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Date : 20150831


Dossier : IMM‑283‑15

Référence : 2015 CF 1028

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

AMIN SIDDIQUI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Amin Siddiqui, citoyen d’Afghanistan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 13 janvier 2015 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel qu’il avait interjeté à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. Cette dernière a conclu qu’il n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant qu’aucun manquement à l’équité procédurale ne découlait de l’interprétation du témoignage du demandeur devant la SPR. La SAR n’a pas non plus commis d’erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve ou de tenir une audience. La SAR a procédé à l’instruction de l’appel et à une analyse indépendante de la preuve et elle a conclu à juste titre que le demandeur n’était pas parvenu à établir qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

Le contexte

[3]               Le demandeur est citoyen d’Afghanistan. Il raconte qu’il y a de cela quelque 35 ans, un différend de nature foncière opposant sa famille et celle du cousin de son père, Afzal Karimi, a dégénéré. Lors d’un échange de coups de feu entre son père et Afzal Karimi, deux des fils de ce dernier ont péri. Craignant des représailles, la famille du demandeur a alors quitté la province de Paktia pour s’installer à Kaboul.

[4]               Le demandeur affirme que son frère a été tué à Kaboul il y a 21 ans de cela par un tueur engagé par M. Karimi; c’est du moins ce que croit sa famille. La police en a été avisée, mais rien n’a été fait.

[5]               Le demandeur prétend qu’en 2003, alors qu’il marchait dans la rue, il a été atteint par deux coups de feu tirés d’un véhicule en marche. Il croit que ces tirs sont le fait de l’ennemi de sa famille. Il prétend également avoir reçu des appels de menace environ un an après cet incident. En raison du conflit qui sévissait à Kaboul, la police ne pouvait pas lui venir en aide. D’ailleurs, il n’a signalé l’incident aux autorités policières qu’en 2013.

[6]               Le demandeur est arrivé au Canada en passant par la Chine et par Dubaï, en 2013.

La décision de la SPR

[7]               Afin de situer dans leur contexte les questions qui se posent dans le cadre du contrôle de la décision de la SAR, il paraît utile de résumer la décision de la SPR.

[8]               La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve fiables et dignes de foi pour établir son identité et le caractère crédible des risques auxquels il dit être exposés à l’avenir et qu’il n’était donc pas parvenu à établir que sa demande d’asile est fondée au regard de l’article 96 ou du paragraphe 97(1).

[9]               Sur la question de l’identité, la SPR a conclu qu’en raison des incohérences relevées sur la carte « tazkira » du demandeur, du fait qu’il s’était servi d’un passeport britannique portant sa photo pour se rendre de Dubaï jusqu’en Chine et d’autres questions suscitant des doutes quant à sa crédibilité, elle n’était pas convaincue que le demandeur avait établi qu’il était bien Amin Siddiqui, et non Hashim Saeeda (le nom figurant sur le passeport britannique) ou une autre personne.

[10]           La SPR a jugé que le fait que le demandeur avait donné des réponses contradictoires à la question de savoir s’il parlait uniquement pachtou ou s’il parlait aussi farsi minait également sa crédibilité au sujet de son identité.

[11]           La SPR a tiré plusieurs autres conclusions quant à la crédibilité du demandeur. Son témoignage contradictoire concernant ce qui était arrivé à son passeport afghan, son incapacité à donner une raison valable pour expliquer qu’il ait détruit son passeport et le fait qu’il n’ait pas cherché à expliquer pourquoi il n’avait pas demandé un nouveau passeport afghan l’ont amenée à conclure qu’il manquait de crédibilité.

[12]           La SPR a relevé les réponses contradictoires données par le demandeur concernant le début de la querelle et la date à laquelle sa famille s’était installée à Kaboul pour échapper à la vendetta. En effet, si la querelle avait pris naissance 35 ans auparavant, mais que le déménagement de la famille remontait seulement au moment où le demandeur était enfant, cela veut dire que la famille était restée plusieurs années à Paktia, sur les lieux de la dispute, avant de partir ailleurs. Le demandeur a tenté de clarifier ses réponses et d’expliquer cette contradiction, mais la SPR n’a pas retenu son explication. Elle a conclu que la contradiction entachait sa crédibilité concernant la querelle, un élément crucial de sa demande d’asile.

[13]           La SPR a aussi relevé que le demandeur prétendait s’être fait tirer dessus en 2003 et avoir reçu des appels de menace en 2004; or, il était resté à Kaboul, dans la même maison, de 2003 jusqu’à son départ pour le Canada, en 2013. La SPR a jugé que le fait qu’il était resté dans la même maison pendant plus d’une décennie sans recevoir de menaces faisait douter de l’existence d’une éventuelle menace grave à sa vie.

[14]           La SPR a remarqué que le demandeur avait déclaré avoir signalé les incidents à la police en 2013. Or, le rapport de la police date de 2011. La SPR a convenu avec le demandeur que la date du tampon correspondait à celle à laquelle le policier était entré en fonction, mais elle a jugé que la réponse relevait de la conjecture. Elle a aussi noté que le fait de signaler à la police en 2013 un incident survenu en 2003 [traduction] « affaibli[ssait] l’importance de la menace quant à sa nature et à sa gravité ».

[15]           De plus, la SPR a noté qu’à l’audience, pour la première fois, le demandeur a dit craindre Azim Karimi parce qu’il avait appris de deux autres hommes, Kamal et Jamal, que M. Karimi voulait le tuer. Le demandeur avait déjà modifié son formulaire Fondement de la demande d’asile [le FDA] à deux reprises en plus d’être représenté par une avocate, mais il a malgré tout omis ce détail. La SPR a jugé que l’omission minait sa crédibilité quant à la perpétration récente de menaces.

[16]           LA SPR a également conclu que le rapport médical de 2003, dans lequel il était fait mention de la blessure par balle du demandeur, ne permettait pas d’étayer l’existence d’une menace pour l’avenir, au vu des autres contradictions et des conclusions en matière de crédibilité.

Les questions examinées par la SAR en appel

[17]           Lors de l’appel devant la SAR, le demandeur a présenté quatre documents comme nouveaux éléments de preuve : une traduction corrigée de sa carte « tazkira » accompagnée d’une explication de l’interprète, son passeport afghan, une lettre rédigée par un membre du personnel infirmier praticien de la Vancouver Coastal Health [l’autorité sanitaire de la côte de Vancouver] en date du 28 juillet 2014 et une lettre de la présidence de l’Afghan Benevolent Association of British Columbia [l’ABABC, l’association de secours mutuel afghane de Colombie‑Britannique] datée du 24 juin 2014.

[18]           Le 30 décembre 2014, plusieurs mois après le dépôt de son appel, le demandeur a demandé l’autorisation de présenter d’autres éléments de preuve nouveaux suivant le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], nommément un affidavit dans lequel il déclarait que son neveu avait récemment été atteint par des coups de feu en Afghanistan et que sa famille recevait des lettres de menace.

[19]           En appel, le demandeur a fait valoir que la SPR avait manqué à l’équité procédurale en n’ajournant pas l’audience afin de lui permettre d’obtenir un passeport afghan et en omettant de s’assurer que son interprète était rigoureux et compétent. Le demandeur a également fait valoir que la SPR avait mal évalué la preuve ou n’en avait pas tenu compte, ce qui l’avait amenée à tirer des conclusions de fait erronées.

La décision de la SAR visée par le présent contrôle

[20]           Ayant conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

Les nouveaux éléments de preuve

[21]           Après avoir rappelé les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi, la SAR a accepté comme nouveaux éléments de preuve la traduction correcte de la carte « tazkira » du demandeur et son passeport afghan. En effet, elle a conclu que ceux‑ci permettaient d’établir l’identité du demandeur.

[22]           La SAR a conclu que les lettres de la Vancouver Coastal Health et de l’ABABC n’étaient pas admissibles parce que le demandeur n’avait pas donné de raison valable pour expliquer pourquoi il n’avait pas fourni cette information à la SPR.

[23]           Quant à l’affidavit souscrit par le demandeur le 30 décembre 2014 [l’affidavit de décembre], la SAR a décidé de ne pas l’admettre après avoir examiné les conditions du paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257) [les Règles].

[24]           La SAR a ajouté que l’un des facteurs entrant en ligne de compte lorsqu’il s’agit de décider s’il faut admettre un nouvel élément de preuve a trait au caractère essentiel de cet élément : autrement dit, se pose la question de savoir si cet élément de preuve nouveau aurait permis au demandeur d’obtenir gain de cause devant la SPR. La SAR a par ailleurs précisé que même si elle avait admis l’affidavit, elle aurait rejeté la preuve qu’il renfermait. En effet, selon cet affidavit, le neveu n’a pas pu identifier les hommes qui s’en étaient pris à lui, et les soupçons de sa famille se sont portés sur la famille Karimi. La SAR a souligné qu’aucun élément de preuve substantiel n’étayait cette hypothèse et que les photographies produites ne fournissaient aucun détail au sujet de l’incident ou de son lien avec la demande d’asile du demandeur.

La décision de ne pas tenir d’audience

[25]           La SAR a souligné que la règle générale consistait à procéder sans audience et qu’il ressortait clairement des paragraphes 110(3), (4) et (6) de la Loi, s’ils sont lus conjointement, qu’elle ne devait pas tenir d’audience, à moins que certaines conditions soient remplies : il faut donc que les nouveaux éléments de preuve documentaire concernent la crédibilité du demandeur, qu’ils soient essentiels à la SPR pour rendre sa décision et qu’ils puissent justifier, à supposer qu’ils soient admis, que la demande d’asile soit accordée ou refusée. Si ces critères sont remplis, la SAR peut tenir une audience.

[26]           Compte tenu des conclusions auxquelles elle était arrivée en appel, la SAR a jugé qu’elle n’avait pas à se demander si la preuve était nouvelle au sens du paragraphe 110(4) de la Loi, car celle‑ci n’avait pas d’incidence sur son analyse. En d’autres termes, les nouveaux éléments de preuve qui avaient été admis ne se rapportaient pas à la crédibilité du demandeur.

La norme de contrôle

[27]           La SAR a passé en revue la jurisprudence portant sur la norme de contrôle et a précisé qu’elle avait appliqué la norme issue de la décision Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 811 [Huruglica]. Puis, elle a examiné tous les aspects de la décision de la SPR, pour ensuite procéder elle‑même à une évaluation indépendante de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si le demandeur avait qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger.

Les questions d’interprétation

[28]           La SAR a souligné l’importance de l’interprétation et de la traduction, rappelant que celles‑ci devaient être continues, fidèles, impartiales, compétentes et concomitantes, sans toutefois avoir à être parfaites.

[29]           La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à faire valoir de manière convaincante que les problèmes d’interprétation survenus à l’audience avaient porté atteinte à son droit à une audience équitable; à cet égard, elle fait remarquer que ni le demandeur ni son avocate ne s’en étaient inquiétés à l’audience et que rien ne prouvait qu’il avait eu du mal à comprendre l’interprète.

[30]           La SAR a reconnu que la commissaire de la SPR avait évoqué un problème d’interprétation possible à l’audience concernant une date, mais citant l’arrêt Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 CF 85 [Mohammadian]), elle a ajouté que s’il y avait eu d’autres problèmes, il incombait au demandeur ou à son avocate de les porter à l’attention de la commissaire.

La question de la crédibilité

[31]           Après avoir procédé à une évaluation indépendante de la demande d’asile, la SAR a conclu que le demandeur n’était pas crédible quant à l’identité des personnes qu’il disait craindre en Afghanistan.

[32]           La SAR a jugé que les allégations du demandeur concernant le risque de vendetta auquel il était exposé ne se rapportaient à aucun motif énuméré dans la Convention, de sorte qu’elle a examiné la demande d’asile uniquement à la lumière de l’article 97, selon la prépondérance des probabilités. Elle a conclu que la crainte du demandeur reposait sur de simples conjectures et qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses allégations quant aux raisons pour lesquelles il pense être poursuivi par le cousin de son père et la famille de ce cousin.

[33]           La SAR a souligné qu’à Kaboul, le demandeur avait toujours vécu à la même adresse, et ce, depuis 1982, et qu’il y était resté même après les tirs et les appels de menace qu’il affirmait avoir reçus en 2003 et en 2004, respectivement. La SAR a examiné le témoignage livré par le demandeur concernant l’identité des personnes qu’il disait craindre en Afghanistan, et notamment, la déclaration qu’il avait faite : [traduction« [J]e ne fais que supposer qu’il s’agit peut‑être d’Alza Kareemi [sic], de son fils ou de son frère, mais je ne fais que supposer ». La SAR a aussi fait observer qu’il n’avait pas reçu de menaces depuis 2004.

[34]           La SAR a estimé que le fait que le demandeur n’ait pas fait mention des allégations de menaces plus récentes relayées par Jamal et Kamal dans le FDA, auquel il avait pourtant apporté d’autres modifications, minait sa crédibilité. Elle a rappelé que la SPR avait interrogé le demandeur au sujet de cette omission et qu’elle n’avait pas obtenu d’explication satisfaisante.

[35]           La SAR a estimé que, de tous les éléments de preuve dont elle disposait, aucun ne tendait à indiquer de manière convaincante que le demandeur avait été pris pour cible en raison d’un différend d’ordre foncier entre son père et le cousin de son père. Elle a ajouté que le comportement du demandeur ne correspondait pas à celui d’une personne craignant pour sa vie. La SAR a également relevé le fait que rien dans la preuve n’indiquait que la famille du demandeur, qui vivait toujours en Afghanistan, avait subi un quelconque malheur. Elle a conclu que la crainte du demandeur reposait sur des conjectures ayant peu de valeur.

Les questions en litige

[36]           Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur soulève quatre questions qui, selon lui, sont toutes liées entre elles et ont trait, en particulier, à l’inexactitude des services de traduction fournis. Ainsi, il prétend que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale du fait des problèmes d’interprétation survenus à l’audience devant la SPR, qu’elle a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve, qu’elle a commis une erreur en refusant de tenir une audience et qu’elle a tiré des conclusions déraisonnables quant à sa crédibilité.

[37]           Je formulerais comme suit les questions en litige :

                     La SAR a‑t‑elle eu raison de conclure que les services d’interprétation offerts à l’audience de la SPR n’avaient pas entraîné de manquement à l’équité procédurale?

                     Était‑il raisonnable que la SAR refuse d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

                     Était‑il raisonnable que la SAR refuse de tenir une audience?

                     Était‑il raisonnable que la SAR conclue que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé de sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve crédibles?

La norme de contrôle

[38]           Les parties conviennent que la norme de contrôle que la Cour doit appliquer à la décision rendue par la SAR sur la question de savoir si l’interprétation offerte à l’audience avait entraîné un manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1161, au paragraphe 2, 195 ACWS (3d) 528; Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 861, au paragraphe 15, 173 CRR (2d) 309; Licao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 89, au paragraphe 18, 303 CRR (2d) 228).

[39]           La question de la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par la SAR en ce qui concerne la norme d’examen des appels des décisions de la SPR a, quant à elle, donné lieu récemment à une abondante jurisprudence. Aux paragraphes 25 à 34 de la décision Huruglica, le juge Phelan a effectué une analyse exhaustive qui l’a amené à conclure que la Cour devait contrôler le choix de norme fait par la SAR selon la norme de la décision correcte. Cette approche a été suivie dans plusieurs autres décisions. Toutefois, dans d’autres affaires, la Cour est arrivée à une conclusion différente, privilégiant la norme de la raisonnabilité. Ce fut le cas, par exemple, dans les décisions Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063, aux paragraphes 17 à 26, [2014] ACF no 1116 (QL) [Akuffo] et Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, aux paragraphes 13 à 37, [2014] ACF no 1130 (QL) [Djossou]. Le nombre de décisions ne cesse d’augmenter, mais la Cour d’appel a été saisie de l’affaire Huruglica et sera par conséquent appelée à résoudre la question très bientôt.

[40]           Cela dit, il est de jurisprudence constante que la SAR commet une erreur si elle exerce une fonction de contrôle judiciaire et applique la norme de la raisonnabilité à une décision de la SPR. En effet, la SAR doit s’acquitter de son rôle d’instance d’appel : Huruglica, au paragraphe 54; Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952, au paragraphe 10, [2014] ACF no 989 (QL); Guardado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 953, au paragraphe 4, [2014] ACF no 1038 (QL); Diarra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1009, au paragraphe 29, [2014] ACF no 1111 (QL); Djossou, au paragraphe 41; et enfin, d’autres décisions plus récentes.

[41]           En l’espèce, la SAR a précisé qu’elle avait suivi la décision Huruglica et agi comme juridiction d’appel.

[42]           Par ailleurs, il est également de jurisprudence constante que la Cour doit contrôler selon la norme de la décision raisonnable la façon dont la SAR applique le droit aux faits d’une affaire et sa décision concernant les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 53 et 54, [2008] 1 RCS 190).

[43]           S’agissant des questions de crédibilité, il est établi dans la jurisprudence que la SAR peut ou doit faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR, puisque cette dernière a entendu les témoins directement, qu’elle a eu la possibilité de les interroger sur leur témoignage ou qu’elle a bénéficié d’un avantage particulier par rapport à la SAR; voir, par exemple, Huruglica, au paragraphe 55; Akuffo, au paragraphe 39; Nahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1208, au paragraphe 25, [2014] ACF no 1254 (QL). Dans la décision Khachatourian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 31, [2015] ACF no 156 (QL) [Khachatourian], le juge Noël a précisé que la SAR devait assumer son rôle de juridiction d’appel et que le degré de retenue dont il convenait de faire preuve dans le cadre d’un appel à l’égard des conclusions sur la crédibilité n’était vraisemblablement pas le même que pour un contrôle judiciaire. Le juge Noël a ajouté que la SAR devait procéder à une évaluation ou une analyse indépendante de la preuve avant de s’autoriser un certain degré de retenue.

[44]           Le juge Mosley, au paragraphe 23 de la décision Balde c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 624, [2015] ACF n641 (QL), a fait la remarque suivante : « La Cour a toujours eu comme principe que la SAR devait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant les faits ou la crédibilité, mais aussi que la SAR devait soumettre ces conclusions à sa propre analyse. » Plus récemment, le juge Mosley a précisé, au paragraphe 37 de la décision Denbel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 629, [2015] ACF no 646 (QL), qu’à son avis, la SAR ne devrait pas « systématiquement réévaluer la crédibilité » dans le cadre des appels.

[45]           Dans l’affaire qui nous occupe, la SAR a procédé à une analyse de toutes les conclusions, y compris celles ayant trait à la crédibilité. L’approche qu’elle a adoptée tient compte des nuances qui se dégagent de la jurisprudence au sujet de la question de la retenue dont il convient de faire preuve à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Sur cette question, la SAR a tiré ses propres conclusions, et ses conclusions ont confirmé celles de la SPR.

[46]           Enfin, pour ce qui concerne l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve devant la SAR, la norme de la décision raisonnable s’applique (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1022, aux paragraphes 36 à 42, 246 ACWS (3d) 433 [Singh (2014)]; Khachatourian, au paragraphe 37).

La SAR a‑t‑elle eu raison de conclure que les services d’interprétation offerts à l’audience de la SPR n’avaient pas entraîné de manquement à l’équité procédurale?

Les observations du demandeur

[47]           Le demandeur note que la SPR a l’obligation de fournir des services d’interprétation, cette interprétation devant être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante (Mohammadian). Il soutient qu’il est déraisonnable d’imposer à un demandeur l’obligation de soulever les problèmes quant à la traduction, étant donné que ceux‑ci ne sont pas forcément évidents (Mujadidi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 979, au paragraphe 9, [2014] ACF no 1026 (QL) [Mujadidi]. Le demandeur rappelle que son avocate ne parlait aucune des deux langues et qu’elle n’était donc pas en mesure de repérer les erreurs de traduction. Il soutient également que, contrairement à ce qu’affirme la SAR, son incapacité à relever les erreurs de traduction ne devrait pas être considérée comme une renonciation (Bidgoli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 235, [2015] ACF no 206 (QL) [Bidgoli]).

[48]           Le demandeur ajoute qu’il a bel et bien soulevé le problème, mais que la SAR n’a pas considéré qu’il l’avait fait lorsqu’il a déclaré, en début d’audience, qu’il ne comprenait pas suffisamment bien l’interprète.

[49]           Le demandeur affirme qu’il n’est pas nécessaire de prouver que les failles dans la traduction ont réellement causé un préjudice et qu’il suffit de constater qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en raison des problèmes relevés dans la traduction.

[50]           Le demandeur soutient que, même à supposer qu’il ait compris l’interprète, cela ne signifie pas que l’interprète a fait une traduction juste de son témoignage.

[51]           Le demandeur a signalé certains problèmes précis. Il fait remarquer qu’il parle le pachtou d’Afghanistan, et l’interprète, le pachtou du Pakistan. Il relève également des cas de confusion au sujet des dates, des trous dans la traduction où il est indiqué [traduction] « propos en langue étrangère » et des commentaires de l’interprète et de la commissaire soulignant le besoin de confirmer ou de clarifier une question ou une réponse.

Les observations du défendeur

[52]           Le défendeur remarque que les principes régissant la question de l’interprétation sont bien établis dans la jurisprudence. Les problèmes d’interprétation doivent être signalés à la première occasion. C’est au demandeur qu’il incombe de démontrer que la qualité de la traduction se situe en deçà d’une norme raisonnable. La traduction n’a pas à être parfaite et les problèmes relevés doivent être examinés dans le contexte de l’ensemble de la décision. Les écarts de traduction ne donnent pas forcément naissance à un manquement à l’équité procédurale. Ce qui est exigé, c’est que le demandeur puisse s’exprimer convenablement par l’intermédiaire de l’interprète.

[53]           Le défendeur souligne que, lorsque le demandeur a soulevé le fait que l’interprète parlait un dialecte pachtou différent, la commissaire a demandé au demandeur et à l’interprète de converser afin de voir s’ils se comprenaient. Le demandeur a alors confirmé qu’il comprenait l’interprète, et vice‑versa.

[54]           Selon le défendeur, il ressort clairement de la lecture de la transcription que le demandeur comprenait les questions, qu’il y a répondu et qu’il a présenté son histoire.

[55]           Le défendeur souligne également que les écarts de traduction de la carte « tazkira » ne sont pas la conséquence de l’interprétation à l’audience.

La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que les problèmes d’interprétation n’avaient pas entraîné de manquement à l’équité procédurale

[56]           J’ai examiné la transcription avec attention et relevé tous les cas où il y a pu avoir des problèmes d’interprétation.

[57]           À la page 887 du dossier certifié du tribunal, le demandeur, après avoir déclaré, dans un premier temps, qu’il ne comprenait pas grand‑chose et qu’il existait deux langues ou dialecte pachtous, est invité par la commissaire à dialoguer avec l’interprète pour voir si l’un et l’autre arrivent à se comprendre. Aux pages 887 et 888, le demandeur confirme qu’il comprend l’interprète.

[58]           À la page 894, la commissaire souligne la nécessité de s’en tenir à des phrases courtes pour faciliter la traduction et elle précise à l’attention du demandeur que si une question n’est pas claire, il doit le signaler.

[59]           Aux pages 904 et 905, la transcription révèle la présence d’une certaine confusion concernant l’âge qu’avait le demandeur à l’époque où il a obtenu la carte « tazkira » produite devant la Commission. Le demandeur a déclaré que c’était en 2003 ou 2004, alors qu’il avait [traduction] « peut‑être 13, 14 ans ». La commissaire a noté que si le demandeur était né en 1982, il aurait dû avoir 21 ou 22 ans à l’époque. L’interprète a reconnu qu’il s’agissait probablement d’une erreur de sa part attribuable aux différences dialectales. La commissaire a rappelé qu’il était important de traduire soigneusement les dates. Le demandeur a alors clarifié sa réponse en déclarant qu’il avait dit avoir [traduction] « 23 ou 21 ans ».

[60]           Cela dit, les problèmes posés par la carte « tazkira » avaient trait au fait qu’elle comportait plusieurs erreurs, notamment quant au sexe du demandeur, à sa profession et à sa situation, qui n’était pas celle de célibataire; ces problèmes ne se rapportaient donc pas au témoignage du demandeur quant à l’âge qu’il avait au moment d’obtenir la carte.

[61]           Concernant la date du mariage du demandeur, la réponse inscrite, à la page 907 de la transcription, n’est pas traduite, mais est accompagnée de la mention [traduction] « [p]ropos en langue étrangère ». Or, la commissaire était incontestablement d’avis qu’il était essentiel que toutes les réponses soient traduites, aussi l’interprète est‑elle revenue sur ce passage pour indiquer que le demandeur avait déclaré : [traduction] « C’est mon père qui a ça ». Il semble que ce soit une allusion à un document constatant son mariage.

[62]           Aux pages 924 à 927, la commissaire interroge le demandeur au sujet de la date inscrite sur le rapport de police se rapportant à l’épisode des coups de feu survenu en 2003. Le tampon indique 2011, mais le demandeur a déclaré qu’il avait signalé l’incident en 2013 et par ailleurs, la date du 25/05/1392 était également inscrite.

[63]           On a demandé à l’interprète de préciser à quelle année du calendrier grégorien correspondait l’année 1392 du calendrier iranien. L’interprète a répondu qu’elle avait besoin d’Internet pour faire le calcul. Selon le demandeur, cela montre que l’interprète ne comprenait pas la langue, mais en réalité, la question qui se posait était de savoir pourquoi le rapport portait la date de 2011, et non de 2013. Le demandeur a fourni une explication : selon lui, la date indiquée par le timbre est celle à laquelle le fonctionnaire est entré en fonction. Il n’était donc pas nécessaire de calculer à quoi correspondait l’année 1392 selon le calendrier grégorien. Le fait que l’interprète ait indiqué que la conversion pouvait se faire au moyen d’Internet ne signifie pas qu’elle était incapable de fournir une interprétation correcte du témoignage du demandeur.

[64]           À la page 929, on trouve une autre allusion à la tenue de [traduction] « [p]ropos en langue étrangère », en réponse à la question de la commissaire concernant la raison pour laquelle le demandeur n’avait pas mentionné Kamal et Jamal dans la version originale ou modifiée de son FDA. La commissaire a demandé à l’interprète ce qui avait été dit et celle‑ci a indiqué qu’elle avait demandé au demandeur de répéter sa réponse. La transcription (à la page 930) révèle que le demandeur a donné une réponse qui a ensuite été traduite, que la commissaire a vérifié la réponse et que le demandeur a répondu à nouveau dans le détail. Le demandeur a reconnu que la question portait sur le fait que rien n’était arrivé au cours des onze années qui ont suivi l’incident de 2003 et les menaces, et qu’il avait indiqué que Kamal et Jamal étaient venus à Kaboul et lui avaient dit de [traduction] « prendre des précautions pour rester en vie ». Le procureur du défendeur lui a alors redemandé pourquoi il n’avait pas mentionné Kamal et Jamal plus tôt. Le demandeur a répondu qu’il les avait nommés parce qu’on lui avait demandé de citer des noms. Bien qu’il n’ait pas répondu à la question, il semble que la traduction ne soit pas en cause et que cela soit plutôt attribuable à son incapacité de trouver une meilleure explication pour son omission.

[65]           Il n’y a pas de désaccord entre les parties en ce qui a trait aux principes applicables en matière de traduction. Dans l’arrêt Mohammadian, la Cour d’appel fédérale a statué que la traduction devait être continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante, sans avoir à être parfaite (aux paragraphes 4 et 6). En outre, au paragraphe 18, la Cour d’appel a noté que le demandeur est le mieux placé pour savoir si l’interprétation est exacte et qu’il ne peut décider de ne rien faire pendant toute la durée de l’audience et de ne soulever la question de la qualité de la traduction que par la suite, à moins que des circonstances exceptionnelles ne l’empêchent de le faire.

[66]           Le demandeur s’appuie sur la décision Mujadidi pour affirmer qu’il est manifestement injuste de faire reposer sur un demandeur le fardeau de soulever les problèmes liés à la traduction. La Cour a jugé le procédé injuste au regard des faits de Mujadidi, mais ces faits étaient différents et la Cour n’a pas élevé cette conclusion en principe d’application générale. Au paragraphe 9, la Cour fait observer que la conseil du demandeur avait fait état de problèmes liés à la traduction. Au paragraphe 10, elle ajoute :

Il ressort du dossier qu’en raison de l’approche de la SPR relativement à la question de l’interprétation, il y avait certainement de sérieux problèmes d’interprétation du témoignage du demandeur à l’audience, lesquels ont donné lieu à des conclusions défavorables, vivement contestées, tirées par la SPR et portant sur la crédibilité. Par conséquent, la Cour conclut que la conduite de la SPR à l’audience constituait un manquement à l’obligation d’équité due au demandeur.

[67]           Le demandeur invoque également la décision Bidgoli, et à cet égard, il soutient qu’il n’est pas tenu de démontrer que les erreurs de traduction étaient importantes ou préjudiciables. Dans cette affaire, la juge Simpson a conclu que les demandeurs n’avaient pas reçu les services d’interprétation auxquels ils avaient droit, et cela, même si leur avocate n’avait pas soulevé d’objection claire à ce sujet.

[68]           Dans la décision Bidgoli, la juge Simpson a noté que, conformément à ce qui avait été décidé dans l’arrêt Mohammadian, le demandeur n’était pas tenu de prouver qu’une erreur d’interprétation lui avait causé un réel préjudice. La juge Simpson s’est aussi posé la question de savoir s’il fallait que les erreurs de traduction soient importantes. Elle a convenu, à l’instar de la juge Gleason (maintenant juge à la Cour d’appel) dans la décision Mah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 907, au paragraphe 26, [2013] ACF no 907 (QL), que « lorsque le demandeur établit qu’il y a eu une erreur réelle et importante de traduction, il n’a pas aussi à prouver qu’une conclusion essentielle dans la décision de la SPR était fondée sur l’erreur de traduction pour que la décision soit annulée » [non souligné dans l’original].

[69]           Après avoir examiné la transcription, la juge Simpson a estimé que les erreurs commises dans l’affaire Bidgoli étaient graves, car la version des faits des demandeurs n’a pas été communiquée fidèlement à la Commission et qu’en définitive, les demandeurs n’ont pas bénéficié d’un service d’interprétation continu, précis et de qualité.

[70]           Au paragraphe 24, la juge Simpson expose ses conclusions en ces termes :

Les erreurs d’interprétation sont considérées comme graves étant donné qu’elles ont déformé la preuve des demandeurs. De plus, les demandeurs n’ont pas renoncé à leur droit à l’interprétation. Bien que ces erreurs ne soient pas importantes ou préjudiciables en ce sens qu’elles n’ont pas amené la Commission à rendre une décision défavorable en matière de crédibilité qui a entraîné le rejet de la demande d’asile des demandeurs, il n’y a aucune exigence portant sur le caractère important ou préjudiciable des erreurs. Par conséquent, la demande est accueillie.

[71]           Je ne souscris pas à l’avis du demandeur, qui affirme que selon la décision Bidgoli, il est permis de conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale même en présence de problèmes de traduction anodins ou sans gravité. Le demandeur n’est peut‑être pas tenu de démonter qu’une erreur grave ou importante lui a causé un préjudice réel, mais cette dispense ne s’étend pas aux erreurs de traduction qui sont mineures et qui ne nuisent pas à sa capacité de faire connaître ses prétentions et de répondre aux questions.

[72]           Selon ce qu’exige la jurisprudence, pour pouvoir conclure qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, il faut que la traduction présente des problèmes graves, non négligeables. Une norme moins exigeante obligerait à la perfection, et il suffirait d’une seule erreur pour justifier la tenue d’une nouvelle audience, ce qui serait contraire aux principes énoncés dans l’arrêt Mohammadian.

[73]           Considérant les principes émanant de la jurisprudence, je ne crois pas que la SAR a commis une erreur parce qu’elle a conclu que la SPR n’avait pas manqué à l’équité procédurale en fournissant une interprétation de mauvaise qualité. À l’audience, le demandeur n’a pas fait état de problèmes liés à l’interprétation; au contraire, il a confirmé qu’il comprenait l’interprète. La transcription, dans son ensemble, révèle que le demandeur a pu communiquer ses allégations : il a répondu à toutes les questions, y compris celles, plus pointues, que la commissaire lui a adressées du fait des incohérences dans son témoignage, des omissions dans son FDA, des erreurs dans la première traduction de sa carte « tazkira » et de la question de son passeport.

[74]           Comme nous l’avons vu plus haut, les passages de la transcription cités par le demandeur ne révèlent aucun problème grave quant à la traduction. Dans chaque cas, des éclaircissements ont été apportés, ou alors la commissaire a demandé à l’interprète de traduire la réponse. Il ressort de la transcription que le demandeur a été en mesure de communiquer ses prétentions et de répondre aux questions, et les questions complémentaires de la commissaire montrent que l’interprète était capable de traduire les réponses du demandeur.

Était‑il raisonnable que la SAR refuse d’admettre de nouveaux éléments de preuve?

Les observations du demandeur

[75]           Le demandeur a demandé l’autorisation de présenter cinq éléments de preuve nouveaux. La SAR en a accepté deux, qui se rapportaient à son identité.

[76]           Le demandeur soutient que le rejet de la lettre de la Coastal Health était déraisonnable, parce qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il sache qu’il lui faudrait présenter cet élément de preuve (Bahta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1245, au paragraphe 18, 248 ACWS (3d) 419). Il ne savait pas que la SPR écarterait le rapport médical produit en 2003 en Afghanistan.

[77]           Le demandeur soutient également que la lettre de l’ABABC aurait aussi dû être admise. Il ne savait pas que son identité serait contestée et qu’il aurait besoin de ce document supplémentaire. En revanche, le demandeur reconnaît que cette lettre ne constitue pas un élément de preuve substantiel étant donné que son identité a ultérieurement pu être confirmée au moyen de sa carte « tazkira ».

[78]           En ce qui a trait à l’affidavit de décembre dans lequel il fait état des blessures par balle subies par son neveu et auquel il a joint des photographies, le demandeur affirme qu’il s’agit d’une preuve récente qu’il ne pouvait pas produire plus tôt puisque l’incident venait tout juste de se produire.

[79]           Le demandeur reproche à la SAR de ne pas avoir expliqué pourquoi elle avait rejeté l’affidavit, qui était pourtant très pertinent pour la question du risque auquel il demeurait exposé en raison de la vendetta. Selon lui, la SAR doit se montrer assez souple quand elle se prononce sur l’admissibilité des éléments de preuve afin qu’il puisse y avoir un véritable appel fondé sur les faits (Singh (2014), aux paragraphes 55 à 58).

[80]           Le demandeur soutient par ailleurs que la SAR a commis une erreur en rejetant cette preuve sans tenir d’audience pour lui donner la possibilité d’établir sa crédibilité. Dans la même veine, il affirme que la SAR a aussi commis une erreur en ignorant la preuve contenue dans les lettres de menace récentes sans tenir d’audience en vue de tirer ses propres conclusions en matière de crédibilité.

Les observations du défendeur

[81]           Le défendeur soutient que la SAR a eu raison de conclure que, conformément au paragraphe 110(4) de la Loi et aux paragraphes 29(3) et (4) des Règles, les nouveaux éléments de preuve ne devaient pas être admis.

[82]           S’agissant de la lettre de l’ABABC, le demandeur n’a pas su donner une raison valable pour expliquer pourquoi la lettre n’était pas disponible lors de l’audience devant la SPR.

[83]           En ce qui concerne la lettre médicale, le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas réussi à obtenir un rendez‑vous chez le médecin avant juillet 2014, mais il savait qu’il devait produire tous les éléments de preuve pertinents devant la SPR et l’avocate qui le représentait le savait également. La SAR s’est penchée sur son explication, mais sa décision de la rejeter était raisonnable.

[84]           Pour ce qui est de l’affidavit de décembre, le défendeur rappelle que selon la SAR, ce document ne satisfaisait pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) de la Loi et aux articles 29 et 37 des Règles. De plus, il reposait sur des hypothèses non corroborées : il n’avait donc que peu de valeur probante et n’aurait pas influencé l’issue de la décision de la SAR.

La SAR n’a pas commis d’erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve

[85]           Voici ce que prévoit le paragraphe 110(4) de la Loi :

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

 

[86]           Quant au paragraphe 29(4) des Règles, il prévoit ce qui suit :

(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

 

(4) In deciding whether to allow an application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

 

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

(b) any new evidence the document brings to the appeal; and

 

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

(c) whether the person who is the subject of the appeal, with reasonable effort, could have provided the document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record.

 

[87]           Comme je l’ai mentionné, la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR d’admettre ou non de nouveaux éléments de preuve est celle de la décision raisonnable (Singh (2014)).

[88]           En ce qui a trait à la lettre médicale, le demandeur ne s’attendait peut‑être pas à ce que son rapport médical datant de 2003 soit jugé insuffisant et à ce qu’il soit nécessaire d’obtenir une confirmation de sa blessure par balle. Toutefois, même si elle avait été admise, la lettre n’aurait pas influencé la décision de la SAR. Cette dernière a admis que le demandeur avait été la cible de coups de feu, mais elle a conclu que le rapport médical ne permettait pas d’établir les circonstances entourant la blessure ni le fait qu’elle était la conséquence d’une vendetta entre familles. De la même façon, cette preuve n’aurait pas davantage été apportée par la lettre de la Vancouver Coastal Health.

[89]           Il était raisonnable que la SAR refuse d’admettre la lettre de l’ABABC, étant donné que le demandeur n’avait pu expliquer pourquoi il avait tardé à la produire. Quoi qu’il en soit, cette preuve ne faisait que confirmer l’identité du demandeur, alors que celle‑ci avait déjà été établie par l’entremise de la carte « tazkira », dont la SAR avait reconnu l’exactitude de la nouvelle traduction.

[90]           Concernant l’affidavit de décembre, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAR n’a pas omis de motiver sa décision de le rejeter. En effet, elle en a énoncé les raisons en se référant aux prescriptions de la Loi et des Règles.

[91]           La SAR a souligné que, conformément au paragraphe 29(4) des Règles, elle était tenue, pour décider si elle devait admettre de nouveaux éléments de preuve, de prendre en considération tout élément pertinent, notamment la pertinence et la valeur probante du document, la preuve nouvelle apportée par ce document à l’appel et la possibilité qu’aurait eue la personne en cause de transmettre le document ou les observations avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

[92]           La SAR a pris acte de la déclaration du demandeur selon laquelle il aurait été impossible de produire le document plus tôt du fait que l’incident venait de se produire. Elle a aussi convenu que le demandeur essayait, selon ses dires, d’obtenir d’autres documents, mais elle a fait remarquer que celui‑ci n’avait pas précisé à quel moment il lui remettrait ces documents. Par souci de respect de l’intégrité de sa procédure, et compte tenu du fait que le délai de 90 jours qui lui était imparti pour trancher l’appel était écoulé, la SAR a décidé de rendre une décision définitive en se fondant uniquement sur la preuve dont elle disposait, sans tenir compte de l’affidavit et sans attendre les autres documents.

[93]           La SAR a aussi expliqué qu’un aspect pertinent de l’analyse, lorsqu’il s’agit de décider s’il faut admettre un nouvel élément de preuve, est le caractère substantiel de cette preuve; autrement dit, il s’agit de déterminer si ce nouvel élément de preuve permettrait d’obtenir gain de cause devant la SPR.

[94]           La SAR a ensuite conclu que si elle avait admis l’affidavit comme nouvel élément de preuve, elle n’en aurait pas moins écarté ce qu’il visait à établir. En effet, il ressort de l’affidavit que le neveu n’a pu identifier les hommes qui l’avaient attaqué. Bien que sa famille soupçonne la famille Karimi, la SAR a conclu que ce n’était là que conjectures. Elle a souligné qu’aucune preuve substantielle n’étayait cette hypothèse et que les photos produites ne fournissaient pas de précisions quant au lien pouvant exister entre cet incident et la demande d’asile du demandeur.

[95]           La SAR a procédé à un examen minutieux des nouveaux éléments de preuve et son refus de les admettre était raisonnable. Il était tout aussi raisonnable qu’elle conclue, à titre subsidiaire, que même si elle les avait jugées admissibles, elle n’aurait pas retenu ces éléments de preuve du fait de leur teneur hypothétique et de leur caractère accessoire. Le paragraphe 110(4) oblige la SAR à prendre en considération la pertinence des éléments de preuve et leur valeur probante de la preuve. La SAR s’est aussi demandé s’ils revêtaient une dimension substantielle. Pour conclure que l’affidavit reposait sur des hypothèses, la SAR s’est fondée, de toute évidence, sur le contenu de cet affidavit, lequel révèle que le demandeur ne sait pas qui a tiré sur son neveu, ni pour quelle raison. Il est compréhensible que la SAR ait considéré l’affidavit avec prudence, étant donné que la SPR avait insisté sur le fait que la preuve indiquait qu’il n’y avait pas eu de menaces depuis 2003 ou 2004 et que cet affidavit a été présenté juste avant l’audience de la SAR dans une tentative de prouver l’existence de menaces très récentes.

[96]           La SAR n’avait pas à traiter directement des lettres de menace. Elle a expliqué qu’elle rendrait sa décision sur le fondement de la preuve dont elle disposait, et à l’époque en question, les lettres de menace n’ont pas été produites.

Était‑il raisonnable que la SAR refuse de tenir une audience?

Les observations du demandeur

[97]           Le demandeur soutient que ses nouveaux éléments de preuve venaient réfuter la conclusion de la SPR selon laquelle il n’avait pas établi son identité, soit la principale conclusion tirée par la SPR. Il conteste l’idée selon laquelle ces conclusions relatives à sa crédibilité seraient des conclusions indépendantes. Le demandeur affirme que la SPR n’a pas cru qu’il était celui qu’il disait être et qu’elle n’a donc pas jugé son récit crédible.

[98]           Le demandeur estime qu’après avoir accepté la nouvelle preuve de son identité, la SAR aurait dû tenir une audience, puisque tous les critères prévus au paragraphe 110(6) de la Loi étaient remplis. Elle aurait dû donner au demandeur la possibilité de lui faire part de ses prétentions.

[99]           Le demandeur soutient que, même au terme d’une évaluation indépendante de la preuve, la SAR ne pouvait raisonnablement conclure à son manque de crédibilité sans avoir tenu d’audience (il invoque à cet égard l’arrêt Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177, 17 DLR (4th) [Singh (1985)]). Puisque l’interprétation comportait des lacunes, le dossier en comportait également : la SAR ne pouvait donc pas se fonder sur ce dossier pour évaluer sa crédibilité. Le demandeur soutient qu’elle a ainsi manqué à l’équité procédurale.

Les observations du défendeur

[100]       Le défendeur fait observer que la SAR n’a pas l’obligation de tenir une audience; il s’agit d’une mesure d’exception qu’elle applique uniquement lorsque de nouveaux éléments de preuve ont été admis conformément au paragraphe 110(4) de la Loi et que les critères du paragraphe 110(6) de la Loi sont remplis.

[101]       Les nouveaux éléments de preuve que la SAR a admis concernaient l’identité du demandeur et ne posaient aucun problème de crédibilité. Quant à l’affidavit de décembre, il n’a pas été admis à titre de nouvel élément de preuve. Il s’ensuit que le paragraphe 110(6) de la Loi ne s’appliquait pas. Rien ne justifiait la tenue d’une audience.

Il était raisonnable de la part de la SAR de refuser de tenir une audience et ce refus ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale

[102]       Au paragraphe 110(3) de la Loi, il est prévu ceci :

(3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

(3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

[Non souligné dans l’original.]

 

[103]       Et, au paragraphe 110(6) de la Loi :

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

 

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

 

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

 

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

 

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

 

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

 

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

 

[104]       L’article 110, dans son ensemble, confère à la SAR le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience, mais seulement si certains critères sont remplis. Même si ces critères sont remplis, la SAR peut refuser de tenir une audience.

[105]       Les nouveaux éléments de preuve admis par la SAR ont permis d’établir l’identité du demandeur. Celui‑ci prétend maintenant que son identité est liée à sa crédibilité et que la SPR a tiré des conclusions quant à sa crédibilité parce qu’elle n’était pas en mesure de confirmer son identité ni de déterminer si ses allégations se rapportaient à lui‑même ou à quelqu’un d’autre. Je ne suis pas de cet avis. La SPR a tiré, sur la question de la crédibilité, plusieurs conclusions qui n’ont aucun rapport avec l’incapacité du demandeur d’établir son identité. Une fois l’identité du demandeur établie – comme ce fut le cas, la SAR ayant accepté la traduction valable de sa carte « tazkira » et son passeport –, ces conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité demeurent à titre subsidiaire et la SAR doit en tenir compte en appel.

[106]       La conclusion déterminante que la SPR a tirée était que le demandeur n’avait pas établi l’existence de la vendetta ni le fait qu’il était exposé à une grave menace à sa vie pour l’avenir. Cette conclusion demeure valable indépendamment du fait que le demandeur a établi qu’il était bien Amin Siddiqui.

[107]       Les nouveaux éléments de preuve ne soulèvent pas de doutes importants quant à la crédibilité du demandeur au point où ils justifieraient que la demande d’asile soit accordée dans l’hypothèse où ils seraient admis. Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité se rapportent aux contradictions dans le témoignage du demandeur, mais surtout, à la façon dont le demandeur s’est comporté après l’incident de 2003, en ne signalant pas le crime à la police avant 2013, en continuant d’habiter la même maison à Kaboul, cela conjugué au fait qu’il n’avait reçu aucune menace depuis celles qui lui avaient apparemment été adressées en 2004 : la SPR a estimé que tout cela ne reflétait pas la situation d’une personne exposée à un risque de préjudice ou craignant une telle éventualité.

[108]       Comme nous l’avons déjà mentionné, les problèmes que présentait la traduction étaient sans grande importance et ils ont tous été résolus. Le demandeur n’a pas été privé de son droit à une interprétation continue, fidèle, compétente, impartiale et concomitante (Mohammadian). Il était donc raisonnable pour la SAR de s’en remettre au dossier, y compris la transcription de l’audience, aux fins de la conduite de l’appel et de l’évaluation de la crédibilité des affirmations du demandeur.

[109]       Le demandeur invoque Singh (1985) pour faire valoir qu’aucune conclusion ne devrait être tirée en matière de crédibilité sans la tenue d’une audience, mais il faut aussi tenir compte de la jurisprudence portant sur la norme de contrôle que la SAR applique aux décisions de la SPR et de l’opinion dominante voulant que la SAR doive faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité, étant donné que celle‑ci a l’avantage d’entendre directement le demandeur.

[110]        Dans la décision Malambu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 763, au paragraphe 38, [2015] ACF n753 (QL), la Cour a statué que, parce que le demandeur avait eu la chance de présenter des observations orales à la SPR, le fait que la SAR ait procédé à une nouvelle appréciation de la crédibilité à partir de ce témoignage et donc, sans tenir d’audience, n’était pas contraire à l’arrêt Singh (1985) ni aux paragraphes 110(3), (4) et (6) de la Loi.

[111]       En l’espèce, la SAR a procédé à sa propre évaluation de la demande d’asile du demandeur à partir du dossier et en tenant compte des arguments présentés par le demandeur en appel, y compris ceux concernant la traduction. La SAR a tiré ses propres conclusions, lesquelles étaient analogues à celles de la SPR, en conséquence de quoi elle a confirmé la décision de la SPR.

[112]       La SAR a examiné le témoignage livré par le demandeur concernant l’identité des personnes qu’il disait craindre en Afghanistan, et notamment, la déclaration qu’il avait faite : [traduction« [J]e ne fais que supposer qu’il s’agit peut‑être d’Alza Kareemi [sic], de son fils ou de son frère, mais je ne fais que supposer ». Elle a conclu que le fait que le demandeur n’avait pas fait mention, dans son FDA, des menaces plus récentes que lui auraient rapportées Jamal et Kamal, et ce, malgré les autres modifications qu’il avait apportées à ce document, minait sa crédibilité. La SAR a souligné que la SPR avait interrogé le demandeur au sujet de cette omission et que celui‑ci avait donné une réponse insatisfaisante.

[113]       La SAR a conclu à juste titre qu’il n’existait, d’une part, aucune preuve crédible permettant de relier l’incident des coups de feu survenu en 2003 à la présumée vendetta familiale et, d’autre part, aucune preuve du fait que le demandeur avait été ciblé après 2004. Elle a jugé que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles, étant donné que la preuve ne permettait pas même de conclure qu’il était la cible d’une vendetta et qu’il était resté dans la même maison après 2003, sans que sa famille ou lui‑même ne soit victime d’un incident. La SAR a raisonnablement estimé que son comportement et son défaut de signaler l’incident avant 2013 ne correspondaient pas à la situation d’une personne craignant pour sa vie. Elle en a conclu que la crainte du demandeur reposait sur de simples conjectures ne présentant que peu de valeur.

[114]       Les conclusions de la SAR sont raisonnables; elles se justifient au regard de la preuve et sont étayées par des motifs clairs et transparents.

Il était raisonnable que la SAR conclue que le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé de sa demande d’asile au moyen d’éléments de preuve crédibles

[115]       Le demandeur prétend que les problèmes présentés par la traduction, le refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve et ses conclusions en matière de crédibilité ont mené, par leur effet cumulatif, à cette conclusion déraisonnable selon laquelle il n’avait pas établi le bien‑fondé de la demande d’asile.

[116]       Comme je l’ai déjà dit, j’estime que la traduction respectait la norme prescrite par la jurisprudence et que le demandeur a été en mesure de communiquer sa version des faits et d’être compris. Le refus de la SAR d’admettre les trois des éléments de preuve nouveaux était raisonnable. De la même façon, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré lorsque les critères donnant ouverture à la possibilité de tenir une audience sont remplis, la SAR pouvait parfaitement décider de ne pas tenir d’audience. Quoi qu’il en soit, la SAR a conclu à juste titre que ces critères n’étaient pas remplis parce que les nouveaux éléments de preuve ne se rapportaient pas à la question de la crédibilité et que, même s’ils avaient été admis, ils n’auraient pas permis au demandeur d’obtenir gain de cause, puisque la SAR a jugé que cette nouvelle preuve reposait sur des conjectures.

[117]       Si on les considère isolément, aucun des arguments du demandeur ne fait ressortir d’erreur susceptible de révision; ce constat demeure inchangé si on les considère dans leur ensemble.

[118]       Comme je l’ai déjà mentionné, la SAR a procédé à une évaluation indépendante des allégations à partir du dossier, dont le témoignage du demandeur, et elle a conclu avec raison que le demandeur n’avait tout simplement pas établi qu’il était exposé à un risque du fait de la vendetta alléguée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑283‑15

 

INTITULÉ :

AMIN SIDDIQUI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BritANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 JUILLET 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT ET DU JUGEMENT :

LE 31 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Mojdeh Shahriari

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charmaine de los Reyes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mojdeh Shahriari

Avocat

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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