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Date : 20150818


Dossier : T-2012-14

Référence : 2015 CF 985

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 août 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROBERT JAMES THOMSON

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le 30 octobre 1991, le demandeur, M. Robert James Thomson, était un passager civil à bord d’un aéronef des Forces canadiennes survolant les Territoires du Nord-Ouest : il était en service en tant qu’employé du ministère de la Défense nationale s’occupant de la gestion des points de vente au détail desservant les membres des Forces canadiennes. L’avion s’est écrasé. M. Thomson a survécu à l’accident, mais a été grièvement blessé. Il est devenu paraplégique, a subi de multiples amputations dues aux gelures dont il a souffert en attendant des secours pendant trente heures, et a fini par présenter un état de stress post-traumatique.

[2]               M. Thomson a choisi de se faire indemniser pour ses blessures sous le régime du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation, CRC, c 10 [le Règlement ICAA ou RICAA]. Le Règlement ICAA a été adopté en vertu de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A‑2, et prévoit une indemnisation en cas de blessures corporelles ou de décès résultant de vols entrepris par des employés civils du gouvernement fédéral dans l’exercice de leurs fonctions. Dans sa demande, M. Thomson réclamait une pension et, en raison de son invalidité grave, des allocations spéciales, notamment une allocation de soins, une allocation de vêtements et une allocation d’incapacité exceptionnelle [l’allocation d’incapacité exceptionnelle].

[3]               Le ministère des Anciens combattants a accordé une pension à M. Thomson, mais lui a refusé les allocations de soins et de vêtements ainsi que l’allocation d’incapacité exceptionnelle, au motif que ces allocations spéciales ne relevaient pas du régime d’indemnisation destiné aux pensionnés du RICAA. M. Thomson a interjeté appel des décisions lui ayant refusé les allocations spéciales, d’abord devant le comité de révision puis devant le comité d’appel du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) [TACRA]. À chaque fois, ses demandes ont été refusées, les deux instances du TACRA ayant conclu que les allocations spéciales étaient susceptibles d’être octroyées en vertu de dispositions spéciales de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6, et ne figuraient pas dans la liste des avantages offerts aux pensionnés civils prévus par le Règlement ICAA.

[4]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire de la décision d’août 2014 par laquelle le comité d’appel a conclu que M. Thomson ne pouvait pas recevoir d’allocation d’incapacité exceptionnelle. M. Thomson prétend que le comité d’appel a mal interprété le Règlement ICAA et qu’il a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas en droit de réclamer une allocation d’incapacité exceptionnelle. Il soutient en outre que l’interprétation du Règlement ICAA retenue par le comité d’appel porte atteinte aux droits que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11[la Charte], et fait ainsi preuve de discrimination à son égard sur le fondement de son invalidité grave. M. Thomson demande à la Cour d’annuler la décision du comité d’appel et de la renvoyer au TACRA en lui fournissant des directives sur l’interprétation du Règlement ICAA, ou de déclarer que l’interprétation du comité d’appel aboutit à un traitement discriminatoire contraire à l’article 15 de la Charte et d’ordonner au comité d’adopter une interprétation conforme à celle‑ci.

[5]               Le procureur général du Canada fait valoir en réponse que la décision du comité d’appel est raisonnable en l’espèce en ce qui concerne tant son interprétation de la législation et du règlement pertinents que son évaluation de l’argument de M. Thomson fondé sur la Charte. Le procureur général demande à la Cour de rejeter la demande de M. Thomson sans frais.

[6]               La présente demande soulève trois questions :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?
  2. Le comité d’appel a-t-il déraisonnablement interprété et appliqué le Règlement ICAA en concluant que M. Thomson n’était pas en droit de réclamer l’allocation d’incapacité exceptionnelle?
  3. Le comité d’appel a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant l’argument de M. Thomson fondé sur la Charte et en concluant que le refus de l’allocation d’incapacité exceptionnelle n’était pas discriminatoire?

[7]               Pour les motifs qui suivent, et bien que je compatisse avec M. Thomson et sa situation dramatique, je dois rejeter la demande. Je ne puis conclure que la décision du comité d’appel était déraisonnable relativement à l’interprétation du Règlement ICAA, ou qu’il a statué sur la demande de M. Thomson d’une manière qui donne lieu à un traitement discriminatoire contraire à l’article 15 de la Charte. Je reconnais que M. Thomson soulève de nombreuses préoccupations valides concernant le traitement de sa demande d’indemnisation, comparativement à celui dont bénéficient les membres des Forces canadiennes placés dans une situation similaire. Cependant, et en définitive, il s’agit d’un problème que seuls le Parlement et la législature, et non la Cour, peuvent régler.

II.                Contexte

[8]               L’épreuve subie par M. Thomson et son histoire sont exceptionnelles. Il est le seul et unique survivant civil d’un accident d’avion admissible à avoir réclamé une indemnisation sous le régime du Règlement ICAA. Son évaluation totale ouvrant droit à pension résultant de ses blessures s’élevait à 181 %, soit 100 % pour la paraplégie, 56 % pour les amputations et 25 % pour l’état de stress post-traumatique. Il a reçu une pension pour une invalidité dont le niveau a été évalué à 156 %, mais pas d’autres allocations.

[9]               Voilà plusieurs années que M. Thomson est engagé avec le TACRA et le ministère des Anciens combattants dans diverses et longues procédures afin d’obtenir ce qu’il estime être une indemnisation appropriée pour ses pertes pécuniaires et non pécuniaires. M. Thomson fait valoir en substance que l’interprétation stricte du Règlement ICAA adoptée par le TACRA donne lieu à une injustice et une inégalité profondes : les pensionnés civils gravement invalidés comme lui finissent par recevoir la même indemnisation que les pensionnés civils atteints d’une invalidité moyenne et se voient refuser les montants additionnels autrement accordés aux pensionnés des Forces canadiennes qui présentent une invalidité grave. La situation est particulièrement injuste dans son cas, comme M. Thompson le fait valoir, parce qu’il a subi ses blessures très graves dans l’exercice de ses fonctions en tant que civil fournissant des services de soutien à l’armée canadienne.

[10]           En fait, comme l’a pertinemment relevé M. Thomson à l’audience devant la Cour, l’approche adoptée par le comité d’appel revient à le priver du niveau d’indemnisation qu’il aurait probablement reçu au titre de nombreux autres régimes organisés d’indemnisation des blessures personnelles au Canada, qui prévoient tous des dispositions couvrant à la fois les pertes pécuniaires et non pécuniaires. M. Thomson a invoqué à cet égard le droit délictuel, la législation se rapportant à l’indemnisation des accidents du travail, la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, LRC 1985, c G‑5, ainsi que les dispositions concernant les pensionnés des Forces canadiennes de la Loi sur les pensions.

[11]           Il affirme que le législateur ne peut pas avoir eu l’intention d’indemniser différemment les pensionnés civils du RICAA ayant subi des blessures en servant leur pays et les pensionnés des Forces canadiennes invalidés de la même manière et couverts par la Loi sur les pensions.

A.                Le cadre législatif

[12]           La demande de M. Thomson soulève fondamentalement des questions d’interprétation législative, il est donc important de commencer par analyser et résumer les dispositions législatives et réglementaires pertinentes. Les principaux éléments sont issus du Règlement ICAA et de la Loi sur les pensions.

[13]           Le Règlement ICAA s’applique aux victimes civiles d’accidents d’avion, et prévoit une indemnisation en cas de blessures corporelles ou de décès résultant de vols entrepris par des employés de la fonction publique du Canada qui n’appartiennent pas aux Forces canadiennes, dans l’exercice de leurs fonctions. Inversement, la Loi sur les pensions prévoit un régime d’indemnisation pour les membres des Forces canadiennes. La Cour fait remarquer qu’en optant pour une indemnisation sous le régime du Règlement ICAA, tout employé fédéral devient inadmissible à recevoir des avantages ou des indemnités au titre de tout autre loi, règlement ou ordonnance.

[14]           L’article 3 du Règlement ICAA décrit le type d’indemnité offert aux victimes civiles d’un accident d’avion. Cette disposition est rédigée comme suit :

3. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3) et de l’article 4, dans le cas

3. (1) Subject to subsections (2) and (3) and section 4, where

a) d’un employé qui décède ou est blessé en conséquence directe d’un vol non régulier entrepris par lui dans l’exercice de ses fonctions, ou

(a) an employee dies or is injured as a direct result of a non-scheduled flight undertaken by him in the course of his duties, or

b) d’un inspecteur de l’aviation civile décédant ou étant blessé par suite d’un vol qu’il a entrepris pour contrôler les capacités professionnelles d’un équipage, pour inspecter une exploitation aérienne commerciale ou pour surveiller, en vol, le personnel navigant d’une telle exploitation,

(b) a civil aviation inspector dies or is injured as a direct result of any flight undertaken by him for the purpose of determining the competency of flight crew personnel, inspecting commercial air operations or monitoring in-flight cabin procedures in use in commercial air operations,

une indemnité est payable à l’égard de son décès ou de ses blessures, et le montant de l’indemnité est égal à la pension qui aurait été accordée à lui-même ou à son égard, conformément aux taux indiqués aux annexes A ou B de la Loi sur les pensions, selon le cas, augmentée en vertu de la Partie V.1 de ladite Loi, si son décès ou ses blessures avaient été causés au cours de son service militaire en temps de paix ou avaient été reliés directement à un tel service.

compensation is payable for his death or injury in an amount equal to the pension that would have been awarded to or in respect of him in accordance with the rates set out in Schedule A or B to the Pension Act, whichever is applicable, as increased by virtue of Part V.1 of that Act, if his death or injury had arisen out of or was directly connected with military service in peace time.

 

[…]

[…]

[15]           Le montant de l’indemnité payable à M. Thomson aux termes du Règlement ICAA est donc expressément défini comme « la pension qui [lui] aurait été accordée » si ses blessures avaient été causées au cours de son service militaire en temps de paix. Cependant, bien que le terme « pension » ne soit pas défini dans ce règlement, l’article 3 indique que le montant d’une telle pension correspond à ce qui aurait été accordé « conformément aux taux indiqués aux annexes A ou B [à présent les annexes I ou II] de la Loi sur les pensions, selon le cas ». L’annexe I concerne l’échelle des pensions en cas d’invalidité, tandis que l’annexe II traite des pensions en cas de décès. Le Règlement ICAA est muet quant à l’application d’autres formes d’allocations aux pensionnés victimes d’accident d’avion relevant de son champ d’application.

[16]           La Loi sur les pensions est une loi fédérale prévoyant l’octroi de pensions et d’autres avantages aux membres des Forces canadiennes. Elle a été expressément conçue pour les membres de l’armée et ne s’applique pas aux pensionnés non militaires. Les pensions et avantages offerts varient selon le type spécifique de service militaire, le statut de prisonnier de guerre, l’âge et d’autres facteurs. Une partie distincte, la partie III, traite des pensions, notamment en cas d’invalidité ou de décès, tandis que la partie IV concerne l’allocation d’incapacité exceptionnelle. Aux fins de la présente demande, les dispositions pertinentes de la Loi sur les pensions sont les définitions figurant à l’article 3 et aux annexes I et II (anciennement les annexes A et B) auxquelles l’article 3 du Règlement ICAA renvoie expressément. Il convient également de mentionner les articles 38 et 72 qui décrivent certains types d’indemnités offerts aux membres des Forces canadiennes.

[17]           Les définitions pertinentes contenues à l’article 3 de la Loi sur les pensions prévoient :

3. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

3. (1) In this Act,

[…]

[…]

« compensation » Pension, indemnité, allocation ou boni payable en vertu de la présente loi.

[…]

“award” means a pension, compensation, an allowance or a bonus payable under this Act;

[…]

« pension » Pension payable en vertu de la présente loi en raison du décès ou de l’invalidité d’un membre des forces, y compris un paiement définitif visé à l’annexe I.

“pension” means a pension payable under this Act on account of the death or disability of a member of the forces, including a final payment referred to in Schedule I;

[…]

[…]

[18]           La Cour fait remarquer que dans la Loi sur les pensions, le terme « compensation » ne vise pas qu’une simple « pension » : il peut s’agir notamment d’une pension, d’une indemnité ou d’une allocation. Le terme « pension » renvoie à une pension payable en raison d’un décès ou d’une invalidité, selon le cas, suivant l’échelle fixée aux annexes I et II, respectivement. Quoique le terme « allocation » ne soit pas défini dans la Loi sur les pensions, la partie IV regroupe deux dispositions (les articles 72 et 73) se rapportant à « l’allocation d’incapacité exceptionnelle »; de son côté, l’annexe III prévoit le taux des diverses allocations, y compris l’allocation d’incapacité exceptionnelle.

[19]           Dans la partie III qui concerne les pensions, plusieurs dispositions traitent du paiement des pensions pour invalidité, notamment l’article 38 qui établit la possibilité d’octroyer une allocation de soins aux membres « à qui une pension [ou] une indemnité […] a été accordée » :

38. (1) Il est accordé, sur demande, à un membre des forces à qui une pension, une indemnité ou les deux a été accordée, qui est atteint d’invalidité totale due à son service militaire ou non et qui requiert des soins une allocation pour soins au taux fixé par le ministre en conformité avec les minimums et maximums figurant à l’annexe III.

38. (1) A member of the forces who has been awarded a pension or compensation or both, is totally disabled, whether by reason of military service or not, and is in need of attendance shall, on application, in addition to the pension or compensation, or pension and compensation, be awarded an attendance allowance at a rate determined by the Minister in accordance with the minimum and maximum rates set out in Schedule III.

[…]

[…]

[20]           L’article 72 décrit les conditions dans lesquelles une allocation d’incapacité exceptionnelle peut être accordée, et reconnaît expressément le droit des membres des Forces canadiennes à la recevoir. Cette disposition est libellée comme suit :

72. (1) A droit à une allocation d’incapacité exceptionnelle au taux fixé par le ministre en conformité avec les minimums et maximums de l’annexe III, en plus de toute autre allocation, pension ou indemnité accordée en vertu de la présente loi, le membre des forces qui, à la fois :

72. (1) In addition to any other allowance, pension or compensation awarded under this Act, a member of the forces shall be awarded an exceptional incapacity allowance at a rate determined by the Minister in accordance with the minimum and maximum rates set out in Schedule III if the member of the forces

a) reçoit :

(a) is in receipt of

(i) soit la pension prévue à la catégorie 1 de l’annexe I,

(i) a pension in the amount set out in Class 1 of Schedule I, or

(ii) soit, d’une part, une pension moindre et, d’autre part, l’indemnité prévue par la présente loi, l’indemnité d’invalidité prévue par la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes ou ces deux indemnités, lorsque la somme des pourcentages ci-après est au moins égale à quatre-vingt-dix-huit pour cent :

(ii) a pension in a lesser amount than the amount set out in Class 1 of Schedule I as well as compensation paid under this Act or a disability award paid under the Canadian Forces Members and Veterans Re-establishment and Compensation Act, or both, if the aggregate of the following percentages is equal to or greater than 98% :

(A) le degré d’invalidité pour lequel la pension lui est versée,

(A) the extent of the disability in respect of which the pension is paid,

(B) le pourcentage de la pension de base auquel l’indemnité lui est versée,

(B) the percentage of basic pension at which basic compensation is paid, and

(C) le degré d’invalidité pour lequel l’indemnité d’invalidité lui est versée;

(C) the extent of the disability in respect of which the disability award is paid; and

b) souffre d’une incapacité exceptionnelle qui est la conséquence de l’invalidité pour laquelle il reçoit la pension ou l’indemnité d’invalidité prévue par cette loi ou qui a été totalement ou partiellement causée par celle-ci.

(b) is suffering an exceptional incapacity that is a consequence of or caused in whole or in part by the disability for which the member is receiving a pension or a disability award under that Act.

[21]           La Cour note par ailleurs que les articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18, enjoint au TACRA d’interpréter libéralement la législation et la réglementation applicables dans l’exercice de ses fonctions, en reconnaissance des obligations du Canada à l’égard de ceux qui servent le pays. La preuve présentée au TACRA doit être examinée et prise en compte d’une manière favorable aux demandeurs ou aux appelants.

[22]           Quant à l’article 15 de la Charte, cette disposition énumère les motifs de discrimination et prévoit, au paragraphe (1), que « [l]a loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques ».

B.                 La décision du comité d’appel

[23]           Même si l’accident de M. Thomson remonte à 1991, la décision du comité d’appel lui ayant refusé une allocation d’incapacité exceptionnelle n’a été rendue qu’en août 2014, à la suite d’une audience qui s’est déroulée en juin de la même année.

[24]           Dans sa décision, le comité d’appel s’est beaucoup reporté aux instances précédentes à l’issue desquelles le ministre des Anciens combattants [le ministre] a rendu sa décision en avril 2008, et le comité de révision du TACRA, en octobre 2013. L’un et l’autre ont conclu que M. Thomson n’était pas admissible à recevoir une allocation d’incapacité exceptionnelle sous le régime de la Loi sur les pensions parce que le Règlement ICAA ne lui donnait droit à aucune forme d’allocation spéciale.

[25]           La décision du comité d’appel citait expressément la déclaration du ministre portant que l’article 3 du Règlement ICAA ne prévoit qu’une indemnisation aux taux prescrits aux annexes A et B (aujourd’hui les annexes I et II) de la Loi sur les pensions, ce qui n’inclut pas l’allocation d’incapacité exceptionnelle (dont il n’est question qu’à l’annexe III). Le comité de révision est parvenu à la même conclusion que le ministre, et a d’ailleurs souligné dans sa décision la définition du terme « pension » figurant à l’article 3 de la Loi sur les pensions : il s’agit d’une « pension payable […] en raison du décès ou de l’invalidité d’un membre des forces ». Cette définition ne mentionne pas les allocations, contrairement à celle du terme plus général « compensation », qui inclut les pensions, les indemnités et les allocations. Selon le comité de révision, les rédacteurs ont intentionnellement choisi un terme de portée plus restreinte, ce qui signifie que M. Thomson, un pensionné civil du RICAA, n’était pas admissible à recevoir l’allocation d’incapacité exceptionnelle.

[26]           Pour le dire autrement, le ministre et le comité de révision du TACRA ont conclu qu’aucun texte législatif n’autorisait le ministère des Anciens combattants à accorder à M. Thomson l’avantage qu’il sollicitait.

[27]           Le comité d’appel a ensuite examiné chacune des observations présentées par M. Thomson à l’audience qui s’est déroulée devant lui.

[28]           Plus précisément, le comité d’appel a examiné et rejeté l’argument de M. Thomson selon lequel la décision du comité de révision était contraire à la politique établie concernant les pensionnés présentant une invalidité grave, puisque la législation applicable (la Loi sur les pensions) vise les membres des Forces canadiennes atteints d’une incapacité exceptionnelle, ce qui témoigne de l’engagement du gouvernement à leur égard et de ses efforts pour indemniser leurs souffrances. Le comité d’appel a jugé que la décision du comité de révision tenait dûment compte de ce principe et de la distinction établie par le législateur entre les pensionnés qui appartiennent ou ont appartenu aux Forces canadiennes et les civils qui tombent sous le coup du RICAA.

[29]           Le comité d’appel a également examiné l’interprétation de l’article 3 du Règlement ICAA retenue par le comité de révision et a confirmé ses conclusions, en raison du libellé clair du règlement. Le comité d’appel a souligné que même si son pouvoir discrétionnaire exigeait qu’il interprète libéralement les dispositions législatives et considère la preuve sous le jour le plus favorable à M. Thomson, il ne pouvait pas [traduction« faire comme si la restriction “conformément aux taux indiqués aux annexes A ou B de la Loi sur les pensions” ne figurait pas dans le libellé de l’article 3 du Règlement ICAA ». Le comité d’appel a par ailleurs confirmé l’interprétation que le comité de révision a donnée aux termes « pension », « allocation », « indemnité » et « compensation », et précisé que le mot « pension » était expressément employé dans le Règlement ICAA [traduction« à seule fin de limiter l’indemnité à ladite pension, à l’exclusion des autres compensations ou allocations ».

[30]           Le comité d’appel a ensuite répondu à la critique de M. Thomson, qui a accusé le comité de révision de ne pas avoir adopté le principe d’indemnisation de la réparation intégrale issu de la common law. Selon le comité d’appel, ce principe ne s’appliquait pas à l’intérieur du cadre législatif précis établi par la Loi sur les pensions et le Règlement ICAA. Les régimes d’indemnisation législatifs tels que celui en cause en l’espèce peuvent restreindre l’indemnisation qui serait autrement accordée en vertu de la common law, et même le font souvent.

[31]           Enfin, le comité d’appel a analysé l’argument de M. Thomson selon lequel le refus de l’allocation d’incapacité exceptionnelle portait atteinte aux droits que lui garantit l’article 15 de la Charte, mais a conclu qu’il ne constituait malgré tout pas une discrimination fondée sur son invalidité grave. Le comité d’appel a commencé par noter que M. Thomson ne cherchait pas à faire déclarer la disposition législative inconstitutionnelle, puis s’est demandé si le refus de l’allocation d’incapacité exceptionnelle était discriminatoire à son endroit.

[32]           Dans son analyse, le comité d’appel a suivi les instructions formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c Canada (Ministre de de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 RCS 497 [Law] et s’est demandé a) si le refus de l’allocation imposait une différence de traitement entre M. Thomson et d’autres, b) si la différence de traitement était fondée sur l’un des motifs énumérés dans la Charte et c) si le refus avait un objectif ou des effets discriminatoires. Dans son analyse, le comité d’appel a choisi comme groupe de comparaison indiqué les pensionnés visés par le régime de la Loi sur les pensions et noté (en page 12 de la décision) que :

[traduction] Le Comité conclut que l’appelant ne fait pas partie de ce groupe de personnes. Comme nous l’avons déjà précisé, la présente demande n’est pas jugée sous le régime de la Loi sur les pensions, mais du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation. L’appelant n’est pas un ancien membre des Forces pensionné visé par la Loi sur les pensions; il reçoit comme victime d’un accident d’aviation une pension en vertu du règlement adopté en vertu de la Loi sur l’aéronautique. D’autres pensionnés invalides ayant survécu à un accident d’aviation dans des circonstances semblables auraient droit aux mêmes avantages que l’appelant – à savoir une pension conformément au taux prescrit aux annexes de la Loi sur les pensions.

Le Comité conclut que l’appelant n’est pas victime de discrimination sur la base de son invalidité; en fait, il reçoit une pension parce qu’il est une personne invalide qui a su se prévaloir du Règlement sur l’indemnisation en cas d’accident d’aviation. L’appelant n’a pas droit aux avantages qu’il sollicite parce qu’il ne fait pas partie du groupe auquel il se compare. [Souligné dans l’original.]

[33]           La décision s’achevait par la confirmation, au vu de ces considérations, de la décision du comité de révision refusant à M. Thomson le droit à l’allocation d’incapacité exceptionnelle.

III.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[34]           Les questions soulevées par M. Thomson concernent l’interprétation et l’application du Règlement ICAA par le comité d’appel, et l’éventualité qu’une telle interprétation aboutisse à une discrimination contraire à la Charte.

[35]           Pour ce qui est de l’interprétation du règlement, M. Thomson fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte puisqu’il ne s’agit pas d’une question relevant de l’expertise particulière du TACRA (Canada (Bureau de services juridiques des pensions) c Canada (Procureur général), 2006 CF 1317 [Bureau de services juridiques des pensions]; Trotter c Canada (Procureur général), 2005 CF 434, au paragraphe 13 [Trotter]). Le procureur général rétorque que le Règlement ICAA et la Loi sur les pensions sont des instruments législatifs étroitement liés à la fonction du comité d’appel et qu’à ce titre, l’interprétation adoptée par ce dernier est réputée être un exercice d’interprétation législative méritant déférence advenant un contrôle judiciaire (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta’s Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34 [Alberta Teachers]; Front des artistes canadiens c Musée des beaux-arts du Canada, 2014 CSC 42, au paragraphe 13; Fanous c Gauthier, 2014 QCCA 1731, aux paragraphes 15 à 19).

[36]           Je suis d’accord avec le procureur général sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à cette première question, soit la raisonnabilité. Bien que les décisions rendues par la Cour fédérale dans les affaires Bureau de services juridiques des pensions et Trotter semblent indiquer le contraire, elles sont antérieures à l’arrêt de principe Dunsmuir, qui a établi que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (au paragraphe 54). Depuis cet arrêt, le principe voulant que la norme de la raisonnabilité devrait s’appliquer aux questions de droit qui supposent d’interpréter la « loi habilitante » d’un tribunal administratif est devenu une forte présomption qui ne peut être réfutée que dans certaines circonstances exceptionnelles, par exemple lorsque des « questions de droit revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et sont étrangères au domaine d’expertise du décideur » (Alberta Teachers, au paragraphe 30).

[37]           Même si le Règlement ICAA et la Loi sur les pensions ne peuvent pas être directement qualifiés de législation habilitante du comité d’appel, ce sont néanmoins des instruments réglementaires et législatifs étroitement liés aux fonctions du TACRA, bien connus de ce dernier. Dans Lapalme c Canada (Procureur général), 2012 CF 820, la Cour a d’ailleurs récemment confirmé le lien entre le TACRA et la Loi sur les pensions, et appliqué la norme de la raisonnabilité à l’interprétation donnée par ce tribunal à cette loi (au paragraphe 16).

[38]           Quant à son argument fondé sur la Charte, M. Thomson n’a présenté aucune observation écrite concernant expressément la norme de contrôle applicable, mais les arguments qu’il a fait valoir à l’audience donnent à penser qu’il préconise la norme de la décision correcte. Cependant, la question liée à la Charte qu’il soulève en l’espèce n’est pas une contestation constitutionnelle de la validité de la loi; elle a plutôt trait à la décision administrative discrétionnaire prise par le comité d’appel, laquelle supposait d’interpréter une disposition législative du RICAA à la lumière de la Charte, et d’appliquer celle-ci aux faits particuliers concernant M. Thomson. De plus, la Cour suprême a récemment confirmé que les cours ne devaient pas adopter la norme de la décision correcte chaque fois que des valeurs protégées par la Charte entraient en jeu. Lorsque le pouvoir discrétionnaire d’un décideur est en cause, la norme de la raisonnabilité s’applique à l’examen des décisions administratives qui touchent des droits protégés par la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, aux paragraphes 36 et 45 [Doré]; École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, aux paragraphes 39 à 42 [Loyola]; Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 504, au paragraphe 20).

[39]           La déférence est donc de mise lorsqu’un tribunal, agissant dans son domaine d’expertise spécialisé, interprète la Charte et en applique les dispositions aux faits particuliers d’un cas donné pour déterminer si un demandeur a été victime de discrimination (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, au paragraphe 46).

[40]           Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la question liée à la Charte soulevée en l’espèce par M. Thomson doit également être soumise à norme de la raisonnabilité puisqu’il s’agit de déterminer si l’interprétation de dispositions législatives relevant de l’expertise du comité d’appel donne lieu à un traitement discriminatoire contraire à une disposition de la Charte. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Doré, la tâche de la Cour saisie du contrôle judiciaire de ces décisions qui font intervenir des questions liées à la Charte consiste à déterminer si « – en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel – la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte » (au paragraphe 57). Dans les récents arrêts Doré et Loyola, la Cour suprême a examiné les décisions du tribunal à l’aide de ce cadre de raisonnabilité et de proportionnalité.

[41]           Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour s’intéresse dans son analyse à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Les conclusions concernant des questions de fait ou de fait et des questions mixtes de fait et de droit ne doivent pas être modifiées si la décision « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, il peut y avoir plus d’une issue raisonnable, mais « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (au paragraphe 59).

[42]           L’examen selon la norme de la raisonnabilité peut parfois ressembler à celui que requiert la norme de la décision correcte lorsque l’éventail des issues raisonnables est étroit, par exemple lorsqu’une question d’interprétation législative ne permet qu’une seule solution raisonnable (McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 38 [McLean]).

[43]           Par ailleurs, même si la norme de la raisonnabilité signifie que les motifs doivent en fait ou en principe étayer les conclusions tirées, ils n’ont pas à mentionner tous les arguments, toute la jurisprudence ou tous les détails que la cour de révision aurait aimé ou préféré examiner. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême a déclaré qu’une prétendue insuffisance des motifs ne justifie plus à elle seule de faire droit à un contrôle judiciaire; il n’est pas nécessaire que les motifs soient complets ou parfaits ni qu’ils citent tous les éléments de preuve ou arguments avancés par une partie ou versés au dossier. Le décideur n’a pas besoin de mentionner chaque détail qui étaye sa conclusion. Il suffit que les motifs permettent à la Cour de comprendre pourquoi la décision a été prise et d’évaluer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). La Cour doit lire les motifs comme un ensemble, conjointement avec le dossier, pour déterminer s’ils présentent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité propres à une décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3).

B.                 Le comité d’appel a-t-il déraisonnablement interprété et appliqué le Règlement ICAA en concluant que M. Thomson n’était pas autorisé à réclamer l’allocation d’incapacité exceptionnelle?

[44]           M. Thomson soutient que le comité d’appel a mal interprété l’article 3 du Règlement ICAA, et qu’une interprétation libérale et contextuelle du texte réglementaire amènerait à la conclusion qu’il a droit à l’allocation d’incapacité exceptionnelle. Selon lui, l’interprétation du comité d’appel est illogique, déraisonnable et contraire à l’objet explicite du Règlement ICAA. Compte tenu de l’objectif d’amélioration et de réparation du règlement, le comité d’appel aurait dû aplanir toutes les difficultés en retenant une interprétation généreuse, et ne pas considérer que le silence de la loi concernant l’allocation d’incapacité exceptionnelle empêche nécessairement d’y être admissible (Arial c Canada (Procureur général), 2010 CF 184, aux paragraphes 33 à 40 [Arial]; Manuge c Canada, 2012 CF 499, au paragraphe 64; Arial c Canada (Procureur général), 2011 CF 848).

[45]           Je ne peux souscrire au point de vue de M. Thomson. La question ici est de savoir si l’interprétation des dispositions du RICAA retenue par le comité d’appel est raisonnable. Je conclus, compte tenu des termes explicites employés par le Parlement à l’article 3, que l’interprétation des dispositions pertinentes du Règlement ICAA et de la Loi sur les pensions adoptée par le comité d’appel appartient aux issues possibles et raisonnables. En fait, c’était la seule interprétation raisonnable du Règlement ICAA compte tenu du libellé législatif.

(1)               La thèse de M. Thomson

[46]           M. Thomson a élaboré un solide argument en trois volets pour étayer l’interprétation qu’il propose.

[47]           Premièrement, il fait valoir que le comité d’appel a commis une erreur en invoquant la règle du sens ordinaire pour interpréter la portée des termes « allocation » et « pension ». Ni le Règlement ICAA ni la Loi sur les pensions ne définissent ce qu’est une « allocation », de sorte qu’une interprétation fondée sur le sens ordinaire n’est pas possible. Quant au terme « pension », même s’il est défini de manière étroite dans la Loi sur les pensions, M. Thomson soutient que comme la législation en vertu duquel le Règlement ICAA a été adopté (c.-à-d. la Loi sur l’aéronautique) n’en fournit aucune définition, le comité d’appel aurait dû se rapporter à l’usage courant du mot qui englobe la notion d’allocations.

[48]           Deuxièmement, M. Thomson avance que l’interprétation de l’article 3 du Règlement ICAA retenue par le comité d’appel est contraire à l’approche moderne et contextuelle à laquelle a souscrit la Cour suprême dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 [Rizzo] et suivie par notre Cour dans McCague c Ministre de la Défense nationale, 2001 CAF 228 [McCague]. Cette approche obligeait le comité d’appel à harmoniser le sens ordinaire et grammatical de la disposition avec le régime législatif, l’objet de la loi et l’intention du Parlement, conformément au « principe moderne » de l’interprétation législative préconisé par Drieger (Construction of Statutes, 2e éd. 1983, à la page 87). En l’espèce, le sens grammatical et ordinaire de l’expression « la pension qui aurait été accordée » autorise une interprétation généreuse, mais plausible qui inclurait les allocations, puisque celles-ci font partie intégrante des pensions mensuelles versées en vertu de la Loi sur les pensions. M. Thomson ajoute que le Parlement n’avait pas l’intention de limiter strictement les indemnités aux pensions puisque les pensionnés civils victimes d’un accident d’avion peuvent se prévaloir d’autres avantages en vertu d’autres dispositions du Règlement ICAA. Enfin, s’agissant de l’objet du règlement et de l’intention du Parlement, M. Thomson cite différents mémoires gouvernementaux se rapportant à l’adoption du Règlement ICAA, et soutient que ces documents indiquent que le règlement avait pour objet d’indemniser adéquatement les victimes civiles tombant sous le coup du RICAA, sur la même base que les membres des Forces canadiennes.

[49]           Troisièmement, M. Thomson affirme que la décision du comité d’appel est contraire à la politique établie du TACRA, car les documents du Tribunal font un usage incohérent du terme « pensionné », incluant tantôt les pensionnés civils relevant du RICAA et tantôt non.

(2)               Le libellé de la disposition

[50]           L’interprétation légale part du libellé employé par le législateur.

[51]           Comme l’a déclaré la Cour dans Wise c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1027, au paragraphe 17, en citant la Cour suprême dans l’arrêt R c DAI, 2012 CSC 5, au paragraphe 26 [DAI], « [s]uivant le principe fondamental de l’interprétation des lois, il faut examiner le libellé explicite de la disposition. En cas d’ambiguïté, il peut être nécessaire d’avoir recours à des facteurs externes pour la dissiper ». Dès lors, il était certainement raisonnable de la part du comité d’appel de commencer par examiner et interpréter les termes « indemnité », « pension » et « allocation » selon leur sens ordinaire et dans le contexte grammatical de l’article 3 du Règlement ICAA.

[52]           En l’espèce, le sens ordinaire des termes indique que l’article 3 du Règlement ICAA accorde à M. Thomson une « indemnité » plutôt qu’une « pension » et/ou une « allocation ». De plus, le montant de cette indemnité est défini comme correspondant « à la pension qui aurait été accordée […] aux taux indiqués » dans deux annexes précises de la Loi sur les pensions traitant des invalidités ou des décès.

[53]           L’incorporation explicite de ces annexes A et B (aujourd’hui annexes I et II) par renvoi amène inévitablement à la conclusion que les montants payables à titre de « pension » aux termes du Règlement ICAA n’incluent pas les « allocations » énumérées à l’annexe III. L’allocation d’incapacité exceptionnelle n’est abordée que dans cette annexe et fait l’objet d’une disposition (article 72) et d’une partie (partie IV) particulières de la Loi sur les pensions, qui sont distinctes et séparées des dispositions de cette loi traitant des pensions.

[54]           Le Règlement ICAA prévoit le versement d’indemnités conformément à certaines annexes spécifiées de la Loi sur les pensions. Ces dernières ne contiennent pas d’autre disposition ou renvoi prévoyant le versement d’autres avantages ou allocations en vertu de cette loi. Les pensionnés civils du RICAA n’ont pas d’autre accès aux avantages que la loi décrit et destine expressément aux membres des Forces canadiennes. Le comité d’appel ne pouvait ignorer ce libellé explicite et il était raisonnable de sa part de présumer que le législateur avait intentionnellement employé ces termes. Une distinction a été établie, dans un langage clair, entre les pensionnés qui appartiennent ou qui ont appartenu aux Forces canadiennes et qui sont visés par la Loi sur les pensions, et les pensionnés civils couverts par le Règlement ICAA.

[55]           La Cour comprend bien que M. Thomson est ainsi traité différemment qu’un pensionné des Forces canadiennes relevant de la Loi sur les pensions placé dans la même situation. Cela crée une certaine inégalité entre les pensionnés civils et militaires atteints d’une invalidité grave. M. Thomson n’était ni membre des Forces canadiennes ni un ancien combattant. Si sa situation est partiellement envisagée par la Loi sur les pensions, c’est uniquement parce que l’article 3 du Règlement ICAA incorpore par renvoi les montants de pension indiqués aux annexes I et II. Aucune autre disposition, annexe ou partie de la Loi sur les pensions, y compris l’annexe III sur les allocations, n’a cependant été incorporée par le législateur au RICAA. L’article 3 du Règlement ICAA accorde explicitement une « indemnité » aux employés civils du gouvernement fédéral, mais pas d’« allocation » (notamment l’allocation d’incapacité exceptionnelle) au sens de la Loi sur les pensions.

[56]           Voilà le droit que la Cour doit appliquer. Je suis conscient du fait que cela donne lieu à une différence de traitement entre les victimes d’accidents d’aviation appartenant aux Forces canadiennes atteintes d’une invalidité grave et les employés civils du gouvernement fédéral, mais il s’agit d’une distinction que le législateur a décidé d’adopter dans le Règlement ICAA. La Loi sur les pensions ne prévoit nulle part, implicitement ou autrement, d’indemniser également les militaires et les civils. Ce n’est pas une règle que la Cour (ou le comité d’appel) peut modifier sans usurper le rôle et les fonctions du Parlement. Les restrictions établies par le règlement et la législation sont insurmontables.

[57]           Comme les termes figurant dans l’article 3 du Règlement ICAA et l’intention du législateur sont clairs, il n’était pas nécessaire que le comité d’appel aille au-delà du sens ordinaire de ces mots pour les déterminer leur signification. Dans les circonstances, j’estime qu’il était raisonnablement loisible au comité d’appel d’examiner les définitions de la Loi sur les pensions, puisque la disposition pertinente du Règlement ICAA renvoie directement à cette loi, et de fonder sa décision sur le fait qu’une « pension » n’inclut pas d’« allocation », contrairement au terme plus large de « compensation ». De plus, comme l’a noté le comité d’appel, une lecture de l’ensemble de l’article 3 du Règlement ICAA indique très clairement que les annexes I et II de la Loi sur les pensions sont incorporées dans ce règlement, mais pas l’annexe III. Par conséquent, l’interprétation retenue par le comité d’appel non seulement appartient aux issues possibles acceptables, mais est peut-être la seule issue raisonnable possible (McLean, au paragraphe 38).

[58]           On ne peut qualifier la disposition législative d’ambiguë. L’ambiguïté signifie que les termes peuvent raisonnablement avoir plus d’une signification. Ce n’est pas le cas de l’article 3 du Règlement ICAA. Le Parlement a simplement décidé de ne pas inclure les allocations visées à l’annexe III de la Loi sur les pensions dans les indemnités versées aux pensionnés civils du RICAA.

[59]           J’ajouterais que le résultat ne peut pas non plus être qualifié d’absurde puisqu’il illustre les priorités différentes du Règlement ICAA et de la Loi sur les pensions : le premier se rapporte à l’indemnisation des victimes civiles d’accidents d’aviation tandis que la seconde s’applique aux membres des Forces canadiennes qui subissent des blessures. M. Thomson comme la Cour peuvent ne pas être d’accord avec cette différence de traitement, et il est possible de soutenir qu’elle est inéquitable. Cependant, le libellé de la loi est clair et la Cour ne peut pas le modifier. Seul le Parlement a ce pouvoir.

[60]           De même, je reconnais que les personnes atteintes d’une invalidité grave comme M. Thomson pourraient recevoir, du fait de l’interprétation du comité d’appel, une indemnité inférieure à celle dont ils peuvent bénéficier au titre de la common law. Cependant, comme l’ont à bon droit noté le comité d’appel et le procureur général, le Parlement a adopté un règlement destiné à prendre en charge les victimes civiles d’un accident d’aviation dans l’exercice de leurs fonctions, excluant ainsi les paramètres de la common law. En fixant lui-même des limites aux indemnités offertes en vertu de ce régime législatif, le Parlement n’a pas outrepassé ses pouvoirs. Le principe d’indemnisation en common law évoqué par M. Thomson s’applique uniquement au contexte des délits et des contrats, et non aux cas pour lesquels le Parlement a jugé approprié d’adopter une loi d’indemnisation. Les indemnités légales peuvent d’ailleurs être – et sont parfois – inférieures à celles qu’une cour de justice serait en droit d’accorder en vertu des principes d’indemnisation de la common law (Prentice c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2005 CAF 395, au paragraphe 35; Pasiechnyk c Saskatchewan (WCB), [1997] 2 RCS 890, au paragraphe 23). Encore une fois, il s’agit d’un choix fait par le Parlement.

[61]           S’il avait voulu accorder aux pensionnés civils du Règlement ICAA les mêmes pensions et avantages qu’aux membres des Forces canadiennes, le Parlement l’aurait fait de manière claire et non équivoque, sans réserve, comme il l’a fait par exemple dans la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11, qui incorpore toutes les dispositions de la Loi sur les pensions, y compris la définition de « compensation ». Or, il ne l’a pas fait en l’occurrence, et la Cour doit le respecter.

[62]           Je suis donc forcé de conclure que M. Thomson n’a pas démontré que l’interprétation du Règlement ICAA retenue par le comité d’appel est déraisonnable. L’interprétation de la législation que M. Thomson propose et préconise ne justifie pas l’intervention de la Cour. Pour que les employés civils comme M. Thomson bénéficient de l’allocation d’incapacité exceptionnelle par ailleurs offerte aux membres des Forces canadiennes ou aux anciens combattants, une modification législative du Règlement ICAA ou de la Loi sur les pensions est nécessaire. Encore une fois, seul le Parlement, et non la Cour, peut s’en charger.

(3)               La preuve extrinsèque

[63]           En règle générale, l’ambiguïté est un prérequis à l’examen de la preuve externe (comme les débats ou propositions parlementaires ayant précédé l’adoption d’une loi ou d’un règlement) pour interpréter des dispositions législatives. Selon le premier principe d’interprétation législative, il faut considérer les termes ordinaires employés dans la disposition, et ne recourir à des facteurs externes qu’en cas d’ambiguïté (DAI, au paragraphe 26; Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 671, au paragraphe 105). La Cour note qu’il est néanmoins possible d’examiner des éléments de preuve externes, même lorsque le sens ordinaire des termes employés dans la législation est clair et sans ambiguïté, pour déterminer l’intention du Parlement et interpréter la portée d’une disposition. M. Thomson a d’ailleurs pertinemment cité la jurisprudence allant dans ce sens.

[64]           Par exemple, au paragraphe 34 de l’arrêt Rizzo, la Cour suprême a confirmé que les cours pouvaient recourir à des éléments externes, comme les débats législatifs, pour dégager l’intention législative. Certains arrêts de la Cour suprême indiquent que la règle établie dans l’arrêt DAI ne s’applique en fait qu’après que l’intention du législateur a été cernée. Dans l’arrêt CanadianOxy Chemicals Ltd. c Canada (Procureur général), [1999] 1 RCS 743, au paragraphe 14, la Cour suprême a estimé qu’il n’y a ambiguïté véritable qu’en présence de « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur », ce qui implique que la Cour doit d’abord examiner l’objet de la loi avant de déterminer s’il y a ambiguïté (Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, au paragraphe 29). De même, dans l’arrêt Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2012 CSC 71, au paragraphe 95, la Cour a déclaré que « [c]’est uniquement lorsque deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s’harmonisent chacune également avec l’intention du législateur, créent une ambiguïté véritable que les tribunaux doivent recourir à des moyens d’interprétation externes ».

[65]           C’est dans ce contexte que j’ai examiné l’argument de M. Thomson concernant la preuve extrinsèque de l’intention législative sous-jacente au Règlement ICAA, quoique l’article 3 puisse être difficilement qualifié d’ambigu. Cependant, même en tenant compte de la preuve extrinsèque et contextuelle entourant l’adoption du Règlement ICAA, je conclus qu’elle ne rend pas déraisonnable l’interprétation de l’article 3 du Règlement retenue par le comité d’appel.

[66]           M. Thomson fait valoir, en s’appuyant sur des documents du Conseil du Trésor de 1974, que l’intention du Parlement lorsqu’il a modifié le Règlement ICAA et ajouté le libellé actuel de l’article 3, était de prévoir une indemnisation égale à celle qui serait versée aux pensionnés militaires sous le régime de la Loi sur les pensions si le décès ou les blessures étaient indemnisables au titre de cette loi. M. Thomson soutient qu’il n’était nullement question de limiter la portée de l’indemnisation des pensionnés civils du RICAA par un renvoi aux annexes. M. Thomson a également invoqué d’autres documents faisant état de l’intention d’accorder une [traduction« indemnisation adéquate » aux pensionnés du RICAA.

[67]           Cependant, comme l’a noté le procureur général, les documents du Conseil du Trésor mentionnés par M. Thomson ont été élaborés dans le contexte d’une modification apportée au Règlement ICAA en 1974. Le document du Conseil du Trésor daté du 5 décembre 1974 indique que cette proposition de modification avait pour objet de faire relever du RICAA un nouveau groupe d’employés, et non d’étendre ou de modifier la portée des avantages offerts aux pensionnés du RICAA, qui étaient limités par le renvoi aux pensions calculées aux taux indiqués aux annexes A et B de la Loi sur les pensions. Par conséquent, je ne souscris pas à l’argument selon lequel la preuve contextuelle invoquée par M. Thomson confirme que l’intention du Parlement, en modifiant le Règlement ICAA en 1974, était nécessairement d’indemniser les pensionnés civils du RICAA sur la même base que les pensionnés militaires sous le régime de la Loi sur les pensions, et de leur accorder exactement la même indemnité qu’aux militaires blessés en temps de paix. J’estime plutôt que la preuve extrinsèque figurant au dossier ne me permet pas de conclure que l’interprétation du libellé explicite du Règlement ICAA adoptée par le comité d’appel est déraisonnable.

[68]           Autrement dit, vu le libellé explicite employé par le Parlement à l’article 3 du règlement ICAA, l’utilisation de ce qui pourrait être interprété comme des termes généraux dans les échanges entre fonctionnaires avant l’adoption du Règlement ICAA révisé, ne suffit pas à rendre déraisonnable l’interprétation du comité d’appel.

[69]           Je note enfin que le comité d’appel a expressément indiqué dans sa décision qu’il a examiné la preuve sous le jour le plus favorable à M. Thomson, conformément à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Cela ne signifie toutefois pas qu’il pouvait ignorer le libellé du Règlement ICAA. Je remarque en outre que, contrairement à la situation dans l’affaire Arial, le Règlement ICAA ne contient pas de disposition semblable à l’article 2 de la Loi sur les pensions, qui prévoit expressément que cette loi doit être interprétée de manière libérale en reconnaissant l’obligation d’indemniser les membres des Forces canadiennes (aux paragraphes 33 et 34). C’est là encore une indication que le Parlement a choisi de traiter différemment les pensionnés civils du RICAA et les membres des Forces canadiennes.

[70]           Quoique je compatisse au malheur de M. Thomson qui découle de l’accident catastrophique dont il a été victime en octobre 1991, et même si j’aurais pu être enclin à tirer une conclusion différente de celle du comité d’appel si j’avais instruit l’affaire à sa place, je ne puis conclure que ce dernier a commis une erreur déraisonnable en interprétant et en appliquant le Règlement ICAA comme il l’a fait et en concluant que M. Thomson n’était pas autorisé à réclamer l’allocation d’incapacité exceptionnelle.

[71]           M. Thomson a certainement des arguments valides et convaincants pour faire valoir que l’inégalité de traitement entre les civils gravement invalidés en servant leur pays et les membres des Forces canadiennes souffrant d’une invalidité similaire est moralement ou humainement injustifiable, en particulier dans un cas tout à fait exceptionnel comme le sien, où il a survécu à un accident d’avion survenu dans l’exercice de ses fonctions en apportant du soutien à l’armée canadienne. Cependant, seul le législateur peut changer cette situation par une modification législative. C’est à ce niveau que M. Thomson devrait exprimer ses préoccupations.

C.                Le comité d’appel a-t-il commis une erreur susceptible de révision en rejetant l’argument de M. Thomson fondé sur la Charte et en concluant que refus de l’allocation d’incapacité exceptionnelle n’était pas discriminatoire?

[72]           M. Thomson fait également valoir que le comité d’appel a commis une erreur en rejetant son argument selon lequel l’interprétation du Règlement ICAA retenue était discriminatoire à son endroit à titre de personne atteinte d’une grave invalidité, en contravention des droits que lui garantit le paragraphe 15(1) de la Charte.

[73]           Je ne puis souscrire non plus aux arguments de M. Thomson fondés sur la Charte. Je reconnais que cette partie de la décision du comité d’appel n’est pas aussi claire qu’elle aurait pu l’être. Cependant, si je la lis en tenant compte de l’ensemble de la décision et du contexte de celle‑ci, je ne peux conclure que le comité d’appel a commis une erreur susceptible de révision en évaluant l’argument de M. Thomson fondé sur la Charte. J’estime plutôt, compte tenu de la nature de la décision et du contexte légal et factuel de la présente affaire, que la décision du comité d’appel ne mène pas à un résultat discriminatoire contrevenant aux protections garanties par la Charte que fait valoir M. Thomson.

(1)               La thèse de M. Thomson

[74]           M. Thomson soutient en substance que les personnes plus grièvement blessées comme lui ne sont pas totalement indemnisées parce que ses sommes accordées à titre de pension ne suffisent pas en soi à compenser leurs pertes sans une allocation d’incapacité exceptionnelle, alors que les victimes d’accidents d’aviation ayant subi des blessures moins graves relevant du Règlement ICAA sont totalement dédommagées de leurs pertes et reçoivent des indemnités au titre des annexes I et II de la Loi sur les pensions. Ce traitement différentiel perpétue le désavantage préexistant dont souffrent les personnes atteintes d’invalidité grave et renforce les stéréotypes liés à leur impuissance et à leur besoin de charité. Il s’agit donc d’une discrimination contraire à l’article 15 de la Charte.

[75]           M. Thomson affirme en outre que lorsqu’il a évalué sa demande, le comité d’appel s’est trompé de groupe de comparaison en choisissant des membres invalides des Forces canadiennes plutôt que les [traduction« victimes d’accidents d’aviation ayant subi des blessures moins graves que les siennes », ainsi qu’il l’avait proposé. Dans sa décision, le comité d’appel indique effectivement que M. Thomson soutient [traduction« qu’il fait l’objet d’un traitement inégal ou différent par rapport aux pensionnés invalides relevant de la Loi sur les pensions », et conclut qu’il ne fait pas partie de ce groupe puisqu’il n’est pas un pensionné membre des Forces tombant sous le coup de la Loi sur les pensions.

[76]           M. Thomson s’appuie largement sur l’arrêt Auton (Tutrice à l’instance de) c Colombie-Britannique (Procureur général), 2004 CSC 78 [Auton], où de la Cour suprême a déclaré, au sujet de l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1), que « l’élément de comparaison arrêté par les demandeurs sert de point de départ » (au paragraphe 52). En choisissant le mauvais groupe de comparaison, le comité d’appel a faussé toute l’analyse puisque [traduction« le défaut d’identifier et d’utiliser le bon groupe de comparaison entache toute l’analyse relative à la discrimination » (British Columbia (Ministry of Education) c Moore, 2008 BCSC 264, au paragraphe 147 [Moore]).

[77]           Je m’arrête pour noter d’emblée que M. Thomson ne conteste pas la constitutionnalité de l’article 3 du Règlement ICAA et ne cherche pas à le faire invalider. Il n’a pas non plus soulevé la question constitutionnelle devant le comité d’appel. Il sollicite plutôt une déclaration portant que l’interprétation de la disposition par le comité d’appel (que la Cour a jugée raisonnable) donne lieu à un traitement discriminatoire contraire à l’article 15 de la Charte et une ordonnance enjoignant au comité d’adopter une interprétation conforme à la Charte. J’ajouterai que comme M. Thomson ne soulève pas de contestation constitutionnelle fondée sur un motif prévu à l’article 15 de la Charte, on ne pouvait pas s’attendre à ce que le comité d’appel effectue une analyse détaillée concernant la Charte du même type que celles que la Cour suprême a élaborées dans des affaires relatives à des contestations fondées sur l’article 15 au sujet de la possible invalidité de dispositions législatives pour cause de violation de la Charte.

(2)               La source de distinction

[78]           S’agissant de l’argument de M. Thomson, je fais remarquer tout d’abord qu’il existe une certaine confusion dans les observations mêmes qu’il a soumises au comité d’appel et à la Cour quant au groupe auquel il se comparait dans les faits et à la source de la distinction qu’il conteste. Dans ses observations, M. Thomson déclare par exemple ce qui suit :

[traduction] Ce que le Parlement ne peut faire, et je soutiens qu’il ne l’a pas fait, est de porter atteinte à la Charte en prévoyant un accès sélectif qui aboutit au traitement différentiel de civils selon le degré particulier d’invalidité dont ils sont atteints. (page 242, dossier du demandeur)

Nous sommes en présence d’un traitement [différentiel] car le Comité de révision souscrit à une interprétation en vertu de laquelle les pensionnés atteints d’une invalidité légère à modérée à la suite d’un accident d’aviation doivent être totalement indemnisés pour leurs blessures, de la même manière que les membres de l’armée, mais pas les pensionnés gravement invalidés à la suite d’un accident d’aviation. C’est cette interprétation qui est à l’origine du traitement discriminatoire aux termes de l’article 15. (Page 243, dossier du demandeur)

Le motif énoncé sur lequel repose la discrimination est l’invalidité grave. Du fait de cette discrimination, les pensionnés atteints d’une invalidité légère à modérée sont totalement et équitablement indemnisés de leurs pertes non pécuniaires, alors que l’indemnité versée aux pensionnés gravement invalidés relativement aux mêmes pertes est limitée ou inexistante. (page 244, dossier du demandeur).

[Le] comité de révision considère que les paraplégiques militaires sont « supérieurs » ou « plus dignes » sans doute dans le sens où leurs pertes sont liées à des actes de courage et de sacrifice alors que les civils, dont les pertes sont identiques, ne sont pas réputés être aussi valables et se trouvent donc marginalisés. (page 245, dossier du demandeur)

[79]           M. Thomson ajoute que [traduction« les employés civils fédéraux atteints d’une invalidité légère à modérée, et ceux tués dans des accidents d’avion, reçoivent une indemnisation complète dont le montant est égal à celle versée aux membres de l’armée blessés ou tués durant leur service en temps de paix », et compare ainsi la situation de ces pensionnés du RICAA à celle des pensionnés militaires relevant de la Loi sur les pensions. Il ajoute que [traduction« les survivants atteints d’une invalidité grave ne sont pas admissibles à recevoir l’indemnité proportionnelle obligatoire » dont peuvent autrement se prévaloir les pensionnés militaires au titre de la Loi sur les pensions.

[80]           La comparaison entre les pensionnés atteints d’une invalidité légère à modérée et ceux qui sont atteints d’une invalidité grave semble embrouillée avec la comparaison entre les statuts de militaire et de civil. La prétendue distinction que fait valoir M. Thomson entre, d’une part, les pensionnés du RICAA qui présentent une invalidité légère à modérée et, d’autre part, les pensionnés du RICAA atteints d’une invalidité grave, tien en fait à la différence qui s’établit en comparant chaque groupe à la situation respective des pensionnés militaires relevant de la Loi sur les pensions et souffrant d’une invalidité similaire; les pensionnés civils qui présentent une invalidité légère à modérée reçoivent la même indemnité que leurs homologues militaires, contrairement aux pensionnés civils atteints d’une invalidité grave. C’est là que réside la discrimination alléguée par M. Thomson.

[81]           Autrement dit, et pour les ramener à l’essentiel, l’argument et l’approche de M. Thomson quant à la question du traitement discriminatoire reviennent à comparer sa situation aux pensionnés des Forces canadiennes ayant une invalidité semblable.

[82]           Vu ce qui précède, je ne pense pas que le comité d’appel a commis une erreur susceptible de révision dans son analyse ou qu’il n’a pas tenu compte du bon groupe de comparaison des autres pensionnés du RICAA ayant des invalidités moins graves, comme l’a affirmé M. Thomson. Étant donné les arguments de ce dernier, il était raisonnable de la part du comité de considérer les pensionnés militaires invalides comme le groupe de comparaison identifié par M. Thomson, puisque c’est là que réside la source réelle de la discrimination qu’il allègue. Si nous suivons le raisonnement de M. Thomson, les pensionnés gravement invalidés comme lui sont victimes de discrimination parce que les pensionnés du RICAA atteints d’une invalidité légère à modérée sont indemnisés comme leurs homologues militaires, contrairement aux pensionnés atteints d’une invalidité grave.

[83]           Je remarque par ailleurs qu’après s’être référé aux [traduction« pensionnés invalides relevant de la Loi sur les pensions », le comité d’appel note que [traduction« [dans] des circonstances semblables, d’autres pensionnés invalidés à la suite d’un accident d’aviation auraient droit aux mêmes avantages que » M. Thomson. Cela indique que, de toute façon, le comité d’appel a non seulement comparé la situation de M. Thomson aux pensionnés militaires invalidés, mais que son analyse a également tenu compte d’autres pensionnés invalides relevant du RICAA. Ce faisant, le comité d’appel a élargi son évaluation au groupe de comparaison que M. Thomson affirme être le bon.

[84]           Par conséquent, je suis convaincu que le comité d’appel a examiné tous les arguments avancés par M. Thomson et, plus précisément, qu’il a cherché à savoir si ce dernier a fini par subir un traitement différentiel comparativement aux pensionnés du RICAA présentant une invalidité légère à modérée. En déclarant qu’en des circonstances semblables, d’autres pensionnés invalides relevant du RICAA auraient droit aux mêmes avantages que M. Thomson, à savoir une pension calculée aux taux indiqués aux annexes de la Loi sur les pensions, le comité d’appel a évalué la situation de tous les pensionnés invalides relevant du RICAA et conclu qu’ils avaient tous accès aux mêmes avantages, quel que soit leur niveau d’invalidité.

[85]           Contrairement aux décisions citées par M. Thomson se rapportant au contexte des contestations constitutionnelles, nous ne pouvons donc pas affirmer en l’espèce que le choix erroné du groupe de comparaison a entaché l’analyse du comité d’appel relative à la discrimination (Moore, au paragraphe 147). En fait, celui-ci a envisagé à la fois les pensionnés invalides relevant de la Loi sur les pensions et les autres pensionnés du RICAA atteints d’une invalidité légère à modérée identifiés par M. Thomson. Ainsi, on se saurait affirmer que les déclarations du comité d’appel selon lesquelles [traduction« l’appelant fait valoir qu’il fait l’objet d’un traitement inégal ou différent par rapport aux pensionnés invalides relevant de la Loi sur les pensions » et il « ne fait pas partie du groupe auquel il se compare », ne peuvent être raisonnablement étayées par les observations au dossier.

(3)               L’approche relative à l’article 15

[86]           J’estime également que la conclusion à laquelle le comité d’appel est parvenu après avoir analysé l’argument de M. Thomson fondé sur la Charte était une issue possible acceptable compte tenu de l’interprétation correcte de l’article 3 du Règlement ICAA : il n’y a pas de discrimination sur la base d’un motif prévu à l’article 15 de la Charte. Le traitement est peut-être inégal entre les pensionnés civils du RICAA et les pensionnés militaires ayant des invalidités graves, mais cela ne constitue pas une discrimination fondée sur un motif énuméré à l’article 15 ou d’un motif analogue. Il s’agit simplement du choix fait par le législateur d’accorder des avantages à un certain groupe, mais pas à d’autres. Par conséquent, le comité d’appel n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en concluant que M. Thomson n’était pas victime de discrimination fondée sur son invalidité, et il n’est pas vrai que son interprétation de l’article 3 du Règlement ICAA équivaut à un refus inégalitaire et discriminatoire d’avantages contraire à l’article 15 de la Charte.

[87]           La discrimination est une « notion difficile à définir » (Miceli-Riggins c Canada (Procureur général), 2013 CAF 158, au paragraphe 45 [Miceli-Riggins]. Elle ne peut pas simplement être assimilée à l’inégalité. La Charte n’interdit pas toutes les formes d’inégalité, et les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires et contraires à l’article 15. Cette disposition est un outil visant à lutter contre les formes discriminatoires d’inégalité.

[88]           La jurisprudence récente de la Cour suprême résume en deux questions le critère à remplir dans le cas d’une contestation fondée sur l’article 15 : 1) la loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue? 2) la distinction crée-t-elle un désavantage en perpétuant un préjugé ou des stéréotypes? (Québec (Procureur général) c A, 2013 CSC 5, au paragraphe 185; Withler c Canada (Procureur général)), [2011] 1 RCS 396, aux paragraphes 30 et 31 et 61 à 66 [Whitler]; R. c Kapp, 2008 CSC 41, au paragraphe 17 [Kapp]). Cette approche en deux volets a été adoptée par la Cour d’appel fédérale et notre Cour (Miceli-Riggins; Y.Z. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 892).

[89]           Plus récemment, dans l’arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c Taypotat, 2015 CSC 30, la Cour suprême a résumé en ces termes sa jurisprudence concernant l’article 15 de la Charte, aux paragraphes 16 à 21 :

[16] L’approche relative au par. 15(1) a été énoncée le plus récemment dans Québec (Procureur général) c. A, [2013] 1 R.C.S. 61, par. 319‑347. Cet arrêt a clarifié le fait que le par. 15(1) de la Charte exige « une analyse souple et contextuelle visant à déterminer si la distinction a pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard du demandeur, du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue » (par. 331 (italiques ajoutés)).

[17] La Cour a confirmé à maintes reprises que l’art. 15 protège l’égalité réelle (Québec c. A, par. 325; Withler c. Canada (Procureur général), [2011] 1 R.C.S. 396, par. 2; R c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, par. 16; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143). Cette démarche reconnaît que des désavantages systémiques persistants ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes aux membres de certains groupes de la société et elle vise à empêcher tout acte qui contribue à perpétuer ces désavantages. Ainsi que le juge McIntyre l’a fait observer dans l’arrêt Andrews, cette approche repose sur l’idée que toute différence de traitement ne produira pas forcément une inégalité et qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités (p. 164).

[18] L’article 15 vise donc les lois qui établissent des distinctions discriminatoires, c’est‑à‑dire des distinctions qui ont pour effet de perpétuer un désavantage arbitraire à l’égard d’une personne du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue (Andrews, p. 174 et 175, Québec c. A, par. 331). L’analyse à laquelle on procède pour l’application du par. 15(1) s’intéresse donc au contexte social et économique dans lequel s’inscrit la plainte d’inégalité et aux effets de la loi ou de l’acte contesté sur le groupe demandeur (Québec c. A, par. 331).

[19] Le premier volet de l’analyse fondée sur l’art. 15 consiste donc à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue. Limiter les demandes à celles fondées sur des motifs énumérés ou analogues — qui « constituent des indicateurs permanents de l’existence d’un processus décisionnel suspect ou de discrimination potentielle » —, permet d’écarter [traduction] « les demandes qui n’ont rien à voir avec l’égalité réelle et de mettre l’accent sur l’égalité dans le cas de groupes qui sont défavorisés dans un contexte social et économique plus large » (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, par. 8; Lynn Smith et William Black, « The Equality Rights » (2013), 62 S.C.L.R. (2d) 301, p. 336). Le demandeur peut fonder son allégation sur un ou sur plusieurs motifs, selon l’acte de l’État en cause et son interaction avec le désavantage infligé aux membres du groupe dont il fait partie (Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 37).

[20] Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est‑à‑dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes : […]

[21] Pour établir qu’il y a eu à première vue violation du par. 15(1), le demandeur doit par conséquent démontrer que la loi en cause a un effet disproportionné à son égard du fait de son appartenance à un groupe énuméré ou analogue. À la seconde étape de l’analyse, la preuve précise requise variera selon le contexte de la demande, mais « les éléments tendant à prouver qu’un demandeur a été historiquement désavantagé » seront pertinents (Withler, par. 38; Québec c. A, par. 327).

[Souligné dans l’original.]

[90]           Je ferai une autre observation avant d’appliquer le critère à l’affaire qui nous occupe. Les distinctions découlant de lois relatives aux avantages sociaux ne seront pas jugées discriminatoires à la légère (Runchey c Canada (Procureur général), 2013 CAF 16, au paragraphe 113 [Runchey]), comme l’a confirmé plusieurs fois la Cour suprême (Peavine Métis Settlement c Alberta (Ministre des Affaires autochtones et développement du Nord), 2011 CSC 37, au paragraphe 41, Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, au paragraphe 55 [Gosselin]).

[91]           Même si le fait d’être exclu de programmes d’avantages peut « [inspirer] de la sympathie », « le fait qu’un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné » (Gosselin, au paragraphe 55). Comme l’a indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Auton (au paragraphe 41), une distinction quant à la prestation d’avantages ou de services non garantis au titre d’une loi ou d’un règlement ne suffit pas pour établir une discrimination, cette distinction résultant d’un choix législatif du Parlement d’octroyer ou non un avantage particulier. Le Parlement est libre de cibler des avantages ou des programmes sociaux, « à condition que l’avantage offert ne soit pas lui-même conféré d’une manière discriminatoire ». Par ailleurs, dans l’arrêt Withler, la Cour suprême a estimé qu’il fallait examiner avec sensibilité la question de savoir si la législation relative aux avantages sociaux contrevenait à l’article 15 et garder à l’esprit les défis sociaux que les auteurs de la législation tentaient de surmonter (au paragraphe 67).

[92]           Par conséquent, « [o]n ne peut donc pas conclure simplement à une violation de l’article 15 de la Charte du fait que la législation en matière de prestations sociales laisse un groupe, même un groupe vulnérable, à l’extérieur du régime des prestations » (Miceli-Riggins, au paragraphe 59).

[93]           Les régimes législatifs tels que le Règlement ICAA ou la Loi sur les pensions, qui ont par nature la vocation d’améliorer le sort des personnes qu’ils visent et tentent de répondre aux besoins de groupes différents, ne seront pas jugés discriminatoires à la légère puisque les lois prévoyant des avantages font souvent naître des distinctions. En l’espèce, M. Thomson se plaint de ne pas avoir accès à un avantage que la loi n’accorde pas aux pensionnés civils invalides dans sa situation. Il ne s’agit pas d’un cas d’accès inégal à un avantage conféré par la loi et d’application d’une loi accordant des avantages d’une manière non discriminatoire, comme dans l’affaire Elbridge c Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624.

[94]           Pour ce qui est du critère élaboré par la Cour suprême, il s’agit en premier lieu de se demander si le refus d’accorder à M. Thomson l’allocation d’incapacité exceptionnelle crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue de discrimination. La Cour suprême a précisé qu’« [i]l ressort du mot “distinction” l’idée que le demandeur est traité différemment d’autrui » (Withler, au paragraphe 62). Mais cela ne suffit pas. La distinction doit reposer sur un motif énuméré ou analogue.

[95]           L’article 3 du Règlement ICAA n’établit pas de distinction entre les pensionnés atteints d’une invalidité légère, modérée ou grave, puisqu’ils se voient tous refuser l’allocation d’incapacité exceptionnelle, quel que soit leur degré d’invalidité. L’article 3 établit effectivement une distinction entre les pensionnés civils du RICAA et les pensionnés militaires relevant de la Loi sur les pensions, en refusant l’allocation d’incapacité exceptionnelle aux premiers. J’estime que cela ne constitue pas un refus d’égalité réelle aux pensionnés civils invalides du RICAA puisque cette distinction ne repose pas sur un motif de discrimination énuméré ou analogue.

[96]           Le fait de ne pas être membre de l’armée ne constitue pas une distinction discriminatoire aux termes de l’article 15 de la Charte. Il ne s’agit manifestement pas d’un motif énuméré, ni d’un motif analogue. D’ailleurs, la Cour suprême a refusé de considérer le fait d’être visé par une législation d’indemnisation des accidents du travail comme un motif analogue à un motif fondé sur l’article 15 (Renvoi : Workers’ Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 RCS 922); il en va de même des individus soumis à la loi martiale (R c Généreux, [1992] 1 RCS 259) et de ceux qui sont employés comme agents de la GRC (Delisle c Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 RCS 989). Ne pas appartenir à l’armée relève de la même catégorie.

[97]           Il n’y a pas de discrimination au sens de l’article 15. La loi prévoit simplement une protection spéciale offerte aux membres des Forces canadiennes et non aux pensionnés du RICAA. L’article 15 de la Charte ne garantit pas de droit à un traitement identique, mais protège contre la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue (Runchey, au paragraphe 101). En d’autres termes, le fait que M. Thomson n’ait pas accès à l’allocation d’incapacité exceptionnelle parce qu’il n’est pas militaire ne constitue pas une exclusion fondée sur un motif de discrimination énuméré ou un motif analogue.

[98]           Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde partie du critère élaboré par la Cour suprême. Je noterais simplement que la privation de certains avantages tels que l’allocation d’incapacité exceptionnelle prévue au Règlement ICAA ne permet pas de conclure qu’un préjugé ou des stéréotypes sont perpétués, « qu’une personne n’est pas un membre à part entière de la société canadienne, qu’elle a une valeur moindre ou qu’elle n’appartient pas à notre collectivité » (Miceli-Riggins, au paragraphe 84). C’est simplement que la personne concernée, comme beaucoup d’autres, n’a pas accès à certains avantages au titre d’un régime non universel parce que certains critères de qualification ne sont pas remplis.

[99]           Par conséquent, je conclus que l’interprétation du comité d’appel n’est pas contraire au paragraphe 15(1) de la Charte et que celui-ci n’a pas commis d’erreur en concluant que le fait de ne pas avoir accès à l’allocation d’incapacité exceptionnelle n’était pas discriminatoire.

(4)               Le critère de l’arrêt Auton

[100]       Enfin, même en suivant l’approche élaborée dans l’arrêt Auton relativement aux contestations constitutionnelles fondées sur les motifs de l’article 15, l’argument de M. Thomson serait rejeté. Pour prouver la discrimination, M. Thomson devait démontrer au comité d’appel qu’il devait répondre par l’affirmative à chacune des trois questions formulées par la Cour suprême (au paragraphe 26) :

1) Les demandeurs recherchent-ils un avantage prévu par la loi? Dans la négative, quel est l’avantage prévu par la loi?

2) L’avantage prévu par la loi a‑t‑il été refusé aux demandeurs et accordé à un groupe de comparaison semblable sous tous les rapports importants pour ce qui est de l’avantage, hormis la caractéristique personnelle associée à un motif énuméré ou analogue?

3) Si la réponse aux deux questions précédentes est affirmative, les demandeurs ont-ils établi la discrimination en prouvant que la distinction les a privés, en tant qu’êtres humains, de l’égalité sur le plan de la valeur et de la dignité.

[101]       Que le groupe de comparaison soit celui des [traduction« pensionnés invalides » identifié par le comité d’appel, ou celui des pensionnés [traduction« présentant des blessures légères à modérées » comme l’a proposé M. Thomson, l’actuelle analyse aboutirait au même résultat. Si l’on prend les membres des Forces canadiennes grièvement blessés comme groupe de comparaison, la première question recevrait une réponse négative, puisque M. Thomson se trouverait à comparer sa situation, régie par le Règlement ICAA, à celle de personnes visées par un autre régime législatif, la Loi sur les pensions, qui ne s’applique pas à lui. L’analyse s’arrêterait là.

[102]       Si nous optons pour le groupe de comparaison proposé par M. Thomson (c.-à-d. les victimes moins grièvement blessées visées par le Règlement ICAA), la première question recevrait une réponse affirmative. L’avantage octroyé par le Règlement ICAA à tous les pensionnés relevant de sa portée et présentant tous les degrés d’invalidité est une indemnité correspondant à la pension qui leur aurait été versée en vertu de la Loi sur les pensions. Cependant, la réponse à la deuxième question serait nécessairement négative puisque les seuls avantages refusés à M. Thomson sont les allocations prévues à l’annexe III de la Loi sur les pensions, y compris l’allocation d’incapacité exceptionnelle. Or, ces allocations sont également refusées à tous les membres du groupe de comparaison, comme elles le sont à tous les employés civils relevant du Règlement ICAA, quel que soit leur degré d’invalidité.

[103]       Pour que ses arguments fondés sur la Charte soient accueillis, M. Thomson aurait dû démontrer que d’autres pensionnés du RICAA que ceux qui ont des invalidités graves auraient eu droit aux avantages qui lui auraient été refusés en raison de son statut d’invalide grave. Ce n’est pas le cas.

[104]       Le comité d’appel aurait sans doute pu fournir plus de détails dans son analyse des groupes de comparaison, mais la norme de la raisonnabilité-proportionnalité oblige la Cour à faire preuve de déférence à l’endroit du décideur, pour autant que le processus et l’issue respectent bien les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. J’estime que tel est le cas en l’espèce, car sans égard à la manière dont la comparaison s’effectue, l’interprétation de l’article 3 du Règlement ICAA retenue par le comité d’appel n’aboutit pas à un traitement discriminatoire fondé sur l’un des motifs de la Charte.

IV.             Conclusion

[105]       Pour les motifs qui précèdent, je dois rejeter la demande de M. Thomson, car je ne puis conclure que la décision du comité d’appel concernant son interprétation du Règlement ICAA était déraisonnable et qu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables, ni que son interprétation donne lieu à un traitement discriminatoire enfreignant les droits de M. Thomson protégés par la Charte.

[106]       Encore une fois, je reconnais que M. Thomson soulève de nombreuses préoccupations valides concernant le traitement de sa demande d’indemnité, qu’il compare à celui dont bénéficient des membres des Forces canadiennes dans une situation analogue. Cependant, il s’agit là de questions qui doivent être portées à l’attention du Parlement et de la législature puisqu’en définitive, eux seuls, et non la Cour, peuvent les régler.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2012-14

INTITULÉ :

ROBERT JAMES THOMSON c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 mai 2015

jugement et motifs :

le juge GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 18 août 2015

COMPARUTIONS :

Robert James Thomson

POUR LE demandeur

(pour son propre compte)

Pascale-Catherine Guay

POUR LE défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert James Thomson

Montréal (Québec)

POUR LE demandeur

(pour son propre compte)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE défendeur

 

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