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Date : 20150826


Dossier : IMM-2965-13

Référence : 2015 CF 1010

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 août 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

DARSHAN SINGH DHALIWAL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le 19 juin 2014, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (la la Loi, LIPR) a été modifiée de telle sorte qu’il était mis fin à toutes les demandes de visa au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs ou de celle des entrepreneurs si elles ne remplissaient pas certaines exigences en date du 11 février 2014.

[2]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Dhaliwal, le demandeur, représente plusieurs personnes ayant été touchées par la modification législative, et demande à ce qu’elle soit déclarée inconstitutionnelle parce que contraire à la primauté du droit et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne (la Charte). En outre, il sollicite une ordonnance de mandamus qui forcerait le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada (le ministre) à traiter sa demande de résidence permanente.

[3]               Les questions soulevées en l’espèce sont les mêmes que dans l’affaire connexe dont je suis saisi, Singh c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (IMM-3716-13). Les parties ont convenu que les affaires seraient plaidées ensemble compte tenu des similitudes entre les questions juridiques que la Cour doit trancher.

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

II.                Les faits

[5]               Le 21 mai 2010, le demandeur, un citoyen indien, a déposé une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs (fédéral). Quelques jours plus tard, il recevait une lettre du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi accusant réception de sa demande et l’avisant qu’il serait informé de l’état de celle-ci dans vingt mois (dossier du demandeur (DD), à la page 16).

[6]               Cependant, un peu moins de trois ans plus tard, le dossier du demandeur n’avait toujours pas été traité. Par conséquent, le 22 avril 2013, il a déposé la demande sous-jacente de contrôle judiciaire sollicitant une ordonnance de mandamus pour que soit traitée sa demande de résidence permanente. Avant que la demande de contrôle judiciaire n’ait été instruite sur le fond le 19 juin 2014, l’article 303 de la Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014 (LC 2014, c 20) a modifié la Loi de façon à introduire l’article 87.5 :

87.5 (1) Il est mis fin à toute demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs ou de celle des entrepreneurs si, au 11 février 2014, un agent n’a pas statué, conformément aux règlements, quant à la conformité de la demande aux critères de sélection et autres exigences applicables à la catégorie en cause.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux demandes suivantes :

a) celle à l’égard de laquelle une cour supérieure a rendu une décision finale, sauf dans les cas où celle-ci a été rendue le 11 février 2014 ou après cette date;

b) celle faite par un investisseur ou un entrepreneur sélectionné à ce titre par une province ayant conclu un accord visé au paragraphe 9(1). 

(3) Le fait qu’il a été mis fin à une demande de visa de résident permanent par application du paragraphe (1) ne constitue pas un refus de délivrer le visa.

(4) Les frais versés au ministre à l’égard de la demande visée au paragraphe (1), notamment pour l’acquisition du statut de résident permanent, sont remboursés, sans intérêts, à la personne qui les a acquittés; ils peuvent être payés sur le Trésor.

(5) Une somme égale au placement fait par une personne à l’égard de sa demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs et à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1) lui est remboursée, sans intérêts; elle peut être payée sur le Trésor.

(6) Si, à l’égard d’une demande de visa de résident permanent faite au titre de la catégorie réglementaire des investisseurs et à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1), une quote-part provinciale a été transférée à un fonds agréé, au sens du paragraphe 88(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, la province dont le gouvernement contrôle le fonds retourne sans délai au ministre une somme équivalant à la quote-part provinciale, entraînant ainsi l’extinction du titre de créance à l’égard de celle-ci.

(7) Nul n’a de recours contre Sa Majesté du chef du Canada ni droit à une indemnité de sa part relativement à une demande à laquelle il est mis fin par application du paragraphe (1), notamment à l’égard de tout contrat ou autre forme d’entente qui a trait à la demande.

[7]               Conformément au paragraphe 87.5(1), a été mis fin de plein droit à la demande de résidence permanente du demandeur.

[8]               Avant de se lancer dans l’analyse concernant le fond de l’affaire, il faut noter que la Cour d’appel fédérale (CAF) a récemment rendu une décision définitive dans une affaire intéressant un groupe comparable de demandeurs. Les affaires Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 146 (Jia) et Jia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 596 (Jia CF), en première instance, ont abouti devant les Cours fédérales par voie de demande de mandamus, comme en l’espèce. Les circonstances entourant ces affaires ressemblaient aussi au cas qui nous occupe, notamment pour ce qui est du type de demande de résidence permanente en cause (catégorie de gens d’affaires), du lieu de dépôt (bureaux des visas en Asie), des projections de délais de traitement, et des allégations d’inconstitutionnalité soulevées par les demandeurs. Ces derniers ont été déboutés devant les deux instances des Cours fédérales.

[9]               Je passe à présent à l’analyse de la présente demande et je reviendrai sur l’affaire Jia à la fin de ma décision.

III.             Observations

[10]           Comme il a déjà été mis fin à la demande du demandeur au titre de la catégorie des investisseurs en vertu de l’article 87.5 de la Loi, il est évident que la mesure de réparation qu’il sollicite – une ordonnance de mandamus qui forcerait le ministre à traiter sa demande – dépend de la constitutionnalité de cette disposition.

[11]           Le demandeur soutient que l’article 87.5 est inconstitutionnel à deux égards : (i) la disposition enfreint le principe constitutionnel de la primauté du droit et (ii) elle porte atteinte aux droits garantis au demandeur par l’article 7 de la Charte.

[12]           Le défendeur avance qu’en tant que ressortissant étranger résidant à l’extérieur du Canada, le demandeur n’a pas qualité pour soulever des arguments constitutionnels ou liés à la Charte. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’infraction à l’article 7 puisque la vie, la liberté ou la sécurité du demandeur n’ont pas été mises en jeu, et que les contraintes imposées à l’égard des demandes de résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs ne violent pas les principes de la justice fondamentale. Comme l’a établi la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, aux paragraphes 69 à 72 (Imperial Tobacco), les lois rétrospectives n’enfreignent pas la primauté du droit, et il n’existe aucun droit acquis à l’application de la loi telle qu’elle existait avant sa modification rétrospective.

IV.             Analyse

A.                Questions préliminaires

[13]           D’un point de vue procédural, le défendeur fait valoir que les arguments du demandeur concernant la constitutionnalité de l’article 87.5 n’ont pas été dûment soumis à la Cour et ne devraient pas être examinés parce qu’ils ont été soulevés pour la première fois dans son mémoire supplémentaire des faits et du droit. Comme l’a noté la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129, au paragraphe 33, suivant le principe général, sauf en cas d’urgence, les questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées pour la première fois devant la juridiction de révision si le décideur administratif avait le pouvoir et la possibilité pratique de les trancher.

[14]           En l’espèce, la disposition contestée est entrée en vigueur après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire concernant le retard de traitement. La demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi est donc la première possibilité pratique qu’a le demandeur de faire valoir ces arguments. L’obliger à faire marche arrière et à solliciter une autorisation relativement à la décision du ministre de mettre fin à la demande au titre de la catégorie des investisseurs, sur la base des mêmes faits que ceux dont la Cour est saisie dans la présente demande de contrôle judiciaire, serait un gaspillage de ressources judiciaires limitées. Comme l’a souligné la juge Karakatsanis dans l’arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, au paragraphe 25, une décision concernant le virage culturel requis pour faciliter l’application des règles régissant les jugements sommaires en Ontario, « [l]e règlement expéditif des litiges par les tribunaux permet aux personnes concernées d’aller de l’avant » (voir aussi Jia CF, au paragraphe 11). J’estime également que le défendeur ne subit pas un grand préjudice en l’espèce, puisqu’il a eu la possibilité de répondre aux arguments constitutionnels du demandeur par des observations écrites dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit, et à l’audience.

B.                 Primauté du droit et constitutionnalité de l’article 87.5

[15]           La primauté du droit est un principe constitutionnel fondamental suivant lequel, à tout le moins : (i) le droit est au-dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen, (ii) il exige la création et le maintien d’un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l’ordre normatif et (iii) les mesures prises par les représentants de l’État doivent s’appuyer sur des lois (Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, aux paragraphes 59 à 61; Imperial Tobacco, au paragraphe 59).

[16]           Le demandeur invoque l’arrêt R c Ferguson, 2008 CSC 6, au paragraphe 68, dans lequel la juge en chef de la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que, pour être conformes au principe de la primauté de droit, les lois doivent être accessibles, intelligibles, claires et prévisibles :

[68] Les principes du constitutionnalisme et de la primauté du droit sont à la base du gouvernement démocratique : Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. Un principe essentiel de la primauté de droit porte que [traduction] « le droit doit être accessible et, dans la mesure du possible, intelligible, clair et prévisible » […].

[17]           En substance, l’argument du demandeur est le suivant : le ministre avait l’obligation de traiter sa demande lorsqu’elle a été soumise, et l’article 87.5 est inconstitutionnel parce qu’il élimine rétrospectivement cette obligation, et qu’il bafoue l’attribut de prévisibilité que la primauté du droit doit comprendre.

[18]           La loi doit cependant pouvoir s’adapter à des circonstances variables. La capacité du Parlement à apporter des solutions à des problèmes sociaux, financiers ou politiques changeants fait intervenir un autre principe constitutionnel selon lequel le principe de la primauté du droit doit être appliqué en tenant compte de la souveraineté du Parlement (Babcock c Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, au paragraphe 55 (Babcock)). Ce dernier a la liberté de légiférer comme il lui paraît convenable, sous réserve de contraintes constitutionnelles (Babcock, au paragraphe 57). En effet, il ne peut entraver, au moyen d’une loi ordinaire, l’exercice futur de son pouvoir de légiférer (Québec (Procureur général) c Canada (Procureur général), 2015 CSC 14, aux paragraphes 25 et 44).

[19]           Dans l’arrêt Imperial Tobacco, le juge Major a évoqué la constitutionnalité des lois rétrospectives, et affirmé qu’en dehors du contexte criminel, « le principe de la primauté du droit et les dispositions de notre Constitution n’exigent aucunement que les lois aient seulement un caractère rétrospectif » (au paragraphe 69), tout en reconnaissant la frustration que certains peuvent ressentir lorsque des lois rétrospectives contrarient leurs attentes préconçues :

[71]      Il n’existe aussi aucune exigence générale que la législation ait une portée uniquement prospective, même si une loi rétrospective et rétroactive peut renverser des expectatives bien établies et être parfois perçue comme étant injuste : voir E. Edinger, « Retrospectivity in Law » (1995), 29 U.B.C. L. Rev. 5, p. 13. Ceux qui partagent cette perception seront peut‑être rassurés par les règles d’interprétation législative qui imposent au législateur d’indiquer clairement les effets rétroactifs ou rétrospectifs souhaités. Ces règles garantissent que le législateur a réfléchi aux effets souhaités et [traduction] « a conclu que les avantages de la rétroactivité [ou du caractère rétrospectif] l’emportent sur les possibilités de perturbation ou d’iniquité » Landgraf c. USI Film Products, 511 U.S. 244 (1994), p. 268.

[20]           En bref, ce n’est pas parce que l’adoption d’une loi rétrospective s’accompagne de perturbations ou d’iniquités malencontreuses qu’elle enfreint la primauté du droit.

[21]           Le demandeur tente de faire valoir qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente affaire l’arrêt Imperial Tobacco, où la législation rétrospective en cause ne supplantait ni n’annulait aucune obligation antérieure.

[22]           Cependant, l’obstacle insurmontable pour le demandeur tient à ce qu’une cour supérieure – la CAF – a conclu par deux fois dans les deux dernières années, et dans des circonstances quasi identiques, que l’élimination de l’obligation de traiter une demande de visa est constitutionnelle.

[23]           Dans l’affaire Austria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 191 (Tabingo), la Cour d’appel fédérale a instruit l’appel visant le contrôle judiciaire tranché par le juge Rennie (tel était alors son titre) dans la décision Tabingo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 377 (Tabingo CF). Les demandeurs dans cette affaire contestaient une disposition similaire, le paragraphe 87.4(1) de la Loi, dont l’application mettait fin aux demandes de visa de résident permanent faites avant le 27 février 2008 au titre de la catégorie réglementaire des travailleurs qualifiés (fédéral). La CAF a rejeté l’argument des demandeurs suivant lequel la disposition était si arbitraire qu’elle enfreignait la primauté du droit, estimant qu’« étant donné l’arrêt Imperial Tobacco, notre Cour ne peut à mon sens accepter l’argument des appelants voulant que le paragraphe 87.4(1) porte atteinte à la primauté du droit du fait de sa rétroactivité » (Tabingo, au paragraphe 74).

[24]           Deuxièmement, la CAF est parvenue à une conclusion semblable dans l’arrêt Jia, non pas sur la base de motifs constitutionnels, mais plutôt parce que la demande d’ordonnance de mandamus visant à forcer le traitement des demandes pendantes au titre de la catégorie des investisseurs et des entrepreneurs était devenue théorique en raison de l’adoption de l’article 87.5, celui-là même qui est en cause dans la demande d’ordonnance de mandamus analogue dont nous sommes saisis aujourd’hui.

[25]           Par conséquent, compte tenu des commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Imperial Tobacco et de ceux de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tabingo sur le caractère rétrospectif, les arguments du demandeur concernant la légitimité de la législation rétrospective ici en cause doivent également être rejetés.

C.                 L’article 7 de la Charte

[26]           Le deuxième argument du demandeur veut que l’article 87.5 soit inconstitutionnel parce qu’il porte atteinte à ses droits protégés par l’article 7 de la Charte. Il invoque à l’appui l’arrêt Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, au paragraphe 116 (Chaoulli), dans lequel la juge en chef McLachlin et le juge Major ont estimé, dans des motifs concordants, que les effets psychologiques indésirables de l’attente de soins de santé essentiels pourraient engager la protection de la sécurité de la personne au titre de l’article 7. Le demandeur fait valoir que l’attente du traitement d’une demande de visa à laquelle, en fin de compte, il est mis fin sans qu’elle soit tranchée, peut provoquer des dommages psychologiques.

[27]           Un argument semblable avait été rejeté dans l’arrêt Tabingo. La Cour d’appel fédérale avait conclu que même si elle témoignait d’une profonde déception, la preuve présentée dans cette affaire n’atteignait pas le seuil élevé des dommages psychologiques nécessaire pour établir une privation du droit à la sécurité de la personne (Tabingo, au paragraphe 99). Je suis d’avis de tirer la même conclusion au regard du dossier dont je dispose en l’espèce.

[28]           Dans l’affaire qui nous occupe, la preuve dont je suis saisi est insuffisante pour établir que les demandeurs ont subi des effets psychologiques allant au-delà du stress ou de l’anxiété ordinaires dus à l’annulation de leur demande (Chaoulli, au paragraphe 116). Quand bien même ce serait le cas, le juge Rennie a bien expliqué au paragraphe 99 de la décision Tabingo CF pourquoi l’article 7 n’entrait pas en jeu :

[99]      J’admets que les demandeurs ont éprouvé du stress et des difficultés; j’admets également que la situation de certains des demandeurs suscite beaucoup de sympathie. Cependant, l’immigration n’a pas un caractère intime, profond et fondamental qui la rende comparable au droit d’une femme au choix de procréer ou à la liberté des parents de prendre soin de leurs enfants. La possibilité d’immigrer, en particulier à titre de personne appartenant à une catégorie d’immigrants économiques, ne compte pas parmi les choix reliés à l’autonomie personnelle qui font intervenir l’article 7. La possibilité d’immigrer au Canada suite à l’acceptation d’une demande TQF peut changer le cours d’une vie, mais elle ne met en cause aucun droit à la vie ou à la liberté. (Conf. par la CAF dans l’arrêt Tabingo, au paragraphe 96.)

[29]           Dans la décision Jia CF, la juge Gleason (tel était alors son titre) a adopté l’analyse relative à l’article 7 du juge Rennie, et s’est appuyée sur plusieurs des décisions citées par lui, en soulignant « l’importante jurisprudence » des Cours fédérales selon laquelle les ressortissants étrangers qui se trouvent hors du Canada ne jouissent d’aucun droit au titre de la Charte à l’égard d’activités survenant à l’extérieur du pays (Jia CF, aux paragraphes 108 et 114; voir aussi, par exemple, Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22; Amnesty International Canada c Canada (Chef d’état-major de la Défense), 2008 CF 336; Amnesty International Canada c Canada (Chef d’état-major de la Défense), [2009] 4 RCF 149; Arora c Canada (MCI), IMM-5901-99, Date : 2001-01-10).

[30]           Bien qu’il n’existe aucune jurisprudence contraignante émanant d’une cour supérieure quant à la constitutionnalité de l’article 87.5 (Jia, au paragraphe 7), bon nombre des arguments soulevés dans le cadre du présent contrôle judiciaire ont été abordés par la juge Gleason dans la décision Jia CF. Par exemple, elle a conclu que la primauté du droit n’était pas entachée par l’adoption de la disposition, quoique l’argument présenté dans cette affaire se rapportait à l’article 15 de la Charte (Jia CF, aux paragraphes 128 à 130). Par ailleurs, comme l’a conclu la juge Gleason, pour les mêmes motifs que le juge Rennie dans la décision Tabingo CF, l’article 7 n’était pas mis en cause par l’adoption de l’article 87.5 (Jia CF, au paragraphe 114). Je souscris au raisonnement qui sous-tend ces conclusions sur la primauté du droit et la constitutionnalité de l’article 87.5 et les fais miennes.

[31]           À la suite des décisions rendues par les juges Rennie et Gleason dans les affaires Tabingo CF et Jia CF, trois autres juges de la Cour sont parvenus à des conclusions similaires relativement à des faits connexes.

[32]           Premièrement, le juge Boswell a refusé de renvoyer une affaire pour réexamen, parce qu’il allait être mis fin de toute façon à la demande de visa en vertu de l’article 87.5 (Kozel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 593, au paragraphe 21).

[33]           Deuxièmement, dans la décision Sin c Canada, 2015 CF 276, au paragraphe 4 (Sin), le juge O’Reilly a radié une action en dommages-intérêts pour perte d’occasion intentée par un demandeur dont la demande au titre de la catégorie des investisseurs était pendante, parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action. Même si le demandeur faisait valoir que les traités bilatéraux protégeaient les droits des investisseurs, le juge O’Reilly a conclu que « les dispositions édictées par le législateur qui ont pour effet de mettre fin aux demandes de résidence permanente présentées par des investisseurs et de limiter la mesure dans laquelle les investisseurs peuvent être indemnisés pour les demandes auxquelles il a été mis fin ne sont tout simplement pas incompatibles avec ces accords » (Sin, au paragraphe 12).

[34]           Troisièmement, le juge Mosley a également refusé de délivrer une ordonnance de mandamus relativement à une demande au titre de la catégorie des investisseurs qui était affectée par l’article 87.5, en grande partie pour les mêmes motifs que la juge Gleason dans la décision Jia CF (Hui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 666, au paragraphe 5).

[35]           Pour tous les motifs qui précèdent, je rejette les arguments constitutionnels avancés par le demandeur dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

[36]           Enfin, avant toutes ces décisions concordantes de la Cour fédérale, le juge Russell était également parvenu à la même conclusion dans la décision Shukla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1461. Il s’agissait d’une des premières décisions concernant l’article 87 de la Loi, dans laquelle un demandeur qui avait déposé sa demande au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) au bureau des visas de New Delhi, avait refusé que New Delhi lui rembourse ses frais lorsque la loi a changé et a resoumis sa demande en remplissant de nouveaux formulaires. Le juge Russell a rejeté la demande de mandamus et d’ordonnance nunc pro tunc du demandeur, et déclaré :

De plus, le fait d’antidater l’ordonnance comme le réclame le demandeur reviendrait à se déclarer compétent dans une situation dans laquelle le législateur a clairement fait connaître sa volonté, de sorte que la Cour tenterait d’aller à l’encontre de l’intention claire et explicite du législateur. Je ne connais aucun principe ou autorité qui me permettrait d’agir ainsi et j’estime que la loi est claire sur ce point.

[37]           De même, lorsque la CAF a confirmé la décision de la juge Gleason dans la décision Jia CF près de trois ans après la décision Shukla, le juge Ryer a définitivement conclu au nom de la Cour que, comme il était mis fin à toutes les demandes d’investisseurs en vertu de l’article 87.5, [traduction« la question de savoir si le ministre pouvait être forcé [par une ordonnance de mandamus] de traiter ces demandes n’était plus un litige actuel » (Jia, au paragraphe 6). Cette décision est pour moi contraignante et par conséquent, je rejette aussi la composante mandamus de l’ordonnance sollicitée par le demandeur.

V.                Certification

[38]           Le demandeur a proposé trois questions à certifier :

                                             i.            La Cour est-elle compétente pour accorder une ordonnance de mandamus, même lorsqu’il a été mis fin à la catégorie d’immigration en vertu d’une loi entrée en vigueur après qu’une telle ordonnance a été sollicitée?

Cette question a reçu une réponse définitive dans Jia et d’autres décisions.

                                           ii.            Si le défendeur a agi de mauvaise foi avant l’entrée en vigueur de l’article 87.5 de la LIPR et qu’il a ignoré son obligation de traiter les demandes conformément à l’alinéa 3(1)f) de la même loi, la Cour peut-elle ordonner que ces dossiers, qui ont été soumis conformément au paragraphe 11(1) de la Loi, et à l’égard desquels on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’une décision soit rendue, soient traités et tranchés conformément aux lois existantes avant l’entrée en vigueur de ladite disposition?

Je conviens avec le défendeur qu’il n’y avait aucune preuve de mauvaise foi dans ces affaires (en incluant l’affidavit non contesté de Larry Penn, au paragraphe 6, soumis par le défendeur). Rien n’indique que les dossiers n’ont pas été traités conformément à la loi, même s’ils ne l’ont pas été aussi rapidement que le demandeur l’aurait souhaité, ou à temps pour qu’une décision soit rendue avant que la nouvelle loi n’entre en vigueur.

                                         iii.            Compte tenu de la mauvaise foi avec laquelle l’article 87.5 de la LIPR a été mis en œuvre, et de l’ignorance délibérée de l’obligation imposée par le Parlement au défendeur, la loi est-elle invalide, puisque lui donner effet dans les circonstances présentes est une atteinte claire et fondamentale à la primauté du droit et aux valeurs essentielles exprimées dans la Constitution et primordiales pour notre démocratie?

Comme il n’y a aucune preuve de mauvaise foi et que les tribunaux ont rejeté l’idée que le défendeur soit tenu de traiter les demandes avant l’entrée en vigueur de l’article 87.5, cette question ne remplit pas non plus le critère de la certification. La Cour d’appel, d’abord dans l’arrêt Tabingo puis dans l’arrêt Jia, a tranché ces questions. Je note que, même si le juge Ryer n’a pas jugé nécessaire d’examiner les questions constitutionnelles dans l’arrêt Jia compte tenu des conclusions de la CAF concernant le mandamus (examinées plus haut), celle-ci a jugé constitutionnelles les nouvelles dispositions législatives dans l’arrêt Tabingo, tout comme mes collègues, les juges Rennie et Gleason, dans les décisions exhaustives qu’ils ont rendues dans Tabingo CF et Jia CF, respectivement.

[39]           Je suis convaincu que ces questions ont été examinées par les deux instances des Cours fédérales, comme le montre le courant jurisprudentiel clair et cohérent examiné plus haut. Par conséquent, la certification n’est pas justifiée en l’espèce, conformément au critère énoncé dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9.

VI.             Conclusion

[40]           Ayant examiné attentivement les faits de la présente affaire, je ne vois aucune raison convaincante de m’écarter du courant jurisprudentiel clair et cohérent. Même si je reconnais que l’issue est amère pour les demandeurs qui voulaient voir aboutir le traitement de leur dossier, la présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question ne sera certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

S. Tasset


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2965-13

 

INTITULÉ :

DARSHAN SINGH DHALIWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 juin 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DES MOTIFS :

LE 26 août 2015

COMPARUTIONS :

Wennie Lee

pour le demandeur

Negar Hashemi

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur

 

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