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Date : 20150818


Dossier : T‑2024‑14

Référence : 2015 CF 983

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 août 2015

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SCOTT ANDREW SHANNON

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Scott Andrew Shannon (le demandeur) sollicite, suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, le contrôle judiciaire de la décision rendue par le général T.J. Lawson, du bureau du Chef d’état‑major de la Défense (le CEMD). Dans cette décision datée du 29 juillet 2014, le CEMD a rejeté le grief du demandeur contre une modification de sa catégorie médicale qui a entraîné la libération du demandeur des Forces canadiennes (les FC) pour raisons médicales.

[2]               Le demandeur allègue avoir été victime de discrimination en raison d’une invalidité médicale, en contravention de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6 (la Loi), et de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte).

[3]               Conformément au paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), le procureur général du Canada est désigné comme défendeur.

[4]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite le versement d’une indemnité de 750 000 $, tous les dommages‑intérêts supplémentaires adjugés par la Cour ainsi qu’une ordonnance infirmant la décision de rejeter son grief.

II.                CONTEXTE

[5]               Le demandeur est entré dans les FC en 1999. Il a travaillé comme agent de la police militaire et a été promu sergent en 2008.

[6]               Le demandeur a été affecté deux fois à l’étranger, en Afghanistan, en 2004 et en 2006.

[7]               Après que le demandeur a terminé sa deuxième période de service à l’étranger, plusieurs maladies, dont l’hypertension et l’hypercholestérolémie en 2006, un trouble anxieux en 2007 et un infarctus du myocarde (l’IM) et le diabète en 2010, ont été diagnostiquées chez lui. En mars 2013, il a fallu lui implanter une endoprothèse coronaire parce que ses artères étaient bouchées.

[8]               À la suite de l’IM en mai 2010, le directeur – Politique de santé (le D Pol San) a attribué au demandeur une catégorie médicale temporaire pour une période initiale de six (6) mois. Le D Pol San a approuvé une deuxième et une troisième catégorie médicale temporaire respectivement en décembre 2010 et en juillet 2011.

[9]               En juin 2010, au rendez‑vous de suivi pour l’IM du demandeur, l’examen cardiovasculaire était normal, mais des facteurs de risque cardiaque importants ont été notés. Les résultats des tests des rendez‑vous de suivi de septembre 2010 et d’octobre 2011 ont été normaux aussi. Après le rendez‑vous d’octobre 2011, le médecin traitant du demandeur a conclu que le risque que celui‑ci fasse un nouvel IM était faible.

[10]           Le 16 octobre 2012, le Dr Gregson, un médecin civil dont les services ont été retenus par le D Pol San, a attribué au demandeur la catégorie médicale permanente suivante : acuité visuelle (V) – 1, vision des couleurs (CV) – 1, ouïe (H) – 1, facteur géographique (G) – 4, facteur professionnel (O) – 2 et facteur d’aptitude au vol (A) –5. La norme médicale minimale pour la police militaire est V3‑CV2‑H3G3‑O2‑A5.

[11]           Outre la catégorie médicale permanente, le Dr Gregson a attribué au demandeur les contraintes à l’emploi pour raisons médicales (les CERM) suivantes : le demandeur devait avoir un suivi médical tous les six (6) mois; il devait subir un dépistage médical préalable au déploiement; il avait un trouble médical chronique dont la probabilité de récurrence sur 10 ans est de 20 à 50 p. 100; et, en cas de récurrence, il aura besoin de beaucoup de soins médicaux dans les 60 minutes.

[12]           Le Dr Gregson a conclu que les CERM signifiaient que le risque que le demandeur ne respecte pas le principe de l’universalité du service était élevé. Ce principe, selon lequel les soldats doivent être en bonne condition physique et être employables et déployables pour effectuer des tâches opérationnelles générales, est codifié par le paragraphe 33(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC (1985), c N‑5.

[13]           La capacité de déploiement signifie que les membres doivent pouvoir s’acquitter de leurs tâches en divers lieux géographiques à bref préavis. Pour être déployable, une personne ne peut avoir de CERM qui font obstacle au le déploiement; voir les Directives et ordonnances administratives de la Défense (les DOAD) 5023‑1.

[14]           Au terme du processus d’examen administratif qui a suivi l’attribution des CERM et la modification de la catégorie médicale permanente du demandeur, la recommandation que le demandeur soit libéré pour raisons médicales conformément à l’alinéa 15.01(3)b) des Ordonnances et règlements royaux (les ORFC) a été faite.

[15]           En réponse à cette recommandation, le demandeur a présenté, le 20 février 2013, un grief dans lequel il demandait à titre de réparation que sa catégorie médicale soit réduite à G3, que les deux dernières CERM soient enlevées de son dossier et que son évaluation des risques passe de [traduction] « élevés » à « faibles ».

[16]           Dans une lettre datée du 6 juin 2013, le demandeur a indiqué qu’il serait libéré pour raisons médicales au plus tard en décembre 2013. Le demandeur a choisi une libération anticipée et a été libéré le 13 août 2013.

[17]           Dans une lettre datée du 14 septembre 2013, le demandeur a demandé que son grief soit transféré au directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes pour que celui‑ci rende une décision définitive. Le demandeur alléguait dans cette lettre avoir été traité de manière discriminatoire. Son dossier a été renvoyé au Comité externe d’examen des griefs militaires (le CEEGM) le 19 novembre 2013.

[18]           Le 26 mars 2014, le CEEGM a diffusé le rapport de ses conclusions et a recommandé le rejet du grief. Pour parvenir à cette conclusion, le CEEGM s’est appuyé sur le rapport du D Pol San daté du 14 janvier 2014, qui concluait que le demandeur souffrait d’une maladie cardiovasculaire grave et que le risque de récurrence était de 30 p. 100 sur 10 ans. L’auteur du rapport faisait remarquer que, bien que la nature exacte des problèmes de santé du demandeur ne lui ait pas auparavant été divulguée, elle l’était dans le rapport du CEEGM.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[19]           Le 29 juillet 2014, le CEMD a rendu sa décision par laquelle il rejetait le grief du demandeur. À titre d’autorité de dernière instance, le CEMD a examiné de novo le grief conformément à l’article 29.11 de la Loi sur la défense nationale.

[20]           Selon le CEMD les questions déterminantes consistaient à savoir si les CERM étaient valides, si la libération pour raisons médicales était justifiée et si le demandeur s’était vu refuser injustement des services de soutien à la transition. Le CEMD a fait observer que la validité des CERM serait déterminante quant à l’issue du grief.

[21]           Le CEMD a examiné la preuve médicale, y compris le fait que le demandeur a une maladie cardiovasculaire grave dont le risque de récurrence sur 10 ans est de 30 p. 100. Il a accepté l’évaluation du D Pol San et a conclu que les CERM ne satisfaisaient pas aux normes opérationnelles minimales et ne respectaient pas le principe de l’universalité du service.

[22]           Le CEMD a souligné que le facteur géographique du demandeur est de 4 et n’a pas changé depuis octobre 2012, et que ce changement a été fait parce que le demandeur aurait besoin de soins médicaux immédiats dans les 60 minutes s’il devait être victime d’un autre accident cardiovasculaire. Il a aussi souligné que le demandeur avait eu le temps de faire traiter ses problèmes de santé lorsque ses catégories médicales temporaires lui ont été attribuées.

[23]           À propos de la transition du demandeur à la vie civile, le CEMD a conclu que le demandeur ne s’était pas vu refuser un soutien médical raisonnable, que ses besoins en période de transition n’étaient pas complexes et que son passage à la vie civile n’exigeait pas beaucoup de coordination médicale. Le demandeur pouvait donc être libéré pendant la période normale de six (6) mois prévue pour la libération pour raisons médicales.

[24]           Enfin, le CEMD a rejeté la demande de salaire et d’indemnité jusqu’en 2019 du demandeur, et a fait remarquer que les membres des FC servent selon le bon plaisir de la Couronne et n’ont pas de contrat de travail. Il a conclu que la libération pour raisons médicales du demandeur était conforme à la politique des FC.

[25]           Le CEMD a conclu que, compte tenu des problèmes de santé du demandeur, des besoins des FC et des perspectives d’emploi du demandeur dans la vie civile, la décision de libérer le demandeur pour raisons médicales était raisonnable.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[26]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1)      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)      Le CEMD a‑t‑il manqué à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas divulgué au demandeur la nature exacte de ses problèmes de santé sur lesquels la recommandation de le libérer pour raisons médicales était fondée?

3)      Les FC ont‑elles agi de façon discriminatoire à l’endroit du demandeur par suite de son invalidité médicale, en contravention de la Loi et de la Charte?

4)      Le CEMD a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de la preuve lorsqu’il a décidé de rejeter le grief du demandeur?

V.                ARGUMENTS

a)                  Arguments du demandeur

[27]           Selon le demandeur, le fait de n’avoir divulgué la nature exacte de ses problèmes de santé, dont il a été estimé qu’ils violaient le principe de l’universalité du service, que cinq (5) mois après qu’il a été libéré pour raisons médicales a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.

[28]           S’agissant de la discrimination, le demandeur fait valoir qu’il a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur une invalidité médicale et que la défenderesse n’a pas produit d’éléments de preuve démontrant que la prise de mesures destinées à répondre aux besoins qu’entraîne son invalidité constituerait une contrainte excessive.

[29]           Pour étayer ses allégations de discrimination, le demandeur renvoie à la décision Irvine c Canada, 2001 CanLII 3421, du Tribunal canadien des droits de la personne, selon laquelle les membres des FC devraient avoir l’occasion de démontrer qu’ils sont aptes à servir en exécutant les tâches militaires prescrites. Le demandeur se dit apte à exécuter les tâches prescrites.

[30]           Enfin, le demandeur fait valoir que le CEMD a mal évalué la preuve dont il était saisi parce qu’il n’a pas tenu compte des résultats de son test d’aptitude physique au combat. Le demandeur a subi ce test en octobre 2012. Il prétend que le CEMD n’a pas non plus tenu compte de ses autres tests qui étaient normaux, dont trois épreuves à l’effort et un échocardiogramme.

b)                  Arguments de la défenderesse

[31]           La défenderesse fait valoir que la norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte et que la décision du CEMD de rejeter le grief est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; voir Sketchley c Canada (Procureur général), [2006] 3 RCF 392, aux paragraphes 46 et 47, et Smith c Canada (Défense nationale), (2010) 363 FTR 186, 2010 CF 321, aux paragraphes 29 à 36.

[32]           À propos du manquement à l’équité procédurale, la défenderesse reconnaît que la nature exacte des problèmes de santé n’a pas été initialement divulguée au demandeur. Elle l’a toutefois été par la suite dans le rapport du CEEGM. La défenderesse allègue que l’examen de novo de l’affaire effectué par le CEMD a permis de remédier au manquement antérieur à l’équité procédurale.

[33]           La défenderesse s’appuie à cet égard sur l’arrêt McBride c Canada (Ministre de la Défense nationale), (2012) 431 NR 38, 2012 CAF 181, aux paragraphes 43 à 45, autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada refusée, [2012] CSCR 368.

[34]           La défenderesse répond à l’allégation de discrimination en faisant valoir que la décision Irvine c Canada, (2005) 268 FTR 201, sur laquelle s’appuie le demandeur, ne s’applique plus depuis que la Loi a été modifiée par l’adjonction du paragraphe 15(9). Ce paragraphe, qui prévoit que l’exigence énoncée au paragraphe 15(2), selon laquelle un employeur doit prendre les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne à moins qu’elles ne constituent une contrainte excessive, est assujettie au principe de l’universalité du service. De plus, ce principe constitue une exigence professionnelle justifiée; voir Best c Canada (Procureur général), (2011) 382 FTR 256, 2011 CF 71, au paragraphe 26.

[35]           Enfin, la défenderesse fait valoir que la décision du CEMD était raisonnable, et que la preuve a été évaluée raisonnablement. Le D Pol San a l’expertise voulue pour évaluer si des problèmes de santé nuiront à la capacité d’effectuer des tâches militaires essentielles. Il était raisonnable pour le CEEGM et le CEMD de s’appuyer sur le rapport du D Pol San. Le fait pour le CEMD d’avoir préféré le témoignage du D Pol San aux rapports du médecin civil du demandeur n’est pas une erreur susceptible de contrôle; voir McBride, précité.

VI.             ANALYSE ET CONCLUSION

[36]           La première question à examiner est celle de la norme de contrôle applicable.

[37]           La norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte; voir Sketchley, précité, aux paragraphes 46 et 47. La décision du CEMD de rejeter le grief est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; voir Smith, précité, au paragraphe 35.

[38]           Le demandeur allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale du fait que la nature exacte des problèmes de santé dont il a été estimé qu’ils violaient le principe de l’universalité du service n’a été divulguée que plusieurs mois après sa libération pour raisons médicales.

[39]           La non‑divulgation constituait peut‑être un manquement à l’équité procédurale, mais la divulgation subséquente de ces renseignements au demandeur a remédié au manquement. Il n’a souffert d’aucun préjudice à cet égard et disposait de toute l’information pour donner pleinement suite à son grief. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McBride, précité, au paragraphe 45, l’examen de novo effectué par le CEMD a permis de remédier au manquement initial à l’équité procédurale. Il n’y a, à l’heure actuelle, aucun manquement à l’équité procédurale ni aucune erreur susceptible de contrôle qui justifieraient l’intervention de la Cour.

[40]           La question qui se pose ensuite consiste à savoir si la décision respecte la norme de la raisonnabilité. Selon le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, rendu par la Cour suprême du Canada, le caractère raisonnable de la décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[41]           Selon le principal argument du demandeur, le CEMD a illégalement agi de façon discriminatoire envers lui en raison de son invalidité médicale. Il s’appuie à cet égard sur la décision Irvine c Canada, 2001 CanLII 3421 (TCDP), du Tribunal canadien des droits de la personne. Il allègue également que la discrimination contrevient à l’article 15 de la Charte.

[42]           Le demandeur affirme que les arrêts Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 (Meiorin), et Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c Colombie‑Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 (Grismer), de la Cour suprême du Canada, supplantent la modification apportée à la Loi. Ces arguments ne sauraient être retenus.

[43]           La jurisprudence invoquée par le demandeur pour étayer ses allégations de discrimination ne s’applique plus maintenant parce que la Loi a été modifiée. Selon la modification de 1998, la Loi prévoit que les exigences professionnelles justifiées et l’obligation de prendre des mesures sont assujetties au principe de l’universalité du service. Les dispositions pertinentes de l’article 15 de la Loi sont énoncées ci‑après :

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

 

15. (1) It is not a discriminatory practice if

 (a) any refusal, exclusion, expulsion, suspension, limitation, specification  preference in   relation to any employment is established by an employer to be based on a bona fide occupational requirement;

 

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

 

(2) For any practice mentioned in paragraph (1)(a) to be considered to be based on a bona fide occupational requirement and for any practice mentioned in paragraph (1)(g) to be considered to have a bona fide justification, it must be established that accommodation of the needs of an individual or a class of individuals affected would impose undue hardship on the person who would have to accommodate those needs, considering health, safety and cost.

 

(9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est‑à‑dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

(9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

[44]           L’effet de cette modification a été analysé dans le jugement Best, précité, aux paragraphes 26 et 27, comme suit :

[26]            De plus, nonobstant l’allégation de la demanderesse selon laquelle la Commission avait omis d’examiner les exigences professionnelles justifiées, telles que définies dans Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.E.U. (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 71 et 72, le paragraphe 15(9) de la LCDP spécifie que la politique Universalité du service des FC est une exigence professionnelle justifiée et qu’elle constitue donc une exception à l’obligation au titre du paragraphe 15(2) de la LCDP de démontrer que les mesures destinées à répondre au besoin d’une personne constituent une contrainte excessive :

15. (9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est‑à‑dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

15. (9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

[27]            Cette disposition signifie que la politique en elle‑même ne peut être qualifiée de discriminatoire. Cependant, l’application de cette politique peut l’être. À cette fin, l’enquêteur a confirmé que la politique avait été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail, qu’elle était fondée sur la croyance sincère qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail et qu’elle était nécessaire à la réalisation de ce même but légitime lié au travail.

[45]           Je remarque que, dans le jugement Best, précité, la Cour procédait au contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de ne pas examiner une plainte de discrimination pour des raisons d’invalidité. Ce n’est pas le cas en l’espèce, où la demande de contrôle judiciaire vise une décision du CEMD. Le jugement Best, précité, illustre toutefois l’effet de la modification.

[46]           De plus, la Cour reconnaît expressément dans le jugement Best, précité, que la politique de l’universalité du service est une exigence professionnelle justifiée et qu’elle constitue, en conséquence, une exception à l’exigence prévue au paragraphe 15(2) de la Loi, selon laquelle l’employeur doit prouver que les mesures d’adaptation constitueraient une contrainte excessive.

[47]           Rien en droit n’appuie la plainte pour discrimination du demandeur fondée sur la Loi.

[48]           Le demandeur a également soulevé la question de la discrimination interdite par l’article 15 de la Charte. À mon avis, les éléments de preuve ne permettent pas de justifier une plainte pour discrimination interdite par la Charte. Ainsi que le fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, aux pages 361 et 362 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte.

[49]           Enfin, il nous faut examiner caractère raisonnable de la décision. Le demandeur allègue que le CEMD n’a pas tenu compte des éléments de preuve d’ordre médical qui lui étaient favorables et que, par conséquent, la décision de rejeter son grief était déraisonnable.

[50]           S’agissant des documents présentés au CEMD et des motifs détaillés de sa décision, je ne crois pas que le CEMD n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve d’ordre médical.

[51]           Lorsqu’elle se livre à un contrôle judiciaire, la Cour ne soupèse pas à nouveau les éléments de preuve qui ont été présentés au décideur; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 61. Son rôle se limite à déterminer si les éléments de preuve pertinents ont fait l’objet d’une juste évaluation; voir Best, précité, au paragraphe 29, où la Cour dit ce qui suit :

[29]      Dans le cadre d’un contrôle judiciaire d’une application de la politique Universalité du service, il n’est pas justifié pour la Cour d’apprécier une nouvelle fois les rapports médicaux et de tirer ses propres conclusions. La Cour doit simplement établir que la preuve médicale disponible dans son ensemble a fait l’objet d’une juste évaluation (Irvine c. Canada (Les Forces armées canadiennes), 2005 CAF 432 aux paragraphes 2 à 5).

[52]           J’estime que tous les éléments de preuve ont été examinés et évalués, y compris le témoignage du médecin personnel du demandeur. Le CEMD avait le droit de préférer les rapports et l’opinion du D Pol San aux rapports de médecins externes.

[53]           En l’espèce, la preuve médicale était pertinente. Le CEMD l’a évaluée de façon juste. Il a donné plus de poids au témoignage du D Pol San, qui possède les connaissances spécialisées voulues pour évaluer l’état de santé et les risques dans le contexte des besoins des Forces armées.

[54]           La probabilité de survie de 95 p. 100 mentionnée par le demandeur n’est pas la statistique pertinente à prendre en compte. Il faut plutôt porter attention à la probabilité de récurrence d’un accident cardiaque. Selon la matrice des risques médicaux, lorsque la probabilité de récurrence d’un incident de nature médicale qui devra être traité en moins d’une heure est de 20 à 50 p. 100, il est probable que non seulement cet incident aura des conséquences médicales graves pour la personne touchée, mais aussi qu’il mettra la mission en péril.

[55]           Compte tenu des rapports médicaux et des politiques pertinentes des FC, le CEMD a conclu à raison que la CERM était valide, qu’elle violait le principe de l’universalité du service et qu’il y allait de l’intérêt supérieur du demandeur, tout comme de celui des FC, que le demandeur soit libéré pour raisons médicales.

[56]           La décision du CEMD satisfait par conséquent à la norme du caractère raisonnable, parce qu’elle est justifiable, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[57]           Il n’y a à l’heure actuelle aucun manquement à l’équité procédurale ni aucune autre erreur qui justifierait l’intervention de la Cour et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[58]           J’aborderai brièvement la demande de versement d’une indemnité de 750 000 $ présentée par le demandeur et la demande d’adjudication des dépens de la défenderesse.

[59]           La Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages‑intérêts dans une demande de contrôle judiciaire; voir Lussier c Collin, [1985] 1 CF 124 (C.A.F.).

[60]           Il reste la question des dépens. La défenderesse, dans ses observations écrites et à l’audience, a sollicité les dépens. Le demandeur n’a pas expressément mentionné la question des dépens auxquels il pourrait être condamné.

[61]           Les parties peuvent présenter de brèves observations écrites sur la question des dépens, ces observations devant être signifiées et déposées dans les cinq (5) jours du présent jugement. Ces observations devront porter sur la question de savoir s’il y a lieu d’adjuger des dépens et, le cas échéant, sur la somme de ces dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties peuvent présenter de brèves observations écrites sur les dépens, ces observations devant être signifiées et déposées dans les cinq (5) jours du présent jugement. Ces observations devront porter sur la question de savoir s’il y a lieu d’adjuger des dépens et, le cas échéant, sur la somme de ces dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T‑2024‑14

 

INTITULÉ :

SCOTT ANDREW SHANNON c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 16 FÉVRIER 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Scott Andrew Shannon

(agissant pour son propre compte)

POUR LE DEMANDEUR

Robert Drummond

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le demandeur, agissant pour son propre compte

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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