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Date : 20150727


Dossier : IMM-5138-13

Référence : 2015 CF 917

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ALASSAN WILLIAMS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité de la décision du 15 juillet 2013 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et a rendu une mesure d’expulsion (à l’instance devant la SAI, le demandeur agissait comme défendeur).

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Sierra Leone qui est arrivé clandestinement au Canada le 1er juillet 2001 avec six autres personnes. Il a demandé d’asile, mais sa demande a été rejetée le 7 mai 2002 par la Section de la protection des réfugiés, qui a conclu qu’elle n’avait aucun fondement crédible.

[3]               Le 21 avril 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada a établi un rapport d’interdiction de territoire fondé sur le paragraphe 44(1) de la Loi, l’agent d’immigration ayant estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi, qui prévoit :

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les faits suivants :

 

35. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of violating human or international rights for

 

a) commettre, hors du Canada, une des infractions visées aux articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre;

(a) committing an act outside Canada that constitutes an offence referred to in sections 4 to 7 of the Crimes Against Humanity and War Crimes Act;

 

[4]               Le 15 janvier 2010, la Section de l’immigration (SI) a conclu que le demandeur n’était pas interdit de territoire, puisqu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait commis une infraction au titre des articles 4 à 7 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, c 24 (la Loi sur les crimes contre l’humanité). Cependant, le 15 juillet 2013, la SAI a fait droit à l’appel du ministre et conclu qu’il y avait bien des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait été complice d’actes constituant une infraction au titre de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les crimes contre l’humanité, et elle a donc pris une mesure d’expulsion.

[5]               Dans ses motifs longs et détaillés, la SAI tire trois conclusions. Tout d’abord, le Revolutionary United Front (RUF) et l’Armed Forces Revolutionary Council (AFRC) sont des organisations qui visent des fins limitées et violentes et commettent des crimes contre l’humanité. Par ailleurs, il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre de l’AFRC et du RUF. Enfin, le demandeur était complice des actes du RUF et de l’AFRC qui constituaient des crimes contre l’humanité, une infraction aux termes de l’alinéa 6(1)b) de la Loi sur les crimes contre l’humanité. S’appuyant sur la décision Pushpanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, la SAI a noté que lorsqu’il est établi qu’une organisation vise des fins limitées et violentes, le fait d’en être membre suffit pour démontrer la complicité. La SAI a estimé que les informations émanant de la source étaient fiables et dignes de foi, et conclu que le demandeur était lié à l’AFRC et au RUF, ce qui permettait de supposer qu’il faisait cause commune avec eux, présomption que le demandeur n’a pas réfutée. Par conséquent, la SAI a conclu qu’il était interdit de territoire au titre de l’alinéa 35(1)a) de la Loi.

[6]               Aujourd’hui devant la Cour, le demandeur ne conteste ni la première conclusion de la SAI selon laquelle le RUF et l’AFRC sont des organisations visant des fins limitées et violentes et commettant des crimes contre l’humanité, ni la manière dont la SAI a formulé dans sa décision le critère des « motifs raisonnables de croire » qui, en vertu de l’article 33 de la Loi, s’applique aux conclusions portant interdiction de territoire fondées sur l’alinéa 35(1)a) de la Loi. En substance, le demandeur conteste la légalité de la deuxième conclusion, à savoir qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il était membre de l’AFRC et du RUF. Les deux parties en l’espèce conviennent que si la conclusion de la SAI relative à l’appartenance ne peut être maintenue, la troisième conclusion qui en est le corollaire, suivant laquelle le demandeur a été complice des actes du RUF et de l’AFRC, ne pourra pas l’être non plus, et l’affaire devra donc être renvoyée à un autre tribunal de la SAI pour nouvel examen.

[7]               Le demandeur soutient que la décision contestée est déraisonnable et qu’il y a eu manquement à la justice naturelle. La présente demande de contrôle judiciaire doit échouer.

[8]               Je me pencherai d’abord sur la question du caractère raisonnable. La SAI a conclu que le demandeur était membre du RUF et de l’AFRC en se fondant sur de multiples facteurs, mais ce dernier n’a guère déployé d’efforts pour réfuter la preuve présentée par le ministre. Comme je l’explique plus loin, la conclusion relative à l’appartenance est étayée par la preuve et par un raisonnement clair et convaincant.

[9]               Premièrement, le dossier contient des éléments de preuve crédibles qui établissent un lien direct entre le demandeur, l’AFRC et le RUF. Devant la SAI, le défendeur a invoqué la preuve documentaire dont celle-ci disposait et a appelé un témoin, Robert Hotston, ancien enquêteur criminel principal au bureau du procureur de la Special Court for Sierra Leone (SCSL]. La SAI s’est appuyée sur une lettre rédigée par M. Hotston et sur son témoignage, au cours duquel il a révélé qu’une source – un ancien membre intermédiaire du RUF – avait identifié le demandeur sur une photo prise peu après son arrivée au Canada comme étant « Andrew », un combattant qui avait appartenu à l’Armée sierra-léonaise avant d’adhérer à l’AFRC, puis finalement au RUF. La SAI a noté que d’après M. Hotston, la source en question avait déposé comme témoin de la poursuite devant la SCSL, et les informations qu’elle avait fournies ont été corroborées par d’autres sources et au moyen d’une enquête indépendante. M. Hotston a également décrit les circonstances de la rencontre avec la source afin qu’elle identifie la personne prise en photo. La SAI a ajouté que les informations fournies par la source concordaient avec la preuve documentaire; ayant estimé que M. Hotston était un témoin crédible et pris en compte la manière dont les renseignements avaient été obtenus, la SAI a jugé qu’il y avait assez de garanties pour conclure que les informations provenant de la source étaient fiables et objectives.

[10]           Deuxièmement, la SAI a indiqué que le demandeur présentait à son arrivée au Canada plusieurs cicatrices sur les mains et les avant-bras, au sujet desquelles il a fourni des explications qu’elle n’a pas jugées crédibles. La SAI a également estimé que ses déclarations concernant sa connaissance des six autres passagers clandestins n’étaient pas crédibles, car la preuve indiquait qu’ils étaient liés puisqu’ils avaient tous des documents semblables de l’UNHCR; d’autre part, ses affirmations concernant le moment auquel il avait remarqué ces autres clandestins et le fait qu’ils n’avaient pas discuté de leur situation durant la guerre ne lui ont pas paru plausibles. De plus, la SAI a conclu que le demandeur était arrivé au Canada muni de multiples photos en couleurs d’atrocités perpétrées sur la population civile et d’un combattant. Il a offert plusieurs versions différentes pour expliquer pourquoi et comment il avait obtenu ces photos, et qui était le combattant photographié; à son arrivée au Canada, ces images se trouvaient dans une enveloppe attachée à sa cuisse par un pansement de gaze. La SAI a également noté que d’après la preuve, ces photos n’étaient pas largement connues du grand public, et que M. Hotston avait déclaré que les seules personnes qu’il avait vues en possession de ce type de photographies étaient des ex‑combattants qui avaient sur eux des images d’atrocités faisant office de souvenirs ou de moyens d’intimidation. La SAI a également relevé plusieurs disparités dans les déclarations du demandeur concernant sa relation avec Mohammed Conteh, l’homme qu’il a identifié comme le combattant sur les photos nos 3 et 17 et qui lui avait remis les photos en question. M. Hotston a déclaré durant son témoignage que deux enquêteurs avaient identifié cet homme comme étant Issa Sesay, mais la SAI a conclu que la preuve était insuffisante pour le confirmer, compte tenu d’autres éléments de preuve fournis par le demandeur et d’une comparaison faciale effectuée par le défendeur. Cependant, la SAI a conclu que la preuve établissait que cet homme était un rebelle et que le demandeur le connaissait bien.

[11]           Troisièmement, la SAI a estimé que l’identité du demandeur posait plusieurs problèmes : il a fourni à la SPR et la SI des explications très différentes quant aux circonstances dans lesquelles il avait obtenu son certificat de naissance et au fait qu’un processus d’identification n’était pas requis pour obtenir un tel document; d’autre part, le certificat de naissance du demandeur était très semblable à celui de Mohamed Kallon, un autre passager clandestin arrivé à bord du même navire que lui et qui a ensuite admis que son certificat de naissance était faux; le certificat d’autorisation de sécurité présentait un certain nombre d’anomalies et était donc dénué de toute valeur probante; le certificat de police et le passeport avaient été obtenus à l’aide du certificat de naissance. La SAI a conclu qu’elle ne savait pas qui était le demandeur et que les raisons pour lesquelles il dissimulait sa véritable identité étaient pertinentes et essentielles.

[12]           Quatrièmement, la SAI a estimé que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne l’endroit où il se trouvait avant janvier 1999 et à partir de cette période. Elle a relevé diverses incohérences ou contradictions dans les déclarations qu’il avait faites aux agents d’immigration, à la SI et à la SPR concernant la période qu’il avait passée dans un camp de réfugiés en Guinée, et noté que les documents du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) fournis par les sept passagers clandestins ont été jugés frauduleux par ce dernier. La SAI a estimé en outre que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne son métier de commerçant à Freetown, puisqu’il a d’abord déclaré qu’il n’avait été témoin d’aucune sorte de violation des droits de la personne, pour reconnaître ensuite qu’il avait été témoins de violences, d’actes de pillage et de morts, et qu’il n’a fourni aucune preuve documentaire objective concernant sa vie de commerçant. La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas démontré où il se trouvait et ce qu’il faisait en Sierra Leone de 1997 à 1999.

[13]           Le demandeur soutient que le manque de crédibilité n’établit pas en soi qu’il était membre de l’AFRC et du RUF, ou complice de crimes contre l’humanité. Par ailleurs, s’agissant de l’évaluation de la preuve par la SAI, le demandeur fait valoir que celle-ci a tiré des conclusions déraisonnables en fonction de ses pièces d’identité, attendu que les documents délivrés par un pays étranger sont présumés valides (Mutombo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 731, au paragraphe 16) et que rien ne permettait de contester l’authenticité ou la validité du certificat de naissance ou du passeport. De plus, la SAI a elle-même reconnu que le passeport pouvait avoir été dûment délivré et que l’analyse du certificat de police n’avait pas été concluante. Le demandeur soutient aussi que la SAI s’est trompée en s’appuyant sur le témoignage par ouï-dire de la source anonyme puisque la preuve n’était ni fiable ni crédible, et qu’elle n’a pas tenu compte des lacunes de l’enquête, notamment le fait que les procédures requises pour faire témoigner une source devant la SCSL n’avaient pas été respectées. Par ailleurs, le demandeur fait valoir que la SAI a évoqué des contradictions mineures ou sans pertinence comme celles qui concernaient l’endroit où il se trouvait avant janvier 1999 et à partir de cette période ou sa connaissance limitée des violences. Il soutient également que la SAI ne disposait d’aucune preuve relativement aux cicatrices, que les renseignements fournis par les autres passagers clandestins n’étaient pas crédibles et que rien n’indiquait que ces derniers appartenaient à des groupes combattants. Le demandeur ajoute que la SAI n’a pas pris en compte les éléments de preuve indiquant que des photos d’atrocités prises par les médias circulaient, comme l’a confirmé M. Lamin, et a minimisé le rapport de reconnaissance faciale d’après lequel l’homme représenté sur la photo no 17 n’était probablement pas Issa Sesay. D’après le demandeur, l’inférence tirée par la SAI, selon laquelle il connaissait cet homme et qu’il était un rebelle, était arbitraire étant donné que le demandeur a toujours maintenu qu’il était un soldat du gouvernement.

[14]           Le bien-fondé de la décision portant que le demandeur est interdit de territoire concerne des questions de fait et de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 335, au paragraphe 12). Dans l’ensemble, je suis convaincu que l’issue à laquelle la SAI est parvenue est raisonnable et que les diverses conclusions et inférences tirées par la Commission sont étayées par la preuve au dossier. Tout d’abord, la SAI n’a pas commis d’erreur dans son traitement des papiers d’identité du demandeur étant donné que de multiples facteurs signalaient que le certificat de naissance n’était pas authentique et que le certificat de police, l’autorisation de sécurité et le passeport n’avaient aucune valeur probante puisque, sans égard à leur authenticité, ils avaient été obtenus à l’aide du certificat de naissance. Deuxièmement, la SAI n’a pas eu tort de conclure que l’identification fournie par la source était fiable puisque celle-ci n’avait aucune raison d’induire en erreur les enquêteurs, qu’il ne lui a pas été expliqué pourquoi on lui demandait d’identifier la photographie du demandeur, et que les informations qu’elle avait déjà fournies dans le cours d’enquêtes et de procès instruits par la SCSL avaient été corroborées. La SAI peut tenir compte de la preuve émanant d’informateurs (Balathavarajan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 340, au paragraphe 12) et en l’espèce, les renseignements offerts par la source concordaient avec la preuve documentaire. De plus, de nombreuses contradictions ont été relevées dans les témoignages du demandeur concernant l’endroit où il se trouvait durant la période où il était mêlé d’après la source aux activités du RUF et de l’AFRC, et il était improbable qu’il n’ait été témoin d’aucune violence à Freetown; par conséquent, il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que le demandeur cherchait à dissimuler ce qu’il avait fait durant la guerre. En outre, ce dernier a fourni des versions très différentes pour expliquer pourquoi et comment il avait obtenu les photos des atrocités, et la preuve indiquait qu’en règle générale, seuls les membres des médias ou les ex-combattants étaient en possession de ce genre d’images, et l’homme sur la photo était un rebelle que le demandeur connaissait. De plus, ce dernier a voyagé avec un ancien rebelle et s’est servi de papiers d’identité semblables sans pouvoir l’expliquer de manière crédible.

[15]           Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur demande en substance à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAI. En dépit du fait que je n’aurais pas nécessairement tiré les mêmes conclusions que la SAI quant à chaque élément de preuve, la Cour doit uniquement déterminer si la décision présente les attributs du caractère raisonnable. En l’espèce, la SAI a examiné chaque élément en détail et justifié ses conclusions par des motifs exhaustifs et intelligibles. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la SAI n’a pas fait abstraction de la preuve et a même directement évoqué des éléments contradictoires : elle cite ainsi au paragraphe 176 de la décision un courriel indiquant que la possession de photographies des atrocités ne signifie pas nécessairement que l’individu visé était un combattant. Il était loisible à la SAI de tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue, et celle-ci appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[16]           Quoi qu’il en soit, le demandeur fait valoir à présent que de nouveaux éléments de preuve contredisent ceux dont la SAI disposait. Le défaut d’examiner cette nouvelle preuve équivaudrait à enfreindre la justice naturelle. Le 27 septembre 2013, plus de deux mois après que la SAI eut rendu sa décision, Brenda Hollis, alors procureure de la SCSL, adressait un courriel à Robert Petit, avocat et chef d’équipe de la section Crimes contre l’humanité et crimes de guerre du ministère de la Justice du Canada, pour lui faire part de la position du Bureau du procureur (BDP) de la SCSL concernant les informations que celui-ci était ou non en mesure de confirmer. Dans ce courriel, Me Hollis indiquait que le BDP n’avait pas trouvé de document établissant que la confirmation de l’authenticité du certificat de naissance et du certificat de bonne conduite avait été transmise aux fonctionnaires canadiens. Me Hollis ajoutait :

[traduction
Nous ne pouvons pas confirmer l’identité de la personne sur la photo no 24 [photographie du demandeur] ni celle de la source qui aurait fourni cette information. Nous ne pouvons pas non plus confirmer que l’identité a été corroborée par d’autres sources ou par une enquête indépendante. Nos enquêteurs ont indiqué qu’ils n’avaient pas procédé à cette identification, et qu’ils n’étaient pas présents lorsqu’elle a eu lieu.

[17]           Me Hollis déclarait également que l’un des enquêteurs, Magnus Lamin, avait indiqué qu’il était [traduction] « tout à fait possible » que les photographies des atrocités aient été diffusées au grand public durant la guerre. Me Hollis ajoutait que M. Lamin n’avait pas été en mesure d’identifier l’homme sur les photographies nos 3 et 17 que lui avait montrées M. Hotston en avril 2009. Me Hollis concluait que :

[traduction
Le BDP ne se prononce pas sur l’identité de M. Williams ni sur la question de savoir s’il a été mêlé aux activités de la SLA, de l’AFRC ou du RUF; nous indiquons simplement ne pas être en mesure de vérifier les informations ou les confirmations fournies par M. Hotston.

[18]           D’après le demandeur, le fait que ces nouveaux éléments de preuve n’aient pas été portés à l’attention de la SAI par le ministre démontre qu’il n’a pas bénéficié d’une [traduction] « audience équitable », et qu’il subit dès lors un préjudice. Le demandeur allègue une violation de l’équité procédurale, qui doit être assujettie à la norme de la décision correcte. Son éminent avocat invite la Cour à conclure à une insuffisance fondamentale de la preuve, une sorte de vice de preuve, entachant la conclusion de la SAI. Le demandeur invoque le courriel de Me Hollis et fait valoir que les renseignements fournis par M. Hotston étaient [traduction] « sans fondement ». D’après lui, le courriel de Me Hollis laisse entendre que M. Hotston ou la source a fait des déclarations fausses ou inexactes, que la source n’existait pas ou n’était pas un ancien témoin du BDP. Le demandeur soutient que ce courriel démontre une faute de la part de M. Hotston en ce qui a trait au caractère incomplet et inexact du dossier concernant ses papiers d’identité, à la question de la possession de photographies d’atrocités et à l’identification d’Issa Sesay par M. Lamin. Le demandeur note en outre qu’il est étrange que M. Hotston, après avoir pris connaissance du courriel, n’ait pas tenté de contacter Me Hollis pour confirmer ses informations. Il note aussi que la nouvelle preuve soumise par le défendeur ne contredit pas le fait que le BDP ne peut pas confirmer l’identification du demandeur ni celle de la source. Il prétend que la non-divulgation de cette information était une atteinte à l’équité procédurale, tout comme le fait que les renseignements concernant les photographies n’aient pas été soumis à la SAI.

[19]           Les arguments invoqués par le demandeur pour faire valoir une atteinte à la justice naturelle sont infondés. La nouvelle preuve ne peut pas être présentée à la Cour afin de discréditer ou de rendre déraisonnable une conclusion reposant sur la preuve dont disposait la SAI. Qui plus est, j’estime qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Je reconnais qu’un tel manquement peut découler d’autres facteurs que les agissements du tribunal, comme des erreurs de traduction ou des fausses déclarations découvertes après l’audience (voir par exemple Mah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 853). Cependant, tel n’est pas le cas en l’espèce. Tout d’abord, la valeur probante du témoignage de M. Hotston a été examinée devant la SAI et ce dernier a été contre-interrogé. De plus, Me Hollis n’a aucune connaissance personnelle des faits, elle n’a pas soumis d’affidavit, et elle n’a pas été contre-interrogée, contrairement à M. Hotston. Contrairement à ce que laisse entendre le courriel de Me Hollis, M. Hotson n’a jamais déclaré que l’identification du demandeur avait été corroborée, ou qu’il avait discuté de la disponibilité des photographies avec M. Lamin. Le défendeur soutient que M. Hotston a fourni des informations exactes, complètes et véridiques, et qu’il a d’ailleurs communiqué le fait que le certificat de naissance semblait authentique. La preuve fournie par M. Hotston montre que Me Hollis n’a pris part à aucune des réunions concernant l’identification du demandeur. De plus, l’avis de M. Lamin sur les photographies n’a pas été évoqué avec M. Hotston, et n’a pas été transmis au défendeur ou à la SAI. Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve au dossier atteste qu’il n’y a pas eu de faute, et que ni M. Hotston ni le ministre n’ont induit la SAI en erreur, comme le laisse entendre le demandeur.

[20]           En effet, contrairement à ce qu’allègue le demandeur, le courriel de Me Hollis ne laisse pas entendre que M. Hotston a tenté de tromper la SAI par des déclarations fausses ou inexactes, ni que la source n’existait pas : le courriel ne contredit pas le témoignage de M. Hotston, mais indique simplement que le BDP ne peut en confirmer la teneur. De plus, la manière dont M. Hotston a obtenu l’information de la source, qu’il confirme dans son affidavit, a été examinée par la SAI, tout comme sa crédibilité, puisque M. Hotston a été contre-interrogé, tandis que Me Hollis n’a aucune connaissance personnelle de ces événements et qu’elle s’est contentée d’indiquer ce que le BDP était ou non en mesure de confirmer. Cela ressort d’un certain nombre d’imprécisions factuelles dans son courriel, notamment le fait que M. Hotston aurait déclaré que l’identification du demandeur avait été corroborée par d’autres sources et qu’aucun renseignement n’établissait que la détermination de l’authenticité du certificat de naissance avait été transmise aux autorités canadiennes.

[21]           La présente affaire n’est pas comparable à Lopez Diaz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 FC 131, dans laquelle un policier ayant indiqué qu’il n’existait aucune trace du rapport de police présenté à la SPR par la demanderesse est revenu sur son témoignage après que la décision eut été rendue. M. Hotston a confirmé tous les éléments de son témoignage dans son affidavit, notamment les procédures qui ont été suivies pour identifier le demandeur. La seule contradiction directe entre le courriel de Me Hollis et le témoignage de M. Hotston concernait l’identification par M. Lamin de l’homme sur la photo no 17 comme étant Issa Sesay, un fait non pertinent en l’espèce puisque la SAI a estimé que les renseignements étaient insuffisants pour conclure que cet homme était bel et bien Issa Seasy. De plus, l’avis de M. Lamin concernant la diffusion des photographies d’atrocités ne révèle pas une atteinte à l’équité procédurale, puisque ni M. Hotston ni le défendeur n’en ont eu connaissance, et M. Hotston a produit son avis ainsi que celui de M. Koroma.

[22]           En résumé, le demandeur n’a prouvé aucune inconduite de la part du ministre ni de celle de M. Hotston. Le courriel de Me Hollis, et les informations qu’il contient, n’étaient pas connus du ministre avant que la SAI ne prenne sa décision : il ne pouvait donc y avoir d’atteinte à l’équité procédurale découlant d’une non-divulgation. De plus, le contenu du courriel de Me Hollis ne démontre pas un manquement à l’équité procédurale. Celle-ci n’exige pas que le témoignage d’un témoin soit confirmé ou corroboré par une entité externe. La SAI a rendu sa décision en se basant sur le témoignage de M. Hotston et même s’ils n’ont pas été confirmés par Me Hollis, les éléments essentiels de ce témoignage n’ont été ni contredits ni contestés par elle. Par conséquent, il n’y a pas eu d’atteinte à l’équité procédurale.

[23]           Le demandeur soulève un certain nombre d’autres arguments subsidiaires dans ses observations écrites. Qu’il suffise de dire qu’ils ont également été examinés et que je les trouve tous infondés en fait et en droit. Je souscris à cet égard aux arguments et au raisonnement contenus dans les observations écrites du ministre.

[24]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les avocats conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5138-13

 

INTITULÉ :

ALASSAN WILLIAMS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge martineau

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Patil Tutunjian

 

pour le demandeur

 

Michel Pépin

Anne-Renée Touchette

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Associés Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE défendeur

 

 

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