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Date : 20150828


Dossier : IMM-7170-13

Référence : 2015 CF 1025

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 août 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

ARAVINTHAN SUNTHARALINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Un agent d’immigration supérieur de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par le demandeur. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]               Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision défavorable et renvoyant l’affaire à un autre agent pour nouvelle décision.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il est né à Jaffna le 29 avril 1986.

[4]               Le demandeur a allégué que les autorités sri-lankaises l’avaient détenu, puis libéré à plusieurs reprises entre 2001 et 2006. Le dernier incident a eu lieu en 2006, lorsqu’il a été interrogé à la suite d’une attaque à la bombe. Le demandeur a été sommé de se présenter de nouveau trois jours plus tard. Cependant, convaincu qu’il courait un danger, le demandeur s’est rendu à Colombo où il a obtenu un passeport et un visa pour l’Inde. Le demandeur s’est rendu en Inde en 2006 et y est demeuré pendant environ trois ans.

[5]               En 2009, le demandeur, muni d’un faux passeport indien, a quitté l’Inde pour se rendre en Thaïlande. En mai 2010, il est monté à bord du Sun Sea comme passager.

[6]               Le 13 août 2010, le demandeur est arrivé au Canada. Il a demandé l’asile. Le demandeur a d’abord été détenu puis, en mars 2011, il a obtenu sa mise en liberté sous condition.

[7]               L’audience du demandeur devant la Section de la protection des réfugiés [la Commission] a eu lieu le 6 juin 2012. Dans une décision défavorable datée du 10 août 2012, la Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur pour des raisons de crédibilité et du fait que les conditions dans le pays d’origine avaient changé. La Commission a mentionné qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur et que le risque était généralisé plutôt que personnel. Elle a également rejeté l’argument du demandeur qui prétendait être un réfugié sur place qui serait exposé à un risque à cause de son séjour temporaire au Canada et de sa demande d’asile. En outre, la Commission a affirmé que le demandeur ne serait pas perçu comme ayant des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et ne serait donc pas exposé à un risque s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[8]               En novembre 2012, le demandeur s’est inscrit au programme d’aide au retour volontaire et à la réintégration (ARVR), mais par la suite, en janvier 2013, il a quitté le programme. Il a demandé le sursis de son renvoi. Le demandeur allègue que l’armée s’est rendue au domicile de ses parents à trois reprises en 2012 pour tenter de le retrouver.

[9]               Le 4 avril 2013, l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a rejeté la demande qu’il avait présentée en vue d’obtenir le report de son renvoi.

[10]           Le 5 avril 2013, le demandeur a déposé une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au motif de l’inconstitutionnalité de la période d’attente visée à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi. La Cour a accueilli la requête sans motiver sa décision.

[11]           En septembre 2013, le demandeur a sollicité un ERAR. Sa demande a été rejetée. Le renvoi du demandeur avait été fixé au 23 décembre 2013.

[12]           Le 7 novembre 2013, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue relativement à l’ERAR.

[13]           Le 9 décembre 2013, le demandeur a déposé une requête en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

[14]           Le 20 décembre 2013, le juge Richard Mosley a accueilli la requête en sursis du demandeur.

[traduction]

L’analyse de l’ERAR effectuée par l’agent est complète. Pour les besoins de la présente requête, je suis convaincu que le bien‑fondé de la décision ne soulève aucune question sérieuse. Toutefois, invoquer « une lettre suspecte de son père » et qualifier d’improbable l’argument du demandeur portant que les autorités sri‑lankaises s’intéresseraient au demandeur peu avant son renvoi du Canada pourraient constituer une conclusion voilée en matière de crédibilité qui exige la tenue d’une audience au titre du règlement. Vu le seuil peu élevé qui s’applique, je reconnais donc que le demandeur a satisfait au premier volet du critère conjonctif de la décision Toth.

II.                La décision à l’examen

[15]           Dans une décision datée du 22 octobre 2013, l’agent a rejeté la demande d’ERAR présentée par le demandeur, au motif qu’il était exposé à moins qu’une simple possibilité de persécution s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[16]           L’agent a résumé la situation du demandeur ainsi que les conclusions de la Commission. La Commission a rejeté la demande du demandeur en invoquant la crédibilité et le fait que les conditions dans le pays d’origine avaient changé. Elle a affirmé qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur ainsi qu’un risque généralisé plutôt que personnel. La Commission a également rejeté l’argument du demandeur qui prétendait être un réfugié sur place qui serait exposé à un risque à cause de son séjour temporaire au Canada et de sa demande d’asile présentée au Canada. En outre, la Commission a conclu que le demandeur ne serait pas perçu comme ayant des liens avec les TLET et ne serait donc pas exposé à un risque s’il était renvoyé au Sri Lanka.

[17]           L’agent a commencé par affirmer que les observations du demandeur prêtaient à confusion. Il a résumé les observations du demandeur de la manière suivante : le demandeur court un risque du fait que, depuis la décision de la Commission, les conditions dans son pays d’origine ont changé et aussi parce que des personnes dans une situation semblable à la sienne courent un risque.

[18]           L’alinéa 113a) de la Loi prévoit que l’agent d’ERAR ne peut apprécier que de nouveaux éléments de preuve, c’est‑à‑dire des éléments de preuve survenus depuis la décision de la Commission ou que le demandeur n’aurait pu raisonnablement présenter à l’audience relative à la demande d’asile. L’agent doit établir si les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur établissent soit que le demandeur est exposé à un risque, soit que les conditions dans son pays d’origine ont suffisamment changé pour que l’analyse effectuée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne soit plus valable.

[19]           En ce qui concerne les conditions dans le pays d’origine, l’agent a affirmé que les conclusions de la Commission demeuraient valables. Selon l’agent, les nouveaux éléments de preuve révélaient que les tendances qu’avait constatées la Commission s’étaient maintenues, mais qu’il n’y avait eu aucune détérioration considérable des conditions. L’agent a fait remarquer toutefois que, même si le demandeur soutenait que les conditions s’étaient dégradées, il n’y avait aucun élément de preuve établissant que les conditions avaient changé depuis la décision de la Commission. L’agent a reconnu que le Sri Lanka était aux prises avec de graves problèmes en matière de droits de la personne, mais il ne souscrivait pas à la prétention du demandeur selon laquelle son profil avait changé et qu’il est perçu comme étant un travailleur des droits de la personne, un sympathisant des TLET, un journaliste ou un protestataire antigouvernemental.

[20]           En ce qui concerne le risque que le demandeur soit perçu comme ayant des liens avec les TLET, l’agent a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le gouvernement sri‑lankais ne s’intéressait pas au demandeur. Il a reconnu les aspects positifs et négatifs du traitement que le gouvernement réserve aux Tamouls. Par exemple, d’un côté, le gouvernement commence à embaucher des Tamouls dans les corps de police et le nombre de postes de contrôle de la police a diminué; par contre, quelques Tamouls qui sont renvoyés de force au Sri Lanka sont arrêtés et la torture y est toujours pratiquée. De plus, selon l’agent, les visites alléguées de l’armée sri-lankaise au domicile des parents du demandeur en 2012 ont probablement été inventées de toutes pièces pour retarder le retour du demandeur.

[21]           En ce qui a trait au risque découlant du voyage à bord du Sun Sea, l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, ce n’est que pure spéculation. L’agent a affirmé que le voyage à bord du Sun Sea n’était pas une nouvelle source de risque qui n’avait pas été appréciée par la Commission. Il a fait remarquer que, parmi les autres passagers du Sun Sea et de l’Ocean Lady qui avaient déposé une demande, certains avaient des liens, ce qui pourrait amener le Sri Lanka à les percevoir comme étant des membres ou des sympathisants des TLET. Toutefois, le simple fait d’avoir voyagé sur le Sun Sea n’expose pas en soi le demandeur à un risque. L’agent a également mentionné que le demandeur n’avait pas établi comment le Sri Lanka apprendrait sa date d’arrivée ou les moyens qu’il avait pris pour se rendre.

[22]           En guise de conclusion, l’agent a réitéré que [traduction] « [l]e risque est, par définition, prospectif, et concerne la possibilité de subir un préjudice ou de se trouver en danger ». L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi que [traduction] « les changements qui s’étaient produits au Sri Lanka ou dans ses circonstances personnelles étaient tels qu’il serait maintenant exposé à un risque de persécution, de menace à la vie, un risque de torture ou risque de traitements ou peines cruels et inusités ».

III.             Les questions à trancher

[23]           Le demandeur présente une large question à l’examen de la Cour :

[traduction]

L’agent d’ERAR a effectué une analyse brève et hautement sélective du risque auquel le demandeur serait personnellement exposé au Sri Lanka; l’agent n’a pas étayé le bien‑fondé de toutes les conclusions déterminantes au moyen d’une preuve manifeste, n’a pas correctement appliqué le principe du « risque généralisé » et a arbitrairement écarté des éléments de preuve crédibles, récents et objectifs établissant le risque auquel le demandeur serait exposé comme réfugié sur place, en raison de son arrivée au Canada à bord du Sun Sea, un navire connu comme appartenant aux anciens Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et exploité par ces derniers. L’agent s’est également attardé à la « crédibilité » du demandeur et il a soulevé cette question, mais il n’a néanmoins pas tenu une audience pour permettre au demandeur de dissiper ces préoccupations.

[24]           Le défendeur soulève deux questions :

1.                  La conclusion selon laquelle le demandeur ne courait aucun risque était‑elle raisonnable?

2.                  L’agent aurait-il dû tenir une audience pour aborder certaines questions au sujet de la crédibilité du demandeur?

[25]           Je vais reformuler les questions comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 L’appréciation des nouveaux éléments de preuve par l’agent était‑elle raisonnable?

C.                 L’agent aurait-il dû tenir une audience pour traiter des questions relatives à la crédibilité du demandeur?

IV.             Les observations écrites du demandeur

[26]           Le demandeur allègue que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité.

[27]           Le demandeur reconnaît que sa crédibilité était en cause et qu’il avait menti pour bonifier sa demande d’asile. Ensuite, il allègue que si l’agent était d’avis que les observations de son avocat prêtaient à confusion, il aurait dû prendre des mesures afin de les clarifier. L’agent disposait de tous les renseignements et il ne lui était pas nécessaire de deviner ou de présumer certains faits, comme il le donne à entendre dans ses motifs. Le demandeur réitère son observation selon laquelle son appartenance à un groupe social en particulier, les migrants ou les réfugiés du Sun Sea, était fondée sur son origine ethnique et sur les opinions politiques qui pourraient lui être imputées, à titre de personne qui serait soupçonnée d’avoir pu entretenir des liens avec les anciens TLET.

[28]           En vertu de l’alinéa 113b) de la Loi, l’agent d’ERAR peut tenir une audience en personne lorsque l’examen de nouveaux éléments de preuve soulève une question de crédibilité. En l’espèce, l’agent n’a pas tenu une audience, et ce, malgré qu’il ait soulevé la question de la crédibilité du demandeur. En particulier, l’agent a souligné les divers mensonges du demandeur lors de son arrivée au Canada et devant la Commission. L’agent n’a pas tenu une audience, violant ainsi le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], (Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, [2008] ACF no 1308; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 872, [2004] ACF n1134; Cosgun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 400, [2010] ACF no 458).

[29]           De surcroit, la déclaration de l’agent selon laquelle les arguments du demandeur prêtaient à confusion soulève la question de la crédibilité du demandeur et celle de savoir si l’agent avait compris les arguments. Le demandeur cite le juge Sean Harrington qui a dit, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, [2013] ACF n685, au paragraphe 10, que le fait que les passagers du Sun Sea et de l’Ocean Lady qui ont demandé l’asile ne soient pas tous traités de la même manière constitue une grande injustice, et que la décision sera différente selon le commissaire de la Commission qui tranche le dossier.

[30]           Le demandeur soutient que, pour établir si une personne appartient à un groupe social en particulier, l’agent doit tenir compte des thèmes sous‑jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l’initiative internationale de protection des réfugiés (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 739). En l’espèce, la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’avait pas établi que les autorités sri‑lankaises apprendraient qu’il était arrivé au Canada sur le Sun Sea était déraisonnable. Puisque l’agent avait reconnu que les personnes ayant le même profil que le demandeur feraient l’objet d’un [traduction] « contrôle » dès leur arrivée à l’aéroport international du pays, le demandeur sera certainement interrogé au sujet de ses allées et venues, de son mode de transport et de ses activités au Canada. Les autorités sri‑lankaises seront donc au courant de ses liens avec le Sun Sea.

[31]           Le demandeur soutient que sa situation ressemble à celle du demandeur dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B272, 2013 CF 870, [2013] ACF n957. Dans cette affaire, la Commission a conclu que le demandeur serait perçu comme une personne soupçonnée d’appartenir aux TLET ou d’être associée aux TLET du fait d’avoir été à bord du Sun Sea et de ses liens avec les TLET.

[32]           Le demandeur allègue que parce que l’agent a posé la question suivante par écrit : [traduction] « [d]onc comment viendrait‑il à l’attention du Sri Lanka? » à la page 10 de la décision, l’agent a entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire en se fondant sur les motifs de l’ASFC dans l’examen de la demande de sursis du demandeur. Le demandeur soutient que la compétence et le pouvoir discrétionnaire de l’agent ont pour objet l’inclusion et la protection. Les raisons invoquées par l’ASFC pour rejeter la demande de sursis ne doivent exercer aucune influence que ce soit dans le cadre de l’ERAR.

[33]           En outre, le demandeur allègue que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur croyait que son retour au Sri Lanka ne l’exposerait à [traduction] « aucun danger » à l’époque en cause, puisqu’il s’était inscrit au programme ARVR le 27 novembre 2012, est déraisonnable. Le demandeur soutient qu’il s’agit de pure conjecture et que la question a été tranchée en avril 2013 dans le cadre de la requête en sursis.

[34]           De plus, le demandeur prétend que la conclusion de l’agent selon laquelle les conditions au Sri Lanka s’étaient améliorées est fondée sur une analyse très sélective d’éléments de preuve objectifs et qu’elle ne tient pas compte de nouveaux éléments de preuve crédibles qui confirment le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé. Le demandeur renvoie à la décision Sebastiampillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 394, au paragraphe 49, [2009] ACF n493, une décision que j’ai rendue dans laquelle j’ai conclu que la décision de l’agent était déraisonnable, parce qu’il n’avait pas fait référence à la preuve qui portait sur la question soulevée par le demandeur et qu’il n’avait pas traité cette preuve. En l’espèce, le demandeur allègue que les conditions dans le pays d’origine se sont détériorées et que la situation, pour ce qui concerne les droits de la personne, s’est aggravée dans le cas de personnes ayant le même profil que lui.

[35]           Le demandeur soutient donc que la décision de l’agent était déraisonnable.

V.                Les observations écrites et le mémoire supplémentaire du défendeur

[36]           Le défendeur allègue que la question de savoir si l’agent aurait dû tenir une audience est une question d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Quant aux autres arguments du demandeur, qui portent sur l’appréciation des faits par l’agent, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[37]           Premièrement, le défendeur soutient que la décision de l’agent selon laquelle le demandeur ne court aucun risque est raisonnable. Il soutient que l’agent a apprécié les éléments de preuve dont il disposait et qu’il était raisonnable de conclure que cette preuve ne permettait pas de tirer une conclusion autre que celle de la Commission.

[38]           En prenant sa décision, l’agent n’a pas écarté ou examiné de manière sélective les éléments de preuve. Le demandeur a fait valoir une telle chose, mais il n’a pas précisé les éléments de preuve dont l’agent n’aurait pas tenu compte. De plus, l’agent n’a pas tiré la conclusion selon laquelle les choses s’étaient améliorées au Sri Lanka. Au contraire, il a affirmé que les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur n’établissaient pas que la situation s’était détériorée depuis la décision de la Commission.

[39]           L’agent n’a pas non plus conclu à l’existence d’un risque généralisé. Toutes les références à un risque généralisé dans les motifs de l’agent se trouvent dans son résumé des motifs de la Commission.

[40]           En outre, l’agent n’a pas écarté une preuve établissant que le demandeur était un réfugié sur place. La Commission avait déjà tranché cette question. L’agent n’a pas jugé que le voyage à bord du Sun Sea était en soi un facteur de risque pour d’autres demandeurs; il a plutôt affirmé que, dans les autres affaires où il avait été décidé que des passagers du Sun Sea couraient un risque, d’autres facteurs amèneraient les autorités à croire que ces demandeurs étaient des sympathisants des TLET ou avaient des liens avec eux. De plus, la conclusion tirée par l’agent, à savoir que le mode de voyage du demandeur ne serait pas porté à l’attention des autorités sri‑lankaises, puisque ni le rapport établi en vertu de l’article 44 ni la décision concernant la détention ou la mise en liberté ne précisaient pas la date ni la manière de son arrivée au Canada, était raisonnable. L’affirmation du demandeur selon laquelle il révélerait son mode de voyage aux autorités sri‑lankaises n’apparait pas dans ses observations à l’agent d’ERAR.

[41]           L’allégation selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte du risque auquel était exposé le demandeur en tant que rapatrié tamoul n’est pas fondée. La Commission l’avait déjà rejetée. L’agent a conclu que la nouvelle preuve produite par le demandeur n’établissait pas qu’il était exposé à un risque.

[42]           Le défendeur allègue donc que la décision de l’agent était complète et raisonnable.

[43]           Deuxièmement, le défendeur soutient que l’agent n’avait pas l’obligation de tenir une audience. Il allègue que l’agent a seulement fait référence aux conclusions de la Commission et de l’agent de l’ASFC en matière de crédibilité, et qu’il n’a fait aucune évaluation personnelle de la crédibilité de la preuve. Il n’incombait pas à l’agent de tenir une audience pour examiner ces conclusions en matière de crédibilité si les nouveaux éléments de preuve ne permettaient pas de les écarter. Le défendeur soutient que l’agent peut décider que les éléments de preuve sont insuffisants sans tirer une conclusion sur la crédibilité (Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 583, [2010] ACF no 689, au paragraphe 31; Sayed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, [2010] ACF no 978, aux paragraphes 35 à 37).

[44]           En l’espèce, le dossier du tribunal révèle que le demandeur n’a pas allégué pendant l’ERAR que les autorités sri‑lankaises le recherchaient en 2012. De plus, aucune preuve au dossier n’établit que les autorités sri‑lankaises se soient rendues au domicile de la famille du demandeur en 2012. Étant donné l’absence d’éléments de preuve au dossier, l’article 167 du Règlement ne s’applique pas et aucune audience n’était requise.

[45]           Le défendeur prétend en outre que même si la Cour conclut que l’agent avait tiré une conclusion voilée quant à la crédibilité du demandeur, cette conclusion n’était pas déterminante relativement à la décision prise. La conclusion déterminante était celle selon laquelle le demandeur n’avait pas établi que sa situation personnelle ou les conditions générales dans son pays d’origine avaient changé, de sorte qu’il était dorénavant exposé à un risque. C’est ce dernier facteur qui a été déterminant dans la décision relative à l’ERAR du demandeur, peu importe les affirmations au sujet de la crédibilité de ce dernier.

[46]           Le défendeur soutient donc que la décision de l’agent était raisonnable.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[47]           L’appréciation, par l’agent, de nouveaux éléments de preuve est une question mixte de fait et de droit, qui est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, aux paragraphes 47 et 51). Cela signifie que je devrais m’abstenir d’intervenir si la décision est transparente, justifiable, intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, lorsque la cour siégeant en révision applique la norme de la raisonnabilité, elle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle-même préférable à celle qui a été retenue ni soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[48]           La jurisprudence concernant la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision concernant la tenue d’une audience au titre de l’article 167 du RIPR et de l’article 113 de la Loi est partagée (Bicuku c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 339, [2014] ACF n346, au paragraphe 16). En l’espèce, je reconnais le bien‑fondé de l’observation du défendeur selon laquelle il y a lieu d’appliquer la norme de la décision correcte. J’ai mentionné dans d’autres décisions que, selon moi, la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience est une question d’équité procédurale (Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 253, [2010] ACF no 307, au paragraphe 24; Ullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 221, [2011] ACF n275, aux paragraphes 20 et 21). La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera habituellement celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79; Khosa, au paragraphe 43). La Cour doit établir si le processus suivi par le décideur respecte le degré d’équité exigé en toutes circonstances (Khosa, au paragraphe 43).

[49]           Je vais d’abord traiter la question 3.

B.                 Question 3 – L’agent aurait-il dû tenir une audience pour traiter des questions relatives à la crédibilité du demandeur?

[50]           Dans sa décision, l’agent affirme ce qui suit :

[traduction]

Le changement allégué dans sa situation est que l’armée ou la DEC s’étaient rendues à son domicile familial en 2012 pour tenter de le retrouver ou de savoir où il se trouvait.

Étant donné :

-     les nombreuses fausses déclarations de M. Suntharalingam,

-     les déclarations de son père selon lesquelles personne n’était venu rechercher M. Suntharalingam en 2011,

-     les affirmations de M. Suntharalingam lui‑même (le 18 janvier 2011) selon lesquelles personne ne s’était renseigné à son sujet,

-     l’absence de liens ou de liens perçus avec les TLET (selon la Section de la protection des réfugiés (SPR)),

-     son inscription volontaire au AVRV – après les visites alléguées,

-     la lettre suspecte de son père (selon l’appréciation de l’ASFC),

-     la thèse extrêmement improbable exprimée par M. Suntharalingam selon laquelle l’armée ou la Division des enquêtes criminelles (DEC) allait s’intéresser subitement à lui avant son renvoi du Canada, alors qu’elles n’ont manifesté aucun intérêt envers lui au cours des six années précédentes,

je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’en fait, ni l’armée, ni la DEC ni aucun autre organisme gouvernemental sri‑lankais ne s’intéressent à lui. Je conclus que les visites alléguées ont été inventées par des inconnus (peut-être son père) pour empêcher ou retarder le retour de M. Suntharalingam au Sri Lanka, plutôt que pour décrire un risque important au sens des articles 96 ou 97 auquel il aurait été exposé.

(dossier du demandeur, page 25)

[51]           Je suis préoccupé par ces déclarations de l’agent. Il semble que l’agent ne croyait pas que l’armée ou la DEC avait effectué les visites en question en 2012 pour tenter de trouver le demandeur. Même si l’agent a lui‑même soulevé cette préoccupation, il s’agit, selon moi, d’une conclusion en matière de crédibilité qui a pu contribuer au rejet de la demande du demandeur.

[52]           Il s’ensuit que j’estime que l’agent aurait dû tenir une audience sur cette question.

[53]           L’agent ne l’a pas fait et, par conséquent, sa décision est déraisonnable, et elle doit être annulée et renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[54]           Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre question en litige.

[55]           Aucune des parties n’a souhaité me proposer une question grave de portée générale en vue de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la décision de l’agent est annulée et que le dossier est renvoyé à un autre agent pour nouvelle décision.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


ANNEXE

Dispositions pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an demandeur whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that Le demandeur could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

(c) in the case of an demandeur not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3) — sauf celui visé au sous-alinéa e)(i) ou (ii) —, sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(d) in the case of an demandeur described in subsection 112(3) — other than one described in subparagraph (e)(i) or (ii) — consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(i) in the case of an demandeur for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada;

(ii) in the case of any other demandeur, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by Le demandeur or because of the danger that Le demandeur constitutes to the security of Canada; and

e) s’agissant des demandeurs ci-après, sur la base des articles 96 à 98 et, selon le cas, du sous-alinéa d)(i) ou (ii) :

(e) in the case of the following demandeurs, consideration shall be on the basis of sections 96 to 98 and subparagraph (d)(i) or (ii), as the case may be:

(i) celui qui est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada pour une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans et pour laquelle soit un emprisonnement de moins de deux ans a été infligé, soit aucune peine d’emprisonnement n’a été imposée,

(i) an demandeur who is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years for which a term of imprisonment of less than two years — or no term of imprisonment — was imposed, and

(ii) celui qui est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, sauf s’il a été conclu qu’il est visé à la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés.

(ii) an demandeur who is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, unless they are found to be a person referred to in section F of Article 1 of the Refugee Convention.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of Le demandeur’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7170-13

 

INTITULÉ :

ARAVINTHAN SUNTHARALINGAM c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE;

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 mars 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE.

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LE demandeur

 

Rachel Hepburn Craig

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay Professional Corporation

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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