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Date : 20150615


Dossier : T -1161-13

Référence : 2015 CF 751

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 juin 2015

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

TAKEDA CANADA INC. ET

TAKEDA GMBH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

défendeurs

JUGEMENTS ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 15 juin 2015)

[1]           Dans la présente instance, Takeda Canada Inc. et Takeda GMBH [ci-après Takeda] sollicitent, aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé [le ministre] de délivrer un avis de conformité [AC] à Mylan Pharmaceuticals ULC [ci-après Mylan] relativement à sa version du médicament de marque, TECTA.

[2]           Le brevet en cause est le brevet canadien no 2 341 031 [le brevet 031], qui revendique notamment le composé pantoprazole magnésien dihydraté. Le brevet 031 a été déposé le 12 août 1999, et la date de priorité revendiquée est le 18 août 1998. Takeda est la titulaire du brevet.

[3]           Le pantoprazole magnésien était connu dans les antériorités comme un inhibiteur de l’acide gastrique, mais d’après Takeda, la découverte de sa forme dihydratée en vue du traitement des troubles liés à l’acide gastrique était nouvelle et non évidente.

[4]           L’idée originale du brevet 031 n’est pas contestée. Il s’agit de l’utilisation du composé pantoprazole magnésien dihydraté dans le traitement de troubles gastriques et intestinaux.

[5]           La principale revendication en cause est la revendication 1. Elle se rapporte au composé pantoprazole magnésien dihydraté. Takeda fait aussi valoir les revendications 2, 8, 9 et 10 à 21, mais la validité de la revendication 1 sous-tend celle de toutes les autres qui sont invoquées. De même, si la revendication 1 n’est pas contrefaite par le produit de Mylan, aucune des autres revendications du brevet ne le sera.

[6]           Mylan affirme dans son avis d’allégation [AA] et dans sa présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] que le produit à base de pantoprazole magnésien qu’elle propose ne contrefait pas le brevet 031, car il s’agit d’un composé hémipentahydraté et non dihydraté. Il est convenu que les formes dihydratées et hémipentahydratées du pantoprazole magnésien sont des formes cristallines distinctes variant par la quantité d’eau liée aux cristaux. Par conséquent, la question de la contrefaçon repose sur la caractérisation de l’état d’hydratation du produit de Mylan.

[7]               L’AA de Mylan soulève également un certain nombre de contestations concernant la validité du brevet 031, auxquelles elle a subséquemment renoncé. Pour les besoins de la présente décision, il suffira d’aborder la question de l’antériorité.

I.                   Contexte scientifique

[8]               La quasi-totalité des questions ayant trait au contexte scientifique pertinent ne fait pas litige.

[9]               De nombreuses espèces chimiques ont la capacité de former un cristal en adoptant plus d’une structure. Ce phénomène est appelé polymorphisme. Différents polymorphes de la même substance présenteront des structures diverses, ce qui peut donner lieu à une solubilité, à une vitesse de dissolution et à une biodisponibilité variables. Le pseudopolymorphisme est la capacité de certaines espèces chimiques de former un cristal autour d’un solvant comme l’eau. Lorsque l’eau agit comme solvant, la forme cristalline est désignée comme un hydrate. Une espèce chimique donnée peut exister sous plusieurs états d’hydratation. Lorsqu’un hydrate contient deux molécules d’eau pour une molécule de l’espèce chimique, il s’agit d’un dihydrate. Lorsque ce ratio est de 5 pour 2, l’hydrate est appelé hémipentahydrate.

[10]           Le pantoprazole magnésien est un sel constitué de pantoprazole et de magnésium. Chaque molécule de pantoprazole magnésien est composée de deux molécules de pantoprazole pour une molécule de magnésium. La forme dihydratée du pantoprazole magnésien comprend deux molécules d’eau dans le réseau cristallin pour chaque molécule de pantoprazole magnésien. Dans la forme hémipentahydratée, le ratio est de 2,5 pour 1.

[11]           Les hydrates peuvent généralement être identifiés ou caractérisés par diverses méthodes, comme la diffraction de rayons X sur poudre [DRXP], l’analyse calorimétrique différentielle [ACD], l’analyse thermogravimétrique [ATG], le titrage Karl Fischer [KF] et le point de fusion.

[12]           La diffraction de rayons X sur poudre consiste à exposer un échantillon à des rayons X et à enregistrer le diagramme de diffraction. Dans presque tous les cas, les différents polymorphes produiront chacun un diagramme unique de diffraction des rayons X. Si deux échantillons produisent des diagrammes identiques, ils contiendront presque toujours le même composé.

[13]           L’analyse calorimétrique différentielle peut également servir à distinguer différents polymorphes ou pseudopolymorphes. Cette méthode mesure la différence d’énergie ou de flux de chaleur entre un échantillon et un composé de référence à mesure que la température augmente dans le temps. Si deux échantillons présentent des points de fusion sensiblement différents, leur structure sera différente. Cet essai ne sera pas toujours efficace, car la chaleur peut transformer différents hydrates en une même forme cristalline avant que la forme commune passe à l’état liquide. En pareils cas, l’essai ne permet pas d’identifier la forme cristalline d’origine.

[14]           L’analyse thermogravimétrique et le titrage Karl Fischer servent à mesurer la quantité de solvant dans un pseudopolymorphe. L’ATG mesure la différence de poids de l’échantillon à mesure que le solvant est éliminé par la chaleur. Le titrage de KF permet de mesurer directement le contenu en eau de l’échantillon. Ces deux essais comportent une marge d’erreur et peuvent être influencés par les conditions expérimentales utilisées.

[15]           La PADN que Mylan a soumise au ministre indique que le titrage de KF, l’ATG, la DRXP et l’ACD ont permis de déterminer que son produit était un hémipentahydrate.

II.                Personne versée dans l’art

[16]           Les parties conviennent que la personne versée dans l’art est un chimiste ou un ingénieur chimiste ayant de l’expérience dans la caractérisation des formes cristallines solides.

III.             Interprétation

[17]           Il est nécessaire, bien entendu, d’interpréter les revendications d’un brevet de manière téléologique avant d’en examiner la validité ou de s’interroger sur leur contrefaçon. Cette démarche s’effectue du point de vue de la personne fictive versée dans l’art auquel se rapporte le brevet. Les revendications doivent être envisagées dans le contexte de l’ensemble du brevet, sans indulgence ni sévérité. Les experts peuvent aider à déterminer le sens technique des termes et l’état de la technique à la date pertinente, mais l’interprétation reste en fin de compte une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher. Les experts n’interprètent pas les revendications du brevet, mais assistent plutôt la Cour dans cette tâche : voir l’arrêt Whirlpool Inc c Camco Inc, 2000 CSC 67, aux paragraphes 43 à 45 et 57, [2000] 2 RCS 1067.

[18]           Pour l’essentiel, les parties sont d’accord sur l’interprétation des revendications pertinentes. Toutes les revendications invoquées concernent notamment le pantoprazole magnésien dihydraté. Tous les experts en l’espèce interprètent la revendication 1 comme incluant toutes les formes polymorphes du pantoprazole magnésien dihydraté : voir l’alinéa 2(b)(v) du premier affidavit de M. Myerson, le paragraphe 59 de l’affidavit de M. Atwood, ainsi que le paragraphe 81 de l’affidavit de M. Cima. En d’autres mots, le composé revendiqué est défini par son état d’hydratation et non par sa structure cristalline en soi. Le résultat de cette interprétation est que Takeda revendique un monopole à l’égard de toutes les formes dihydratées possibles de pantoprazole magnésien visant à traiter les troubles liés à l’acide gastrique, peu importe si elles étaient connues ou prévisibles au moment de l’invention. Cela semble contredire la preuve de tous les experts, qui veut que nul ne puisse prédire l’existence d’autres formes aqueuses, et que leur découverte soit intrinsèquement inventive. Les experts conviennent également que l’utilité d’une forme aqueuse inconnue ne peut être prédite avant d’être découverte.

[19]           J’ai quelques réserves quant à la question de savoir si la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 1 de manière aussi large. Quoique, à première vue, cette revendication ne se limite pas à une forme dihydratée donnée, le brevet 031 enseigne des méthodes permettant d’obtenir certaines formes dihydratées. Il ne précise pas s’il est probable que d’autres formes de dihydrates existent, comment elles pourraient être obtenues ou si elles sont susceptibles d’être utiles. Il est également significatif que les inventeurs se soient efforcés de caractériser les composés obtenus en divulguant les valeurs de leur teneur en eau et leurs points de fusion. Ces stipulations paraissent démentir l’interprétation large de la revendication 1 avancée par les experts, et étayer l’interprétation initiale de Mylan invoquée avant l’audience, en page 20 de son AA.

[20]           À mon avis, la personne versée dans l’art serait plus encline à estimer que la revendication 1 n’inclut que les formes dihydratées découvertes par les inventeurs. Néanmoins, les questions déterminantes en l’espèce ne dépendent pas de ce point d’interprétation, qu’il n’y a pas lieu de trancher en définitive.

IV.             Fardeau de la preuve

[21]           Le brevet 031 est présumé valide. Il incombe initialement à Mylan de produire suffisamment d’éléments de preuve pour donner la vraisemblance nécessaire à ses allégations d’invalidité avancées dans l’AA; en ce qui concerne la question déterminante de l’antériorité, elle s’est acquittée de ce fardeau. L’ultime fardeau de la preuve en cette matière incombe donc à Takeda, qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation d’antériorité de Mylan n’est pas justifiée. En ce qui concerne la contrefaçon, il incombe à Takeda d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le produit de Mylan contrefait le sien. La preuve qui n’établit qu’une possibilité de contrefaçon ne suffit pas pour s’acquitter de ce fardeau : voir l’arrêt Pfizer Canada Inc c Novopharm Ltd, 2005 CAF 270, aux paragraphes 24 et 28, 2005 CAF 270.

V.                Les témoins experts

[22]           Takeda s’appuie sur la déposition de M. Allan Myerson, qui est professeur de pratique au Département de génie chimique du Massachusetts Institute of Technology [MIT]. Il est ingénieur chimiste de formation et a trente ans d’expérience dans le domaine de la cristallisation industrielle. Ses travaux de recherche actuels et ses publications professionnelles concernent en grande partie les procédés de cristallisation, et notamment l’élaboration de nouvelles formulations et la production pharmaceutique.

[23]           Mylan s’appuie sur les dépositions de MM. Michael Cima et Jerry Atwood. Ironiquement, M. Cima est un collègue de M. Myerson au MIT. M. Cima a beaucoup publié sur le sujet du traitement des matériaux, en s’intéressant particulièrement à la découverte de nouvelles formes cristallines et aux formulations de produits pharmaceutiques. M. Atwood est directeur du département de chimie de l’University of Missouri-Columbia. Il jouit d’une expérience considérable dans le domaine de la cristallogenèse et de la cristallisation. Il a lui aussi abondamment publié, et a siégé aux comités de rédaction de plusieurs revues traitant du sujet.

[24]           Tous ces experts sont compétents pour exprimer les opinions qu’ils ont formulées en l’espèce. Je ne vois rien dans leurs antécédents ou comportements respectifs qui soit de nature à miner leurs opinions. Plus précisément, je rejette l’argument de Takeda selon lequel l’opinion de M. Atwood était entachée d’une certaine manière parce qu’il a pris connaissance de l’AA de Mylan avant d’effectuer ses essais. Il n’existe tout simplement aucune preuve établissant que ses techniques expérimentales étaient biaisées du fait de ses connaissances contextuelles. M. Atwood a expliqué les méthodes qu’il a employées et divulgué ses résultats, et il était donc possible de les examiner minutieusement.

[25]           Aucun élément preuve ne vient le moindrement étayer l’argument voulant que les choix méthodologiques de M. Atwood aient été intrinsèquement mauvais ou axés sur une issue prédéterminée. Takeda a d’ailleurs choisi de n’effectuer elle-même aucun essai pour contester directement les données de M. Atwood, et M. Myerson n’a pu relever aucune étape dans la démarche de ce dernier censée produire un résultat favorable à la position de Mylan.

VI.             Antériorité – Qu’enseigne l’exemple 10 de la demande WO 114 à la personne versée dans l’art?

[26]           S’agissant de l’argument lié à l’antériorité, Mylan invoque la demande de brevet international WO 97/41114 [la demande WO 114] déposée le 22 avril 1997. La demande WO 114 décrit un procédé de préparation de sels de magnésium de certains benzimidazoles connus comme étant des inhibiteurs de l’acide gastrique, incluant le pantoprazole. Le brevet 031 cite la demande WO 114 comme une antériorité pertinente en ce qui a trait au sel de magnésium de pantoprazole, mais en distingue le produit final comme une forme anhydre. Mylan et ses experts affirment que l’exemple 10 de la demande WO 114 produit nécessairement le pantoprazole magnésien dihydraté et qu’il antériorise donc l’objet des revendications en cause du brevet 031.

[27]       Les parties divergent quant à la question de savoir si l’exécution de l’exemple 10 de la demande WO 114 permet inévitablement d’obtenir le pantoprazole magnésien dihydraté. Elles ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir si, à première vue, ce brevet enseigne à la personne versée dans l’art que la forme du produit résultant de l’exemple 10 sera anhydre ou dihydratée.

[28]       La demande WO 114 ne divulgue pas explicitement à la personne versée dans l’art si le composé pantoprazole magnésien qu’il permet de produire présente une forme anhydre ou aqueuse particulière. Il n’y a manifestement rien dans ce document qui tende à indiquer qu’une forme dihydratée soit produite. Au mieux, il est permis de penser qu’une forme anhydre ou aqueuse non spécifiée est obtenue.

[29]       Contrairement à M. Myerson, je ne pense pas que l’absence d’une mention relative à l’eau dans la formule chimique divulguée soit un élément décisif. Cela peut tout aussi bien s’expliquer par l’indifférence des inventeurs quant à l’état d’hydratation du composé pantoprazole magnésien qu’ils ont obtenu.

[30]       Je ne pense pas non plus que la personne versée dans l’art caractériserait l’état d’hydratation de ce composé en s’appuyant uniquement sur les valeurs énoncées du contenu en magnésium théorique et mesuré. MM. Cima et Atwood ont tous deux déclaré que la valeur rapportée quant au magnésium mesuré dans l’exemple 10 s’inscrivait dans la marge d’erreur relative aux formes anhydre et dihydratée du pantoprazole magnésien. M. Myerson ne contestait pas le fait que l’erreur expérimentale doive être prise en compte. Il ne croyait pas, cependant, que la personne versée dans l’art lui attribuerait une valeur aussi élevée que l’a fait M. Atwood (±0,4 %).

[31]           M. Myerson a contesté la déclaration de M. Cima selon laquelle le contenu réel en magnésium rapporté dans l’exemple 10 [traduction« s’inscrit bien dans l’intervalle, en tenant compte de la marge d’erreur, à la fois pour les formes dihydratée et anhydre du pantoprazole magnésien ». Comme M. Cima n’a pas défini la marge d’erreur standard à appliquer à la teneur en magnésium obtenue à l’exemple 10, M. Myerson a qualifié sa conclusion [traduction« [d’]infondée ». Cette critique est considérablement affaiblie par le fait que M. Myerson lui-même n’a pas précisé la valeur de la marge d’erreur appropriée. En l’absence de ce renseignement, M. Myerson a conclu par la généralisation suivante, passablement inutile :

[traduction
121.     Le chimiste versé dans l’art n’ignorerait pas l’information figurant à l’exemple 10 d’après laquelle une forme anhydre du pantoprazole magnésien a été préparée en fonction de l’erreur expérimentale potentielle concernant la teneur mesurée en magnésium.

[32]       Compte tenu de la pauvreté de la preuve présentée, je ne pense pas que la personne versée dans l’art, en lisant la demande WO 114 et en appliquant les connaissances générales courantes, tirerait la moindre conclusion quant à l’état d’hydratation du composé pantoprazole magnésien produit par l’exemple 10. Elle suivrait plutôt le procédé décrit et, au besoin, caractériserait adéquatement le composé obtenu en appliquant des techniques fiables et établies.

[33]       Par conséquent, je conviens avec Takeda qu’à première vue, la demande WO 114 n’enseigne pas à la personne versée dans l’art que le composé produit par l’exemple 10 sera le pantoprazole magnésien dihydraté, ni d’ailleurs aucune autre forme aqueuse particulière de ce composé. En même temps, elle n’enseigne pas non plus à cette personne qu’une forme anhydre sera obtenue. Il reste toutefois à savoir si, en suivant le procédé décrit à l’exemple 10, la personne versée dans l’art obtiendra inévitablement ou nécessairement le pantoprazole magnésien dihydraté.

[34]           Le droit en matière d’antériorité qui s’applique à cette question est bien établi et a été résumé en détail par le juge Roger Hughes dans la décision Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, aux paragraphes 145 à 149, [2008] ACF no 171 :

[145]    Dans l’arrêt Synthon, précité, qui est postérieur à l’arrêt Merrell Dow, précité, lord Hoffman a examiné plus à fond la question de l’antériorité. Dans cette affaire‑là, SmithKline détenait un brevet dans lequel était revendiqué un médicament appelé méthanesulfonate de paroxétine sous une forme cristalline fort particulière. Une demande de brevet antérieure faite par Synthon divulguait une méthode de fabrication du méthanesulfonate de paroxétine, mais il n’y était pas fait mention d’une forme cristalline particulière. La preuve montrait qu’en suivant la méthode Synthon, on obtenait la forme particulière de SmithKline. Lord Hoffman s’est donc vu obligé d’examiner l’antériorité du point de vue de la divulgation et de la mise à la disposition des moyens nécessaires (enablement). C’est dans ce contexte qu’il a parlé de l’arrêt Merrell Dow, précité, aux paragraphes 22 et 23 de l’arrêt Synthon, précité :

[traduction] 

22.       Si je peux résumer l’effet de ces deux énoncés bien connus, le document invoqué comme antériorité doit exposer un objet dont l’exécution entraînerait nécessairement la contrefaçon du brevet. La raison peut en être que la publication antérieure divulgue la même invention. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que l’exécution de l’invention antérieure constituerait une contrefaçon, et ce fait est en général manifeste pour la personne qui connaît à la fois la publication antérieure et le brevet. Mais la contrefaçon de brevet n’est pas subordonnée à la condition de la pratique consciente : « le point de savoir si une personne exploite ou non [une] (...) invention est un fait objectif, indépendant de ce qu’elle‑même sait ou pense de son action » (Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. H.N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76, à la page 90). Il s’ensuit que, indépendamment du point de savoir si quiconque en serait conscient au moment pertinent, lorsque l’objet décrit dans la publication antérieure est exécutable et de nature telle que, s’il est exécuté, la contrefaçon du brevet en résultera nécessairement, la condition de la divulgation antérieure est remplie. Le drapeau a été planté, même si l’auteur de l’antériorité l’a planté à son insu.

23.       Par conséquent, dans l’affaire Merrell Dow, les personnes atteintes du rhume des foins qui ingéraient de la terfénadine, ce médicament faisant l’objet de la divulgation antérieure, fabriquaient nécessairement le métabolite acide breveté dans leur foie. Le métabolite acide était par conséquent antériorisé, et ce, même si personne ne savait pas qu’il était fabriqué ou même qu’il existait. Cependant, la contrefaçon ne doit pas simplement être une conséquence possible ou même probable de la réalisation de l’invention visée par la divulgation antérieure. Cette conséquence doit nécessairement s’ensuivre. S’il y a plus d’une conséquence possible, on ne peut pas dire que la réalisation de l’invention divulguée constituera une contrefaçon. Le drapeau n’a pas été planté à l’égard de l’invention brevetée, même si la personne qui réalise l’invention divulguée dans l’antériorité réalise peut‑être l’invention accidentellement ou (si elle est au courant de l’invention brevetée) délibérément. De fait, il se peut que la chose soit évidente. Cependant, la divulgation antérieure doit être interprétée telle qu’elle aurait été comprise par la personne versée dans l’art à la date de la divulgation plutôt qu’à la lumière du brevet ultérieur. Comme la Chambre de recours technique l’a dit dans T/396/89 UNION CARBIDE/high tear strength polymers [1992] EPOR 312, au paragraphe 4.4 :

Si une invention ultérieure est connue, il peut être facile de choisir certaines conditions, parmi les enseignements généraux d’une antériorité, et de les appliquer à un exemple de l’antériorité, de façon à produire un résultat final comportant toutes les caractéristiques de la revendication ultérieure. Toutefois, le succès obtenu ne prouve pas que le résultat était inévitable. Cela démontre simplement que, compte tenu de la connaissance de l’invention ultérieure, l’enseignement antérieur peut être adapté pour donner le même résultat. On ne saurait invoquer une telle adaptation afin de contester la nouveauté d’un brevet ultérieur.

[146]    Dans les motifs qu’il a rendus par la suite dans l’affaire Synthon, précitée, aux paragraphes 26 et suivants, lord Hoffman a examiné la question de la mise à la disposition des moyens nécessaires :

[traduction] 

La mise à la disposition des moyens nécessaires signifie que la personne habile ordinaire aurait été capable de réaliser l’invention qui satisfait à l’exigence relative à la divulgation.

[147]    Au paragraphe 28, lord Hoffman a fait la mise en garde suivante :

[traduction] 

Il est très important de se rappeler que la divulgation et la mise à la disposition des moyens nécessaires sont des notions distinctes, qu’il faut satisfaire à chacune d’elles et que chacune comporte ses propres règles.

[148]    Au paragraphe 28, lord Hoffman cite une décision dans laquelle le juge Laddie disait :

[traduction] 

L’exigence voulant que l’on inclue une divulgation permettant de réaliser l’invention vise à enseigner au public comment fonctionne l’invention, et non comment concevoir de prime abord l’invention.

[149]    Puis, au paragraphe 33 de ses motifs, lord Hoffman se demande s’il faut, comme il le dit, qu’une personne se livre nécessairement à une contrefaçon, compte tenu de l’arrêt Merrell Dow, précité :

[traduction] 

Il y a également un risque de confusion dans une affaire comme Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. c. HN Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76, où l’objet divulgué dans l’antériorité n’est pas identique à l’invention revendiquée, mais qui, si l’invention est réalisée, entraînera nécessairement une contrefaçon. Pour satisfaire à l’exigence relative à la divulgation, il faut démontrer qu’il y aura nécessairement contrefaçon de l’invention brevetée. Cependant, l’invention qui doit pouvoir être réalisée est celle qui est divulguée par l’antériorité. Il n’est pas sensé de se demander si la divulgation antérieure permet à la personne habile de réaliser l’invention brevetée, étant donné que, par hypothèse, en pareil cas, la personne habile ne se rendra même pas compte qu’elle se livre à pareille contrefaçon. Par conséquent, dans l’affaire Merrell Dow, la question de la mise à la disposition des moyens nécessaires dépendait de la question de savoir si la divulgation permettait à un homme habile de fabriquer de la terfénadine et de l’administrer aux personnes atteintes du rhume des foins, et non si cela lui permettait de fabriquer le métabolite acide.

[35]       Dans la décision AstraZenaca Canada Inc c Apotex Inc, 2010 CF 714, [2010] ACF no 1014, le juge Hughes a noté les variations de langage entourant parfois le critère juridique dit de l’antériorité inhérente. Cependant, il n’avait pas à tirer ces différences au clair puisque, dans l’affaire dont il était saisi, l’art antérieur [traduction« n’aboutirait, au mieux, qu’occasionnellement au produit [revendiqué] » et n’avait donc pas un caractère d’antériorité [voir le paragraphe 125].

[36]           Plus récemment, dans Synthon BV v Teva Pharmaceutical Industries Limited, [2015] EWHC 1395 (Pat), [2015] All ER (D) 200 (May), le juge Birss a examiné la question de la nouveauté dans le contexte des choix laissés à la personne versée dans l’art dans l’exécution des antériorités. Ses commentaires, au paragraphe 89, sont éclairants :

[traduction
89.       Aucune question sur le caractère réalisable ne se pose en l’espèce, celle qui concerne l’antériorité de Lemmon se rapporte au premier volet de l’arrêt Synthon. La question est de savoir si les antériorités relevaient de la portée des revendications. Il s’agit d’un critère strict, comme voulait l’indiquer le lord juge Sachs par sa métaphore de la pose du drapeau. Le critère concerne la nécessité et l’inévitabilité. Si une antériorité donne à la personne versée dans l’art un choix, et que le résultat ne relève de la revendication du brevet que si elle emprunte une voie plutôt qu’une autre, il y a absence de nouveauté. Dans ce cas, la preuve établissant qu’une personne versée dans l’art « ferait » quelque chose lorsque confrontée à ce choix est pertinente au regard de l’évidence, et non de la nouveauté. La revendication peut manquer d’originalité, mais elle n’est pas antériorisée. D’un autre côté, les brevetés feront parfois valoir qu’il existe un choix alors qu’en fait il n’y en a pas vraiment, et que la démarche brevetée qui ouvre la voie est effectivement inévitable. Si tel est le cas, la revendication manque alors de nouveauté, non pas parce que la personne versée dans l’art a dû faire un choix, mais plutôt parce qu’en fait il n’y avait pas de choix du tout. Les choix supposés et irréalistes ne comptent pas.

[37]           Dans la décision Abbott Laboratories c Sandoz Canada Inc, 2008 CF 1359 conf. par 2009 CAF 94, [2009] ACF no 345, le juge Hughes a résumé le droit concernant l’antériorité par les sept propositions suivantes :

1.         Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

2.         Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

3.         Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

4.         La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

5.         Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

6.         La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle.

7.         Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

[38]       Dans l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265, la Cour suprême du Canada a analysé l’exigence relative au caractère réalisable. En essayant de réaliser les antériorités, la personne versée dans l’art peut effectuer des expériences ou des essais courants en appliquant notamment les connaissances générales courantes. L’ampleur des efforts requis ne peut constituer un fardeau indu, mais les erreurs ou omissions dans les antériorités peuvent être surmontées si la personne versée dans l’art peut aisément corriger l’erreur ou trouver l’élément omis.

[39]       Si nous appliquons les principes susmentionnés à la présente instance, les revendications en cause du brevet 031 ne seront pas antériorisées si, selon la prépondérance des probabilités, Takeda réussit à montrer que l’exécution de l’exemple 10 de la demande WO 114 ne produit pas inévitablement ou nécessairement le pantoprazole magnésien dihydraté. Si la preuve révèle seulement selon la prépondérance des probabilités qu’un dihydrate sera parfois obtenu, Takeda se sera acquittée de son fardeau.

[40]       La seule preuve directe concernant la résultante de l’exemple 10 de la demande WO 114 provient de M. Atwood. Ce dernier prétend avoir suivi le procédé illustré et obtenu un composé dont il a établi par DRXP, ACD et ATG qu’il s’agissait du pantoprazole magnésien dihydraté. Le profil de DRXP qu’il en a tiré correspondait à celui d’un dihydrate figurant dans le brevet US 623, tandis que le point de fusion et la teneur en eau qu’il a mesurés correspondaient étroitement aux données de caractérisation divulguées dans le brevet 031. En particulier, la teneur en eau mesurée par ATG était de 4,43 %, comparativement à la perte théorique d’eau liée attendue de 4,37 % pour le pantoprazole magnésien dihydraté.

[41]       M. Myerson n’a pas tenté de reproduire l’exemple 10 de la demande WO 114, et il ne s’est pas risqué à contester la caractérisation par M. Atwood du composé établissant qu’il avait obtenu du pantoprazole magnésien dihydraté. M. Myerson a plutôt remis en question les choix méthodologiques et expérimentaux de M. Atwood.

[42]           M. Myerson a estimé que M. Atwood n’a pas pu reproduire avec exactitude l’exemple 10, car son rendement expérimental ne correspondait qu’à la moitié de celui dont fait état la demande WO 114. D’après M. Myerson, ceci indique que quelque chose n’allait pas dans l’expérience de M. Atwood, ce qu’il a attribué aux prétendues déviations de ce dernier par rapport à l’exemple 10 en ce qui concerne l’ajout d’eau. M. Myerson a décrit le problème en ces termes :

[traduction
128.     Le rendement inférieur de M. Atwood peut probablement s’expliquer par le fait qu’il n’a pas suivi le procédé décrit dans l’exemple 10 du brevet 114. D’après cet exemple, l’eau doit être ajoutée goutte à goutte et la solution doit reposer pendant 30 minutes après le dernier ajout d’eau. À l’opposé, M. Atwood a ajouté l’eau sur une période de 30 minutes et a ensuite immédiatement isolé la solution. Par cette modification au procédé, le produit semble avoir été isolé longtemps avant l’atteinte de l’équilibre de la solution, ce qui a abouti à une diminution du rendement qui à son tour peut altérer la forme solide obtenue.

129.     Le procédé suivi par M. Atwood a également donné un profil de saturation très différent (force motrice de cristallisation). Il est notoire que les profils de sursaturation plus élevés peuvent produire des formes cristallines différentes des profils de sursaturation plus faibles. Il est bien établi que les profils de sursaturation influencent les formes solides obtenues, tout comme le fait d’isoler un solide lorsque le système est loin d’avoir atteint l’équilibre.

130.     Ces écarts aux procédés de l’exemple 10 de la demande 114 indiquent que M. Atwood ne les a pas fidèlement reproduits.

[43]       M. Myerson a également noté qu’au chapitre des essais, M. Atwood devait combler certaines lacunes concernant le temps de déshydratation, la température et la vitesse d’ajout de l’eau. D’après lui, des modifications à ces choix expérimentaux peuvent faire varier l’état d’hydratation du composé. Plusieurs passages de l’affidavit de M. Myerson décrivent diversement ce risque; p. ex. : [traduction« peut avoir des répercussions considérables sur le produit obtenu », [traduction« pourrait avoir des effets sur le procédé et le produit obtenu », [traduction« la vitesse d’ajout de l’eau peut influencer le procédé de cristallisation et l’état d’hydratation de tout produit cristallin obtenu », [traduction« la réduction de ce rendement risque de modifier la forme solide obtenue ».

[44]       M. Myerson a conclu que les erreurs et les choix expérimentaux de M. Atwood étaient assez cruciaux à l’égard du résultat pour qu’une personne versée dans l’art qui suivrait l’exemple 10 selon une approche différente ne s’attende pas toujours à obtenir le même résultat.

[45]           M. Myerson conclut en ces termes son opinion concernant l’antériorité :

[traduction
139.     Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la demande 114 ne divulgue pas le pantoprazole magnésien dihydraté revendiqué dans le brevet 031 ni le procédé permettant nécessairement d’obtenir un tel hydrate.

140.     Comme j’estime que la demande 114 ne satisfait pas au volet de la divulgation relatif à l’antériorité, je crois comprendre qu’il n’est pas nécessaire que j’aborde celui qui concerne le caractère réalisable.

[46]           Entre autres choses, l’intervention de M. Cima sur ce point corrobore la caractérisation du produit par M. Atwood établissant qu’il a bien obtenu du pantoprazole magnésien dihydraté. M. Cima a également examiné l’approche expérimentale de M. Atwood. Il conclut son affidavit par cette opinion :

[traduction
154.     L’exemple 10 de la demande 114 divulguait l’objet de la revendication 1 et permettait à la personne versée dans l’art de le réaliser. Cette personne pouvait suivre les instructions de l’exemple 10 et parvenir à l’objet de la revendication 1, à savoir le pantoprazole magnésien dihydraté, aussi simplement et facilement que l’a fait M. Atwood. Ayant examiné l’expérience réalisée par ce dernier, je conclus qu’il n’a rien utilisé de plus que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en suivant les instructions de la demande 114.

155.     De plus, cette demande divulguait que le pantoprazole magnésien dihydraté produit à l’exemple 10 était stable et efficace comme inhibiteur de la sécrétion d’acide gastrique, et qu’il se prêtait à des formulations pharmaceutiques comme des comprimés (voir page 1, lignes 14-17 et page 2, lignes 16-20 de la demande 114). Cette divulgation additionnelle antériorise les revendications 2 et 8 à 21 du brevet 031 puisqu’elle révélait et permettait de réaliser l’objet desdites revendications.

156.     En outre, l’exemple 10 divulguait un procédé consistant à faire réagir le pantoprazole avec le sel de magnésium, le sulfate de magnésium, dans un solvant aqueux (c.‑à‑d. l’eau). Par conséquent, l’exemple 10 antériorise également la revendication 36 du brevet 031, car il en révélait l’objet et en permettait la réalisation. Pour tous ces motifs, je conclus que la demande 114 antériorise le brevet 031

[Notes de bas de page omises.]

[47]       Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis convaincu que M. Atwood a suivi le procédé décrit à l’exemple 10 de la demande WO 114 et qu’il a effectué des choix expérimentaux raisonnables et courants lorsque c’était nécessaire. Je suis également convaincu que le composé qu’il a obtenu était le pantoprazole magnésien dihydraté. Il reste à déterminer à quel point il est probable que la personne versée dans l’art qui suit l’exemple 10 en faisant différents choix obtienne autre chose qu’un dihydrate.

[48]       Les préoccupations formulées par M. Myerson sont toutes théoriques. Il n’affirme nulle part dans sa déposition qu’en appliquant différentes méthodes de déshydratation ou qu’en procédant autrement pour l’ajout de l’eau, il est plus probable d’obtenir autre chose qu’un dihydrate. Tout au plus, il affirme qu’une forme aqueuse différente pourrait en résulter.

[49]           Bien entendu, il était loisible à M. Myerson d’effectuer sa propre expérience suivant les méthodes qu’il privilégie, et de caractériser l’état d’hydratation du composé obtenu. Takeda lui a vraisemblablement demandé de s’en abstenir. En fait, M. Myerson n’a soulevé que des préoccupations théoriques quant aux méthodes adoptées par M. Atwood sans préciser en quoi ces choix risquaient de produire autre chose qu’un dihydrate. Dans la décision AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2015 CF 322, 252 ACWS (3d) 567, j’avais exprimé des réserves au sujet de ce type de choix stratégiques :

[traduction
[361]    Le fait qu’une partie puisse être en désaccord avec le modèle expérimental retenu ne la dispense pas de reproduire les travaux afin d’éprouver la fiabilité des données rapportées. Il en va de même des critiques visant les techniques employées par un témoin expert de la partie adverse. L’argument selon lequel d’autres essais ou paramètres témoins étaient possibles perd grandement de sa force lorsque la partie qui l’invoque décide de ne pas employer ces mêmes méthodes dans sa propre analyse de réponse pour voir si les résultats diffèrent.

Attendu que Takeda n’a pas effectué un seul essai, j’ajouterais que je trouve curieux qu’elle se dise préoccupée par le fait que M. Atwood n’en ait effectué qu’un seul.

[50]           Il est d’ailleurs assez significatif que M. Atwood n’ait pas été contre-interrogé sur les préoccupations formulées par M. Myerson, si bien que Takeda a pu s’appuyer sur l’avis de ce dernier, mais sans qu’une véritable réplique n’y ait été opposée.

[51]           Les préoccupations de M. Myerson concernant les choix de M. Atwood contrastent également avec son témoignage au sujet de l’enseignement du brevet 031. Dans ce contexte, M. Myerson n’a eu aucune difficulté à combler les lacunes méthodologiques du procédé décrit pour parvenir au pantoprazole magnésien dihydraté. Il a reconnu en particulier qu’il n’y avait pas d’instructions spécifiques sur la vitesse d’ajout de l’eau contenant le sel de magnésium. Il a aussi noté que la température de traitement en vue de la solution résultante n’était pas indiquée, et a présumé qu’elle correspondait à la température ambiante (voir la page 4341). Il est évident que tout cela va dans le sens opposé des préoccupations de M. Myerson concernant l’approche de M. Atwood qui, aux fins d’exécution de l’exemple 10 de la demande WO 114, avait également réalisé l’expérience à la température ambiante.

[52]           En l’absence de données sur les essais étayant l’avis de M. Myerson, et compte tenu des résultats fiables obtenus par M. Atwood et vérifiés par M. Cima, j’estime que Takeda ne s’est pas acquittée de son fardeau de montrer que l’allégation d’antériorité avancée par Mylan est injustifiée.

VII.          Le produit de Mylan contrefait-il le brevet?

[53]           Mylan faisait valoir dans son avis d’allégation [AA] que son produit à base de pantoprazole magnésien ne contrefait pas le brevet 031, car elle produit une forme hémipentahydratée du composé et que le brevet ne se rapporte qu’aux formes dihydratées. Si le composé de Mylan est effectivement du pantoprazole magnésien hémipentahydraté, il est convenu qu’il ne contrefait pas et ne contrefera pas le brevet.

[54]           L’allégation de contrefaçon de Takeda repose sur un certain nombre d’arguments liés à la preuve. Elle s’appuie sur le mémoire descriptif du produit de Mylan qui fournit un intervalle de teneur en eau, dont la limite inférieure pourrait s’appliquer aux formes dihydratées. Elle prétend également que le fait que Mylan ait modifié sans explication la teneur en eau indiquée dans le mémoire descriptif, ce qui a déplacé l’intervalle acceptable plus près d’une norme correspondant à la forme dihydratée, autorise à inférer qu’elle a l’intention de fabriquer un dihydrate.

[55]           Takeda invoque par ailleurs les analyses de produit de Mylan telles qu’elles ont été divulguées au ministre et affirme que, nonobstant les garanties de cette dernière à l’effet contraire, les données confirment que le produit de Mylan est un dihydrate. Cet argument repose largement sur l’interprétation de Takeda des données d’essai concernant la mesure de la teneur en eau des lots de produit de Mylan. Suivant cet argument, ces données indiquent également que le produit de Mylan est un dihydrate.

[56]           Enfin, Takeda fait valoir qu’elle a été empêchée d’effectuer ses propres essais sur le produit de Mylan afin de caractériser son état d’hydratation de manière concluante, et que toute incertitude devrait donc être résolue en sa faveur.

[57]           La question déterminante en ce qui concerne la contrefaçon est donc de savoir si le produit de Mylan est le pantoprazole magnésien hémipentahydraté comme elle le prétend, ou le pantoprazole magnésien dihydraté visé par les revendications du brevet 031.

VIII.       Le mémoire descriptif de Mylan

[58]           J’accorde très peu de valeur probante au mémoire descriptif de Mylan qui prévoit un intervalle de teneur en eau entre [caviardé] % et [caviardé] % p/p. Cet intervalle inclut la teneur en eau théorique pour les formes dihydratée et hémipentahydratée.

[59]           Bien qu’il ait déclaré au paragraphe 76 de son premier affidavit que ce mémoire descriptif [traduction« exige » que le produit de Mylan contienne du pantoprazole magnésien dihydraté, M. Myerson a reconnu, ailleurs dans son affidavit et lors de son contre-interrogatoire, que le mémoire n’allait pas aussi loin :

[traduction
539      Q.        D’accord. Mais vous n’avez pas déclaré que le mémoire descriptif – le mémoire descriptif de Mylan l’empêche de produire un hémipentahydrate?

R.        Ce qu’ils – je crois que je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire, qu’il l’empêche.

540      Q.        Eh bien, vous avez affirmé que le mémoire descriptif englobait d’après vous les dihydrates et les hémipentahydrates, est-ce exact?

R.        Eh bien, la teneur en eau indiquée dans le mémoire descriptif.

541      Q.        C’est exact.

R.        C’est tout ce dont je parle. Pas de la façon dont ils le produisent; juste la teneur en eau indiquée dans le mémoire descriptif.

542      Q.        Nous parlons de l’ensemble du mémoire descriptif du produit, notamment les données de DRXP, par exemple, c’est ça?

R.        D’accord. Je ne parle pas de ça non plus.

J’ai fait une déclaration très précise portant que la teneur en eau indiquée dans le mémoire descriptif de leur produit englobe à la fois les dihydrates et les hémipentahydrates.

543      Q.        Effectivement. Donc, inversement, le mémoire descriptif de Mylan lui permet de produire un hémipentahydrate pour autant que la teneur en eau soit –

R.        Vous voulez dire que s’ils produisaient un hémipentahydrate, il tomberait dans l’intervalle de teneur en eau spécifié dans le mémoire descriptif?

544      Q.        Oui.

R.        C’est exact.

545      Q.        D’accord. Et Mylan a indiqué à Santé Canada qu’elle produira un hémipentahydrate, est-ce exact?

R.         C’est ce qu’elle dit.

[60]           Le fait que le mémoire descriptif d’un produit comprenne un intervalle de valeurs permettant de produire différents composés en dit très peu sur ce qui est véritablement produit.

[61]           Bien qu’il s’appuie sur le mémoire descriptif de Mylan pour étayer son avis d’après lequel son produit est un dihydrate, M. Myerson a reconnu la fragilité de ce type de preuve dans l’extrait suivant du paragraphe 104 de son deuxième affidavit.

[traduction] Par exemple, le mémoire descriptif de Mylan exige :

b)         une teneur en eau mesurée par titrage Karl-Fischer comprise entre [caviardé] % p/p et [caviardé] % p/p, mais ne justifie cet intervalle qu’en parlant d’« une humidité qui pourrait être présente dans la substance ». La justification de Mylan n’explique pas du tout pourquoi l’intervalle qui s’applique au pantoprazole magnésien dihydraté et à la forme hémipentahydratée permet de caractériser le produit comme un hémipentahydrate;

[Non souligné dans l’original.]

[62]           Si je comprends bien l’argument de Takeda, Mylan n’a pas expliqué pourquoi elle a modifié la teneur en eau dans le mémoire descriptif de son produit en faisant passer la limite inférieure de l’intervalle acceptable de [caviardé] % à [caviardé] %. Cependant, compte tenu des restrictions en matière de preuve sous-tendant les instances relatives à l’AC, Mylan n’était pas tenue d’expliquer ce changement et je ne suis pas disposé à conjecturer sur ses raisons. Par conséquent, je rejette l’imputation dépréciative et infondée de M. Myerson au paragraphe 83 de son premier affidavit. Il faudrait en effet des éléments de preuve bien plus solides pour pouvoir inférer que la divulgation du produit de Mylan au ministre était trompeuse.

IX.             Essais effectués sur le produit de Mylan

[63]           Les témoins experts ne s’entendaient pas sur le caractère adéquat des outils d’analyse employés par Mylan pour évaluer la teneur en eau de son produit et donc pour caractériser avec exactitude son état d’hydratation. Leur différend concernait surtout la portée des titrages de KF effectués par Mylan.

[64]           M. Myerson a expliqué que les mesures obtenues par Mylan étaient assez précises pour établir que son produit était un dihydrate. MM. Cima et Atwood ont conclu que l’ensemble de la preuve analytique montrait que le produit de Mylan était un hémipentahydrate.

[65]           Il est admis que le pantoprazole magnésien dihydraté comprend deux molécules d’eau pour chaque molécule de pantoprazole magnésien. L’eau est liée au réseau cristallin du composé, à raison d’une teneur théorique en eau liée de 4,37 % p/p[1]. Les experts conviennent également que la caractérisation du pantoprazole magnésien dihydraté ne peut être réservée aux produits dont la teneur en eau est précisément de 4,37 %. Il s’agit plutôt d’un intervalle de teneur en eau, qui tient compte des erreurs expérimentales, en incluant les variables d’essai.

[66]           M. Myerson s’appuie largement sur les données du titrage de KF effectué par Mylan et mesurant la teneur en eau de son produit. D’après lui, les certificats d’analyse soumis au ministre par Mylan relativement à chacun de ses quatre lots de pantoprazole magnésien révélaient une teneur en eau correspondant à un dihydrate et non à un hémipentahydrate. Ces données comprenaient les teneurs en eau suivantes :

 

No de lot

Mars 2012

Avril 2013

a)

25500700

[caviardé] % p/p

[caviardé] % p/p

b)

25500701

[caviardé] % p/p

[caviardé] % p/p

c)

25500769

[caviardé] % p/p

[caviardé] % p/p

d)

25500771

[caviardé] % p/p

[caviardé] % p/p

[67]           M. Myerson a reconnu que ces données étaient supérieures à la teneur théorique en eau du pantoprazole magnésien dihydraté et inférieures à celle de la forme hémipentahydratée. Les valeurs en eau rapportées en avril 2013 étaient néanmoins plus proches de la valeur théorique associée à un dihydrate plutôt qu’à un hémipentahydrate, ce qui a amené M. Myerson à conclure que les lots de produit de Mylan étaient des dihydrates. Il prétend avoir été conforté dans cette opinion parce qu’il est plus fréquent que la teneur en eau d’une forme cristalline hydratée soit surestimée lors des titrages de KF, en raison de la présence d’eau adventive. Cependant, il a aussi reconnu que le titrage de KF pouvait parfois entraîner une sous-estimation de la teneur en eau d’un échantillon trop déshydraté.

[68]           Les experts conviennent que le titrage de KF a des limites intrinsèques pour ce qui est de mesurer avec précision la teneur en eau liée d’un échantillon de cristal. Un facteur de confusion particulier lié à cette méthode est son incapacité de distinguer l’eau adventice (c.‑à‑d. libre) et l’eau liée dans un échantillon. Le titrage de KF permet de mesurer toute la teneur en eau d’un échantillon; or, seule l’eau liée compte pour la caractérisation de l’état d’hydratation. Pour isoler la teneur en eau liée, il faut éliminer l’eau adventice et mesurer ce qui reste.

[69]           M. Myerson a reconnu jusqu’à un certain point l’imprécision du titrage de KF en ce qui a trait à la mesure de l’eau liée dans un échantillon de cristal. À l’alinéa 62(b)(iv) de son premier affidavit, il a admis l’existence d’erreurs expérimentales et le problème de l’élimination de l’eau adventice résiduelle d’un échantillon. Les échantillons sont généralement déshydratés au préalable pour éliminer l’eau adventice, mais la déshydratation peut être incomplète ou excessive, ce qui se traduit par des mesures KF [traduction« légèrement au-dessus » ou [traduction« légèrement en deçà » de la valeur théorique de la teneur en eau. Pour M. Myerson, des mesures réelles obtenues par titrage de KF comprises entre 4,3 % et 4,8 % concordent avec la teneur théorique en eau de 4,37 % du pantoprazole magnésien dihydraté. C’est là que MM. Cima et Atwood n’étaient plus d’accord avec lui.

[70]           M. Atwood ne croyait pas que le titrage de KF uniquement suffisait pour caractériser l’état d’hydratation du pantoprazole magnésien. Il l’a souligné au paragraphe 67 de son affidavit en ces termes :

[traduction
67.       À mon avis, des teneurs en eau comprises entre 4,3 et 4,8 % obtenues par titrage de KF n’informeraient pas à elles seules la personne versée dans l’art qu’un dihydrate de pantoprazole magnésien avait été obtenu. Une caractérisation plus approfondie serait requise.

[71]           M. Cima formule la question de manière légèrement différente. Même s’il a convenu qu’un dihydrate comprend une molécule de composé actif pour deux molécules d’eau, [traduction« chaque hydrate particulier est associé à un intervalle de teneur en eau qui ne modifie pas la structure cristalline » [voir les paragraphes 30 et 124 de son affidavit].

[72]           Même s’il s’est appuyé sur les données de Mylan obtenues par titrage de KF, M. Myerson a exprimé dans les échanges suivants des réserves quant à l’utilisation d’une seule méthode pour caractériser l’état d’hydratation d’une forme cristalline :

[traduction
125      Q.        Quelles techniques sont couramment utilisées pour caractériser les formes cristallines?

R.        Eh bien, il en existe clairement toute une série, mais normalement vous commencez par la diffraction de rayons X sur poudre, l’analyse calorimétrique différentielle et l’analyse thermogravimétrique.

126      Q.        C’est ce qu’on appelle l’ATG, n’est-ce pas?

R.        ATG, c’est ça. Oui, je les désignerai par les acronymes ACD et ATG pour la suite puisque je les ai nommées, d’accord.

127      Q.        Très bien. Et lorsque vous parliez de diffraction de rayons X sur poudre, c’est ce qu’on appelle parfois la DRXP, c’est ça?

R.        C’est ça.

128      Q.        D’accord.

R.        Nous utilisons aussi couramment la spectrométrie Raman. Parfois spectrométrie IRTF; il s’agit de la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier. Nous nous servons à l’occasion de la RMN des solides. La microscopie optique, la microscopie à lumière polarisée sont des méthodes dont nous nous servons habituellement.

Voilà le – la série la plus courante de méthodes que nous utilisons dans mon laboratoire.

129      Q.        D’accord. Et généralement, s’agirait-il des techniques les plus courantes en dehors de votre laboratoire, toujours pour caractériser les formes cristallines?

R.        Oui.

[…]

406      Q.        Vous – vous avez présenté un certain nombre de séminaires, n’est-ce pas? Des séminaires sur le polymorphisme, par exemple, ou la cristallisation?

R.        Je donne des cours abrégés sur la cristallisation depuis 25 ans.

407      Q.        Excellent. Et vous n’enseignez pas à vos étudiants qu’un essai mesurant la teneur en magnésium est un bon moyen de déterminer l’état d’hydratation d’une forme cristalline, n’est-ce pas?

R.         Pour déterminer l’état d’hydratation, je leur conseillerais normalement d’utiliser l’ACD, l’ATG, les titrages de Karl Fischer et, lorsque nécessaire, je leur ai parlé des analyses élémentaires qui sont en fait un moyen de déterminer le contenu.

[73]           Les essais effectués sur le produit de Mylan comprenaient aussi une ATG de la teneur en eau, qui a donné une valeur de [caviardé] %. M. Myerson a écarté ce résultat au motif qu’il surestimait la perte de poids due à la déshydratation [traduction« [d’]environ 1 % ». En fin de compte, la perte en eau liée [traduction« ne devrait pas dépasser [caviardé] % pour ce qui est de la masse d’eau d’hydratation perdue par le cristal » [voir le paragraphe 96 de son premier affidavit]. M. Myerson a confirmé cette évaluation en examinant la courbe de calorimétrie différentielle produite par Mylan, grâce auquel il a établi le début de la déshydratation à [traduction« environ 110 °C ». Suivant cette approche, il a estimé le poids de départ correct en pourcentage à 99 % de la valeur pondérale, ce qui aboutissait à une valeur corrigée de thermogravimétrie de [caviardé] %. Il a admis lors du contre-interrogatoire que ce chiffre pouvait aller jusqu’à [caviardé] % [voir la page 4354].

[74]           Même si M. Cima a convenu avec M. Myerson qu’il était judicieux de tenir compte de la présence d’eau adventice, il ne pensait pas qu’elle serait aussi élevée que 1 %. M. Cima a conclu, en se fondant sur une référence documentaire citée, qu’une correction maximale de 0,5 % tenant compte de l’eau adventice serait indiquée, ce qui ramenait la valeur rapportée de thermogravimétrie à un minimum de [caviardé] % – valeur qui correspond à la teneur en eau théorique d’un hémipentahydrate. M. Cima a souligné un autre élément préoccupant en ce qui concerne l’hypothèse de travail de M. Myerson selon laquelle la perte de toute l’eau liée présente dans l’échantillon de Mylan survenait à une température d’au moins 110 °C. Il aborde cette question au paragraphe 121 de son affidavit :

[traduction
121.     Je ne suis pas d’accord avec M. Myerson lorsqu’il affirme au paragraphe 96 de son affidavit que la quantité d’eau liée éliminée du produit de Mylan est de [caviardé] %. M. Myerson présume à tort que seule l’eau éliminée à une température d’au moins 110 °C correspond à l’eau liée. Lorsqu’un hydrate est chauffé, il y a perte d’eau liée dès que la pression de vapeur à l’équilibre de l’eau est perturbée par l’augmentation de la température. En termes simples, l’eau est éliminée de la structure cristalline dès que la température augmente (voir mon analyse plus haut). Des températures plus faibles, comme 50 °C, suffisent à éliminer l’eau liée. Par exemple, il est possible d’effectuer une expérience dans laquelle toute l’eau liée d’un composé cristallin est éliminée en chauffant le composé à seulement 50 °C pendant une période suffisante. En fait, il est possible d’effectuer une ATG à une température constante de 50 °C, mais une cela prendrait plus de temps. L’augmentation graduelle de la température au-delà de 200 °C permet d’effectuer l’ATG beaucoup plus rapidement. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de M. Myerson suivant laquelle seule l’eau disparue du produit Mylan à des températures dépassant 110 °C est de l’eau liée.

[Notes de bas de page omises.]

[75]           Ces données sur la teneur en eau révèlent un intervalle dans lequel celle des échantillons du lot de Mylan se situe entre les valeurs théoriques des dihydrates et des hémipentahydrates. Dans certains cas, les valeurs sont plus proches de la forme hémipentahydratée, dans d’autres, de la forme dihydratée. Même M. Myerson a obtenu une valeur de thermogravimétrie légèrement supérieure à l’intervalle qu’il avait fixé pour la caractérisation de la forme dihydratée. En bref, ces résultats sont, en eux-mêmes, équivoques et insuffisants pour confirmer que le produit de Mylan est un dihydrate.

[76]           Le fait que M. Myerson ait invoqué ces données concernant la teneur en eau soulève des difficultés additionnelles.

[77]           M. Myerson n’a pas spécifiquement abordé les résultats des titrages de KF obtenus par Mylan en 2012 pour les mêmes lots et qui, dans trois cas sur quatre, étaient plus proches de la teneur théorique en eau d’un hémipentahydrate, et à distance égale des deux valeurs théoriques dans le quatrième cas. Or, cette preuve n’a pas influé sur l’avis de M. Myerson, qui déclarait au paragraphe 90 de son affidavit :

[traduction
90.       Je note que les teneurs en eau légèrement supérieures mesurées durant l’analyse initiale des quatre lots de pantoprazole magnésien de Mylan sont encore bien en deçà de la teneur théorique en eau du pantoprazole magnésien hémipentahydraté. À mon avis, ces mesures antérieures appuient également ma conclusion portant que les quatre lots étaient du pantoprazole magnésien dihydraté.

À mon avis, ce type d’analyse est très peu utile. Si les données n’étayent pas à première vue l’opinion avancée, il ne sert à rien de se rabattre sur des généralisations. Les résultats des titrages de KF de 2012 peuvent très bien avoir été [traduction« légèrement plus élevés » que les résultats de 2013, mais il reste qu’ils étaient, dans trois cas sur quatre, plus proches de la valeur théorique associée à un hémipentahydrate plutôt qu’à un dihydrate, et donc qu’ils ne peuvent être écartés aussi aisément que le suggère M. Myerson.

[78]           M. Myerson n’a pas non plus expliqué les différences de teneur en eau entre les résultats de 2012 et de 2013, où les valeurs issues du titrage de KF ont chuté pour chacun des lots. En revanche, M. Cima a expliqué pourquoi le titrage de KF pouvait produire des résultats inexacts :

[traduction
129.     Dans ces circonstances, je m’appuierai sur les résultats de Mylan obtenus par ATG plutôt que par titrage de KF, car l’ATG est généralement plus fiable. Une analyse par titrage de KF peut aboutir à une teneur en eau inexacte pour plusieurs raisons, qui sont moins nombreuses dans le cas de l’ATG. Par exemple, un titrage de KF donnera un résultat inexact si le composé n’est pas totalement dissout durant l’essai. Dans ce cas, toute l’eau de l’échantillon ne sera pas disponible, et la teneur en eau de celui‑ci sera donc sous-estimée durant le titrage.

130.     Le titrage de KF est aussi sujet à d’autres erreurs. Par exemple, il produira des mesures de teneur en eau erronées en cas de contamination, ou si les réactifs ont été mal préparés, qu’ils sont trop vieux ou qu’ils ont été chargés incorrectement. Il est également avéré que de nombreux appareils de titrage de KF sont plus fiables lorsqu’ils sont utilisés avec des substances ne contenant qu’un faible pourcentage d’eau, ou qu’une faible quantité d’eau est mesurée, en valeur absolue, dans un échantillon. Compte tenu de ce qui précède et des disparités entre les résultats des ATG et des titrages de KF de Mylan, je ne prêterai pas foi aux seconds.

[Notes de bas de page omises.]

Voir également l’affidavit de M. Atwood aux paragraphes 119, 129 et 130.

[79]           Il me semble que la mesure de la teneur en eau liée des pseudopolymorphes mesurée par titrage de KF est très imprécise tout comme avec l’ATG. Les résultats dépendent en partie de la faculté de déterminer avec exactitude quand l’eau adventice est complètement éliminée d’un échantillon, et quand la déshydratation de l’eau liée au cristal débute. J’accepte la déposition de M. Cima selon laquelle il n’existe aucun point précis de démarcation, et que la perte d’eau adventice et celle de l’eau liée peuvent coïncider jusqu’à un certain point, ce qui rend l’extrapolation requise plus difficile.

[80]           De plus, il existe d’autres variables expérimentales qui peuvent influer sur les valeurs obtenues par titrage de KF et ATG. Le défaut de dissoudre totalement le composé à l’essai peut entraîner une sous-estimation de la teneur en eau mesurée par titrage de KF, comme nous l’avons noté plus haut.

[81]           Compte tenu du dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu que les données obtenues par titrage de KF et ATG rapportées par Mylan étayent l’opinion de M. Myerson selon laquelle le produit de Mylan à base de pantoprazole magnésien est un dihydrate. Les résultats des essais sont équivoques et, jusqu’à un certain point, contradictoires. Ils sont également sujets à une certaine marge d’erreur et d’incertitude tenant à l’interprétation. Même M. Myerson a reconnu qu’en temps normal, d’autres essais que le titrage de KF et l’ATG s’imposeraient pour caractériser parfaitement l’état d’hydratation d’une forme cristalline.

[82]           M. Myerson a rapidement écarté la pertinence de l’analyse de Mylan concernant le point de fusion, déclarant qu’elle est inutile pour déterminer l’état d’hydratation d’un composé [voir le paragraphe 100 de son premier affidavit]. Cet argument, pris isolément, est sans conteste fondé, mais il ne suffit pas en l’espèce pour expliquer les points de fusion présentés dans le brevet 031.

[83]           Au paragraphe 107 de son affidavit, M. Atwood fait remarquer que le produit de Mylan présentait un point de fusion de [caviardé] °C, comparativement aux produits du brevet 031 dont les points de fusion rapportés se situent entre 194 et 198 °C. Pour M. Atwood, cette différence suffisait à montrer que les composés étaient différents.

[84]           Lors de son contre-interrogatoire, M. Myerson a déclaré que les hydrates [traduction« n’ont pas de point de fusion », mais plutôt des [traduction« températures de déshydratation » ou des [traduction« points de décomposition ». Selon M. Myerson, la description des points de fusion dans le brevet 031 et la divulgation de Mylan employaient une nomenclature inadéquate. Il s’est néanmoins servi du même terme au paragraphe 100 de son premier affidavit.

[85]           La tentative de M. Myerson d’écarter la pertinence de ces données pour des motifs extrêmement techniques n’est pas convaincante.

[86]           Le brevet 031 caractérisait les composés obtenus ayant des points de fusion compris entre 194 °C et 198 °C. Ces données sont issues d’une ACD et étaient considérées comme pertinentes par les inventeurs au regard de la caractérisation des composés qu’ils avaient créés. Les résultats de calorimétrie différentielle de Mylan divulguaient un point de fusion de [caviardé] °C. Je conviens que cet écart ne révèle pas l’état d’hydratation des composés mis à l’essai, mais il indique que le composé de Mylan est différent des composés cités en exemple dans le brevet 031. M. Myerson lui-même semble avoir reconnu l’importance potentielle de cette preuve durant cet échange lors du contre-interrogatoire :

[traduction
253      Q.        Les points de fusion rapportés dans l’exemple du brevet 031 varient de 1 à 2 degrés?

R.        Je crois – je ne me souviens pas.

254      Q.        Jetons-y un coup d’œil.

R.        90 – si nous regardons à la page 3 –

255      Q.        C’est ça.

R.        – dans l’exemple, point de fusion, 194 à 196 pour la décomposition.

256      Q.        D’accord. C’en est un.

R.        Donc ils examinent le point de décomposition.

257      Q.        Jetez un coup d’œil au tableau 1, les points de fusion rapportés, 196 à 197; on parle de 2 degrés de différence?

R.        Oh, oui, donc nous avons 196 à 197, 196 à 197, 197 à 198, et 195 à 196.

258      Q.        C’est ça. Donc ils varient tous de 2 degrés; on rapporte 2 degrés pour chacun de ces points?

R.        C’est exact.

259      Q.        Et il s’agit de pics aigus?

R.        Oui, des pics aigus. Ce n’est pas surprenant puisque ce sont des points de décomposition.

260      Q.        Si vous avez deux échantillons de la même substance et que chaque échantillon présente un point de fusion différent, ces deux échantillons doivent être deux formes différentes, n’est-ce pas?

R.        Deux échantillons de la même substance, à condition de préciser qu’ils ont la même pureté –

261      Q.        Oui.

R.        – et qu’ils présentent le même degré de cristallinité, c’est-à-dire qu’ils sont tous deux très cristallins –

262      Q.        Oui.

R.        – si vous avez des points de fusion différents, il s’agit nécessairement de formes différentes, c’est exact.

263      Q.        Il doit s’agir de formes différentes, n’est-ce pas?

R.        C’est exact.

264      Q.        Vous convenez que des polymorphes différents ont des points de fusion différents, n’est-ce pas?

R.        Oui.

265      Q.        Vous reconnaissez que les points de fusion servent à caractériser les formes cristallines de composés et à donner une indication de leur pureté chimique?

R.        C’est exact.

266      Q.        Vous reconnaissez que des solides relativement purs présentent généralement des points de fusion variant d’environ un degré lorsqu’ils sont mesurés?

R.        C’est exact.

267      Q.        Vous convenez que des polymorphes différents présenteront des points de fusion différents?

R.        Oui.

268      Q.        Vous convenez qu’une variation d’un degré Celsius du point de fusion est considérée comme un intervalle de point fusion relativement étroit et indique généralement une phase cristalline pure?

R.        Oui.

269      Q.        Vous avez déclaré dans l’affaire efavirenz qu’une différence de 7 à 9 degrés entre les points de fusion était un écart important; vous en souvenez-vous?

R.        Oui.

270      Q.        Et c’était exact?

R.         Oui.

[87]           Par conséquent, je rejette l’affidavit de M. Myerson selon lequel les données concernant le point de fusion n’avaient aucune valeur probante au regard de la caractérisation du produit de Mylan.

[88]           L’analyse comparative des données de DRXP est un élément de preuve important dont Mylan s’est servi pour caractériser son produit comme un hémipentahydrate. Le profil de DRXP qu’elle a obtenu pour son produit correspond à celui qui est rapporté dans le brevet US 623 pour [caviardé––––––––––] a été caractérisé par les inventeurs du brevet US 623 comme du pantoprazole magnésien hémipentahydraté. En outre, le profil de DRXP rapporté dans le brevet US 623 pour deux formes dihydratées ne correspondait pas au profil du produit de Mylan. Mylan utilise [caviardé––––––] comme produit de référence pour caractériser son produit [voir le dossier de demande à la page 2725].

[89]           MM. Cima et Atwood ont conclu, en se fondant sur la justesse des données de DRXP rapportées dans le brevet US 623, que le produit de Mylan était un hémipentahydrate. M. Myerson a également reconnu que lorsqu’une forme cristalline a déjà été caractérisée sans équivoque par DRXP, le profil obtenu peut servir d’unique moyen de vérification ultérieure de cette forme [voir la page 4327]. M. Myerson n’a pas effectué d’analyse comparative des données de DRXP, de sorte que la déposition de MM. Cima et Atwood n’a pas été contestée.

[90]           La seule réplique de Takeda à cette preuve a été de s’opposer à ce qu’elle soit introduite au motif qu’il s’agissait d’un ouï-dire inadmissible. Je ne doute pas du fait que cette preuve constitue du ouï-dire. Il est clair que MM. Cima et Atwood ont fondé leurs avis sur la justesse de la caractérisation de [caviardé] comme un hémipentahydrate dans le brevet US 623. Si [caviardé] n’était pas un hémipentahydrate, comme l’ont rapporté les inventeurs, cette position n’est pas corroborée.

[91]           Nonobstant l’argument de Mylan, je ne pense pas que cet élément de preuve relève clairement de l’une des exceptions déjà reconnues à la règle du ouï-dire. En particulier, rien ne me prouve que l’admission de cet élément était justifiée en raison de sa nécessité. Cela étant dit, les avis exprimés par les témoins experts dans les litiges concernant des brevets reposent souvent sur leur acceptation de l’exactitude de références fondées sur du ouï-dire et regardant des questions scientifiques ou l’interprétation des antériorités. Dans certains cas, cela se justifie au motif qu’il est permis aux experts d’un domaine particulier de se fier à l’exactitude de données publiques largement admises.

[92]           Compte tenu de la nature sommaire des instances relatives à un AC, j’estime que les témoins experts devraient bénéficier d’une certaine latitude et pouvoir s’appuyer sur des éléments de ouï-dire contenus dans des références scientifiques authentifiées et, à première vue, fiables. Le contenu du brevet US 623 a été divulgué dans l’AA de Mylan et ses témoins experts se sont servi des résultats qui y sont rapportés pour étayer leur propre analyse. Lorsqu’une telle référence contient des informations suffisantes pour permettre à la partie adverse de reproduire les travaux et évaluer l’exactitude des données rapportées, l’admission du ouï-dire venant appuyer l’avis d’expert n’entraîne pas de préjudice important. Il était loisible à Takeda de réaliser les mêmes essais mentionnés dans le brevet US 623 et de faire une caractérisation complète des composés obtenus. Malgré l’importance de cette preuve, Takeda s’est épargné cet effort.

[93]           Bien entendu, cette preuve étaye fortement la position que Mylan a défendue devant le ministre et la Cour, à savoir qu’elle fabrique du pantoprazole magnésien hémipentahydraté.

[94]           Takeda soutient également qu’elle n’a pas été en mesure de reproduire le procédé de fabrication de Mylan et qu’aucun échantillon de son produit ne lui a été fourni, ce qui l’a donc empêchée de le caractériser indépendamment – un désavantage qui justifie d’après elle de tirer une conclusion défavorable à Mylan.

[95]           M. Myerson a examiné les paramètres du procédé de Mylan et conclu [traduction« qu’il ne peut être reproduit en se servant seulement des renseignements figurant dans [sa] divulgation » [voir le paragraphe 2 de son premier affidavit]. En particulier, il a signalé l’absence d’informations sur [caviardé–––––––––––––––––––––––] comme un élément préoccupant.

[96]           La question de savoir si Takeda avait la capacité de reproduire fidèlement le procédé de Mylan ou d’obtenir exactement le même germe qu’elle ne résout pas entièrement celle de sa capacité à effectuer des essais pertinents.

[97]           Takeda a été informée par l’avocat de Mylan, dans une réponse formelle à ses demandes de production, que le produit de Mylan forme un diagramme DRXP comparable à celui que divulgue le brevet US 623 pour [caviardé]. La lettre de l’avocat fournissait les informations suivantes à Takeda :

[traduction] À l’onglet 48, le certificat d’analyse du produit de référence indique que le profil de diffraction des rayons X « devrait être comparable à celui du pantoprazole magnésien hémipentahydraté ». Nous avons été informés par Mylan que le produit de référence cité dans ce document est le [caviardé] sous forme cristalline cité en exemple à la figure [caviardé] de la demande de brevet américain 2008/0139623 Al, dont nous joignons une copie pour plus de commodité.

Takeda soutient qu’il s’agit d’un ouï-dire inapproprié [voir le paragraphe 60 de son mémoire des faits et du droit]. Je ne comprends pas cet argument. Le client dont l’avocat soumet une observation conformément à son obligation de divulgation est lié par cette observation. Il n’aurait pas été loisible à Mylan de désavouer ultérieurement la position de l’avocat si Takeda avait tenté de l’invoquer.

[98]           Mylan a fait valoir au ministre que son produit était conforme à une norme de référence. Elle a indiqué à Takeda que la norme de référence dont elle se sert pour comparer le diagramme DRXP est celle qui est divulguée dans le brevet US 623 comme [caviardé].

[99]           Il était donc loisible à Takeda de reproduire le procédé du brevet US 623 pour faire [caviardé], et de faire une caractérisation complète du composé obtenu. Si cette caractérisation avait permis d’identifier le composé comme étant un dihydrate, et si son diagramme DRXP correspondait à celui du produit de Mylan, il est probable que la contrefaçon aurait été solidement établie.

[100]       Quant à la capacité de Takeda d’effectuer des essais pertinents pour corroborer l’opinion de M. Myerson, je donne préséance à la preuve contenue aux paragraphes 140 à 144 de l’affidavit de M. Atwood :

[traduction
140.     Je ne suis pas d’accord avec ce que M. Myerson déclare aux paragraphes 113 à 118 de son affidavit, à savoir que le procédé de Mylan ne pouvait pas être reproduit sans le germe.

141.     La page 20 du document versé à l’onglet 153 de la pièce C jointe à l’affidavit Burkhardt indique : « Le germe du pantoprazole magnésien hémipentahydraté correspond au lot approuvé de pantoprazole magnésien hémipentahydraté conforme aux spécifications ».

142.     [Caviardé–––––––––] US 623 fournit une méthode de fabrication du pantoprazole magnésien [caviardé] chimiquement pur à 100 %, qui est un hémipentahydrate et la forme servant à la comparaison du pantoprazole-T hémipentahydraté de Mylan, tel qu’expliqué à la pièce I jointe à l’affidavit Burkhardt. [Caviardé] ne requiert pas l’emploi d’un germe.

143.     Si M. Myerson avait vraiment voulu réaliser le procédé de Mylan, il aurait pu produire un germe selon le procédé de [caviardé–] du brevet US 623 puis suivre les étapes détaillées à l’onglet 152 de la pièce C jointe à l’affidavit Burkhardt.

144.     La divulgation du procédé de Mylan, et celle du procédé du brevet US 623 (qui aurait dû indiquer à M. Myerson que le pantoprazole magnésien hémipentahydraté pouvait être fabriqué avec [caviardé–––––––––––––––––––––––––––––––]), montre que M. Myerson pouvait et aurait dû pouvoir reproduire le procédé de Mylan et mettre le produit à l’essai afin de déterminer s’il avait fabriqué un hémipentahydrate.

Voir aussi le paragraphe 138 de l’affidavit de M. Cima.

[101]       Je n’accepte pas non plus la déposition de M. Myerson suivant laquelle l’absence d’informations dans la divulgation de Mylan concernant [caviardé––––––––––––––] l’empêchait de reproduire son procédé. MM. Cima et Atwood ont tous deux souligné la capacité de ces composés de [caviardé––––––––––––––––––––––––––––––––]. Le brevet US 623 divulguait également les méthodes expérimentales permettant de fabriquer des formes aqueuses du pantoprazole magnésien lorsque [caviardé––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––]. Même si M. Cima a reconnu qu’il était inhabituel de s’appuyer sur [caviardé–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––], la taille des lots de Mylan était, selon lui, [caviardé–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––].

[102]       Dans ce contexte, il ne suffisait pas que M. Myerson prédise l’échec sans rien tenter. Si le procédé ne fonctionnait pas, il était en mesure de le prouver.

[103]       Comme Takeda n’a pas pris les mesures raisonnables pour corroborer de manière indépendante les opinions de M. Myerson, je ne suis pas disposé à tirer une conclusion défavorable à Mylan.

[104]       En conclusion, Takeda ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que le produit de Mylan contrefait le brevet 031, et la présente demande est rejetée, avec dépens payables à Mylan suivant la fourchette médiane de la colonne IV.

X.                Post-scriptum

[105]       Comme c’est le cas de nombreuses instances relatives à un AC, la présente affaire a donné lieu à plusieurs insuffisances en matière de preuve. Il est d’ailleurs déconcertant que les parties à une telle instance manquent souvent de mettre sérieusement à l’épreuve la fiabilité des opinions des témoins experts de la partie adverse. Au lieu de cela, les parties comptent sur les avis largement incontestés de leurs propres experts. La Cour est ainsi privée d’un contre-interrogatoire efficace sur des questions importantes concernant un désaccord scientifique, ou il lui faut s’interroger sur la validité de critiques méthodologiques visant des données d’essais autrement incontestées.

[106]       La présente instance illustre bien cette tendance. Certains des points cruciaux de désaccord scientifique entre les trois experts n’ont pas donné lieu à un contre-interrogatoire révélateur. C’est particulièrement vrai des critiques de M. Myerson concernant les méthodes expérimentales de M. Atwood. Le premier a relevé certaines faiblesses théoriques dans l’approche du second, mais il n’a pas reçu pour instruction d’effectuer ses propres essais suivant sa méthode privilégiée pour déterminer si elle produirait d’autres données. Par ailleurs, M. Atwood n’a pas été contre-interrogé sur les critiques de M. Myerson, sans doute par crainte qu’une contre-preuve autrement indisponible puisse ainsi être introduite au dossier. Il convient peut-être de noter que dans l’une des ordonnances rendues par le protonotaire en l’espèce, une requête visant à déposer une contre-preuve a été refusée en partie parce qu’il était attendu que les éléments de preuve soient révélés en contre-interrogatoire.

[107]       Contenu de leur nature, les instances relatives à un AC peuvent donner lieu à des insuffisances en matière preuve. Il est fréquent que la contre-preuve ne soit pas admise, et les échantillons de produit de même que d’autres éléments pertinents absents de la PADN déposée ne peuvent généralement pas être dévoilés. Dans ce contexte, il n’est pas facile pour la Cour de parvenir à un résultat juste et exact en l’absence d’un réel débat sur la preuve sous-tendant des opinions contradictoires qui n’est pas versée au dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée et les dépens sont payables à Mylan suivant la fourchette médiane de la colonne IV.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -1161-13

 

INTITULÉ :

TAKEDA CANADA INC. ET TAKEDA GMBH

c

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 27 AU 30 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Christopher Van Barr

Kiernan A. Murphy

William Boyer

 

POUR LES demanderesseS

 

J. Bradley White

Vincent M. de Grandpré

Geoffrey Langen

 

POUR LA défenderesse

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES demanderesseS

 

Osler, Hoskin & Harcourt s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 



[1]       Par comparaison, un pantoprazole magnésien hémipentahydraté contient 2,5 moles d’eau pour chaque mole de pantoprazole magnésien, ce qui se traduit par une teneur théorique en eau de 5,40 % p/p.

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