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Date : 20150821


Dossier : IMM-427-15

Référence : 2015 CF 996

Montréal (Québec), le 21 août 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

JENNIFER ST LOUIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La crédibilité d’un récit dans son ensemble ne peut pas être rétablie par un témoignage qui contredit entièrement la preuve écrite quand ladite preuve écrite, en elle-même, émane des propos directement spécifiés par la personne visée; un changement d’histoire suite aux contradictions soulevées devient nuisible au nœud même d’une revendication quand cette histoire ne tient plus debout.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 5 janvier 2015, accueillant l’appel du défendeur d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui accordait le statut de réfugiée à la demanderesse.

III.             Faits

[3]               La demanderesse est une citoyenne d’Haïti âgée de 25 ans.

[4]               Parrainée par sa mère qui habite au Canada, la demanderesse a fait une demande de résidence permanente le 31 décembre 2012.

[5]               La demanderesse est arrivée au Canada le 19 février 2014, munie d’un visa de résident permanent ayant été émis le 27 janvier 2014.

[6]               À son arrivée, la demanderesse a été visée par un rapport d’interdiction émis en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR au motif qu’elle aurait déclaré à l’agent d’immigration s’être mariée en Haïti le 14 février 2014 sans avoir avisé l’ambassade du Canada en Haïti du changement de son statut matrimonial.

[7]               La demanderesse a été autorisée à retirer sa demande d’entrée au Canada et à quitter le Canada dans les plus brefs délais afin de régulariser sa situation auprès de l’ambassade canadienne en Haïti.

[8]               La demanderesse est demeurée au Canada et y a réclamé l’asile le 26 février 2014.

[9]               Le défendeur est intervenu devant la SPR en alléguant que la crédibilité de la demanderesse était affectée en raison du fait qu’elle n’avait pas déclaré le changement de son statut matrimonial. De plus, le défendeur a argumenté que la demanderesse n’est pas crédible en ce qui concerne sa crainte alléguée en Haïti puisqu’elle a démontré son intention de s’établir au Canada dès le mois de décembre 2012, au moment où elle a présenté sa demande de résidence permanente.

[10]           Le 15 mai 2014, accordant le bénéfice du doute à la demanderesse et estimant que les allégations contenues dans son formulaire de demande d’asile étaient crédibles, la SPR a accordé l’asile à la demanderesse.

IV.             Décision contestée

[11]           Suite à une audience ayant eu lieu le 15 décembre 2014, la SAR a accueilli l’appel du défendeur et a substitué sa décision à celle de la SPR en concluant que la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[12]           Dans ses motifs, la SAR détermine que les éléments de preuve soumis par le défendeur à l’appui de l’appel soulèvent une question importante quant à la crédibilité de la demanderesse et contredisent, à première vue, certaines des allégations essentielles de la demanderesse devant la SPR, notamment en ce qui concerne son statut matrimonial et familial et sa crainte subjective.

[13]           Suite à une revue de la jurisprudence de la Cour fédérale contemporaine à sa décision et des articles pertinents de la LIPR, la SAR déclare procéder à sa propre évaluation de la preuve.

[14]           Premièrement, la SAR constate que l’omission de la demanderesse de mentionner dans son formulaire de demande d’asile l’existence de son demi-frère, qui résidait à la même adresse qu’elle en Haïti, n’est pas suffisante pour affecter la crédibilité générale de la demanderesse.

[15]           Deuxièmement, la SAR examine les déclarations contradictoires de la demanderesse exprimées lors de son arrivée au Canada, le 19 février 2014. La SAR observe que les explications fournies par la demanderesse pour justifier ces contradictions sont contradictoires en elles-mêmes.

[16]           D’abord, quant à ses déclarations concernant son statut matrimonial, la SAR note que la demanderesse a déclaré être mariée pour ne pas contredire ce que son oncle aurait déclaré à son endroit (qu’elle s’était mariée en février 2014), pour ensuite dire qu’elle ne savait pas ce que son oncle avait déclaré et que, si elle l’avait su, elle aurait rétabli les faits, pour finalement déclarer qu’elle avait affirmé être mariée car elle se sentait menacée par l’agent d’immigration. Devant la SAR et la SPR, la demanderesse a déclaré qu’elle ne s’était pas mariée le 14 février 2014, mais qu’elle s’était plutôt fiancée avec l’homme qu’elle fréquentait depuis 2008.

[17]           Invitée à expliquer ce témoignage contradictoire, la demanderesse n’aurait donné aucune réponse satisfaisante.

[18]           Ensuite, quant à sa crainte de retour en Haïti, la SAR observe que la demanderesse a d’abord déclaré qu’elle craignait le retour, pour ensuite affirmer ne pas savoir si la question lui avait été posée.

[19]           Étant donné ces contradictions, la SAR accorde une plus grande valeur probante à la preuve déposée par le défendeur qu’au témoignage de la demanderesse, en particulier, les notes consignées au Système de soutien des opérations des bureaux locaux relatant les entrevues ayant eu lieu avec la demanderesse. Les notes consignées révèlent que la demanderesse a déclaré être mariée et craindre le retour dans son pays. La SAR s’appuie sur l’affidavit signé par l’agent ayant interviewé la demanderesse à son arrivée, qui confirme ces déclarations.

[20]           Finalement, la SAR conclut que selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’est pas crédible concernant au moins deux éléments importants de sa demande d’asile, soit son statut matrimonial et sa crainte de retourner en Haïti.

[21]           Plus particulièrement, la SAR conclut que la demanderesse n’a pas démontré « les éléments essentiels de sa demande d’asile tels qu’allégués dans son formulaire FDA, soit le fait qu’elle vivait en Haïti sous la menace constante de groupes criminalisés, étant donné ses déclarations à l’effet qu’elle n’a pas de crainte de retourner dans son pays, et que ce danger serait d’autant plus important parce qu’elle serait « une fille seule » dans son pays, étant donné que j’ai estimé que la preuve démontrait plutôt qu’elle était mariée en Haïti » (Décision de la SAR, Dossier de la demanderesse, à la p 21).

V.                Dispositions législatives

[22]           Les articles 96 et 97 de la LIPR énoncent le droit applicable à la détermination du statut de réfugié au Canada :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[23]           Les articles suivants de la LIPR énoncent les critères applicables quant au rôle de la SAR, à l’admissibilité de la preuve en appel et à la tenue d’audience :

Appel

Appeal

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

Fonctionnement

Procedure

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

Décision

Decision

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VI.             Question en litige

[24]           La décision de la SAR est-elle raisonnable au regard des faits et du droit?

VII.          Analyse

[25]           Le témoignage de la demanderesse qui découle du dossier démontre qu’elle était non crédible sur le nœud même de la revendication. Ceci est assez pour démontrer la raisonnabilité de la décision analysée par la Cour.

[26]           De plus, la demanderesse a elle-même affirmé lors du second contrôle judiciaire qu’elle ne craignait pas de retourner en Haïti. Sans avoir oublié, la Cour note, particulièrement, le récit par lequel la demanderesse est venue au Canada munie d’un visa de résidence permanente pour ensuite revendiquer le statut de réfugié. Tout de la revendication de refuge est invraisemblable suite au récit antérieur de la demanderesse. Ceci contredit ses allégations antérieures d’une façon marquante.

VIII.       Conclusion

[27]           Pour toutes ces raisons, la requête pour révision judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-427-15

 

INTITULÉ :

JENNIFER ST LOUIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 août 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Anthony Karkar

 

Pour la demanderesse

 

Alain Langlois

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Anthony Karkar

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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