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Date : 20150703


Dossier : IMM-5836-14

Référence : 2015 CF 821

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

YINGCHAN ZHOU

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Madame Zhou a demandé l’asile au Canada sur le fondement de sa crainte de persécution en tant qu’adepte du Falun Gong en Chine.

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a rejeté sa demande d’asile à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) le 15 juillet 2014, en concluant qu’elle n’était pas crédible. La demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision en vertu de l’article 72 de la Loi.

[3]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

Le contexte

[4]               Madame Zhou raconte que, pendant sa dernière année d’études en sciences infirmières, elle est devenue désillusionnée par la corruption dont elle était témoin à l’hôpital où elle étudiait, surtout à l’égard des pratiques d’embauche de l’hôpital. Elle a été embauchée, mais il a vraisemblablement fallu que ses parents versent un pot-de-vin à son employeur. Une collègue de travail lui a alors suggéré de pratiquer le Falun Gong pour retrouver un sentiment d’optimisme.

[5]               La demanderesse a appris le Falun Gong de Mme Wang et s’est jointe à son groupe de pratique.

[6]               Le 10 mai 2012, Mme Wang ne s’est pas présentée au travail. Le mari de Mme Wang a informé la demanderesse qu’elle avait été arrêtée et lui a conseillé d’entrer dans la clandestinité. La demanderesse affirme que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’est rendu chez elle le 15 mai 2012 pour l’arrêter et qu’il y est retourné à trois autres reprises.

[7]               La demanderesse soutient qu’avec l’aide d’un passeur et munie d’un visa américain elle a quitté la Chine pour se rendre à Seattle en passant par Dubaï, pour ensuite entrer au Canada à pied et se déplacer de Vancouver à Toronto, où elle a demandé l’asile en août 2012.

 

[8]               La demanderesse affirme que le BSP, qui était à sa recherche, a visité le domicile familial à douze occasions après son départ.

La décision de la Commission

[9]               La Commission a conclu que le récit de la demanderesse n’était pas crédible, en se fondant sur son témoignage incohérent et invraisemblable et sur l’insuffisance de preuve corroborante.

[10]           La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse sur la façon dont elle a obtenu son visa américain n’était pas conforme aux procédures opérationnelles qui régissent la délivrance de tels visas en Chine et a tiré une conclusion défavorable.

[11]           La Commission a conclu que, si le BSP cherchait à l’arrêter, il n’était pas vraisemblable qu’elle ait été en mesure de quitter la Chine au moyen de son propre passeport, en particulier en raison du projet « Bouclier d’or », une base de données intégrées qui contient de l’information sur les passeports et enregistre les noms des personnes qui entrent en Chine et en sortent. La Commission a conclu qu’il était raisonnable de croire que, si le BSP avait cherché à l’arrêter comme elle le prétendait, son nom aurait figuré dans cette base de données, et elle n’aurait pas pu quitter le pays au moyen de son propre passeport sans être détectée.

[12]           La Commission a souligné que le passeport de la demanderesse comportait une étampe de sortie, laquelle indiquait que son passeport avait été examiné.

[13]           La Commission a également conclu que le témoignage de la demanderesse sur le recours à un passeur pour obtenir son visa et faciliter sa sortie de la Chine sans être détectée n’était pas vraisemblable, en raison de l’existence du projet Bouclier d’or et du fait qu’elle avait conservé son visa et son passeport.

[14]           La Commission a également conclu que le témoignage de la demanderesse concernant son entrée à pied au Canada en provenance des États-Unis et sans incident était incompatible avec la prépondérance de la preuve documentaire.

[15]           La Commission a conclu que le BSP n’était pas à sa recherche. La demanderesse a témoigné que le BSP n’avait pas laissé de citation à comparaître ni de mandat à sa famille, ce qui est incompatible avec les documents sur la situation du pays. Bien qu’elle ait reconnu qu’une citation à comparaître ne sera pas toujours donnée, la Commission a conclu que, si la police avait visité son domicile au moins seize fois comme elle le prétendait, une citation à comparaître aurait été donnée.

[16]           La Commission a fait référence au témoignage de la demanderesse selon lequel aucun des membres de sa famille n’avait subi de conséquences négatives par suite de son omission de se présenter au BSP et a souligné que celui-ci était incompatible avec la preuve documentaire sur les pratiques exercées par les autorités chinoises.

[17]           Quant à la pratique du Falun Gong par la demanderesse, la Commission a fait état de sa conclusion antérieure selon laquelle la demanderesse n’était pas recherchée en tant qu’adepte du Falun Gong en Chine par le BSP. La Commission a ensuite conclu que la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong au Canada. Bien qu’elle ait été en mesure de répondre à la plupart des questions au sujet du Falun Gong, la Commission a conclu qu’il était possible qu’elle y soit parvenue pour renforcer sa demande d’asile. La Commission a accordé peu de poids aux lettres de soutien fournies par des adeptes présumés du Falun Gong au Canada, qui étaient toutes semblables, sans date ni certification, et qui n’indiquaient aucune appartenance à un organisme officiel.

[18]           Subsidiairement, la Commission a conclu que, si la demanderesse était une adepte du Falun Gong, elle ne ferait pas l’objet de persécution ni de préjudice à son retour en Chine. La Commission a examiné la preuve documentaire, notamment le document du Royaume-Uni intitulé Operational Guidance Note : China, qui explique que n’importe qui peut pratiquer ce culte seul, en privé et de façon discrète, sans courir de risque important. La Commission a conclu que le groupe de pratique de la demanderesse, formé de six membres, qui pratiquait en privé et en secret n’a pas été découvert par le BSP, et que ce dernier ne recherchait pas la demanderesse.

[19]           La décision de la Commission comprend également quelques passages qui font référence à une autre demande d’asile, sans lien avec celle de la demanderesse.

Les passages non pertinents dans la présente décision

[20]           Comme le signale la demanderesse, avec à l’appui un affidavit qui renvoie à une autre décision, il y a plusieurs paragraphes dans la présente décision qui sont exactement les mêmes que ceux qui figurent dans une autre décision de la Commission intéressant un autre demandeur. Il est également possible que les mêmes paragraphes figurent dans plusieurs autres décisions similaires.

[21]           En l’espèce, les erreurs évidentes qui renvoient à la demanderesse en tant qu’« il » ou « ils » et qui font mention de faits ou de témoignages qui ne sont pas liés à la présente demande donnent à penser que la Commission a utilisé un modèle tiré d’une décision similaire et qu’elle a inséré des paragraphes stéréotypés.

[22]           Comme l’a mentionné la juge Snider dans la décision Gomez Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, au paragraphe 24, [2009] ACF No 620 : « Si on suppose que les « extraits stéréotypés » sont basés sur la preuve documentaire et qu’ils traitent de la preuve et de la position particulière du demandeur, la reprise par la Commission de certains extraits d’autres décisions n’est pas en soi une erreur. »

[23]           À mon avis, lorsque la Commission examine des demandes similaires du même pays fondées sur les mêmes risques, il est compréhensible qu’elle fasse référence aux mêmes documents sur la situation du pays et qu’elle ne tente pas d’utiliser une formulation différente pour faire valoir un même point de vue ou résumer une même preuve documentaire ou un même principe juridique.

[24]           L’utilisation de paragraphes stéréotypés, même les non pertinents, ne constitue pas, en soi, un fondement pour juger une décision déraisonnable.

[25]           Cependant, il est essentiel que les phrases ou les paragraphes stéréotypés correspondent à l’examen fait par la Commission de la demande et du témoignage du demandeur en cause.

[26]           Dans la présente affaire, on trouve plusieurs paragraphes qui figurent dans l’autre décision sans lien avec celle-ci qui sont tout aussi pertinents et applicables à la demanderesse et à la décision de la Commission concernant sa demande.

[27]           Cependant, on trouve d’autres passages dans l’autre décision sans lien avec celle-ci qui ne sont pas pertinents à l’égard de la présente demanderesse. Il n’est pas surprenant que la demanderesse conteste de telles conclusions en faisant valoir que la Commission ne s’est pas penchée sur ses prétentions du fait qu’elle a utilisé « il » ou « ils » pour la désigner ou qu’elle lui a attribué un témoignage qui n’était pas le sien.

[28]           Par exemple, au paragraphe 22 de la décision, la Commission mentionne : « La demandeure d’asile a indiqué que, bien que le passeur ne l’ait pas accompagnée, il lui avait donné des directives sur la façon de passer à travers le processus de sortie de la Chine. La demandeure d’asile ajoute que le passeur avait des arrangements avec des agents de l’aéroport, qui l[es] aideraient à franchir les postes de sécurité sans être détectée. Elle indique qu’elle a pu éviter d’attirer l’attention des agents de l’aéroport parce qu’il avait payé un passeur, lequel avait à son tour payé des personnes à l’aéroport pour s’assurer que, même s’il n’était pas accompagné, il serait capable de franchir les postes de sécurité sans problème. À la lumière de l’analyse ci‑dessus concernant les mesures de sécurité mises en place au moyen du Bouclier d’or, le tribunal juge que la demandeure d’asile n’a pas fourni une explication vraisemblable quant à son départ de Chine. » [Non souligné dans l’original.]

[29]           La demanderesse a déclaré dans son témoignage qu’elle était accompagnée par un passeur. Peu importe que la Commission ait jugé ce témoignage crédible, la demanderesse n’a jamais mentionné qu’elle avait reçu des instructions sur la façon de sortir seule de l’aéroport. La demanderesse a témoigné que son passeur lui avait donné comme autres instructions précises de le suivre.

[30]           Au paragraphe 28, la Commission mentionne : « Non seulement les demandeurs d’asile n’ont pas fourni de citation à comparaître ou de mandat d’arrêt, mais ils n’ont pas non plus présenté de carte de visite de prison ni aucun autre document prouvant qu’il y a eu une descente ou qu’il est recherché par le PSB. » Ce passage n’a aucune incidence sur les faits de la présente affaire, qui visaient une demanderesse, aucune descente ni mention d’une carte de visite de prison de quiconque.

[31]           La Commission doit se montrer plus diligente lorsqu’elle emprunte des passages d’autres décisions. Un demandeur présentant un récit similaire devrait s’attendre à un examen similaire par la Commission et à ce que celle-ci se fonde sur la même preuve documentaire, mais il est important que la Commission examine la demande et la preuve du demandeur en cause. Une simple lecture permettrait d’éviter ces erreurs évidentes – en particulier lorsqu’« il », « elle » et « ils » se trouvent dans la même phrase, de manière illogique – et veillerait à ce que la décision reflète la demande intéressant le demandeur.

[32]           En l’espèce, comme il est précisé plus loin, malgré l’inclusion de passages non pertinents et les erreurs spécifiques, la décision dans l’ensemble, lorsque lue conjointement avec le dossier, en particulier avec la transcription qui fait voir l’examen de la Commission du témoignage de la demanderesse, est raisonnable. Les quelques conclusions relatives à la crédibilité sont justifiées par la preuve au dossier se rapportant à la présente demanderesse.

Les questions en litige

[33]           La demanderesse soutient que la Commission a commis des erreurs : en omettant d’examiner ses activités liées au Falun Gong en Chine; en tirant de la preuve des conclusions défavorables injustifiées quant à la crédibilité; en concluant qu’elle n’a pas établi son identité en tant qu’adepte du Falun Gong en Chine en raison de l’insuffisance de la preuve corroborante; en fondant sa décision sur des hypothèses ou des conjectures; en omettant d’examiner la demande sur place; et, en concluant qu’elle ne ferait pas l’objet de persécution ni de préjudice en Chine.

[34]           La demanderesse soutient également qu’en raison de l’inclusion par la Commission de paragraphes tirés d’une autre décision, notamment de certains paragraphes qui n’ont aucun rapport avec sa demande, la Commission n’a mené qu’une analyse superficielle. Cette question a été traitée plus haut.

La norme de contrôle

[35]           La norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait, y compris aux questions de crédibilité, et aux questions mixtes de fait et de droit.

[36]           La Cour doit donc déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir)). La Cour doit faire preuve de déférence envers le décideur et elle ne doit pas apprécier à nouveau la preuve.

[37]           Il est également bien établi que les commissions et les tribunaux administratifs sont particulièrement bien placés pour apprécier la crédibilité : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF). Les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission appellent une grande retenue : Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF No 1329; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté etde l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43.

[38]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 16, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur les critères de l’arrêt Dunsmuir, en mentionnant que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles », et que la cour « peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

La Commission a examiné les activités liées au Falun Gong exercées par la demanderesse en Chine et au Canada

[39]           La demanderesse fait valoir que la Commission est tenue d’effectuer un examen de ses activités liées au Falun Gong en Chine et au Canada (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1153, au paragraphe 7, [2008] ACF No 1433 (Wang)).

[40]           La demanderesse soutient que la Commission doit se demander si elle serait exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution en cas de retour en Chine (Salibian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250, au paragraphe 19, [1990] ACF No 454 (CAF)) et qu’elle doit seulement établir qu’elle appartient à un groupe susceptible d’être persécuté.

[41]           Le défendeur souligne que la Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité et n’était pas persuadée que la demanderesse est une adepte authentique du Falun Gong. Par conséquent, elle ne risquerait pas d’être persécutée.

[42]           Dans la décision Wang, la Cour a précisé au paragraphe 7 :

En se fondant sur les décisions Chen, Huang et Li, et après avoir soigneusement examiné le dossier du tribunal, y compris les transcriptions, j’estime que, dans l’ensemble, la conclusion de la Commission est déraisonnable. Le dossier renferme la preuve que des membres du Falun Gong ont été persécutés en Chine. La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse avait la capacité de quitter la Chine sans incident ne mène pas nécessairement à la conclusion que la demanderesse n’est pas, pas plus qu’elle n’a jamais été, une adepte du Falun Gong en Chine ou au Canada. En effet, malgré le fait que la Commission avait certains doutes sur la crédibilité des moyens de transport précis que la demanderesse avait utilisés pour quitter la Chine, un examen sur les activités liées au Falun Gong exercées par la demanderesse, tant en Chine qu’au Canada, était néanmoins nécessaire compte tenu de la preuve documentaire au dossier et du témoignage élaboré de la demanderesse sur cette question fondamentale de sa demande. L’omission de la Commission d’avoir fait un tel examen constitue une erreur susceptible de contrôle et justifie le réexamen de la demande de la demanderesse.

[43]           Dans les affaires citées dans la décision Wang (Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 132, [2008] ACF No 164; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 266, [2008] ACF No 338; et Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 480, [2002] ACF No 647), la Commission n’a pas tiré de conclusion selon laquelle le demandeur était un membre authentique ou pratiquant d’un groupe religieux. Dans la présente affaire, la Commission a clairement conclu que la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong.

[44]           Dans la décision Wang, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible, au motif qu’elle avait omis de produire une citation à comparaître pour son arrestation et que son témoignage au sujet de son départ de la Chine était incompatible avec la preuve documentaire. En l’espèce, la Commission a tiré des conclusions de crédibilité similaires ainsi plusieurs autres conclusions de crédibilité et a clairement conclu que « la demandeure d’asile n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le PSB cherche à l’arrêter parce qu’elle pratique le Falun Gong en Chine ».

Les conclusions concernant la crédibilité sont-elles raisonnables?

[45]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables à partir d’un témoignage qui lui a été attribué à tort. La demanderesse n’a pas témoigné sur la façon dont elle a obtenu son visa américain. Pourtant, la Commission a tiré une conclusion défavorable en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle le passeur avait obtenu son visa américain.

[46]           De la même façon, la Commission a attribué à tort à la demanderesse le témoignage sur la façon dont elle a été dirigée pour sortir de l’aéroport non accompagnée par un passeur. Pourtant, la demanderesse a témoigné qu’elle était accompagnée d’un passeur de la Chine aux É.-U. et d’un autre passeur des É.-U. au Canada.

[47]           La demanderesse soutient également que les conclusions de la Commission concernant son départ de la Chine sont incohérentes. La Commission a conclu que son départ sans être détectée et au moyen de son propre passeport n’était pas vraisemblable en raison de la base de données du projet Bouclier d’or. Cependant, la Commission a reconnu que certains passeurs contournent les mesures de sécurité aéroportuaires et que « dans certains cas, la police ne met pas l’information en commun ». La demanderesse prétend également que la Commission a commis une erreur en supposant que le timbre sur son passeport indiquait qu’il avait été examiné.

[48]           En outre, la demanderesse fait valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle une citation à comparaître aurait été donnée à sa famille si elle avait été recherchée est déraisonnable, vu que la Commission a reconnu qu’une citation à comparaître n’est pas toujours donnée.

[49]           La demanderesse soutient également que la Commission s’est fondée de manière sélective sur des aspects de la preuve documentaire en concluant que son témoignage, selon lequel sa famille n’avait pas subi de conséquences négatives, n’était pas compatible avec la preuve documentaire qui indiquait que sa famille aurait été victime de harcèlement, ou pire, si le BSP l’avait recherchée.

[50]           Le défendeur soutient que toutes les conclusions concernant la crédibilité étaient raisonnables, prises individuellement et cumulativement, et que le récit de la demanderesse ne correspondait pas à la preuve documentaire sur la situation du pays, notamment : elle a utilisé son propre passeport; le passeport contenait un timbre de sortie; si le BSP était à sa recherche, il aurait su qu’elle avait quitté le pays en raison du timbre de sortie; elle a conservé son passeport et son visa, ce qui est incompatible avec le recours à un passeur; elle a franchi la frontière canado‑américaine sans être détectée; aucune citation à comparaître ni mandat d’arrestation n’a été donné à sa famille malgré seize visites du BSP; sa famille n’a subi aucune conséquence négative; et, il n’y a pas de preuve corroborante à l’appui d’aucune des allégations de la demanderesse ni de l’arrestation de Mme Wang ou d’un autre membre du groupe de pratique.

[51]           Concernant le renvoi de la Commission au témoignage de la demanderesse au sujet du passeur et de son visa américain, le défendeur soutient que, bien que la demanderesse n’ait pas répondu à la question de savoir comment le passeur avait obtenu le visa, la Commission a eu raison de s’appuyer sur la documentation objective relative à la situation du pays.

[52]           Le défendeur soutient également que la Commission a eu raison de conclure que, si le BSP s’intéressait à la demanderesse, elle n’aurait pas été en mesure de quitter le pays en utilisant son propre passeport, avec ou sans passeur. En outre, le timbre dans le passeport indiquait que celui-ci avait été examiné à l’aéroport.

[53]           Compte tenu du témoignage de la demanderesse selon lequel le BSP l’aurait recherchée au moins à seize différentes occasions, le défendeur soutient qu’il était raisonnable de conclure qu’une citation à comparaître ou mandat d’arrestation aurait été délivré ou donné à sa famille, même si ceux-ci ne sont pas toujours délivrés.

[54]           De la même façon, compte tenu de la preuve documentaire sur la situation du pays qui révèle que les membres de la famille sont ciblés par les autorités, il était loisible à la Commission de conclure que l’absence de problème subi par la famille de la demanderesse affaiblissait la crédibilité de sa prétention.

[55]           Le défendeur souligne également que la Commission a tiré d’autres conclusions de crédibilité que la demanderesse n’a pas contestées, telles que celles reposant sur la conservation de son passeport et de son visa, et sur son témoignage selon lequel elle a été en mesure de franchir la frontière canado-américaine sans problème.

Les conclusions concernant la crédibilité sont raisonnables

[56]           Comme il est mentionné précédemment, les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission doivent faire l’objet d’une grande retenue.

[57]           La Commission a jugé que la preuve fournie par la demanderesse à l’appui de ses allégations de pratique du Falun Gong en Chine et de son départ pour venir au Canada était incohérente et invraisemblable, et contraire à la documentation objective relative à la situation du pays.

[58]           La Commission est bien placée pour apprécier la crédibilité et connaît bien la preuve documentaire relative à la situation du pays sur laquelle elle s’appuie lorsqu’elle examine des arguments de nature semblable. La Commission a eu raison de conclure que le récit de la demanderesse ne concordait pas avec la preuve documentaire objective relative à la situation du pays, par exemple, en ce qui concerne la probabilité de détection à l’aéroport si elle était recherchée par le BSP, la signification de citation à comparaître dans bien des cas, en particulier si le BSP l’a recherchée à seize occasions, le harcèlement ou autres conséquences aux membres de la famille des personnes qui sont recherchées par le BSP, et le timbre de sortie à titre d’indication que son passeport avait été examiné.

[59]           En outre, la Commission a eu raison de conclure que son témoignage était incompatible avec le recours à un passeur, étant donné qu’elle a conservé son passeport et son visa. Les conclusions de la Commission abordaient les deux aspects de sa prétention qui, selon celle-ci, étaient incompatibles avec la documentation relative à la situation du pays. Si elle a voyagé munie de son propre passeport et qu’elle était recherchée par le BSP, elle aurait été détectée à la sortie de l’aéroport. Si elle avait voyagé accompagnée d’un passeur, elle n’aurait probablement pas utilisé son propre passeport ni été en mesure de le conserver.

[60]           Bien qu’elle ait inséré des passages qui ne se rapportent pas à la présente demanderesse, la Commission a tiré des conclusions au sujet de la crédibilité suffisantes et claires qui justifient sa conclusion générale selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité.

La Commission a eu raison de conclure que la demanderesse n’a pas établi son identité en tant qu’adepte du Falun Gong en Chine

[61]           La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions au sujet de la crédibilité sur le seul fondement d’une preuve corroborante insuffisante (Ndjamena c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 452, au paragraphe 6, 227 ACWS (3d) 1137 (Ndjavera); Ismaili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 84, au paragraphe 43, [2014] ACF No 78 (Ismaili); et Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10, [2004] ACF No 62 (Amarapala)).

[62]           Cependant, les affaires sur lesquelles s’appuie la demanderesse, Ndjavera, Ismaili et Amarapala, mentionnent que la Commission commet une erreur en se fondant seulement sur l’insuffisance de preuve corroborante à l’égard de décisions relatives à la crédibilité, lorsqu’il y a aucun motif valable de douter de la crédibilité du demandeur.

[63]           En l’espèce, la Commission a clairement invoqué plusieurs motifs de douter de la crédibilité de la demanderesse, notamment en raison de ses allégations qui étaient incompatibles avec la documentation objective relative à la situation du pays sur lesquelles elle s’est appuyée, et en raison de nombreuses allégations, par exemple, sa capacité de quitter la Chine sans être détectée et de franchir la frontière canado-américaine sans problème, qui n’étaient pas vraisemblables.

[64]           La Commission a souligné que la documentation insuffisante pour étayer certains aspects des allégations de la demanderesse a suscité « certaines préoccupations » quant à la crédibilité générale de celle-ci. La Commission a alors reconnu que le témoignage d’un demandeur d’asile rendu sous serment est présumé véridique à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. La Commission a précisé qu’elle avait plusieurs raisons d’en douter et a énoncé clairement ses conclusions quant à la crédibilité fondées sur des incohérences et des invraisemblances.

La Commission n’a pas fondé sa décision sur des hypothèses

[65]           La demanderesse soutient que la Commission a fondé sa conclusion, selon laquelle elle aurait acquis ses connaissances du Falun Gong au Canada, sur de simples hypothèses ou conjectures.

[66]           De la même façon, la demanderesse fait valoir que la Commission a fondé sa conclusion subsidiaire, selon laquelle elle ne risquait pas d’être persécutée en Chine à son retour, sur de simples hypothèses ou conjectures. La demanderesse affirme que la Commission n’aurait pas dû se fonder sur la jurisprudence du R.-U. Le même document cité par la Commission fait aussi état du risque que courent les adeptes du Falun Gong en Chine. La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en omettant cette preuve contradictoire (Wei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 285, aux paragraphes 42 et 43, 112 ACWS (3d) 1128)

[67]           Je ne suis pas d’accord pour dire que les conclusions de la Commission reposent sur des hypothèses. La Commission a souligné que la demanderesse a été en mesure de répondre à la plupart des questions relatives à la pratique et à la philosophie du Falun Gong, mais elle a jugé qu’il était possible qu’elle ait acquis ses connaissances du Falun Gong au Canada pour renforcer sa demande. La Commission a accordé peu de poids aux lettres fournies par ses compagnons de pratique au Canada et a expliqué pourquoi. La Commission a également eu raison de conclure que, puisqu’elle a conclu que la demanderesse n’était pas une adepte en Chine, le BSP ne chercherait pas à la retrouver pour sa participation à des activités liées au Falun Gong en Canada.

[68]           La conclusion subsidiaire de la Commission, selon laquelle si elle était une adepte du Falun Gong elle pourrait recommencer à pratiquer en privé dans un petit groupe comme avant, appartient également aux issues raisonnables.

[69]           La Commission n’a pas omis la preuve documentaire contradictoire ni ne s’est appuyée que sur la jurisprudence du R.-U. La jurisprudence du R.-U. citée faisait partie d’un renvoi plus général à un passage d’un rapport du R.-U., qui était compris dans la preuve objective relative à la situation du pays.

[70]           La Commission a pris acte de la preuve documentaire en soulignant qu’un adepte du Falun Gong qui attire l’attention des autorités pourrait courir un risque. Cependant, la Commission a ajouté que le groupe dont faisait partie la demanderesse n’a pas été découvert et s’est appuyée sur sa conclusion antérieure selon laquelle le BSP n’était pas à la recherche de la demanderesse. La conclusion subsidiaire de la Commission n’est pas déraisonnable étant donné qu’elle repose sur des conclusions antérieures relatives à la crédibilité. La conclusion subsidiaire appartient aux issues raisonnables.

L’omission de la Commission d’examiner explicitement la demande sur place ne constitue pas une erreur

[71]           La demanderesse fait valoir que la Commission a commis une erreur en omettant d’examiner sa demande sur place en fonction de ses activités au Canada (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 749, 242 ACWS (3d) 909).

[72]           Le défendeur précise que la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible. Par conséquent, il était raisonnable que la Commission doute de la véracité de ses autres prétentions, y compris celle selon laquelle elle est désormais une adepte authentique du Falun Gong au Canada.

[73]           Le défendeur a cité la décision Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 998, au paragraphe 32, 221 ACWS (3d) 939 (Li), soulignant qu’un degré de preuve plus élevé devrait être imposé pour établir le bien-fondé d’une demande sur place lorsque le récit du demandeur est jugé non crédible.

[74]           Dans la présente affaire, on ne peut pas dire que la Commission n’a pas examiné sa demande sur place. La Commission a souligné qu’elle a accordé peu de poids aux lettres fournies par les compagnons de pratique de la demanderesse au Canada, et qu’il ne lui restait donc que son témoignage à examiner et évaluer.

[75]           La Commission a eu raison de conclure que la demanderesse n’est pas une adepte authentique du Falun Gong, ni au Canada ni en Chine, compte tenu de son manque de crédibilité et de l’insuffisance de sa preuve corroborative. La Commission n’était pas tenue d’en faire davantage dans son examen de la demande sur place puisqu’il n’existait pas d’allégation crédible à évaluer.

[76]           Dans la décision Li, la juge Gleason a mentionné, au paragraphe 32 :

Lorsque la SPR estime, comme en l’espèce, que l’assertion d’un demandeur selon laquelle il est victime de persécution religieuse à l’étranger est une fabrication, il est tout à fait raisonnable qu’elle exige un degré de preuve beaucoup plus élevé de la sincérité des croyances et des pratiques religieuses du demandeur pour établir le bien‑fondé d’une demande sur place que celui susceptible d’être exigé si le simple fait d’abandonner sa foi peut donner lieu à de la persécution ou si la Commission croit que le demandeur a été victime de persécution religieuse à l’étranger. Autrement, il serait bien trop facile d’obtenir gain de cause dans le cadre d’une demande d’asile frauduleuse : un demandeur malhonnête n’aurait qu’à se joindre à une église et à étudier sa religion pour présenter une demande sur place […]

[77]           Dans la décision Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 201 CF 595, [2012] ACF No 677, le juge Pinard a mentionné, relativement à une allégation de persécution par la demanderesse en raison de sa religion, au paragraphe 20 :

[…] Étant donné que le demandeur n’était pas considéré comme un chrétien pratiquant authentique, il n’était pas nécessaire que la Commission cherche à savoir si le demandeur serait exposé à un risque de persécution religieuse en Chine. Ainsi, il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle les activités religieuses du demandeur au Canada pourraient donner lieu à une réaction défavorable de la part des autorités chinoises s’il était forcé de retourner en Chine (voir Girmaeyesus c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 53, au paragraphe 28). De plus, le défendeur déclare avec raison qu’il serait absurde d’accueillir une demande d’asile sur place chaque fois qu’un pasteur fournit une lettre attestant l’adhésion d’un demandeur à son église.

[78]           La Commission a adopté une approche similaire en l’espèce; elle n’a pas jugé que la demanderesse était une adepte authentique du Falun Gong et, en conséquence, elle a conclu qu’elle ne pratiquerait pas le Falun Gong si elle retournait en Chine et ne ferait donc pas l’objet de persécution.

La Commission n’a pas commis une erreur en concluant que la demanderesse ne courait aucun risque de persécution ou de préjudice en Chine

[79]           La conclusion (subsidiaire) de la Commission selon laquelle la demanderesse peut pratiquer le Falun Gong en Chine sans risque était raisonnable et étayée par le témoignage de la demanderesse elle-même – dans lequel elle a affirmé avoir pratiqué discrètement et en privé dans un groupe de six personnes. La Commission a conclu que, même si la demanderesse est une adepte du Falun Gong, ni elle ni son groupe n’a été recherché ou découvert par le BSP dans le passé.

[80]           Je ne suis pas d’accord avec la prétention de la demanderesse selon laquelle la Commission a appliqué le mauvais critère en ce qui a trait à l’article 96 en concluant que la demanderesse « ne serait pas » exposé au risque de persécution.

[81]           L’interprétation a été confirmée dans de nombreuses affaires, notamment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, au paragraphe 8, [1989] ACF No 67 :

Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « chance raisonnable » signifient d’une part qu’il n’y a pas à y avoir une chance supérieure à 50 % (c’est-à-dire une probabilité), et d’autre part, qu’il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons que cela peut aussi être qualifié de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité.

[82]           La Commission a expressément conclu que la demanderesse « ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée […] ». [Non souligné dans l’original.] En plus d’exposer le critère correctement, les motifs pris dans leur ensemble démontrent que l’agent a bien appliqué le critère en évaluant le risque au regard de l’article 96 et en déterminant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait pas établi qu’elle ne serait pas exposée à une possibilité de persécution parce qu’elle n’a pas établi qu’elle pratiquait le Falun Gong.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5836-14

 

INTITULÉ :

YINGCHAN ZHOU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 3 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Nkunda I. Kabateraine

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alex Kam

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nkunda I. Kabateraine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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