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Date : 20150813


Dossier : IMM‑6839‑14

Référence : 2015 CF 967

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 août 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

DILSHOD ISMAILOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]            Le demandeur, Dilshod Ismailov, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 17 septembre 2014 par la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SAR), confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger (la décision de la SAR). La demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

Le contexte

[2]            L’historique qui suit est basé sur l’affidavit produit par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, le formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) qu’il a rempli, et les modifications qu’il a apportées à la partie narrative de son formulaire FDA.

[3]            Le demandeur est citoyen de l’Ouzbékistan et est âgé de 30 ans. En septembre 2006, il a commencé à travailler comme chef comptable pour une nouvelle entreprise de construction appartenant à la société Parvina (Parvina). Six mois plus tard, il a été promu au poste de directeur adjoint des finances et du commerce. M. Absurashid Abdusalyamov était son patron. En mai 2007, l’entreprise a obtenu de la banque Parvina un prêt ciblé de trois milliards de soums ouzbeks afin d’acheter cinquante nouveaux camions devant servir dans des projets de construction.

[4]            En novembre 2007, M. Abdusalyamov a réuni d’urgence les directeurs adjoints des entreprises appartenant à Parvina. Il leur a dit que Parvina faisait l’objet d’une enquête sérieuse et leur a conseillé de quitter le pays dès qu’ils le pouvaient. Lorsque le demandeur a informé M. Abdusalyamov du fait qu’il n’avait pas l’argent nécessaire pour quitter le pays, ce dernier lui a remis 2000 dollars américains. Le demandeur a présenté sa démission le même jour, et le jour suivant, il est parti à Moscou.

[5]            Le demandeur a passé deux ans à Moscou. Lorsqu’il téléphonait à la maison, son père lui disait qu’il était recherché par les autorités policières et qu’il serait risqué de rentrer. En novembre 2009, son père lui a dit qu’il s’était rendu, comme il le lui avait demandé, au bureau du ministère public pour expliquer que son fils était un tiers innocent par rapport à l’entreprise. Il a aussi remis au procureur la somme de 5000 dollars américains. Par la suite, la police a cessé d’importuner la famille du demandeur.

[6]            Le demandeur est rentré en Ouzbékistan en janvier 2010, mais comme il se sentait toujours menacé, il a renouvelé son passeport et demandé un visa de sortie qu’il a reçu plus tard au cours du mois. En avril 2012, le demandeur a eu vent de rumeurs qui laissaient entendre que M. Abdusalyamov avait été appréhendé au Kazakhstan et que l’Ouzbékistan avait demandé son extradition. Inquiété par cette nouvelle, le demandeur a renouvelé son visa de sortie, qu’il a reçu en juillet 2012.

[7]            En janvier 2013, le ministère public a rouvert le dossier Parvina et le demandeur a été convoqué à une rencontre au cabinet du procureur. L’agent chargé de l’interrogatoire lui a posé des questions au sujet de son rôle au sein de Parvina et de celui de M. Abdusalyamov. Le lendemain, le demandeur s’est à nouveau présenté au cabinet du procureur, comme on l’en avait prié, et a été interrogé au sujet de l’emprunt, auprès de la banque Parvina, des trois milliards de soums ouzbeks qui ont servi à l’achat de camions. Lorsqu’on lui a demandé s’il savait qu’une fraude financière était à l’origine du prêt, le demandeur a répondu qu’à sa connaissance, il avait été contracté légalement.

[8]            Après avoir informé le demandeur qu’il devait rendre les trois milliards de soums ouzbeks, à défaut de quoi il risquait dix‑huit années de prison pour sa participation aux activités de l’entreprise, l’agent lui a proposé de conclure un marché en échange de son témoignage contre M. Abdusalyamov, à être livré suivant ses consignes. Le demandeur a été prié de se représenter le lendemain matin. Lors de cette rencontre, le demandeur a dit à l’agent qu’il ne témoignerait pas contre son ancien patron parce que celui‑ci n’avait rien fait d’illégal et que le prêt était légitime. Mécontent de cette réponse, l’agent a prévenu le demandeur qu’il pouvait facilement l’inculper et le détenir, en raison des fonctions qu’il exerçait au sein de l’entreprise et du fait que de nombreux cadres ayant occupé des postes élevés comme le sien au sein d’autres sociétés appartenant à Parvina avaient déjà été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de dix à dix‑huit ans. L’agent a ensuite autorisé le demandeur à partir en le priant de revenir le lendemain, mais le demandeur ne s’est jamais représenté.

[9]            Après cette dernière rencontre, le demandeur s’est mis à la recherche d’un moyen de quitter l’Ouzbékistan. Il a fini par obtenir un visa de séjour de l’ambassade du Canada à Moscou et, le 10 mars 2013, il a fui l’Ouzbékistan. Le jour de son arrivée au Canada, il a rencontré un avocat qui lui a dit qu’il pouvait présenter une demande d’asile, ce qu’il a fait. Il affirme avoir besoin de protection parce qu’il craint d’être soumis à la torture et à une peine cruelle et inusitée par le bureau du procureur de l’Ouzbékistan du fait de son refus de collaborer à l’enquête menée sur son ancien patron.

[10]        La SPR a procédé à l’instruction de la demande d’asile du demandeur le 19 novembre 2013. À l’issue de l’audience, elle a rejeté la demande, ayant jugé que le récit du demandeur n’était pas crédible. En janvier 2014, le demandeur a fait appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans une décision datée du 16 avril 2014, celle‑ci a accueilli l’appel. Le 1er mai 2014, le ministre a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAR, puis une requête pour l’obtention d’une ordonnance faisant droit à la demande. Le 3 juin 2014, du consentement des parties, la juge Heneghan a décerné l’ordonnance demandée et l’affaire a été renvoyée devant la SAR en vue d’un réexamen.

[11]        Le 17 septembre 2014, dans le cadre d’un nouvel examen, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR, par suite de laquelle le demandeur a déposé la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision de la SAR.

La décision de la SPR

[12]        La SPR a prononcé sa décision de vive voix le 19 novembre 2013. Elle a conclu à l’absence de lien entre la demande d’asile du demandeur et l’un des cinq motifs de reconnaissance du statut de réfugié prévus par la Convention. Elle a aussi rejeté l’hypothèse voulant que des opinions politiques aient pu être imputées au demandeur, car la crainte de ce dernier n’était pas fondée sur ses opinions politiques : elle découlait de ses anciens liens avec Parvina. En conséquence, la SAR a examiné la demande d’asile du demandeur uniquement en fonction de l’article 97 de la LIPR.

[13]        La SPR a estimé que ce qui était déterminant en l’espèce était la crédibilité du demandeur, et son évaluation l’a amenée à tirer un certain nombre de conclusions défavorables à cet égard.

[14]        La SPR a noté qu’au cours de son témoignage le demandeur avait déclaré que des policiers s’étaient rendus à la maison de ses parents, en Ouzbékistan, après son départ du pays, en mars 2013. Or, le demandeur n’avait pas mentionné ces visites de la police dans la partie narrative de son formulaire FDA, et l’explication qu’il a fournie pour justifier cette omission, à savoir qu’il craignait que l’information se rende jusqu’à son pays d’origine, a été jugée déraisonnable par la SPR compte tenu des nombreux détails figurant déjà dans le formulaire. La SPR en a donc tiré une conclusion défavorable.

[15]        La SPR a également jugé défavorablement l’incapacité du demandeur de donner des détails au sujet des visites de la police. Le demandeur a déclaré qu’il n’en avait jamais discuté avec ses parents parce que ceux‑ci trouvaient difficile de parler de sa situation actuelle. La SPR a jugé l’explication invraisemblable et elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la police n’avait pas rendu visite à ses parents après l’arrivée du demandeur au Canada. Il s’agissait d’un aspect névralgique de la demande d’asile, parce qu’elle se rapportait à la crainte du demandeur d’être arrêté s’il rentrait en Ouzbékistan. 

[16]        L’incapacité du demandeur de se rappeler les détails de ses visites au bureau du procureur en janvier 2013, notamment les dates exactes des rencontres, a amené la SPR à tirer une troisième conclusion défavorable. La SPR a, en effet, jugé particulièrement troublants les trous de mémoire du demandeur, étant donné qu’il avait fourni des détails très précis sur cette question dans la partie narrative de son formulaire FDA. Le demandeur a expliqué qu’il n’arrivait pas à se remémorer ces détails parce qu’il était nerveux, mais la SPR n’a pas retenu cette explication. Selon elle, il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait des souvenirs plus précis concernant sa demande d’asile puisqu’il avait donné beaucoup de renseignements dans son formulaire FDA, et que les rencontres en question étaient la raison même pour laquelle il avait décidé de fuir.

[17]        La SPR a aussi tiré une conclusion défavorable fondée sur le fait que le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’après sa troisième rencontre avec le procureur, celui‑ci lui avait dit de revenir la semaine suivante, alors que dans son formulaire FDA, il avait écrit qu’il lui avait demandé de revenir le lendemain.

[18]        Enfin, la SPR a pris note du fait que le demandeur était incapable de fournir une raison valable pour expliquer pourquoi les autorités ouzbèkes l’ont laissé entrer et sortir librement du pays après sa dernière rencontre avec le procureur. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait été en mesure de voyager parce qu’il ne faisait l’objet d’aucune accusation criminelle, qu’il s’agissait d’une [traduction] « vaste » enquête et qu’il n’était pas la seule personne visée par celle‑ci, mais la SPR a estimé que si l’enquête était aussi importante qu’il le prétendait et qu’effectivement le demandeur ne s’était pas présenté, comme demandé, à la troisième rencontre, les autorités ouzbèkes ne l’auraient pas laissé partir librement.

[19]        Pour tous ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas été interrogé et n’était pas recherché par le bureau du procureur de l’Ouzbékistan en 2013.

[20]        La SPR a en outre conclu que, si le demandeur était réellement exposé à un risque d’arrestation en raison de la situation qu’il avait décrite, et si cinquante‑neuf autres employés avaient été arrêtés depuis 2008, les autorités ouzbèkes auraient pris des mesures à son endroit entre 2010 et 2013.

[21]        La SPR a par conséquent rejeté la demande d’asile du demandeur.

La décision faisant l’objet du contrôle — La décision de la SAR

[22]        Devant la SAR, le demandeur a présenté onze articles de presse à titre de nouveaux éléments de preuve. La SAR s’est posé la question de savoir si ces éléments de preuve étaient admissibles en application du paragraphe 110(4) de la LIPR. Elle a conclu que dans la mesure où une preuve nouvelle remplissait les conditions du paragraphe 110(4), il lui fallait ensuite tenir compte des critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], pour juger de son admissibilité.

[23]        La SAR a conclu qu’en ce qui concerne la plupart des articles les exigences légales n’étaient pas remplies puisqu’ils étaient antérieurs au 19 novembre 2013, date du rejet de la demande d’asile, et que le demandeur aurait raisonnablement pu les obtenir avant cette date.

[24]        En ce qui concerne les trois articles restants, qui remplissaient les exigences légales, la SAR a évalué leur admissibilité au regard des critères de l’arrêt Raza : nouveauté, crédibilité, pertinence et caractère substantiel. Elle a conclu qu’aucun des nouveaux éléments de preuve ne pouvait être admis. Puis, après avoir passé en revue le rôle qui lui incombait dans le cadre de l’examen de la décision de la SPR, elle a conclu qu’elle devait procéder à une évaluation indépendante de la preuve, comme l’explique le juge Phelan, aux paragraphes 54 et 55 de la décision Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799.

[25]        À cet égard, la SAR s’est d’abord demandé si la SPR avait commis une erreur en interprétant le terme « opinion politique » de manière restrictive. Sur ce point, la SAR a jugé que même si la SPR avait conclu à l’existence d’un lien entre la crainte éprouvée par le demandeur du fait qu’il avait pris part aux activités de Parvina et ses opinions politiques, réelles ou imputées, le résultat aurait été le même, vu les conclusions auxquelles elle était arrivée en matière de crédibilité.

[26]        La SAR s’est ensuite penchée sur l’évaluation que la SPR avait faite de la crédibilité du demandeur. Concernant le témoignage qu’il avait donné au sujet des visites effectuées par la police à son domicile après son départ de l’Ouzbékistan ainsi que son défaut d’y faire allusion dans son formulaire FDA, le demandeur a déclaré à la SAR que ses parents et lui n’avaient pas parlé de ces visites dans le détail lors de leur conversation téléphonique, car la mise sous écoute était une pratique courante en Ouzbékistan. Toutefois, la SAR a signalé qu’elle avait écouté l’enregistrement audio de l’audience, et que le demandeur y déclarait que ses parents ne voulaient pas discuter de l’affaire, mais ne disait rien au sujet de l’écoute téléphonique. Elle en a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans ses conclusions et aussi, qu’il aurait été raisonnable, de la part du demandeur, de consigner l’information relative aux visites dans la partie narrative de son formulaire FDA, car cette conduite indiquait que les recherches se poursuivaient. Selon la SAR, la SPR avait donc apprécié correctement la preuve en arrivant à la conclusion que les visites de la police n’avaient pas réellement eu lieu. En revanche, la SAR a aussi jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant à l’invraisemblance de l’explication sur la base du fait que le demandeur n’avait pas discuté des visites avec ses parents.

[27]        En ce qui a trait à son incapacité à se rappeler les dates exactes de ses rencontres avec le procureur, le demandeur a fait valoir, devant la SAR, que cela ne devrait pas jouer contre lui. Toutefois, la SAR n’était pas du même avis : elle a rappelé que cette information constituait un aspect important de la demande d’asile en ce sens que le demandeur craignait les mesures que le procureur pourrait prendre à son endroit, et que cela avait apparemment mené à son départ de l’Ouzbékistan. La SAR a relevé le fait que dans l’enregistrement audio dont elle a pris connaissance, la SPR signalait que le demandeur n’avait eu aucun mal à se rappeler d’autres dates, alors qu’il peinait à se souvenir des événements mêmes qui avaient mené à son départ.

[28]        La SAR a aussi conclu que la SPR avait convenablement évalué le témoignage du demandeur concernant les dernières instructions du procureur. Elle a jugé qu’à l’audience, le demandeur s’était contredit parce qu’il avait d’abord déclaré qu’au terme de la troisième visite, le procureur lui avait dit qu’il lui téléphonerait au besoin alors que dans son formulaire FDA il a écrit qu’on lui avait dit de revenir le lendemain.

[29]        Vu ces conclusions, la SAR a convenu avec la SPR que la déclaration du demandeur voulant qu’il ait été pourchassé par le procureur n’était pas crédible, d’autant plus qu’il était incapable de se rappeler les détails des événements qui l’avaient poussé à fuir l’Ouzbékistan et qui touchaient au cœur même de sa demande d’asile. Enfin, la SAR a adhéré à la conclusion de la SPR quant à l’absence de crédibilité du demandeur en ce qui a trait à son départ d’Ouzbékistan dans les circonstances alléguées.

[30]        Devant la SAR, le demandeur a aussi fait valoir que la SPR avait ignoré le risque auquel il était exposé en tant qu’employé haut placé d’une société faisant l’objet d’une enquête en Ouzbékistan et qu’elle avait négligé d’examiner la preuve documentaire sur ce point. La SAR a conclu que du fait que la SPR avait tiré d’importantes conclusions défavorables en matière de crédibilité, elle n’était pas tenue de prendre en compte ce risque, puisqu’en définitive, elle avait conclu que le demandeur n’était pas recherché par le bureau du procureur et qu’il ne serait donc pas exposé à un risque s’il rentrait au pays. La SAR a convenu que la SPR avait accepté certains faits se rapportant au poste occupé par le demandeur à Parvina ainsi qu’au scandale auquel était mêlée cette société, mais elle a noté que la SPR entretenait des doutes quant au risque qu’il courait à son retour, et quant aux événements ayant provoqué son départ et ceux qui se seraient produits depuis lors.

[31]        Par ailleurs, pour étayer l’argument selon lequel une personne exposée à un risque d’interrogatoire en Ouzbékistan ne devrait pas y être renvoyée, le demandeur a aussi déposé devant la SAR une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (la CEDH). La SAR a toutefois estimé qu’elle n’était pas liée par la jurisprudence étrangère et qu’il ne lui était donc pas nécessaire d’examiner cette décision. De plus, puisqu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas pourchassé, la possibilité qu’il soit soumis à un interrogatoire à son retour n’était pas pertinente. Pour appuyer cette conclusion, la SAR a rappelé que la SPR avait relevé à juste titre que d’autres personnes se trouvant dans la même situation que le demandeur avaient été emprisonnées en 2008, mais que les autorités n’avaient pris aucune mesure à l’endroit du demandeur entre 2010 et 2013.

[32]        Pour tous ces motifs, la SAR a conclu que les conclusions de la SPR se fondaient sur des éléments importants de la demande d’asile. Elle a aussi conclu qu’elle serait arrivée aux mêmes conclusions que la SPR, au vu de la preuve dont cette dernière disposait. 

Les questions en litige

[33]        À mon sens, les questions qui se posent en l’espèce sont les suivantes :

1.      La SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur?

2.      La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation indépendante au regard de l’article 97 de la LIPR?

3.      La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

La norme de contrôle

[34]        Lorsqu’elle évalue de nouveaux éléments de preuve, la SAR doit interpréter le paragraphe 110(4) – et notamment déterminer si les critères de l’arrêt Raza devaient s’appliquer – et l’appliquer aux faits de l’espèce. Je souscris au raisonnement exposé par la juge Gagné dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022 [Singh] : l’interprétation que fait la SAR du paragraphe 110(4) n’est pas une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ou qui déborde le cadre de sa compétence spécialisée. Il convient donc de recourir à la norme de la décision raisonnable pour contrôler tant l’interprétation du paragraphe 110(4) que son application (Singh, aux paragraphes 41 et 42). Ainsi, la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique à la première question en litige.

[35]        En ce qui a trait aux deuxième et troisième questions en litige, la décision de la SAR de ne pas procéder à l’examen d’éléments de preuve documentaire objectifs se rapportant à la demande d’asile fondée sur l’article 97 est une question mixte de fait et de droit (Acosta c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 213 aux paragraphes 9 à 11; Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31 au paragraphe 7). L’appréciation par la SAR de la preuve se rapportant à la crédibilité du demandeur et les conclusions qu’elle en tire sont quant à elle des questions de fait qui commandent la retenue judiciaire et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 53). Compte tenu de la décision qui sera rendue en l’espèce, dont la teneur sera exposée plus loin dans les motifs, il n’est pas nécessaire de traiter ici du rôle qui incombe à la SAR lorsqu’elle examine une décision de la SPR.

Les dispositions législatives

[36]        La disposition applicable de la LIPR est le paragraphe 110(4), ainsi libellé :

110. (1) Sous réserve des paragraphes (1.1) et (2), la personne en cause et le ministre peuvent, conformément aux règles de la Commission, porter en appel — relativement à une question de droit, de fait ou mixte — auprès de la Section d’appel des réfugiés la décision de la Section de la protection des réfugiés accordant ou rejetant la demande d’asile.

110. (1) Subject to subsections (1.1) and (2), a person or the Minister may appeal, in accordance with the rules of the Board, on a question of law, of fact or of mixed law and fact, to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division to allow or reject the person’s claim for refugee protection.

[...]

[...]

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[37]        Les dispositions pertinentes des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR], sont reproduites ci‑dessous :

29. (1) La personne en cause qui ne transmet pas un document ou des observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique ne peut utiliser ce document ou transmettre ces observations écrites dans l’appel à moins d’une autorisation de la Section.

29. (1) A person who is the subject of an appeal who does not provide a document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record must not use the document or provide the written submissions in the appeal unless allowed to do so by the Division.

(2) Si la personne en cause veut utiliser un document ou transmettre des observations écrites qui n’ont pas été transmis au préalable, elle en fait la demande à la Section conformément à la règle 37.

(2) If a person who is the subject of an appeal wants to use a document or provide written submissions that were not previously provided, the person must make an application to the Division in accordance with rule 37.

(3) La personne en cause inclut dans la demande pour utiliser un document qui n’avait pas été transmis au préalable une explication des raisons pour lesquelles le document est conforme aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et des raisons pour lesquelles cette preuve est liée à la personne, à moins que le document ne soit présenté en réponse à un élément de preuve présenté par le ministre.

(3) The person who is the subject of the appeal must include in an application to use a document that was not previously provided an explanation of how the document meets the requirements of subsection 110(4) of the Act and how that evidence relates to the person, unless the document is being presented in response to evidence presented by the Minister.

(4) Pour décider si elle accueille ou non la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(4) In deciding whether to allow an application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel;

(b) any new evidence the document brings to the appeal; and

c) la possibilité qu’aurait eue la personne en cause, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document ou les observations écrites avec le dossier de l’appelant, le dossier de l’intimé ou le dossier de réplique.

(c) whether the person who is the subject of the appeal, with reasonable effort, could have provided the document or written submissions with the appellant’s record, respondent’s record or reply record.

Observations et analyse

Première question : la SAR a‑t‑elle commis une erreur en rejetant les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur?

Les observations du demandeur

[38]        Le demandeur soutient que les nouveaux éléments de preuve sont pertinents et qu’ils revêtent un caractère substantiel en ce sens qu’ils auraient eu une incidence sur l’issue de la décision de la SPR. En outre, les éléments de preuve nouveaux qui ont été publiés après le rejet de la demande d’asile du demandeur n’étaient pas normalement accessibles lors de l’audience devant la SPR. Quant aux articles publiés avant l’audience, ils ont été déposés en réponse aux conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité : le demandeur ne les aurait donc pas normalement présentés à la SPR.

[39]        Enfin, le demandeur affirme que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en négligeant de tenir compte de la décision de la CEDH, qui traitait du risque auquel étaient exposées les personnes ayant le profil du demandeur en Ouzbékistan. La SAR était tenue d’examiner et d’évaluer cette décision conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR.

Les observations du défendeur

[40]        Le défendeur soutient que la SAR a eu raison d’écarter les nouveaux éléments de preuve postérieurs à la demande d’asile du demandeur en se fondant sur les critères énoncés dans l’arrêt Raza. En effet, c’est à la SPR qu’appartient généralement le privilège d’apprécier l’ensemble des preuves présentées par le demandeur d’asile. Ensuite, les critères de l’arrêt Raza – nouveauté, crédibilité, pertinence et caractère substantiel – s’appliquent de manière générale à tout exercice d’appréciation de la preuve, et l’universalité de ces principes n’est pas compromise par le fait qu’ils ont été appliqués dans un contexte décisionnel différent. Enfin, le rôle de la SAR se limite pour ainsi dire à effectuer un examen sur dossier de la décision de la SPR; en effet, elle n’a pas pour rôle d’offrir une deuxième chance aux demandeurs d’asile déboutés en leur permettant de remédier aux lacunes du dossier de preuve présenté à la SPR.

[41]        Le défendeur reconnaît que dans la décision Singh, la juge Gagné a conclu que la SAR n’a pas appliqué de façon raisonnable les critères de l’arrêt Raza aux fins de l’interprétation du paragraphe 110(4). Toutefois, le défendeur estime qu’une distinction peut être établie par rapport à la décision Singh, car dans cette affaire, la juge Gagné a accepté l’affirmation du demandeur, selon laquelle il avait cru à tort que les nouveaux éléments de preuve avaient été transmis à la SPR, et de ce fait jugé qu’il n’était pas raisonnable de la part de la SAR de conclure que le demandeur aurait dû produire ces éléments de preuve devant la SPR. Par contraste, dans la présente affaire, le demandeur n’a pas été en mesure de donner un motif valable pour expliquer pourquoi il n’avait pas fourni à la SPR les documents antérieurs à l’audience.

[42]        À titre subsidiaire, et indépendamment du fait que la SAR a appliqué les critères de l’arrêt Raza, le défendeur soutient que le résultat de l’appréciation des nouveaux éléments de preuve par la SAR était raisonnable. La SAR a en effet exclu à juste titre les huit documents antérieurs au rejet de la demande d’asile du demandeur parce qu’ils étaient alors normalement disponibles et qu’en conséquence, les exigences du paragraphe 110(4) n’étaient pas remplies, comme l’a conclu la SAR au paragraphe 10 de sa décision. Le demandeur a fait valoir qu’ils avaient été présentés en réponse aux conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité, mais cet argument ne suffit pas pour le dispenser de démontrer, comme l’exige la Loi, qu’il ne les « aurait pas normalement présentés » au moment où la SPR a rejeté sa demande d’asile.

[43]        Le défendeur ajoute que l’admission des preuves postérieures au rejet de la demande d’asile n’aurait pas eu d’incidence sur l’issue de l’affaire. L’analyse effectuée par la SAR montre pourquoi aucun de ces éléments de preuve ne permet de corroborer les allégations du demandeur quant au risque auquel il serait exposé. La SAR a rejeté le premier article, à juste titre, parce qu’il se rapportait à l’identité du patron du demandeur, un aspect qui ne lui était d’aucune utilité pour évaluer les conclusions défavorables tirées par la SPR quant à la crédibilité. La SAR a aussi eu raison de rejeter les deuxième et troisième articles au motif qu’ils ne satisfaisaient pas au critère de crédibilité. Il était en effet raisonnablement loisible à la SAR de tirer cette conclusion.

[44]        Enfin, le défendeur soutient que la SAR était autorisée à rejeter la décision de la CEDH, car cette décision ne lie pas les tribunaux canadiens (Abdulla Farah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1149 au paragraphe 19 [Farah]; Ince c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 249 au paragraphe 11).

Analyse

a)                  Les articles antérieurs au rejet de la demande d’asile

[45]        La demande d’asile du demandeur a été rejetée le 19 novembre 2013. Huit des onze articles de presse qu’il a déposés devant la SAR comme nouveaux éléments de preuve ont été publiés avant cette date. Pour conclure que ces articles n’étaient pas admissibles du fait qu’ils étaient raisonnablement accessibles au demandeur avant le rejet de sa demande d’asile, la SAR s’est fondée sur une interprétation stricte du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[46]        Or, le demandeur soutient que les articles en question satisfaisaient aux exigences légales, puisqu’il ne les aurait pas normalement présentés à la SAR étant donné qu’il entendait les utiliser pour dissiper les doutes exprimés par cette dernière quant à sa crédibilité. Le défendeur, quant à lui, estime que cette explication ne satisfait pas aux critères du paragraphe 110(4).

[47]        Si on suppose, aux fins de l’analyse, que l’argument du demandeur constitue une explication raisonnable – et je ne suis pas du tout certaine que ce soit le cas –, il faut se demander si ces articles constituent réellement une réponse aux réserves formulées par la SPR sur la question de la crédibilité, réserves qui concernent de façon générale la déclaration du demandeur selon laquelle il était recherché par le bureau du procureur en Ouzbékistan. Sur ce point, ces articles, pour l’essentiel, n’ont aucun lien direct avec les réserves de la SPR en matière de crédibilité, car ils ne disent rien au sujet des circonstances particulières entourant les allégations du demandeur. Ils se rapportent plutôt, en gros, au traitement que réservent les autorités ouzbèkes aux dissidents politiques ainsi qu’au traitement des employés ayant travaillé pour de grandes sociétés de médias visées par des enquêtes. 

[48]        Ces articles confirment bel et bien le fait que le bureau du procureur a pour pratique de tenir des [traduction] « rencontres informelles » lors desquelles de présumés dissidents sont interrogés au sujet de leurs activités, mais ils ne traitent pas spécifiquement du sort des personnes ayant pris part aux activités de la société à laquelle a appartenu le demandeur ni du scandale allégué.

[49]        Plusieurs des articles font allusion à la façon dont les autorités traitent les employés d’autres sociétés ouzbèkes mêlées à des scandales fiscaux ou des détournements de fonds. Ainsi, dans l’article intitulé « Uzdunrobita managers convicted, MTS subsidiary now owned by the government » [Les gestionnaires de Uzdunrobita reconnus coupables : la filiale de MTS est désormais la propriété du gouvernement], qui date du 18 septembre 2012, on peut lire que les employés d’une société visée par une enquête [traduction] « ont été menacés et soumis à d’intenses pressions psychologiques destinées à les amener à s’auto‑incriminer ».

[50]        Il n’en demeure pas moins que ces articles ne traitent pas du scandale auquel était mêlé l’ancien employeur du demandeur. Ils ne suffisent pas non plus, selon moi, à écarter les conclusions particulières de la SPR en matière de crédibilité, qui reposaient sur le défaut du demandeur de mentionner dans son formulaire FDA les visites effectuées par la police au domicile de ses parents et sur son témoignage contradictoire concernant l’interrogatoire qu’il aurait lui‑même subi au bureau du procureur. Lorsqu’elle a évalué la crédibilité du demandeur, la SPR n’a pas forcément remis en question le fait que des [traduction] « rencontres informelles » avaient lieu, même si en fin de compte, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, et sur le fondement de ses doutes en matière de crédibilité, qu’il n’avait pas été interrogé et n’était pas recherché par le bureau du procureur. Au contraire, la SPR a estimé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible parce qu’il ne pouvait se rappeler les détails précis de ces rencontres. La SAR est arrivée à la même conclusion.

[51]        Ainsi, peu importe que l’argument du demandeur soulève à une explication raisonnable au sens du paragraphe 110(4) et que les critères de l’arrêt Raza s’appliquent ou non, il reste que ces articles ne répondent tout simplement pas aux préoccupations particulières soulevées par la SPR sur la question de la crédibilité et ne sont donc pas pertinents quant au résultat de l’affaire, étant donné que la crédibilité a été un facteur déterminant dans la décision de la SAR. De plus, bien que le demandeur présente ces articles comme étant une réponse aux réserves exprimées par la SPR quant à la crédibilité, et ce, afin de tenter d’expliquer pourquoi il était normal qu’il ne les ait pas produits devant la SPR, ces articles illustrent de manière générale les techniques d’enquête employées par le bureau du procureur de l’Ouzbékistan. Il s’ensuit, comme le souligne la SAR, qu’ils confirment les dires du demandeur à cet égard. Il était donc raisonnable que la SAR conclue que le demandeur aurait normalement dû produire ces articles à l’audience devant la SPR.

[52]        Toutefois, au moins deux des articles ne sont pas visés par l’analyse qui précède. Comme le soutient le demandeur, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il prévoit que la SPR remettrait en question le fait qu’il ait été capable de sortir de l’Ouzbékistan sans être inquiété, en dépit de l’enquête que le bureau du procureur menait à son sujet. Or, comme on peut le constater dans les articles intitulés « Uzbekistan: Ferghana Journalist is Being Persecuted for his Help to Artists” [Ouzbékistan : un journaliste de Ferghana est persécuté pour avoir aidé des artistes] et « Special Security Services of Uzbekistan Compiling Dossiers on Independent Journalists” [Les services spéciaux de sécurité de l’Ouzbékistan montent des dossiers sur des journalistes indépendants], certaines personnes visées par des enquêtes ont été en mesure de quitter le pays, ou même autorisées à le faire. J’ajouterais qu’un autre article, « Uzbekistan: Slander Conviction a Dangerous Assault on Artists » [Ouzbékistan : condamnation pour diffamation, une dangereuse atteinte à la liberté des artistes], semble étayer ce point de vue.

[53]        À mon sens, il n’était pas raisonnable que la SAR conclue que le demandeur aurait normalement dû présenter ces articles à la SPR, car il ne pouvait pas prévoir que celle‑ci considérerait comme suspect le fait qu’il avait pu quitter le pays. De plus, les articles vont directement à l’encontre de la conclusion de la SPR sur ce point et de l’inférence défavorable qu’elle en a tirée en matière de crédibilité. Lorsqu’elle a examiné la conclusion de la SPR selon laquelle les autorités ouzbèkes n’auraient pas laissé le demandeur voyager librement hors du pays si l’enquête avait été aussi importante qu’il le prétendait et s’il ne s’était pas présenté au bureau du procureur comme on le lui avait demandé, la SAR a déclaré qu’en l’absence de preuve contraire, cette conclusion de la SAR en matière de crédibilité était logique. Or, le nouvel élément de preuve était précisément cela : une preuve contraire.

b)                  Les articles postérieurs au rejet de la demande d’asile

[54]        En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve postérieurs au rejet de la demande d’asile du demandeur, deux questions se posent. D’abord, était‑il raisonnable de la part de la SAR d’appliquer les critères de l’arrêt Raza pour juger de l’admissibilité de ces éléments de preuve? Le cas échéant, la SAR a‑t‑elle eu raison de conclure que ces éléments de preuve devaient être écartés parce qu’ils n’étaient pas soit pertinents, soit crédibles?

[55]        Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la question de l’interprétation à donner à l’alinéa 113a) de la LIPR, qui énonce les conditions d’admissibilité d’éléments de preuve nouveaux dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Au paragraphe 13, la Cour d’appel conclut :

[...] L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

5. Conditions légales explicites :

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les concidérer [sic].

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[56]        Bien que le libellé du paragraphe 110(4) soit pratiquement identique à celui de l’alinéa 113a), il existe actuellement deux courants jurisprudentiels au sein de la Cour sur la question de savoir s’il est légitime d’appliquer les critères énoncés dans l’arrêt Raza dans le contexte particulier des affaires dont est saisie la SAR. D’une part, comme le signale le défendeur, dans la décision Singh, la juge Gagné a conclu que les critères de l’arrêt Raza ne s’appliquaient pas dans les affaires devant la SAR pour plusieurs raisons (aux paragraphes 48 à 55). Elle rappelle que, contrairement à l’agent d’ERAR, la SAR est un tribunal administratif quasi judiciaire dont le rôle est d’effectuer « un examen en appel du caractère correct de la décision de la SPR » (au paragraphe 51). Elle souligne également que dans le journal des débats parlementaires, on peut lire que le rôle de la SAR consiste à donner aux demandeurs d’asile la possibilité d’un « véritable appel fondé sur les faits », ce qui nécessite d’aborder la question de l’admissibilité de la preuve au moyen de critères qui soient « assez souples » (au paragraphe 55).

[57]        D’autre part, dans la décision Denbel c Canda (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, le juge Mosley a conclu que la SAR pouvait utiliser les critères d’analyse exposés dans l’arrêt Raza pour décider de l’admissibilité d’éléments de preuve nouveaux au regard du paragraphe 110(4) de la LIPR (au paragraphe 40). Pour arriver à cette conclusion, le juge Mosley s’est appuyé sur le point de vue exposé par le juge Shore au paragraphe 45 de la décision Iyamuremye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 494 :

Considérant la pénurie de jurisprudence interprétant le paragraphe 110(4) et vu la similitude essentielle des dispositions en question, la Cour ne considère pas qu’il était déraisonnable de la SAR de référer aux facteurs énoncés dans l’affaire Raza, ci‑dessus, pour analyser l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve. Cette jurisprudence a établi un sens juridique d’application générale aux mots « preuve nouvelle », qui, à l’avis de la Cour, s’harmonise avec l’intention claire du législateur quant au paragraphe 110(4) d’obliger la SAR de réviser la décision de la SPR telle quelle, à moins que des preuves nouvelles, crédibles et pertinentes soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance.

[Souligné dans l’original.]

[58]        Le juge Mosley a aussi relevé le fait que le paragraphe 29(4) des Règles de la SAR fait explicitement mention de quelques‑uns des critères de l’arrêt Raza.

[59]        Au nombre des questions de portée générale certifiées dans le cadre de la décision Singh figure celle de savoir si les critères énoncés dans l’arrêt Raza en ce qui concerne l’interprétation de l’alinéa 113a) de la LIPR doivent aussi s’appliquer au paragraphe 110(4), considérant les rôles respectifs de l’agent d’ERAR et celui de la SAR? Comme la Cour d’appel fédérale finira par répondre à cette question, je suis plus réticente à ajouter mon opinion au débat. Toutefois, à mon sens, il n’est pas déraisonnable que la SAR applique ces critères, qu’elle peut par ailleurs adapter en fonction des particularités de son rôle par rapport à celui d’un agent d’ERAR. Dans l’affaire qui nous occupe, je ne pense pas que de telles adaptations soient nécessaires.

[60]        La SAR a jugé suivant les critères de l’arrêt Raza, qu’aucun des articles postérieurs au rejet de la demande d’asile du demandeur ne satisfaisait à la condition de nouveauté.

[61]        Le premier article, intitulé « Popular Darakchi and Sogdiana Papers on Verge of Closure in Uzbekistan » [Les journaux populaires Darakchi et Sogdiana sur le point de fermer en Ouzbékistan], traite du fait que l’ancien patron du demandeur était recherché par les autorités parce qu’il était propriétaire de deux entreprises de médias faisant l’objet d’enquête. Selon moi, la SAR a raisonnablement conclu que cette preuve n’était pas nouvelle, en ce sens qu’elle ne remplissait pas le critère de pertinence. La SPR n’a formulé aucun doute concernant l’identité de l’ancien patron du demandeur; cet article n’était donc pas apte « à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile » (Raza, au paragraphe 13). 

[62]        Le deuxième article, intitulé « Uzbekistan: Travel Agencies Require Citizens to undertake not to Seek Political Asylum Abroad » [Ouzbékistan : des agences de voyages exigent des citoyens qu’ils s’engagent à ne pas demander l’asile politique à l’étranger], traite du fait que les citoyens ouzbeks qui souhaitent se rendre à l’étranger sont tenus de s’engager à ne pas y demander l’asile politique et qu’ils s’exposent à des sanctions pénales s’ils manquent à leur engagement. Selon moi, la SAR a raisonnablement conclu que cette preuve ne satisfaisait pas à la condition de crédibilité énoncée dans l’arrêt Raza, parce que l’article reposait sur une seule source : l’employé anonyme d’une agence de voyages ouzbèke qui n’était pas nommée.

[63]        Quant au troisième article, paru dans un journal publié en ligne sous le titre « Reincarnation of Iron Curtain » [La réincarnation du rideau de fer], il rapporte que, d’après des renseignements obtenus de sources fiables dont l’identité n’est pas révélée, les comités communautaires ont commencé à s’intéresser aux gens qui voyagent hors de l’Ouzbékistan. À mon avis, là aussi, la SAR a raisonnablement conclu que cet article ne satisfaisait pas au critère de crédibilité, et en outre, que cet élément de preuve avait un caractère quelque peu hypothétique, puisqu’il semble s’agir d’un article d’opinion plutôt que d’un article de journal objectif reposant sur diverses sources.

[64]        Ainsi, à mon avis, il était raisonnable que la SAR refuse d’admettre ces nouveaux éléments de preuve postérieurs à la demande d’asile du demandeur. Aucun d’eux n’est « nouveau » au sens retenu par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 13 de l’arrêt Raza. Du reste, ils présentent peu d’utilité pour ce qui est d’étayer la demande d’asile du demandeur.

c)                  La décision de la CEDH

[65]        Le demandeur soutient aussi que la SAR a commis une erreur en n’appliquant pas le critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve énoncé dans la décision de la CEDH intitulé FN et autres c Suède, no 28774/09 (2012) (la décision de la CEDH), qu’il a présenté pour étayer ses allégations quant au fait qu’il risquait de subir un interrogatoire à son retour en Ouzbékistan. Cette affaire concerne une famille de ressortissants ouzbeks qui était visée par une mesure d’expulsion de la part de la Suède. La CEDH a conclu que si elle rentrait en Ouzbékistan, la famille serait probablement détenue et interrogée au sujet de ses activités à l’étranger. Elle a en outre cité d’autres décisions où elle avait constaté que [traduction] « la torture des personnes détenues par la police était une pratique systématique et généralisée » et conclu que « les mauvais traitements dont sont victimes les détenus demeuraient un problème omniprésent et persistant en Ouzbékistan ». Sur la base de ces affaires et de renseignements émanant d’autres sources internationales et indiquant que la situation était restée la même, la Cour a conclu que la famille était exposée à un risque réel de persécution à son retour.

[66]        La SAR a refusé d’admettre cet élément de preuve parce qu’elle a estimé ne pas être liée par la jurisprudence émanant de tribunaux étrangers, et aussi parce qu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas recherché, de telle sorte que la possibilité qu’il subisse un interrogatoire à son retour n’était pas important.

[67]        Selon moi, le fait que la SAR ne soit pas liée par la jurisprudence étrangère n’est pas une considération pertinente en l’espèce. Le demandeur n’a pas présenté cet élément de preuve pour avancer un point de droit, mais en raison des conclusions de fait qu’il renferme au sujet de la situation qui prévaut en Ouzbékistan. Autrement dit, cette décision faisait partie des nouveaux éléments de preuve soumis à la SAR. Par conséquent, la SAR a commis une erreur en l’écartant du revers de la main et en refusant de décider si elle répondait aux conditions d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve.

[68]        Par ailleurs, le fait que la SPR a conclu que le demandeur n’était pas recherché n’est pas non plus une considération pertinente pour juger de l’admissibilité de la décision de la CEDH. Cette décision aborde de façon générale la question des interrogatoires auxquels sont soumis les citoyens qui rentrent au pays après avoir demandé l’asile à l’étranger. Elle n’a aucun rapport avec l’interrogatoire que le demandeur craint de subir en raison de son ancien emploi, mais elle vise à justifier la présentation sur place d’une demande d’asile fondée sur la crainte de subir un interrogatoire après avoir demandé l’asile au Canada. Par conséquent, il était déraisonnable que la SAR refuse de déterminer si cet élément de preuve était admissible.

Deuxième question : La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation indépendante au regard de l’article 97 de la LIPR?

[69]        Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur de droit en concluant que si le demandeur n’était pas crédible, il n’était pas nécessaire d’examiner le risque auquel il était exposé en Ouzbékistan. La SAR aurait aussi commis une erreur en ne procédant pas à une évaluation indépendante des éléments de preuve nouveaux qu’il a présentés en appel pour étayer ses allégations quant au risque qu’il courait.

[70]        À cet égard, le demandeur invoque l’arrêt Sellan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 381, où la Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 3, que lorsque la SPR tire une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité du demandeur, cette conclusion peut parfois suffire pour rejeter la demande « à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur ».

[71]        Le demandeur invoque également la décision Pathmanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 519 aux paragraphes 52 à 57, où après avoir accepté la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur d’asile n’était « pas un témoin crédible », notre Cour a néanmoins infirmé la décision, car la preuve documentaire indiquait qu’une personne ayant le profil du demandeur d’asile, un Tamoul de sexe masculin, âgé de 37 ans, serait exposée à des risques au Sri Lanka.

[72]        Le demandeur signale qu’au paragraphe 39 de sa décision, la SAR a convenu que la SPR avait accepté les faits suivants :

a)      Le demandeur occupait le poste de directeur adjoint des opérations financières et commerciales au sein de Parvina;

b)      En 2008, Parvina a été accusée de fraude et cinquante‑neuf employés ont été reconnus coupables;

c)      Le PDG de Parvina a pu s’enfuir du pays;

d)     Le demandeur a également quitté le pays et passé deux années à se cacher à Moscou, en Russie;

e)      Le demandeur est retourné en Ouzbékistan en 2010 du fait que l’affaire Parvina était close et qu’aucune accusation n’avait été portée contre lui;

f)       L’ancien patron de l’appelant et le PDG du groupe Parvina se sont fait arrêter au Kazakhstan en avril 2012 puis ont été déportés en Ouzbékistan;

g)      L’affaire Parvina a été un grand scandale en Ouzbékistan.

[73]        Compte tenu des faits acceptés et qu’il y avait au dossier suffisamment d’éléments de preuve documentaire indiquant qu’une personne ayant le profil du demandeur, un employé haut placé au sein d’une entreprise faisant l’objet d’une enquête, serait exposée à un risque en Ouzbékistan, la SAR était tenue de déterminer si le demandeur aurait à faire face à un tel risque lors de son retour au pays.

Analyse

[74]        L’argument du demandeur selon lequel il correspond au profil particulier d’un [traduction] « employé occupant un poste important dans une entreprise faisant l’objet d’une enquête » est entièrement tributaire des nouveaux éléments de preuve. Comme nous l’avons vu précédemment dans le cadre de l’analyse de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve, parmi les articles qui traitent de cette question, nombreux sont ceux qui étayaient la demande du demandeur, de sorte que la SAR a eu raison de conclure que ce dernier aurait normalement dû les produire à l’audience devant la SPR.

[75]        Bien que la décision de la SAR de refuser deux articles – « Uzbekistan: Ferghana Journalist is Being Persecuted for his Help to Artists » [Ouzbékistan : un journaliste de Ferghana est persécuté pour avoir aidé des artistes] et « Special Security Services of Uzbekistan Compiling Dossiers on Independent Journalists » [Les services spéciaux de sécurité de l’Ouzbékistan montent des dossiers sur des journalistes indépendants] – était déraisonnable, étant donné que le demandeur ne les aurait pas normalement présentés à la SPR puisqu’il ne pouvait prévoir que la SPR considérerait comme suspect le fait qu’il avait été en mesure de quitter le pays, les deux articles en question traitent uniquement de la situation des journalistes. Ils ne permettent pas de conclure qu’une personne ayant le profil du demandeur, soit celui d’un employé haut placé au sein d’une entreprise faisant l’objet d’une enquête, serait exposé à un risque en Ouzbékistan, ce qui aurait obligé la SAR à procéder à leur évaluation dans cette optique.

[76]        En définitive, la SAR n’a pas commis d’erreur parce qu’il n’existait aucune preuve admissible susceptible d’étayer l’argument du demandeur. Du fait de l’absence de preuve portant sur le profil particulier défini par le demandeur, il a été impossible d’en établir l’existence véritable, et aucun rapprochement n’était non plus permis entre les faits retenus par la SAR et ce profil en vue de vérifier si le demandeur correspondait effectivement à ce profil.

Troisième question : La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[77]        Le demandeur soutient que la SAR a négligé d’examiner toute la preuve documentaire avant de conclure que la SPR n’avait pas commis d’erreur quant à son appréciation de la crédibilité.

[78]        S’agissant de son témoignage relatif aux visites de la police à son domicile après son départ pour le Canada, le demandeur soutient que la SAR a tiré ses conclusions à ce sujet sans apprécier la preuve documentaire présentée à la SPR pour corroborer ce point. La SAR a aussi omis de tenir compte des nouveaux éléments de preuve confirmant l’intérêt particulier que les autorités ouzbèkes portent aux citoyens qui se trouvent à l’étranger.

[79]        En ce qui concerne les conclusions tirées par la SAR quant au fait qu’il avait pu sortir d’Ouzbékistan, le demandeur soutient que cette dernière a complètement ignoré la preuve documentaire qui explique précisément cette apparente contradiction. Le demandeur a produit deux articles faisant état de cas où des journalistes ont été en mesure de quitter le pays après avoir été convoqués à des [traduction] « rencontres informelles » au bureau du procureur.

[80]        Il ressort clairement des nouveaux éléments de preuve produits par le demandeur en réponse aux conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité que les autorités gouvernementales ouzbèkes ont souvent recours à la technique des [traduction] « rencontres informelles » afin d’exercer des pressions et de l’intimidation à l’égard de personnes présentant un intérêt particulier pour l’État. Les articles révèlent également qu’il n’est pas rare que des condamnations fassent suite à ces rencontres informelles, mais que des suspects ont été autorisés et ont réussi à quitter le pays à cette étape préliminaire de l’enquête.

[81]        Bien que ces éléments de preuve aient été portés à son attention, la SAR a estimé que la conclusion de la SPR, à savoir que le demandeur n’aurait pas été autorisé à quitter l’Ouzbékistan s’il faisait l’objet d’une enquête, était logique « en l’absence d’éléments de preuve contraires ». La SAR a donc manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de cette preuve documentaire capitale pour évaluer les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité.

Analyse

[82]        À l’instar de son argument relatif à l’omission de la SAR de procéder à une analyse fondée sur l’article 97, l’opposition du demandeur aux conclusions tirées par la SAR sur la question de la crédibilité s’appuie sur les nouveaux éléments de preuve que la SAR a jugés inadmissibles. La SAR a procédé à une analyse approfondie et indépendante de ces conclusions en écoutant l’enregistrement audio de l’audience et en relevant les contradictions dans le témoignage du demandeur. 

[83]        La SAR a souscrit à toutes les conclusions de la SPR, à l’exception de celle d’invraisemblance, qui reposait sur le fait que le demandeur n’avait pas discuté avec ses parents des visites apparemment effectuées par la police après son départ de l’Ouzbékistan. La SAR a motivé chacune de ces conclusions et les a ensuite comparées, une à une, à celles de la SPR afin de déterminer si cette dernière avait fait erreur.

[84]        Cela étant, ayant conclu que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre certains des nouveaux éléments de preuve, nommément celui portant sur la capacité des citoyens ouzbeks de quitter le pays après avoir été interrogés, je suis d’avis que la SAR a tiré sur cette question des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, car elle l’a fait sans tenir compte d’éléments de preuve pertinents et corroborants.

[85]        En conclusion, pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[86]        Pour finir, j’aimerais faire une dernière observation. J’ai conclu que la SAR n’avait pas commis d’erreur en appliquant les critères énoncés dans l’arrêt Raza. Il s’agit toutefois d’une question dont la Cour d’appel fédérale est actuellement saisie par voie de question certifiée dans le cadre de l’affaire Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022. Il est permis de penser que la Cour d’appel fédérale examinera également la question de savoir s’il y a lieu de privilégier une interprétation plus souple du paragraphe 110(4), ce qui, du coup, règlerait celle de l’éventuelle admissibilité d’éléments de preuve nouveaux qui ne répondent pas strictement aux exigences de ce paragraphe, mais que l’on souhaite produire en réponse aux doutes exposés par la SPR en matière de crédibilité, comme c’était le cas en l’espèce. Par conséquent, j’ordonne que la SAR, pour décider de l’admissibilité de tout élément de preuve nouveau lors de la nouvelle instruction, tienne compte de toute conclusion pertinente de la Cour d’appel fédérale. Je conviens qu’une telle directive peut nécessiter de repousser le règlement de la présente affaire jusqu’au moment où la Cour d’appel fédérale aura rendu sa décision, mais dans les circonstances, j’estime qu’il s’agit d’un délai raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée à cette dernière pour nouvelle décision. Pour décider de l’admissibilité de tout élément de preuve nouveau lors de la nouvelle instruction, la SAR devra tenir compte de toute conclusion pertinente de la Cour d’appel fédérale émanant de la décision qu’elle aura rendue au sujet de la question certifiée dans Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022;

2.      Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties et l’affaire n’en soulève aucune;

3.      Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6839‑14

 

INTITULÉ :

DILSHOD ISMAILOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

le 13 août 2015

 

COMPARUTIONS :

Feruza Djamalova

POUR LE DEMANDEUR

 

Sybil Thompson

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sobirovs Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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