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Date : 20150825


Dossier : IMM‑8327‑14

Référence : 2015 CF 1005

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 août 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

SASIKUMAR SANDIRASEKARAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Sasikumar Sandirasekaram est un jeune tamoul originaire du Nord du Sri Lanka qui est venu au Canada à bord du MV Sun Sea. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d'asile, au motif que l'élément de preuve portant sur sa persécution antérieure et fondé sur le lien perçu avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) n'était pas crédible. La Commission n'a pas été convaincue non plus qu'il serait maintenant exposé à un risque de persécution au Sri Lanka en raison de son voyage au Canada à bord du MV Sun Sea. La Cour a rejeté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission présentée par M. Sandirasekaram.

[2]               Une agente chargée de l'examen des risques avant renvoi (ERAR) a conclu ultérieurement que M. Sandirasekaram n'avait pas établi qu'il serait exposé à des risques s'il était renvoyé au Sri Lanka. Pour les motifs énoncés ci‑après, j'en suis arrivée à la conclusion que l'agente avait bien compris son domaine de compétence et que sa décision était raisonnable en ce qui concerne le dossier qui lui avait été présenté. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Sandirasekaram sera rejetée.

I.                   L'agente d'ERAR a‑t‑elle mal compris son domaine de compétence?

[3]               M. Sandirasekaram prétend que l'agente d'ERAR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la décision de la Section de la protection des réfugiés était finale, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un « risque nouveau, différent ou supplémentaire ». Selon M. Sandirasekaram, cette déclaration démontre que l'agente ne comprenait pas que le risque invoqué dans l'ERAR pourrait être le même risque que celui qui avait été pris en compte par la Commission, si le demandeur pouvait présenter de nouveaux éléments de preuve démontrant que la condition du pays s’est détériorée depuis la date de la décision de la Commission. Un demandeur pourrait également présenter de nouveaux éléments de preuve visant à réadapter des éléments de preuve que la Commission avaient jugés non crédibles.

[4]               Je ne suis pas d'accord pour dire que la Commission a commis une erreur comme le prétend M. Sandirasekaram. La phrase « risque nouveau, différent ou supplémentaire » que l'agente chargée de l'ERAR a utilisée provenait de la Cour dans la décision Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1379, 59 Imm. L.R. (3d) 156. Dans ce cas, la juge Snider a fait remarquer qu'un ERAR ne constituait pas un appel d'une décision de la Commission ni une occasion de faire valoir de nouveau les faits qui ont été pris en compte par la Commission. Toutefois, elle a poursuivi pour citer l'exemple d'une détérioration des conditions d'un pays comme constituant précisément le genre d'élément qui pourrait être pris en compte par un agent chargé de l'ERAR selon de nouveaux éléments de preuve : Perez, au paragraphe 5.

[5]               Autrement dit, bien qu'un risque « nouveau » ou « différent » puisse être un risque qui n'avait pas été pris en compte antérieurement par la Section de la protection des réfugiés, lorsqu'il est lu dans son contexte, un « risque supplémentaire » désigne de toute évidence les nouveaux risques qui sont survenus par rapport au risque évalué précédemment. Par conséquent, je suis convaincue que l'agente d'ERAR a bien compris son domaine de compétence et qu'elle n'a commis aucune erreur à cet égard.

II.                L'agente d'ERAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation du nouvel élément de preuve?

[6]               M. Sandirasekaram fait valoir que l'agente d'ERAR a également commis une erreur dans son appréciation du nouvel élément de preuve qu'il avait présenté à l'appui de sa demande d'ERAR. Ce nouvel élément de preuve était un affidavit du père de M. Sandirasekaram, qui est toujours au Sri Lanka.

[7]               Une bonne partie de l'affidavit du père qui a été présenté consistait en des renseignements généraux sur le conflit au Sri Lanka et comprenait une description d'événements que M. Sandirasekaram avait vécus lorsqu'il habitait encore ce pays. L'agente chargée de l'ERAR a conclu qu'il ne s'agissait pas de nouveaux éléments de preuve. Il s'agit d'une conclusion raisonnable puisque ces événements étaient antérieurs à la décision de la Commission et qu'aucune explication n'avait été donnée quant aux raisons pour lesquelles M. Sandirasekaram n'aurait pas pu obtenir un affidavit de son père afin d'appuyer sa demande d'asile.

[8]               L'agente d'ERAR a constaté en effet qu'il y avait des différences entre la version de M. Sandirasekaram quant aux événements ayant mené à son départ du Sri Lanka et ceux que son père avait relatés, en particulier en ce qui concerne la nature du rapport de M. Sandirasekaram avec les autorités du Sri Lanka en 2008. M. Sandirasekaram soutient que l'agente d'ERAR a commis une erreur en se concentrant sur des micro‑incohérences dans les éléments de preuve. Je ne suis pas d'accord pour dire que l'agente a commis une erreur, contrairement à ce qui est allégué.

[9]               L'agente n'a pas constaté qu'il y avait vraiment des incohérences entre les éléments de preuve des deux hommes, et elle n'a pas tiré de conclusions à cet égard non plus. Elle a plutôt observé tout simplement que leurs versions des événements en cause étaient quelque peu différentes. M. Sandirasekaram a donné une description plus détaillée de ces événements que celle que son père a donnée. L'agente d'ERAR s'est concentrée sur la version de M. Sandirasekaram et elle s'est interrogée à juste titre sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas soulevé les incidents mentionnés par son père au moment de l'audience des réfugiés.

[10]           L'agente d'ERAR s'est également interrogée sur les raisons pour lesquelles les autorités du Sri Lanka auraient libéré M. Sandirasekaram après l'avoir interrogé en 2008 et 2009 si elles le soupçonnaient vraiment d'avoir des liens avec les TLET. M. Sandirasekaram soutient que l'agente d'ERAR établissait des conjectures sur les motifs des autorités du Sri Lanka et qu'il n'y avait aucun élément de preuve en dossier pour corroborer cette constatation. Toutefois, M. Sandirasekar a affirmé lui‑même que les autorités du Sri Lanka arrêtaient les Tamouls au cours de cette période parce qu'elles craignaient que les TLET effectuent des attentats suicides.

[11]           À mon avis, il s'agissait d'une inférence de bon sens et raisonnable de la part de l'agente d'ERAR puisque le fait que M. Sandirasekaram avait été interrogé puis libéré au cours de cette période indiquait que les autorités du Sri Lanka ne croyaient pas qu'il était associé aux TLET afin de planifier de tels attentats.

[12]           L'affidavit du père a également indiqué que les autorités du Sri Lanka lui avaient rendu visite à sa résidence à trois reprises au début de 2012 parce qu'elles cherchaient M. Sandirasekaram et qu’il avait informé son fils à propos de chaque visite. Ces visites étaient antérieures à la date de l'audience des réfugiés de M. Sandirasekaram et l'agente s'est inquiétée de manière tout à fait raisonnable du fait que M. Sandirasekaram n'avait rien mentionné à propos d'aucune de ces visites à l'audience.

[13]           L'affidavit du père contenait de nouveaux éléments de preuve se rapportant à trois autres événements ayant eu lieu en décembre 2012 ainsi qu'en avril et mai 2013 (après l'audition de la demande d’asile de M. Sandirasekaram), alors que les autorités du Sri Lanka auraient rendu visite à son père à son domicile parce qu'elles cherchaient M. Sandirasekaram afin de l'interroger sur le complot des TLET mettant en cause des étudiants de l'Université de Jaffna. Le père de M. Sandirasekaram affirme avoir été battu à deux de ces occasions et il a fourni une lettre d'un médecin attestant qu'il avait été se faire traiter pour des ecchymoses et d'autres blessures à la suite de traumatismes contondants.

[14]           L'agente d'ERAR a examiné les nouveaux éléments de preuve fournis par le père de M. Sandirasekaram portant sur les événements postérieurs à la décision de la Commission. Lorsqu'elle a conclu que les éléments de preuve n'étaient pas suffisants pour établir l’existence d’un risque prospectif pour M. Sandirasekaram, l'agente a remarqué que les éléments de preuve du père étaient [traduction] « vagues et manquaient de détails ». En outre, aucun élément de preuve n'a été fourni par la mère et la sœur de M. Sandirasekaram qui, apparemment, étaient présentes au cours des visites des autorités du Sri Lanka à la résidence familiale. L'agente d'ERAR a aussi remarqué qu'il n'y avait aucune indication dans la lettre du médecin sur la façon dont le père avait subi ses blessures ni sur le fait qu'elles étaient attribuables à une raclée. Bien que l'agente ait accepté que le père de M. Sandirasekaram avait subi des blessures, elle a conclu que la cause des blessures n'avait pas été établie de manière satisfaisante.

[15]           Je suis d'accord avec M. Sandirasekaram pour dire qu'il ne serait pas raisonnable de la part de l'agente d'ERAR d'imputer le blâme à M. Sandirasekaram ou à son père parce qu'ils n'ont pas réussi à expliquer ce que les autorités du Sri Lanka avaient en tête ni les raisons pour lesquelles elles n'avaient commencé à rechercher M. Sandirasekaram qu'environ deux ans après son départ du Sri Lanka si elles s'inquiétaient vraiment de son affiliation aux TLET.

[16]           Cependant, lorsque les motifs de l'agente sont examinées dans l'ensemble, il semble que l'agente ait remis en cause le fait de savoir si le père de M. Sandirasekaram avait obtenu une explication quelconque justifiant l'intérêt soudain des autorités dans les allées et venues de M. Sandirasekaram et son affiliation possible aux TLET.

[17]           En outre, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que même si cet aspect de la décision de l'agente n'était pas raisonnable, cela n'a aucune incidence sur l'évaluation globale du dossier et ne justifie pas une intervention de la Cour.

[18]           L'agente a également remarqué que rien n'indiquait que les autorités du Sri Lanka n’avaient démontré un intérêt quelconque à l'égard de M. Sandirasekaram au cours de la période de 18 mois comprise entre leur dernière visite alléguée en 2013 et la date de la décision de l'ERAR. Cela a amené l'agente à juste titre à conclure que les autorités du Sri Lanka ne s’intéressaient pas à M. Sandirasekaram à l'heure actuelle.

[19]           En outre, M. Sandirasekaram fait valoir que l'agente d'ERAR a commis une erreur parce qu'elle n'avait pris en compte que le risque auquel il serait exposé à l'aéroport de Colombo et qu'elle avait omis de prendre en compte le risque auquel il serait exposé ailleurs au Sri Lanka. Cet argument n'est pas confirmé par un examen de l'analyse de l'agente. Bien que l'agente ait porté une attention considérable au traitement que M. Sandirasekaram pourrait recevoir à l'aéroport de Colombo, elle a également examiné le risque auquel M. Sandirasekaram serait exposé après avoir quitté l'aéroport : voir notamment les pages 25 et 26 des motifs de l'agente.

[20]           En outre, il est évident que l'agente n'a pas simplement pris en compte l'information sur la situation du pays qui prévalait avant la date de l'audience à l'intention des réfugiés de M. Sandirasekaram, comme l'affirme ce dernier. La liste des sources consultées à la fin de la décision de l'ERAR énumère un certain nombre de rapports de 2013 et 2014 et fait expressément référence à un rapport de 2014 du bureau principal du Royaume-Uni dans le corps de l'analyse de l'agente.

III.             Conclusion

[21]           C'est à l'agente d'ERAR qu'incombe la responsabilité d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui sont fournis pour appuyer une demande d'ERAR. C'est ce que l'agente a fait en l’espèce et elle a décidé qu'il y avait lieu d'accorder peu de poids à l'affidavit du père de M. Sandirasekaram. Je n'ai pas été convaincue que cette conclusion était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[22]           Je conviens avec les parties que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres et ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8372-14

 

INTITULÉ :

SASIKUMAR SANDIRASEKARAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 19 AOÛT 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 Août 2015

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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