de tenir compte des valeurs consacrées par la Charte dans leur domaine d’expertise. Intégrer ces valeurs dans l’approche qui préconise l’application des règles de droit administratif et reconnaître l’expertise des décideurs administratifs instaure [traduction] « un dialogue institutionnel quant à l’utilisation qui doit être faite du pouvoir discrétionnaire et quant à la révision appropriée de son exercice plutôt que de faire appel à la relation plus ancienne d’autorité et de contrôle » (Liston, p. 100).

[36]      Comme la juge en chef McLachlin l’a expliqué dans Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, l’examen de la constitutionnalité d’une loi doit être différent de la révision d’une décision administrative qui est contestée parce qu’elle porterait atteinte aux droits d’un individu en particulier (voir également Bernatchez). Lorsque les valeurs consacrées par la Charte sont appliquées à une décision administrative particulière, elles sont appliquées relativement à un ensemble précis de faits. Dunsmuir nous dit que la retenue s’impose dans un tel cas (par. 53; voir aussi Suresh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, par. 39). Par contre, lorsqu’on vérifie si une « loi » particulière respecte la vie, il est question de principes d’application générale.

[44]           En adoptant la deuxième approche et en concluant que de telles décisions devaient faire l’objet d’une révision judiciaire selon la norme de la décision raisonnable, la Cour suprême a reconnu l’importance de l’expertise d’un décideur administratif exerçant « un pouvoir discrétionnaire en vertu de sa loi constitutive » (aux paragraphes 45 et 47).

[45]           Pour examiner les valeurs consacrées par la Charte, la Cour suprême a mis au point le cadre applicable suivant à l’intention des décideurs exerçant leur pouvoir discrétionnaire conféré par la loi :

[55]      Comment un décideur administratif applique‑t‑il donc les valeurs consacrées par la Charte dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi? Il ou elle met en balance ces valeurs et les objectifs de la loi. Lorsqu’il procède à cette mise en balance, le décideur doit d’abord se pencher sur les objectifs en question. Dans Lake, par exemple, l’importance des obligations internationales du Canada, ses relations avec les gouvernements étrangers ainsi que l’enquête, la poursuite et la répression du crime à l’échelle internationale justifiait, prima facie, la violation de la liberté de circulation visée au par. 6(1) (par. 27). Dans Pinet, c’est « le double objectif de protection de la sécurité du public et de traitement équitable » qui a fondé l’évaluation de la violation du droit à la liberté pour déterminer si elle était justifiée (par. 19).

[56]      Ensuite, le décideur doit se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi. Cette réflexion constitue l’essence même de l’analyse de la proportionnalité et exige que le décideur mette en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte, d’une part, et les objectifs que vise la loi, d’autre part. C’est à cette étape que le rôle de la révision judiciaire visant à juger du caractère raisonnable de la décision s’apparente à celui de l’analyse effectuée dans le contexte de l’application du test de l’arrêt Oakes. Comme la Cour l’a reconnu dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1995 CanLII 64 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, « les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur » lorsqu’ils procèdent à une mise en balance au regard de la Charte et il sera satisfait au test de proportionnalité si la mesure « se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables ». Il en est de même dans le contexte de la révision d’une décision administrative pour en évaluer le caractère raisonnable où il convient de faire preuve d’une certaine déférence à l’endroit des décideurs à condition que la décision, comme l’affirme la Cour dans Dunsmuir, « [appartienne] aux issues possibles acceptables » (par. 47).

[46]           Surtout, aux fins de la présente affaire, il ressort clairement de l’arrêt Doré que la prise en compte des valeurs consacrées par la Charte est fonction de la question de savoir si le décideur exerce un pouvoir discrétionnaire pour en arriver à sa décision.

[47]           Dans la présente affaire, le demandeur soutient que la SAR a le pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve qui sont autrement « techniquement irrecevable[s] » en raison de son obligation d’interpréter la loi en conformité avec la Charte, selon l’alinéa 3(3)d) de la LIPR. Pour sa part, le défendeur fait valoir que la SAR ne dispose pas d’un tel pouvoir discrétionnaire et que par conséquent, sa compétence à l’égard de l’admission de nouveaux éléments de preuve est limitée par une interprétation stricte du paragraphe 110(4).

[48]           En conséquence, à mon avis, la présente affaire semble porter sur la question de savoir si la SAR dispose du pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas aux exigences prévues par le paragraphe 110(4) de la LIPR. Si elle possède ce pouvoir discrétionnaire, alors selon l’arrêt Doré, elle est tenue de pondérer les valeurs qui sous‑tendent les droits d’un appelant garantis par l’article 7 de la Charte et l’objectif législatif de la LIPR. Toutefois, si elle ne possède pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas aux exigences prévues par le paragraphe 110(4), l’analyse prend alors fin.

[49]           L’article 110 de la LIPR est en partie rédigé comme suit :

110. […]

110. […]

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

(3.1) Sauf si elle tient une audience au titre du paragraphe (6), la section rend sa décision dans les délais prévus par les règlements.

(3.1) Unless a hearing is held under subsection (6), the Refugee Appeal Division must make a decision within the time limits set out in the regulations.

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[…]

[…]

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[50]           Dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, et dans des arrêts ultérieurs, la Cour suprême du Canada a adopté le [traduction] « principe moderne » de l’interprétation des lois :

[21]      Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie.  Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

(Voir également R c Middleton, 2009 CSC 21, au paragraphe 78; Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au paragraphe 26).

[51]           À mon avis, en se fondant sur le sens grammatical et ordinaire du libellé du paragraphe 110(4), la SAR a raisonnablement conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui selon elle ne répondait pas à l’une des exigences expressément énoncées dans cette disposition. Selon les mots clés du paragraphe 110(4), un appelant « ne peut présenter que des éléments de preuve » (non souligné dans l’original) qui répondent aux exigences prévues par la suite. L’utilisation des mots « ne peut […] que » implique l’exclusivité, limitant l’examen de la SAR exclusivement aux éléments de preuve qui répondent aux facteurs prévus par le paragraphe 110(4). Le contexte dans lequel se trouve le paragraphe 110(4) appuie ce qui précède. Le paragraphe 110(3) prévoit que, sous réserve des paragraphes 110(3.1), (4) et (6), la SAR procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier dont disposait la SPR. En vertu du paragraphe 110(6), la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe de nouveaux éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(3), qui répondent aux exigences prévues au paragraphe 110(4). Dans un tel cas, la SAR examinera la question de savoir si ces éléments de preuve soulèvent une question importante en matière de crédibilité, s’ils sont essentiels pour la demande d’asile et, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. Cela indique que les nouveaux éléments de preuve doivent tout d’abord être déclarés recevables. S’ils le sont et si une audience est demandée, alors les nouveaux éléments de preuve doivent faire l’objet d’un examen plus approfondi pour déterminer si une audience est justifiée.

[52]           Le défendeur soutient que la jurisprudence dans le contexte de l’ERAR s’applique à l’interprétation du paragraphe 110(4). À cet égard, le critère énoncé dans l’arrêt Raza ne s’étend pas à la capacité d’un agent d’ERAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve, puisque les éléments de ce critère ne jouent que lorsque l’agent conclut qu’il est satisfait aux exigences prévues par la loi. Le défendeur soutient que le même raisonnement devrait s’appliquer à l’interprétation du paragraphe 110(4). Ainsi, si les exigences prévues par la loi ne sont pas respectées, la SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve.

[53]           Je suis portée à souscrire à la prétention du défendeur selon laquelle le critère énoncé dans l’arrêt Raza ne permet pas à un agent d’ERAR d’admettre des éléments de preuve qui ne répondent pas aux exigences explicites prévues par l’alinéa 113a) de la LIPR en ce qui a trait à de nouveaux éléments de preuve. Les facteurs implicites formulés par la Cour d’appel fédérale doivent plutôt être pris en compte une fois qu’un agent a conclu que la preuve répond tout d’abord à l’une des exigences explicites prévues par la loi.

[54]           Dans le contexte de l’alinéa 113a), la Cour a déclaré ce qui suit dans De Silva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 841 :

[17]      Bien que le processus d’ERAR soit conçu pour évaluer seulement les preuves de nouveaux risques, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas prendre en considération des éléments de preuve nouveaux concernant d’anciens risques. En outre, il ne faut surtout pas confondre la question de savoir si des éléments de preuve sont de nouveaux éléments de preuve au sens de l’alinéa 133a) et celle de savoir si les éléments de preuve établissent l’existence d’un risque. L’agent d’ERAR doit d’abord vérifier si le document est visé par l’un des trois volets de l’alinéa 113a). Dans l’affirmative, il doit ensuite vérifier si le document en question prouve l’existence d’un risque nouveau.

[La phrase en gras ne l’était pas dans l’original; la partie soulignée l’était dans l’original.]

[55]           Je ne vois aucune raison pour laquelle la même approche ne serait pas suivie en ce qui a trait au paragraphe 110(4). La SAR doit tout d’abord établir si les trois exigences explicites énoncées au paragraphe 110(4) sont respectées : 1) les nouveaux éléments de preuve sont‑ils  survenus depuis le rejet de la demande d’asile? Dans la négative, 2) étaient‑ils normalement accessibles, ou 3) était‑il raisonnable de s’attendre à ce que la personne en cause les présente dans les circonstances? Si aucune de ces exigences ne sont respectées, alors à la simple lecture du paragraphe 110(4), la SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre les nouveaux éléments de preuve.

[56]           La question de savoir si les critères énoncés dans l’arrêt Raza s’appliquent au paragraphe 110(4) n’a pas de réponse à l’heure actuelle (voir par exemple, Singh et Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, aux paragraphes 40 à 44). Cependant en l’espèce, la SAR n’a pas appliqué les éléments implicites de l’arrêt Raza. Elle a plutôt conclu qu’elle n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’accepter de nouveaux éléments de preuve qui n’étaient pas visés par le paragraphe 110(4). Il n’est donc pas nécessaire ici d’entreprendre ce débat qui, en raison de la question certifiée dans la décision Singh, sera résolu par la Cour d’appel fédérale. Quoi qu’il en soit, selon mon interprétation, la décision Singh ne laisse pas entendre qu’il n’est pas nécessaire de respecter les exigences explicites du paragraphe 110(4).

[57]           Pour revenir à la question de la nature discrétionnaire de la décision de la SAR, je souligne également que la présente affaire n’est pas une situation comme celle qui prévalait dans l’arrêt École secondaire Loyola, où la source du pouvoir discrétionnaire en cause était claire puisqu’elle découlait du refus du ministre d’accorder une exemption à l’égard d’une exigence prévue par règlement. En effet dans cet arrêt, la Cour suprême s’est reportée à son arrêt Doré rendu antérieurement, qu’elle décrit comme établissant le cadre d’analyse applicable pour décider si la ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions pertinentes de la Charte (au paragraphe 3). Elle a ensuite déclaré ce qui suit :

[4]        Suivant Doré, lorsqu’une décision fait intervenir les protections énumérées dans la Charte — soit tant les droits qui y sont énoncés que les valeurs dont ils sont le reflet —, le ou la ministre doit veiller à ce que ces protections ne soient pas restreintes plus qu’il n’est nécessaire compte tenu des objectifs applicables visés par la loi qu’il ou elle a l’obligation de chercher à atteindre.

[58]           Dans l’arrêt École secondaire Loyola, la contestation ne visait pas le pouvoir légal de la ministre d’imposer certaines exigences pédagogiques, mais plutôt la décision qu’elle a prise, par suite de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser d’accorder à l’appelant une exemption. Dans cette situation, la Cour suprême a statué que le caractère raisonnable de la décision du ministre était fonction de ce qui suit :

[32]      […] il faut déterminer si cette décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée du mandat légal d’accorder une exemption uniquement si le programme proposé est « équivalent » au programme d’études prescrit compte tenu des objectifs de promotion de la tolérance et du respect des différences du programme ÉCR, d’une part, et de la liberté de religion des membres de la communauté de Loyola qui veulent offrir et qui souhaitent recevoir une éducation catholique, d’autre part.

[59]           La Cour suprême du Canada a également déclaré ce qui suit : « La notion de pouvoir discrétionnaire s’applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d’options à l’intérieur de limites imposées par la loi » (Baker, au paragraphe 52).

[60]           Par contraste, le paragraphe 110(4) ne confère aucun pouvoir discrétionnaire à la SAR de refuser d’appliquer les exigences explicites quant à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Cette disposition énumère les facteurs que la SAR doit appliquer, établissant ainsi le résultat en fonction des faits de l’affaire. Si les nouveaux éléments de preuve respectent les exigences du paragraphe 110(4), la SAR doit alors les accepter. À l’inverse, si les nouveaux éléments de preuve ne les respectent pas, la SAR doit alors les rejeter. Bien que l’évaluation de la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve étaient normalement accessibles ou si le requérant ne pouvait normalement les présenter auparavant comporte un élément de subjectivité, il s’agit d’une évaluation des faits et cela ne modifie pas la nature de la décision prise en fin de compte quant à l’admissibilité. Par conséquent, à mon avis, l’interprétation qu’a faite la SAR du paragraphe 110(4) était raisonnable.

[61]           Le demandeur s’appuie également sur deux décisions de la Cour rendue dans le contexte de l’ERAR pour étayer son argument selon lequel les droits garantis par la Charte peuvent l’emporter sur les pouvoirs conférés par la loi. La première décision est la décision Elezi, qui est antérieure à l’arrêt Raza de la Cour d’appel fédérale. Dans la décision Elezi, le juge de Montigny (alors juge de la Cour fédérale) a observé que si le Canada veut respecter ses obligations internationales et se conformer à la Charte, « il ne saurait faire abstraction d’un élément de preuve crédible attestant qu’une personne serait exposée à un risque en cas de renvoi dans son pays d’origine, en affirmant simplement que cette preuve est techniquement irrecevable » (au paragraphe 45). Comme l’a cependant souligné le défendeur, dans l’affaire Elezi, le juge a conclu que la décision de l’agent de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur suivant l’alinéa 113a) était déraisonnable parce qu’ils sont survenus après la décision de la SPR ou parce qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que, dans les circonstances, le demandeur ait pu les présenter à la SPR (aux paragraphes 39 et 43). À cet égard, ses observations sur l’admissibilité d’éléments de preuve « techniquement irrecevables » peuvent être à juste titre considérées comme une opinion incidente. Par ailleurs, l’élargissement proposé du critère prévu à l’alinéa 113a) de la LIPR ne semble pas avoir été suivi par la suite.

[62]           Le demandeur s’appuie également sur la décision Sanchez, qui accorde un sursis d’exécution. Dans cette affaire, l’agent d’ERAR a exclu un document sur la situation du pays suivant l’alinéa 113a) de la LIPR au motif qu’il avait été publié avant la date de l’audience et que le demandeur ou son avocate aurait pu le trouver et le soumettre à l’audience de la SPR. Le juge Shore a conclu que ce n’était pas parce que le rapport avait été publié avant l’audience que son existence était manifeste ou qu’il était facilement accessible au demandeur. Comme il n’avait pas été trouvé et inclus dans le CND, le juge a demandé comment il aurait pu être raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile ou son avocate ait pu le trouver. Il a également conclu qu’il s’agissait d’un rapport extrêmement pertinent qui provenait d’une source crédible. Il a déclaré que même si l’agent pouvait exclure un rapport en application de l’alinéa 113a), il disposait du pouvoir discrétionnaire de prendre en compte le rapport. Selon mon interprétation de la décision, cette conclusion semble être fondée sur l’observation du juge Shore portant qu’un agent d’ERAR n’est pas tenu de prendre en considération uniquement les éléments de preuve soumis par le demandeur; il a au contraire l’obligation de procéder à une recherche indépendante suffisamment étendue pour en arriver à une décision bien fondée. L’agent avait bel et bien consulté d’autres sources et s’y était appuyé. Le juge Shore a conclu que l’agent d’ERAR avait omis d’exercer comme il se devait le pouvoir discrétionnaire dont il disposait de prendre en considération des éléments de preuve substantiels et crédibles qui étayaient les allégations de risque du demandeur. Pour ce motif et d’autres motifs, le demandeur avait démontré l’existence d’une question sérieuse à trancher et le sursis d’exécution était justifié.

[63]           À mon avis, dans la décision Sanchez, le juge Shore semble conclure que la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas présenté le rapport plus tôt était raisonnable. Pour ce motif, même si le rapport était antérieur à l’audience de la SPR, l’agent d’ERAR pouvait en tenir compte puisqu’il était pertinent et crédible. L’agent aurait également pu le prendre en compte dans le cadre de sa recherche indépendante. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que cette décision est utile pour le demandeur en raison du rejet de la SAR de son explication pour ne pas avoir fourni les documents sur la situation du pays et parce que le demandeur n’a pas contesté le caractère raisonnable de cette conclusion. De plus, les rapports qu’il souhaitait présenter comme nouveaux éléments de preuve portaient sur une question à l’égard de laquelle des éléments de preuve avaient été présentés et examinés par la SPR.

[64]           Ainsi, les décisions Elezi et Sanchez n’étayent pas le point de vue selon lequel la SAR a le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte de nouveaux éléments de preuve qui n’ont répondu à aucun des critères explicites énoncés au paragraphe 110(4) pas plus que les droits garantis par la Charte ne l’emportent, dans les circonstances, sur cette disposition législative.

[65]           En l’espèce, la SAR a conclu que les quatre nouveaux documents ont tous été présentés avant la deuxième séance de l’audience devant la SPR, après que le demandeur eut appris qu’il était séropositif et après qu’il eut ajouté ce motif à sa demande d’asile. Il était représenté par un conseil expérimenté qui a, en fait, présenté des documents portant sur le traitement réservé aux personnes atteintes du VIH au Ghana, lesquels ont été examinés par la SPR. Le conseil a également fourni « de nombreuses observations à propos des risques auxquels l’appelant serait exposé en tant que personne séropositive s’il devait retourner au Ghana » (paragraphe 15). L’appelant n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de l’argument selon lequel son conseil avait fait preuve d’incompétence en ne présentant pas plus d’éléments de preuve documentaire. De plus, la SAR n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle il ne savait pas qu’il devait recueillir des éléments de preuve par rapport à cette question, car son conseil et lui en avaient tous deux présenté à l’audience. La SAR a aussi conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante pour la convaincre que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas normalement accessibles, ou, s’ils l’étaient, qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il les présente, dans les circonstances, au moment du rejet de sa demande d’asile par la SPR. 

[66]           En bref, la SAR a conclu que le demandeur ne respectait pas les exigences explicites prévues par le paragraphe 110(4). À mon avis et comme je l’ai souligné plus haut, en l’absence d’un pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondaient pas à ces exigences, si la SAR avait raisonnablement tiré cette conclusion, alors l’applicabilité ou la prise en compte des facteurs implicites énoncés dans Raza ou d’autres critères, n’était plus pertinente. Même s’ils étaient appliqués, ces facteurs ne serviraient qu’à restreindre l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve qui répondent aux exigences explicites.

[67]           À cet égard, je suis également d’avis que la décision de la SAR de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve était raisonnable. Les éléments de preuve sont survenus après le rejet de la demande d’asile. Aucun élément de preuve ne montrait qu’ils n’étaient pas normalement accessibles. Dans son affidavit, le demandeur a déclaré qu’il joignait des éléments de preuve documentaire supplémentaires qui décrivaient en détail la persécution à laquelle les personnes séropositives étaient exposées au Ghana. Pour expliquer qu’il n’avait pas auparavant fourni ces éléments de preuve, il a déclaré qu’il [traduction] « ne savai[t] pas qu[’il] devai[t] recueillir ces éléments de preuve pour [son] audience devant la SPR » et qu’il [traduction] « ne savai[t] pas pourquoi [son] conseil n’en a pas recueilli davantage. » Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de rejeter cette explication dans ces circonstances. Le demandeur et son ancien conseil étaient au courant de la question et ont bel et bien présenté des éléments de preuve documentaire portant sur la manière dont les personnes séropositives étaient traitées au Ghana. Les nouveaux éléments de preuve ne visent pas non plus le demandeur de façon personnelle. Ils sont plutôt constitués d’autres éléments de preuve documentaire sur la situation du pays que le demandeur aurait pu raisonnablement présenter, dans les circonstances, avant le rejet de sa demande d’asile, selon la conclusion de la SAR.  

[68]           Bien que je reconnaisse que dans la décision Singh, la juge Gagné a conclu qu’il était déraisonnable d’exiger que le demandeur formule une plainte contre son avocate, par comparaison je soulignerais que le 7 mars 2014, la Cour a mis en œuvre un protocole procédural que doivent suivre les demandeurs avant d’invoquer l’incompétence ou la négligence d’un ancien conseil comme motif de réparation dans le contexte de demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu des Règles des Cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés ou de demandes déposées en guise d’appels en vertu de la Loi sur la citoyenneté. Ainsi, dans le contexte d’un appel devant la SAR dans le cadre duquel l’incompétence d’un ancien conseil est alléguée par l’actuel conseil ou par le demandeur, je ne suis pas convaincue qu’il est déraisonnable pour la SAR de conclure que le fait que l’appelant n’a pas formulé une plainte officielle à l’encontre de son ancien conseil a un effet défavorable sur son appréciation de la question de savoir si on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que l’appelant présente les éléments de preuve dans les circonstances.

[69]           Enfin, je souligne qu’en l’espèce, les nouveaux éléments de preuve proposés sont très semblables aux éléments de preuve dont disposait la SPR, et que la SAR a examinés, en ce qu’ils consistent en grande partie de déclarations générales à propos de la stigmatisation qui, individuellement ou collectivement, n’appuient pas grandement la persécution comme résultat d’une discrimination cumulative. Autrement dit, rien dans les nouveaux éléments de preuve n’est substantiellement différent des renseignements présentés devant la SPR. Dans ces circonstances, même si la SAR avait bel et bien eu le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte les nouveaux éléments de preuve qui étaient techniquement irrecevables, à mon avis, il était raisonnable pour la SAR de ne pas exercer ce pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, sans preuve claire de risque, les droits du demandeur garantis par l’article 7 de la Charte n’entrent pas en jeu. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir si « la décision fait intervenir la Charte en restreignant les protections que confère cette dernière » (École secondaire Loyola, au paragraphe 39).

Question no 2 — La SAR a-t-elle commis une erreur dans l’application du paragraphe 110(4) lorsqu’elle a refusé d’examiner des documents mis à jour dans le CND?

[70]           Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur en refusant d’examiner des documents mis à jour dans le CND. Le demandeur reconnaît que les rapports du Département d’État des États-Unis de 2012 et de 2013 étaient, dans les faits, les mêmes et que la SAR a bel et bien examiné le rapport de 2012. Il fait toutefois valoir que le rapport de 2013 pouvait quand même être pertinent puisqu’il montrait l’existence de la continuité de la stigmatisation.

[71]           Le défendeur soutient que si le CND contenait de nouveaux éléments de preuve postérieurs à la décision de la SPR, le demandeur était tenu de demander que la SAR les prenne en compte et de les présenter avec le dossier de l’appelant (Règles de la SAR, articles 3 et 29). Par surcroît, même si, comme le soutient le demandeur, la SAR devait prendre en compte des documents dans un CND mis à jour, le demandeur n’a pas indiqué que la mise à jour contenait bel et bien de nouveaux documents concernant le traitement réservé aux personnes séropositives. La seule modification apportée au CND mis à jour est l’inclusion du nouveau rapport du Département d’État des États-Unis de 2013 et le demandeur a reconnu que le rapport du Département d’État des États-Unis de 2012, que la SAR a pris en compte, et le rapport du Département d’État des États-Unis de 2013 étaient identiques. Puisque le demandeur a omis de montrer de nouveaux éléments de preuve, il n’existe aucun fondement pour soutenir que la SAR a omis de prendre ces éléments de preuve en compte.

[72]           À mon avis, il n’est pas nécessaire que la Cour aborde cette question puisque le CND mis à jour ne contenait pas de nouveaux renseignements concernant le traitement réservé aux personnes séropositives au Ghana. 

Question no 3 — La SAR a-t-elle conclu de façon déraisonnable que les éléments de preuve concernant la discrimination dont les personnes séropositives étaient victimes au Ghana n’équivalaient pas à de la persécution?

[73]           Le demandeur soutient que l’appréciation qu’a faite la SAR des documents dont disposait la SPR était déraisonnable. Ces documents contenaient d’importants éléments de preuve de discrimination équivalant à de la persécution, notamment le rapport du Département d’État des États‑Unis de 2012. La SAR a ignoré le contenu véritable de ce rapport et l’a écarté en raison de ce qu’il ne contenait pas. Il ne s’agissait pas d’un article à propos de personnes se trouvant dans une situation semblable et, par conséquent, il était déraisonnable de l’écarter pour ce motif.

[74]           Le défendeur fait valoir que la SAR a effectué un examen approfondi de la preuve documentaire dont disposait la SPR et qu’elle a raisonnablement conclu qu’elle ne montrait pas que les personnes séropositives étaient victimes de persécution. La SAR a mentionné l’élément de preuve selon lequel les personnes séropositives étaient exposées à la stigmatisation et que certaines avaient perdu leur emploi. Elle a cependant aussi mentionné l’élément de preuve indiquant que certaines personnes atteintes du VIH continuaient à travailler et que leur état ne leur avait pas nui. La SAR a examiné les éléments de preuve concernant l’existence de la discrimination à l’encontre des personnes séropositives, mais a conclu qu’ils traitaient seulement de la stigmatisation de manière générale et n’établissaient pas que la discrimination équivalait à de la persécution.

[75]           Dans sa décision, la SAR a conclu que le document intitulé FightAIDS Ghana – Stop Stigmatization [FightAIDS Ghana – Mettre fin à la stigmatisation] avait peu de valeur probante parce qu’il traitait des répercussions de la stigmatisation de manière générale et des conséquences de celle-ci sur le dépistage et le traitement du VIH. L’article, qui traitait des répercussions de la stigmatisation sur les plans personnel, familial et social, contenait des renseignements de nature générale et ne décrivait pas précisément les conditions au Ghana ou celles des personnes qui se trouvaient dans la même situation que le demandeur. Après avoir examiné le document, je conclus que la description que fait la SAR du contenu de cet article est exacte. En effet, l’article traite de la stigmatisation d’un point de vue global.

[76]           En ce qui concerne l’article intitulé Stigma Against People Living with HIV/Aids – Ghana Situation [stigmatisation des personnes atteintes du VIH/SIDA – la situation au Ghana], la SAR a conclu qu’il établissait que la stigmatisation et la discrimination demeuraient des entraves importantes à l’égard de la prévention de la transmission du VIH et à l’égard de l’offre de traitement, de soins et de soutien. Elle a de plus conclu que la stigmatisation dont faisaient l’objet les personnes atteintes du VIH/SIDA était répandue au Ghana, où la séropositivité est considérée comme étant le résultat d’une immoralité sexuelle et d’un comportement immoral. Bien que l’article traitait de la stigmatisation de manière générale et citait une femme qui se disait être victime de discrimination une fois que les gens connaissaient sa séropositivité, la SAR a conclu que l’article ne présentait pas d’exemples détaillés de personnes qui ont été stigmatisées, ce qui aurait aidé la SAR à établir si la stigmatisation que vivaient les personnes se trouvant dans la même situation que le demandeur équivalait à de la persécution. Encore ici, après avoir examiné l’article, à mon avis, la description de la SAR est exacte et le traitement qu’elle en fait est raisonnable.

[77]           La SAR a également décrit l’article intitulé Reducing HIV/AIDS Stigma and Discrimination in Ghana [réduire la stigmatisation et la discrimination à l’égard du VIH/SIDA au Ghana]. Dans cet article, on explique qu’en raison des lois du pays contre l’homosexualité, le Ghana estimait que la seule forme de transmission sexuelle du VIH était les rapports sexuels hétérosexuels. Les membres de la famille de personnes atteintes du VIH/SIDA sont souvent stigmatisés par la collectivité. De plus, la crainte d’infection entraîne pour certaines personnes la perte de leur emploi, alors que d’autres continuent de travailler et leur séropositivité ne leur nuit pas. L’article mentionne que la stigmatisation peut donner lieu à l’ostracisme, au refus de volontairement consulter et de subir des tests de dépistage du VIH, à une violence accrue fondée sur le sexe et à la marginalisation des personnes à risque élevé. À mon avis, la SPR a décrit l’article avec justesse.

[78]           La mention relative à l’emploi est la suivante :

[traduction] Enfin, la discrimination en milieu de travail au Ghana a dans une certaine mesure menée à une faible productivité. Après que le milieu de travail a connaissance qu’une personne est séropositive, on croit que la personne n’est pas apte à exécuter ses fonctions. Les personnes atteintes de VIH/SIDA demeurent inactives ou craignent d’infecter les autres ce qui mène plus tard à leur renvoi. Un autre aspect est l’état d’esprit des personnes qui sont atteintes du VIH/SIDA. Après avoir appris leur séropositivité, la plupart d’entre elles sont réticentes à travailler ou se sentent déprimées en raison de l’attitude qui existe à l’égard de la maladie. Des personnes séropositives invoquent plutôt la stigmatisation et la discrimination comme fiasco pour ne pas travailler et elles veulent susciter la pitié pour que les gens viennent à leur aide financièrement. Il y a toutefois des personnes séropositives qui sont en bonne santé et qui travaillent et leur séropositivité ne leur a jamais nui, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas atteint un stade avancé (SIDA). Ces situations se produisent par suite d’un diagnostic précoce ou tardif. Lors d’un diagnostic précoce, des mesures adéquates sont mises en place pour empêcher la personne de se rendre à la phase de la mort, en l’absence de toute stigmatisation.

[79]           La SAR a conclu que cet article, tout comme les autres, ne donnait pas d’exemples précis et traitait seulement de la stigmatisation et de ses répercussions de manière générale. Pour ce motif, il avait peu de valeur probante pour analyser la question de savoir si la discrimination dont l’appelant pourrait faire l’objet au Ghana équivaudrait à de la persécution.

[80]           La SAR a ensuite mentionné un document intitulé Ghana : information sur le traitement réservé aux minorités sexuelles par la société et les autorités gouvernementales, y compris information sur la loi, la protection offerte par l’État et les services de soutien, mais a conclu qu’il avait peu de valeur probante, car le demandeur n’avait pas contesté la conclusion de la SPR selon laquelle il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi à l’appui de son affirmation selon laquelle il était homosexuel ou bisexuel. En outre, devant la SAR, l’appel était axé sur l’aspect « sur place » de la demande d’asile du demandeur, soit sa séropositivité. À mon avis, puisque le demandeur n’a pas été reconnu comme appartenant à une minorité sexuelle, une conclusion qu’il n’a pas contestée, la façon dont la SAR a traité de l’article était raisonnable.

[81]           La SAR ensuite déclaré qu’elle avait examiné le reste des éléments de preuve contenus dans le CND et avait consulté les principaux documents sur les droits de la personne dont le rapport du Département d’État des États‑Unis, le Country of Origin Report [rapport de renseignements sur le pays d’origine] du Royaume-Uni, le rapport d’Amnesty International pour 2013 Ghana : Country at the Crossroads [le Ghana : un pays à la croisée des chemins], et le Freedom of the World Report [rapport sur la liberté dans le monde]. La SAR a conclu que les documents ne contenaient que deux mentions de la persécution de personnes atteintes du VIH/SIDA au Ghana qui ne sont pas associées à la collectivité lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre. La SAR a cité le seul paragraphe du rapport du Département d’État des États‑Unis qui porte sur la discrimination à l’encontre des personnes atteintes du VIH/sida, qui indique que les cas où des personnes séropositives sont forcées de quitter leur emploi ou leur résidence étaient répandus. La SAR a conclu que le rapport ne donnait pas d’autres détails et ne précisait pas si la situation était la même pour les personnes hétérosexuelles, comme le demandeur, où s’il y avait une différence entre les régions rurales et les grandes villes.

[82]           La SAR a également cité la seule mention pertinente du rapport intitulé Ghana : Country at the Crossroads. Le passage prenait la forme d’une recommandation et indiquait ce qui suit :

[traduction] Bien que le Ghana ait fait des progrès quant au respect des droits de la personne au cours des dernières décennies, certaines minorités sociales – particulièrement les personnes handicapées, les homosexuels et les personnes atteintes du VIH/SIDA – continuent de faire l’objet, de manière disproportionnée, de violations des droits de la personne ou d’être carrément privées de leurs droits. Des mesures législatives devraient être prises afin de faciliter la protection des droits des groupes vulnérables par la Commission des droits de l’homme et de la justice administrative (CHRAJ) et d’autres autorités.

[83]           La SAR a souligné que ce rapport ne donnait pas de détails quant à la nature et à la portée des violations des droits de la personne, et qu’il n’établissait pas de distinction entre les mauvais traitements motivés par l’orientation sexuelle et ceux qui étaient uniquement motivés par la séropositivité. La SAR a reconnu que même si le CND contenait de nombreux exemples de violations des droits de la personne subies par des personnes homosexuelles, elle jugeait qu’elle ne pouvait accorder beaucoup de poids à une affirmation générale concernant des violations des droits de la personne au Ghana, comme il est indiqué plus haut.

[84]           La SAR a refusé d’accorder un poids important au témoignage du demandeur devant la SPR selon lequel il avait entendu parler d’une personne qui s’était suicidée en raison de la façon dont elle avait été traitée parce qu’elle était séropositive, étant donné que le demandeur n’avait pas été en mesure de donner d’autres détails à ce propos et qu’il avait tendance à enjoliver son témoignage. La SAR a souligné qu’aucun élément de preuve n’avait été présenté afin d’établir que l’État jouait un rôle dans la persécution des personnes séropositives ou que les personnes dont les droits avaient été brimés s’étaient vu refuser la protection de l’État. La SAR a donc conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. La SAR a examiné l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, et a conclu que compte tenu des éléments de preuve ainsi que de la jurisprudence au sujet de la différence entre la discrimination et la persécution, elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour être convaincue que le traitement auquel l’appelant serait exposé advenant son retour au Ghana équivaudrait à de la persécution.

[85]           La SAR a indiqué que certains des arguments du conseil de l’appelant se rattachaient à la perception de l’orientation sexuelle de ce dernier et a souligné que l’argument selon lequel la stigmatisation était liée à l’immoralité sexuelle devait être évalué en tenant compte de la situation de chaque demandeur d’asile. La SAR a jugé qu’il avait été établi que l’appelant était hétérosexuel, était marié et avait un enfant. De plus, la preuve documentaire indiquait qu’en raison des lois du pays à l’encontre de l’homosexualité, la seule manière reconnue de transmission sexuelle du VIH était les rapports sexuels hétérosexuels. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour la convaincre qu’il serait considéré comme étant homosexuel ou comme ayant un comportement sexuel immoral en raison de sa séropositivité. Même si c’était le cas, l’appelant n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi selon lesquels la stigmatisation dont il pourrait être victime équivaudrait à de la persécution et entraînerait la violation d’un de ses droits fondamentaux.

[86]           À mon avis, la SAR a présenté avec justesse la preuve documentaire, l’a soupesée et a raisonnablement conclu que la stigmatisation alléguée par le demandeur n’équivalait pas à de la persécution. Même si certaines observations de la SAR, comme celle selon laquelle le rapport du Département d’État des États-Unis de 2012 ne faisait pas la distinction entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles séropositives qui sont forcées de quitter leur foyer ou leur emploi, peuvent ne pas être très détaillées, il n’en reste pas moins que la SAR a examiné tous les éléments de preuve admissibles dans leur totalité et a conclu que la preuve documentaire selon laquelle la stigmatisation dont le demandeur pourrait être victime n’équivalait pas à de la persécution. La SAR n’a pas ignoré le contenu des articles et la façon dont elle en a traité était raisonnable.

[87]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Question certifiée

[88]           Le demandeur a soumis la question suivante pour certification :

La Charte confère-t-elle à la SAR la compétence d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas au critère d’admission de nouveaux éléments de preuve énoncé au paragraphe 110(4) en l’absence d’une contestation directe de la constitutionnalité de cette disposition?

[89]           Le défendeur a soumis les deux questions suivantes pour examen :

1. Quelles sont les considérations implicites et explicites pertinentes que la SAR devrait prendre en compte lors de l’application du paragraphe 110(4) de la LIPR?

2. La SAR a-t-elle l’obligation d’appliquer les valeurs consacrées par la Charte lorsqu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 110(4)? Si c’est le cas, quelles considérations devrait-elle prendre en compte lorsqu’elle pondère des valeurs consacrées par la Charte et les objectifs législatifs?

[90]           Le critère relatif à la certification est la question de savoir s’il existe une question grave de portée générale qui est déterminante quant à l’issue de l’appel et qui transcende les intérêts des parties au litige (Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9; Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, aux paragraphes 28 à 30; Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11).

[91]           En l’espèce, j’ai conclu que la SAR ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve lorsque les exigences explicites prévues au paragraphe 110(4) ne sont pas satisfaites. Toutefois, la question de savoir s’il existe un pouvoir discrétionnaire d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans cette circonstance pourrait être déterminante en l’absence de la prise en compte des valeurs de la Charte par la SAR. Par conséquent, je certifierai la question suivante :

L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) comporte-t-elle l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAR? Dans l’affirmative, ce pouvoir discrétionnaire permet‑il à la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas au critère prévu par le paragraphe 110(4) et cette admission entraîne-t-elle une prise en compte des valeurs consacrées par la Charte?


JUGEMENT

La Cour statue que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Il n’y a pas d’adjudication de dépens.

3.      La question suivante est certifiée :

L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) comporte-t-elle l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAR? Dans l’affirmative, ce pouvoir discrétionnaire permet‑il à la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui ne répondent pas au critère prévu par le paragraphe 110(4) et cette admission entraîne-t-elle une prise en compte des valeurs consacrées par la Charte?

« Cecily Y. Strickland »

Juge


cour fédérale

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

IMM-7050-14

 

Intitulé :

SAMUEL DERI c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

Lieu de l’audience :

Toronto (Ontario)

 

Date de l’audience :

Le 17 juin 2015

 

Jugement et motifs du jugement :

La juge Strickland

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 septembre 2015

 

Comparutions :

Aadil Mangalji

 

Pour le demandeur

 

Amy King

 

Pour le défendeur

 

Avocats inscrits au dossier :

LM Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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