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Date: 20150903


Dossier : T-2412-14

Référence : 2015 CF 1045

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 septembre 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JOSEPHAKIS CHARALAMBOUS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La sous‑commissaire principale intérimaire [la sous‑commissaire] du Service correctionnel du Canada [le Service] a rejeté, le 5 décembre 2013, le grief au dernier palier du demandeur dans lequel il réclamait des modifications à son plan correctionnel et un examen de la décision rejetant sa demande de transfèrement sollicité vers un établissement à sécurité minimale. La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la sous‑commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en n’effectuant pas la correction de dossier demandée visant à supprimer toute mention de l’[traduction] « élément sexuel » de l’infraction à l’origine de la peine dont le demandeur a été déclaré coupable.

[2]               Les paragraphes 24(1) et (2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi] se lisent ainsi :

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

 

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

(2) Le délinquant qui croit que les renseignements auxquels il a eu accès en vertu du paragraphe 23(2) sont erronés ou incomplets peut demander que le Service en effectue la correction; lorsque la demande est refusée, le Service doit faire mention des corrections qui ont été demandées mais non effectuées.

 

(2) Where an offender who has been given access to information by the Service pursuant to subsection 23(2) believes that there is an error or omission therein,

(a) the offender may request the Service to correct that information; and

(b) where the request is refused, the Service shall attach to the information a notation indicating that the offender has requested a correction and setting out the correction requested.

[3]               Le demandeur conteste la légalité de la décision contestée au motif que la sous‑commissaire (ainsi que le Service) a commis une erreur de droit ou a par ailleurs agi de façon déraisonnable en l’étiquetant comme [traduction ] « délinquant sexuel » et en tenant pour des faits prouvés des allégations d’inconduite sexuelle. Bien que le demandeur ait soutenu, dans son mémoire des faits et du droit, que l’interprétation de l’article 24 de la Loi est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Tehrankari c Canada (Service correctionnel), 2000 CanLII 15218 (CF), au paragraphe 44 [Tehrankari no 1]), il est devenu évident, à l’audience, que l’affaire ne portait pas sur une pure question de droit. La décision de la sous‑commissaire soulève une question mixte de fait et de droit, soit la question de savoir s’il convenait de refuser d’effectuer la correction demandée, compte tenu des faits de l’espèce et des principes juridiques applicables. La norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable (Tehrankari no 1, précité, au paragraphe 44; Kim c Canada (Procureur général), 2012 CF 870, au paragraphe 33 [Kim]).

[4]               Les faits pertinents ne sont pas contestés.

[5]               Le demandeur purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au premier degré. Avant sa déclaration de culpabilité, le demandeur était un médecin praticien qui avait son propre cabinet de médecine familiale. En 1991, Sian Simmonds, âgée de 19 ans, et sa sœur, Katie Simmonds, ont déposé au College of Physicians and Surgeons of British Columbia [le Collège] des plaintes où elles alléguaient que le demandeur, qui avait été leur médecin de famille pendant dix ans, avait eu un comportement sexuel inapproprié à leur endroit. Le demandeur a été informé que le Collège avait fixé la date d’une audience disciplinaire en mars 1993. Or, le 27 janvier 1993, Sian a été assassinée par un certain David Schlendler. En novembre 1994, le demandeur a été déclaré coupable de meurtre. Le juge du procès a conclu que le meurtre était un meurtre commandé que le demandeur avait organisé par l’entremise d’une connaissance, Brian West, afin d’empêcher les sœurs Simmonds de témoigner devant le Collège. Le juge du procès a également conclu que sa décision de faire assassiner la victime reposait sur sa haine envers le Collège et sa préoccupation obsessionnelle au sujet de sa réputation et de son bien‑être financier. Le demandeur avait été profondément humilié par la sanction prise antérieurement par le Collège (voir le paragraphe suivant). L’appel que le demandeur a interjeté à l’encontre de sa déclaration de culpabilité a été rejeté par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, et sa demande d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a également été rejetée.

[6]               Bien que l’accusation de meurtre portée contre le demandeur n’ait pas été de nature sexuelle, le Service a pris un certain nombre de décisions administratives fondées sur le fait que le demandeur était considéré comme un « délinquant sexuel ». Ainsi, le Service a examiné des allégations d’inconduite sexuelle formulées antérieurement par d’autres patientes du demandeur. En 1989, le Collège a déclaré le demandeur coupable de conduite indigne pour sa relation avec une ancienne patiente. La jeune fille en question avait été sa patiente de l’âge de 12 à 14 ans. Lorsqu’elle a atteint l’âge de 15 ans, ils ont commencé à vivre ensemble et à avoir des rapports sexuels. Elle est ensuite devenue son épouse. De 1985 à 1998, le demandeur a également été accusé de huit chefs d’agression sexuelle, dont sept se rapportaient à des plaintes déposées par d’anciennes patientes. Toutes les accusations ont finalement été suspendues, dont six le 12 janvier 1998, après que le demandeur eut épuisé tous les moyens d’appel dont il disposait à l’égard de sa déclaration de culpabilité pour meurtre. Le Service a reconnu que le demandeur n’avait jamais été déclaré pénalement coupable d’infractions à caractère sexuel. Quoi qu’il en soit, la STATIQUE‑99 Règles de codage révisées – 2003 définit l’« infraction sexuelle » comme une « inconduite sexuelle » qui « doi[t] faire l’objet d’une intervention du système de justice pénale, sous une forme ou sous une autre, ou d’une sanction officielle ». Le guide de codage fournit une liste d’exemples qui peuvent être considérés comme des « intervention[s] du système de justice pénale ». Deux de ces exemples concernent les « arrestations » et les « accusations » relatives à une infraction sexuelle. Le Service a estimé que la situation du demandeur tombait dans cette catégorie.

[7]               L’article 24 de la Loi a pour objet d’assurer que le Service ne s’appuie pas sur des renseignements inexacts et que toute erreur ou omission est corrigée. Les deux parties conviennent que le Service ne peut tenir des allégations ou des soupçons pour des faits prouvés, et qu’agir ainsi constituerait une erreur susceptible de contrôle justifiant l’intervention de la Cour. En revanche, il est raisonnable que le Service s’appuie sur un rapport d’incident relatant des faits relatifs à un chef d’accusation rejeté dans la mesure où les faits sont décrits de la façon la plus fiable et exacte possible dans les circonstances (Kim, précité, au paragraphe 61). Comme l’indiquent les Instructions permanentes [les IP] 700‑4, au paragraphe 37, le Service fait subir des « évaluations des délinquants sexuels » spécialisées aux « délinquants dont l’infraction à l’origine de la peine actuelle ou les antécédents criminels comportent des infractions sexuelles, que ces infractions aient donné lieu à des condamnations ou non ». Il faut donc, avant d’aller plus loin, replacer la qualification de « délinquant sexuel » du demandeur, sur laquelle porte le débat qui oppose les parties dans la présente instance, dans son contexte carcéral.

[8]               Le demandeur a été mis sous garde fédérale pour la première fois en 1995, et son plan correctionnel comprenait le Programme intensif pour le traitement des délinquants violents [le PITDV]. Dans le rapport psychologique rédigé à l’époque, le docteur Lawson a fait état d’une [traduction] « perversion sexuelle » chez le demandeur. Il s’est également intéressé aux allégations d’inconduite sexuelle qui avaient été formulées contre le demandeur et a indiqué que [traduction] « [s]es antécédents d’obsession et de perversion sexuelles comptent parmi les facteurs contributifs les plus importants ». Il ressort clairement de la lecture du rapport psychologique en question que le psychologue faisait la différence entre des faits prouvés et des inférences. Il note à cet égard que [traduction] « la perversion sexuelle [du demandeur] est manifeste dans ses rapports avec des prostituées dont il fait lui‑même état, dans les plaintes de certaines de ses patientes et dans sa propre déclaration selon laquelle il a commencé à avoir des rapports sexuels avec une ancienne patiente âgée de 15 ans qu’il a ensuite épousée » (page 4), et ajoute que [traduction] « [b]ien que plusieurs des allégations susmentionnées [dans un rapport à l’avocat du ministère public] soient encore devant les tribunaux ou ne soient pas étayées par la preuve, elles n’en demeurent pas moins tout à fait compatibles avec les croyances et attitudes que [le demandeur] a exprimées à l’égard des femmes et de la sexualité au cours des entretiens qu’il a eus avec moi » (page 5). Bien qu’il ait qualifié le demandeur d’[traduction] « archétype du délinquant sexuel » (page 9), le docteur Lawson n’a pas jugé utile, à l’époque, d’aiguiller le demandeur vers un programme pour délinquants sexuels, vu que le demandeur n’était pas prêt à coopérer et que [traduction] « cela risquerait peu de procurer un avantage thérapeutique et pourrait même lui permettre de développer son habileté à manipuler les autres » (page 9).

[9]               En l’an 2000, le plan correctionnel du demandeur a été modifié pour remplacer le PITDV par le Programme intensif pour délinquants sexuels, mais à la suite d’une plainte déposée par le demandeur, cette décision a été annulée par un gestionnaire correctionnel et le PITDV est resté dans le plan correctionnel du demandeur. En décembre 2005, le plan correctionnel du demandeur a été modifié de nouveau pour l’aiguiller vers le Programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels. En 2005 puis en 2008, le demandeur a présenté des griefs contestant son aiguillage vers des programmes pour délinquants sexuels et l’emploi du terme « délinquant sexuel ». Les deux griefs ont été rejetés.

[10]           Dans la réponse que le Service a donnée au grief au troisième palier déposé par le demandeur en décembre 2006, on peut lire les commentaires suivants sur la qualification de « délinquant sexuel » du demandeur aux fins d’évaluation de la sécurité et des programmes. Reconnaissant que le demandeur n’a été déclaré coupable d’aucune infraction de nature sexuelle, le Service fait observer ce qui suit :

[traduction] Dans votre grief au troisième palier, vous dites que c’est à tort que la chef d’unité de l’Établissement de Mission, L. Jackson, vous a étiqueté comme [traduction] « délinquant sexuel non traité ». Vous dites également que ses [traduction] « commentaires [écrits] erronés et diffamatoires ont engendré des déclarations encore plus erronées et diffamatoires [à votre sujet] ». Vous expliquez que le Dr Lopes a depuis lors fait des déclarations mensongères à votre sujet, dont la remarque selon laquelle vous avez des [traduction] « antécédents d’inconduite sexuelle ». Vous indiquez que vous n’avez jamais été déclaré coupable d’une infraction sexuelle et que le personnel de SCC vous présente [traduction] « sous votre plus mauvais jour en se servant d’allégations de conduite inappropriée non prouvées et d’accusations fausses et fictives ayant été retirées ou suspendues » pour [traduction] « justifier leurs actes répréhensibles ». Comme l’indiquent les Instructions permanentes (IP) 700‑4, au paragraphe 37, le Service correctionnel du Canada (SCC) fait subir des « évaluations des délinquants sexuels » spécialisées aux « délinquants dont l’infraction à l’origine de la peine actuelle ou les antécédents criminels comportent des infractions sexuelles, que ces infractions aient donné lieu à des condamnations ou non ».

La STATIQUE‑99 Règles de codage révisées – 2003, à la page 13, définit l’« infraction sexuelle » comme une « inconduite sexuelle » qui « doi[t] faire l’objet d’une intervention du système de justice pénale, sous une forme ou sous une autre, ou d’une sanction officielle ». Le guide de codage fournit une liste d’exemples qui peuvent être considérés comme des « intervention[s] du système de justice pénale ». Deux de ces exemples concernent les « arrestations » et les « accusations » relatives à une infraction sexuelle.

Si vous avez raison de dire que vous n’avez pas été déclaré coupable d’une infraction sexuelle, il reste que vous avez des antécédents démontrés d’accusations à caractère sexuel ayant donné lieu à une suspension d’instance en 1986, 1995 et 1998. En outre, les événements qui sont à l’origine de votre déclaration de culpabilité pour meurtre au premier degré découlent du fait que la victime et sa sœur ont déposé une plainte au College of Physicians and Surgeons au sujet de votre comportement sexuel douteux. Lors de votre évaluation initiale, vous avez en outre admis avoir eu une liaison avec une patiente âgée de 15 ans, que vous avez par la suite épousée.

Conformément aux IP 700‑4, au paragraphe 37, une évaluation psychologique complète vous concernant a été effectuée le 1995‑04‑21. Vous avez été considéré comme [traduction] « l’archétype du délinquant sexuel », les facteurs contributifs suivants ayant été associés à votre cycle de délinquance actuel :

…antécédents d’obsession du sexe et de perversion sexuelle, ses attitudes à l’égard des femmes et de la sexualité, son usage du pouvoir et du contrôle pour exercer sa domination sexuelle sur les femmes, ses besoins aigus de stimulation et d’excitation et ses croyances et attitudes anti‑sociales.

L’expression [traduction] « délinquant sexuel » dans le contexte de la gestion de votre cas n’est pas jugée erronée. La série d’événements qui sont contenus dans votre dossier et l’incident qui vous a amené à perpétrer l’infraction pour laquelle vous purgez actuellement votre peine possèdent clairement les attributs d’un comportement sexuel problématique. L’emploi du terme « délinquant sexuel » pendant que vous purgez une peine est pertinent quant au type d’interventions qui sont nécessaires dans votre cas selon votre PTC et l’évaluation du risque.

Compte tenu des renseignements susmentionnés, les commentaires de la chef d’unité L. Jackson et du Dr Lopes sont jugés appropriés dans votre cas. La chef d’unité a utilisé la description pour faire ressortir vos facteurs de risque démontrés, la connotation sexuelle de votre déclaration de culpabilité actuelle, vos modes de comportement antérieurs et l’absence de programmes suivis à ce jour pour remédier à vos facteurs de risque dynamiques. En outre, en raison de vos accusations à caractère sexuel, la déclaration du Dr Lopes portant que vous avez des antécédents d’« inconduite sexuelle » cadre bien avec la définition d’« infraction sexuelle » contenue dans la STATIQUE‑99 Règles de codage révisées – 2003 mentionnée précédemment.

Cette partie de votre grief est rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[11]           Cette décision sur la partie du grief du demandeur ayant trait à sa qualification de [traduction] « délinquant sexuel non traité » n’a pas été contestée par le demandeur dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a plutôt contesté, pour des motifs d’équité procédurale, la légalité de la décision de l’aiguiller vers le programme PITDV. La Cour a rejeté la demande (Charalambous c Canada (Procureur général), 2009 CF 1082).

[12]           Malgré son opposition, le demandeur a par la suite suivi avec succès le Programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels en avril 2011. Après avoir réussi le programme, il a présenté une demande de transfèrement d’un établissement à sécurité moyenne vers un établissement à sécurité minimale. Son équipe de gestion de cas n’a toutefois pas appuyé le transfèrement projeté et a recommandé que sa demande soit refusée en se fondant, en partie, sur l’affirmation selon laquelle M. Charalambous demeurait un « délinquant sexuel non traité ». Le directeur a finalement refusé la demande de transfèrement en souscrivant aux recommandations de l’équipe de gestion de cas. Il a conclu que la délinquance du demandeur comportait un [traduction] « élément sexuel » auquel il n’avait pas remédié. Dans une décision ultérieure relative à la cote de sécurité, datée du 22 août 2012, l’équipe de gestion a reçu l’ordre de supprimer l’expression « délinquant sexuel non traité » de ses rapports antérieurs, et ce, parce que le demandeur avait suivi un programme pour délinquants sexuels. Dans la nouvelle décision, tout en prenant acte du fait qu’il avait suivi le Programme d’intensité élevée pour délinquants sexuels, l’équipe de gestion de cas a indiqué que le demandeur n’avait pas fait de réels progrès vers la prise en main de l’élément sexuel de ses infractions, car il niait la délinquance sexuelle. L’équipe de gestion de cas a donc continué à refuser d’appuyer la demande de transfèrement.

[13]           En 2011, le demandeur a présenté une demande de correction de dossier dans laquelle il demandait que toutes les mentions de [traduction] « préoccupations quant à un comportement sexuellement inapproprié, l’élément sexuel de l’infraction à l’origine de la peine ou la qualification de délinquant sexuel non traité ou de délinquant sexuel » soient corrigées. Le demandeur a également contesté sa cote de sécurité et le refus de le transférer dans un établissement à sécurité minimale. Son grief au premier palier a été rejeté en septembre 2011 et son grief au deuxième palier a été rejeté en juillet 2012. Le demandeur a porté son grief au troisième et dernier palier, où il a demandé que son dossier soit corrigé de manière à indiquer qu’il n’était pas un délinquant sexuel, qu’il n’avait jamais commis d’actes d’inconduite sexuelle ou eu un comportement sexuellement inapproprié et que l’infraction à l’origine de sa peine, ni aucune des infractions dont il avait été déclaré coupable, ne comportait aucun élément sexuel. Le 5 décembre 2013, la décision contestée a été rendue et le grief du demandeur a été rejeté, ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.

[14]           Le demandeur admet volontiers que le Service peut s’appuyer sur des allégations ou des soupçons pour prendre des décisions de gestion de cas au sujet d’un délinquant, mais fait valoir que cela ne signifie pas que le Service peut tenir des allégations pour des faits prouvés. Le demandeur soutient que le meurtre au premier degré dont il a été déclaré coupable ne comportait aucun élément sexuel, ce qui permet de distinguer son affaire de celles où la mort de la victime est causée par une personne lors de la perpétration ou de la tentative de perpétration d’une agression sexuelle. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire Tehrankari (voir notamment le jugement du juge McKinnon dans R c Tehrankari, 2009 CanLII 11216 (CS Ont) [Tehrankari no 3]; et R c Tehrankari, 2012 ONCA 718 [Tehrankari no 4]). Le demandeur soutient que le Service a interprété à tort les allégations de délinquance sexuelle comme des faits prouvés, ce qui ressort clairement du fait que le Service qualifie le demandeur de « délinquant sexuel » alors qu’il n’a jamais été déclaré coupable d’aucune infraction sexuelle. La sous‑commissaire aurait donc dû effectuer la correction de dossier demandée en vertu du paragraphe 24(2) de la Loi et sa décision est déraisonnable (voir Brown c Canada (Procureur général), 2006 CF 463; Russell c Canada (Procureur général), 2006 CF 1209).

[15]           Les motifs de contestation invoqués par le demandeur ne peuvent être retenus. Je suis d’accord avec le raisonnement et les arguments que le défendeur a exposés dans son mémoire des faits et du droit, et j’y souscris pleinement. En particulier, je suis convaincu que la décision contestée de rejeter le grief s’appuie sur la preuve et constitue une issue raisonnable compte tenu de divers facteurs pertinents, dont les circonstances ayant mené à la perpétration de l’infraction à l’origine de la peine, les accusations d’agression sexuelle suspendues, la sanction prise antérieurement par le Collège à l’égard du demandeur pour conduite indigne et un rapport psychologique datant de 1995 qualifiant le demandeur d’archétype du délinquant sexuel. Il ressort aussi clairement de l’examen de la décision contestée et de la preuve documentaire au dossier que le Service a rapporté fidèlement les faits essentiels, reconnaissant qu’aucune des accusations de nature sexuelle n’a abouti à une déclaration de culpabilité, et que le demandeur ne conteste pas l’exposé des faits essentiels du Service, mais plutôt les inférences du Service portant qu’il est un délinquant sexuel et que sa délinquance comportait un élément sexuel.

[16]           J’estime que la sous‑commissaire n’a pas agi de façon déraisonnable en indiquant que les renseignements tirés des commentaires du juge du procès, des rapports de la Gendarmerie royale du Canada et des accusations suspendues constituaient des renseignements pertinents qui devaient être pris en considération dans la gestion de la peine du demandeur, et que les mentions relatives à son inconduite sexuelle étaient pertinentes et ne seraient pas modifiées. La sous‑commissaire ne s’est pas appuyée sur des renseignements inexacts en agissant ainsi, et le Service n’a fait aucune mention inappropriée en qualifiant le demandeur de « délinquant sexuel » aux fins des décisions de placement ou des demandes de transfèrement. Il importe de rappeler que ces décisions administratives sont d’une tout autre nature que celles rendues dans les instances criminelles ou disciplinaires, qui commandent un fardeau de preuve plus lourd. S’il est vrai que le paragraphe 24(1) de la Loi oblige le Service à « veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets », comme l’a affirmé le juge Mosley dans la décision Tehrankari c Canada (Procureur général), 2012 CF 332, au paragraphe 35 [Tehrankari no 2], « cela ne veut pas dire que le SCC doit à nouveau faire enquête sur des renseignements obtenus de sources fiables, comme les ministères provinciaux, les services de police et les tribunaux ».

[17]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Normalement, les dépens suivraient l’issue de la cause, mais je ne vois aucune raison d’en adjuger dans la présente instance.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2412-14

 

INTITULÉ :

JOSEPHAKIS CHARALAMBOUS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOMBIE-bRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AOÛT 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 SEPTEMBRE 2015

 

COMPARUTIONS :

Eric Purtzki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Liliane Bantourakis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eric Purtzki

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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