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Date : 20150827


Dossier : IMM-690-15

Référence : 2015 CF 1018

Montréal (Québec), le 27 août 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OSCAR IYAMUREMYE

JEANNINE UMUHIRE

KARABO GRETA INEZA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[10]      Après révision de la preuve et audition des procureurs des parties, je suis d'avis que la décision est raisonnable en ce qui a trait à l'appréciation des contradictions et des omissions du demandeur, lesquelles apparaissent clairement à la lecture du Formulaire de renseignements personnels du demandeur, des transcriptions de ses entrevues avec les agents d'immigration, ainsi que de la transcription de l'audience. Je suis d'accord avec le tribunal que celles-ci portent sur les faits centraux du récit du demandeur, lequel n'a même pas pu offrir une chronologie cohérente des événements, quelques jours à peine après les incidents allégués. Je suis aussi d'accord avec le défendeur que l'arrêt Moscol et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2008 CF 657, est pertinent. Dans sa décision, le juge Luc Martineau a écrit :

[21] La jurisprudence indique que des divergences entre la déclaration au point d'entrée et le témoignage d'un demandeur sont suffisantes pour justifier une conclusion de non-crédibilité lorsque ces contradictions portent sur des éléments centraux d'une demande : Chen c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 767, [2005] A.C.F. no 959 (QL) au para. 23 et Neame c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 378 (QL). De plus, la SPR est en droit d'évaluer la crédibilité d'un demandeur en se fondant sur une seule contradiction, quand la preuve contestée est un aspect important de la demande : voir Nsombo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 505, [2004] A.C.F. no 648 (QL).

(Comme spécifié par le juge Yvon Pinard dans Gomez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 578)

II.                Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision datée du 11 avril 2013 de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile des demandeurs.

III.             Faits

[2]               Les demandeurs sont citoyens rwandais. Le demandeur principal est d’origine mixte hutue et tutsie, alors que son épouse est d’origine tutsie.

[3]               Le demandeur principal allègue que sa famille a été persécutée lors du génocide de 1994, durant lequel plusieurs membres de sa famille ont été tués. Suite au génocide, le père du demandeur principal a été accusé devant le tribunal gacaca, il a continué à subir de la persécution malgré son acquittement.

[4]               Le demandeur principal aurait été invité par le Front patriotique rwandais [FPR] à prêter serment d’allégeance au FPR, ce qu’il a refusé de faire.

[5]               Le demandeur principal allègue avoir subi de la discrimination par ses employeurs, en raison de ses prétendues allégeances politiques et son origine ethnique.

[6]               Entre autres, le demandeur principal allègue que le 25 septembre 2012, il a été convoqué à un interrogatoire par la police militaire rwandaise, Directorate of Military Intelligence [DMI], durant lequel on l’a accusé de soutenir le Rwandan National Congress et de promouvoir l’idéologie génocidaire. L’interrogatoire a duré toute une nuit. Par la suite, le demandeur a subi une perquisition illégale à son domicile le 27 septembre 2012.

[7]               Ensuite, les autorités ont empêché le demandeur de construire sur une parcelle de terre en novembre 2012.

[8]               Le 11 novembre 2012, le demandeur a été victime d’une tentative de kidnapping aux mains du DMI, suite à laquelle il a subi une luxation à l’épaule, ce qui a été corroboré par un document médical soumis en preuve par le demandeur.

[9]               C’est cet événement qui a poussé le demandeur principal à quitter le Rwanda le 15 décembre 2012 pour arriver au Canada le 21 décembre 2012.

[10]           L’épouse et la fille du demandeur principal fondent leur demande d’asile sur les mêmes allégations que ce dernier.

IV.             Décision de la SPR

[11]           Dans ses motifs, la SPR conclut que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger, en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[12]           La SPR conclut au manque de crédibilité du demandeur principal. En particulier, la SPR conclut que :

[15]      Le témoignage de monsieur Iyamuremye [le demandeur principal] était souvent confus et truffé de contradictions. Les explications données à des questions posées par le tribunal étaient souvent peu plausibles. Monsieur a évoqué à l’audience des faits nouveaux importants surprenamment omis des allégations énoncées dans son formulaire de renseignement personnel (FRP) et d’autres documents. Ceci nous a amené à conclure qu’il tentait d’embellir son témoignage. Bref, cette façon de témoigner nous a amené à questionner la crédibilité de sa demande en général ainsi que celle de son frère puisqu’elle est liée à la sienne.

[16]      L’omission la plus manifeste est certainement celle-ci. À l’audience, Monsieur témoignera sans hésitation que ce qui l’aurait poussé à quitter définitivement son pays est qu’il était dans la mire du terrible DMI (la police militaire connue pour sa répression sévère à l’endroit des opposants du gouvernement de Paul Kagamé). Il relate une tentative de kidnapping en septembre 2012 et des interrogatoires musclés où il aurait même été torturé à l’été 2012. Tout cela, dit-il, à cause qu’on l’aurait accusé d’avoir donné un contrat important à une compagnie liée à Alphonse Rutagarama, un opposant de Kagamé. Ceci est aussi mentionné dans le formulaire de fondement de sa demande d’asile (FDA) qu’il a signé le 31 janvier 2013, un mois après son arrivée au Canada.

[17]      Toutefois, lorsqu’il arrive au Canada et demande l’asile en décembre 2012, monsieur Iyamuremye raconte une toute autre histoire. Il déclare alors qu’il est persécuté au Rwanda parce que le gouvernement a humilié sa famille. Il mentionne le refus du gouvernement de lui accorder un permis pour construire sur un terrain qui lui appartiendrait à cause, dit-il, d’opinions politiques imputées. Il dit aussi que son employeur, le Ministère de la santé, l’aurait transféré dans un nouveau poste en l’accusant faussement d’incompétence. Malgré les nombreuses questions posées par l’agent d’immigration sur la nature de sa crainte, le demandeur ne dit pas un mot sur le DMI, sur la tentative de kidnapping alléguée dans le FDA ou sur les accusations d’être de mèche avec des opposants à Kagamé.

(Décision de la SPR, Dossier du demandeur, aux pp 16 et 17)

[13]           La SPR identifie ensuite d’autres contradictions majeures dans la preuve soumise par les demandeurs et considère les explications fournies comme étant non plausibles, déraisonnables ou insuffisantes.

[14]           Finalement, suite à un examen de la preuve documentaire, la SPR conclut que contrairement aux prétentions des demandeurs, il n’y a plus de persécution basée sur l’ethnie au Rwanda aujourd’hui et que ce sont plutôt les opposants au régime de Paul Kagamé qui sont les cibles de la répression, peu importe leur origine ethnique.

V.                Dispositions législatives

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Question en litige

[15]           La Cour estime que la présente demande soulève la question en litige suivante :

La décision de la SPR est-elle déraisonnable?

VII.          Analyse

[16]           La décision de la SPR est entièrement raisonnable. Elle est centrée sur l’absence de crédibilité du demandeur principal. D’une façon claire, nette et précise, basée sur la preuve objective et subjective. Le demandeur se contredit et s’est basé sur deux récits différents comme clairement spécifié dans la décision de la SPR.

[17]           L’omission du demandeur principal de mentionner sa crainte de la police militaire au Rwanda justifie à elle seule le rejet de sa demande d’asile. Il était raisonnable pour la SPR de rejeter les explications du demandeur à l’égard de cette omission.

[18]           D’autre part, le défendeur allègue que les demandeurs ne s’attaquent pas aux conclusions de la SPR fondées sur la preuve documentaire, notamment en ce qui concerne leur crainte alléguée fondée respectivement sur leur ethnicité hutue et mixte.

[19]           Également, ce qui est important à retenir, c’est que la preuve démontre que ce sont les opposants du régime de Paul Kagamé qui sont les cibles de la répression plutôt que d’autres, peu importe leurs origines ethniques.

VIII.       Conclusion

[20]           Pour toutes ces raisons, la requête en contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-690-15

 

INTITULÉ :

OSCAR IYAMUREMYE, JEANNINE UMUHIRE, KARABO GRETA INEZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 août 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Vincent Desbiens

 

Pour les demandeurs

 

Gretchen Timmins

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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