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Date : 20150817

Dossier : IMM-5099-14

Référence : 2015 CF 974

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 août 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

RUNA AKTER

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Madame Runa Akter a présenté une demande de contrôle judiciaire, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Elle conteste une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI), qui a rejeté son appel de la décision d’un agent des visas qui avait refusé un visa de résident permanent à son époux, M. Aashan Firoz Shah.

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la SAI a raisonnablement établi que le mariage de M. Shah visait principalement l’immigration et que celui-ci ne pouvait pas être parrainé à titre d’époux de Mme Akter. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Mme Akter est originaire de Dhaka, au Bangladesh. Elle est venue au Canada à titre de résidente permanente en 2003, après avoir été parrainée par sa famille. Elle est devenue citoyenne canadienne en 2007.

[4]               M. Shah est citoyen du Bangladesh. Il est entré pour la première fois au Canada le 25 juillet 2005 en se servant d’un passeport frauduleux. Il a subséquemment présenté une demande d’asile qui a été rejetée le 12 avril 2006 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qu’il a présentée à la Cour à l’égard de la décision de la SPR a été rejetée le 19 juillet 2006.

[5]               M. Shah a rencontré Mme Akter le 27 août 2006 et il l’a demandée en mariage le même jour. Il fréquentait la même mosquée que la famille de Mme Akter et il a appris qu’elle désirait arranger un mariage pour Mme Akter. M. Shah a été présenté à la famille de Mme Akter par un ami commun, et ils se sont rencontrés peu de temps après.

[6]               Mme Akter a épousé M. Shah le 29 décembre 2006 et le mariage a été inscrit aux registres le 5 janvier 2007. M. Shah n’a pas informé Mme Akter que sa demande d’asile avait été refusée ni que la Cour avait rejeté sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Il a plutôt amené Mme Akter à croire que sa demande était toujours en traitement, même si elle avait en fait été rejetée huit mois plus tôt.

[7]               M. Shah a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) le 25 janvier 2007, examen qui s’est soldé par une décision défavorable le 15 mars 2007. Une mesure d’interdiction de séjour a été prise, et M. Shah a quitté le Canada le 25 avril 2007.

[8]               Mme Akter a demandé pour la première fois de parrainer M. Shah en tant que son époux en 2007. L’agent des visas qui a été chargé de traiter la demande a constaté que certains des documents fournis par M. Shah à l’appui de sa demande étaient frauduleux. La demande a été refusée à cause de fausses déclarations, en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. M. Shah a été réputé interdit de territoire au Canada pendant deux ans, en application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[9]               Mme Akter a présenté une deuxième demande dans le but de parrainer M. Shah le 24 juillet 2009.

[10]           Le 31 mars 2011, Mme Akter et M. Shah sont devenus parents d’une fille.

[11]           Le 10 avril 2011, M. Shah s’est présenté à une entrevue concernant la deuxième demande de parrainage conjugal. Pendant l’entrevue, l’agent des visas a découvert que M. Shah avait faussement inscrit deux cousins comme ses frères dans son formulaire Renseignements additionnels sur la famille. M. Shah a affirmé qu’un conseiller en immigration lui avait conseillé de le faire quand il avait présenté sa demande d’asile en 2006, de manière à ce qu’il puisse les parrainer plus tard, et il avait simplement répété ces fausses déclarations dans ses demandes de parrainage.

[12]           Le 30 mai 2011, Mme Akter et M. Shah ont été avisés que la demande de résidence permanente de M. Shah avait été rejetée et qu’il avait de nouveau été jugé interdit de territoire pour fausses déclarations, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’agent des visas a également conclu que M. Shah s’était marié principalement en vue de l’acquisition d’un statut au Canada. Cette conclusion reposait sur le manque de crédibilité de M. Shah, la planification dans le temps du mariage et son incapacité de produire des éléments de preuve fiables pour expliquer l’origine de la relation.

[13]           Mme Akter a interjeté appel devant la SAI de la décision de l’agent des visas, en application du paragraphe 63(1) de la LIPR. L’appel a été instruit le 8 octobre 2013 et le 24 janvier 2014. Dans une décision datée du 26 mai 2014, la SAI a rejeté l’appel.

III.         La décision de la SAI

[14]           La SAI a pris en considération les antécédents d’immigration de M. Shah, y compris son entrée frauduleuse au Canada en juillet 2005, sa demande d’asile infructueuse d’avril 2006, le rejet de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en juillet 2006, l’ERAR défavorable de janvier 2007, son expulsion en avril 2007 et ses deux demandes de résidence permanente infructueuses en décembre 2007 et en mai 2011.

[15]           Étant donné que M. Shah avait fait des fausses déclarations dans ses deux demandes de résidence permanente, la SAI a conclu qu’il n’était ni crédible ni digne de confiance comme témoin. Elle a également pris note du fait que les agents des visas qui avaient étudié les demandes avaient tous les deux exprimé des préoccupations à l’égard de l’authenticité de sa relation avec Mme Akter et des motifs pour lesquels il l’avait épousée. La SAI a particulièrement fait ressortir le fait que M. Shah avait fait de fausses déclarations à Mme Akter au sujet de ses antécédents d’immigration quand il l’a rencontrée et l’a demandée en mariage.

[16]           La SAI a reconnu que Mme Akter et son mari étaient mariés depuis sept ans, que Mme Akter avait rendu visite à son mari au Bangladesh à quatre reprises et qu’ils avaient un enfant. Néanmoins, elle a fait remarquer que M. Shah avait montré qu’il était très motivé à acquérir un statut au Canada, non seulement pour lui‑même, mais aussi pour d’autres.

[17]           La SAI a conclu que M. Shah s’était marié principalement pour des raisons d’immigration. Par conséquent, en application du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et le statut de réfugié, DORS/2002-227 (le Règlement), M. Shah a été déclaré inadmissible au parrainage en qualité d’époux de Mme Akter en vertu de l’article 12 de la LIPR. Cela a également signifié que la SAI n’avait pas compétence pour instruire l’appel en vertu du paragraphe 64(3) de la LIPR et qu’il lui était interdit de prendre en considération des motifs humanitaires sous le régime de l’article 65 de la LIPR.

[18]           Subsidiairement, la SAI a conclu que même si M. Shah n’était pas exclu comme membre de la catégorie « regroupement familial », l’appel devait quand même être rejeté, parce que M. Shah était interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La SAI s’est ensuite demandé si les motifs humanitaires invoqués par Mme Akter justifiaient qu’elle fasse droit à l’appel en dépit des fausses déclarations de M. Shah. La SAI a établi que l’intérêt supérieur de l’enfant (ISE) était le facteur le plus convaincant et elle a admis qu’il serait bon pour l’enfant du couple qu’elle vive avec ses deux parents au Canada. Toutefois, la SAI a fait observer que Mme Akter et M. Shah ont eu un enfant alors qu’ils savaient qu’ils avaient une relation à distance, et elle a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs humanitaires pour justifier la prise de mesures spéciales.

IV.         Questions en litige

[19]           Mme Akter a soulevé de nombreuses questions concernant la décision de la CISR, mais une seule d’entre elles s’est révélée déterminante : la SAI a-t-elle raisonnablement conclu que M. Shah ne pouvait pas être considéré comme étant l’époux de Mme Akter en application du paragraphe 4(1) du Règlement, parce qu’il s’était marié principalement pour des raisons d’immigration?

V.                Analyse

[20]           La norme de contrôle que la Cour doit appliquer aux décisions de la SAI concernant le but principal d’un mariage est la norme de la décision raisonnable (Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1522 [Gill], au paragraphe 17). La Cour n’interviendra que si la décision de la SAI manque de « justification, de transparence et d’intelligibilité » et ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[21]           Sous le régime de la LIPR, un ressortissant étranger ne peut pas être considéré comme un époux si le mariage a été contracté de mauvaise foi. Cette règle figure au paragraphe 4(1) du Règlement :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

[22]           Il s’agit d’un critère disjonctif (Gill, au paragraphe 11). Si la SAI constate que le mariage ne résiste pas à l’examen à la lumière de l’un ou l’autre de ces deux facteurs, l’étranger ne sera pas considéré comme un époux pour l’application du Règlement. Pour répondre à la question de savoir si un mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la LIPR, il convient d’examiner les intentions des parties au moment du mariage. Le juge en chef Crampton s’est exprimé en ces termes à ce sujet, aux paragraphes 32 et 33 de la décision Gill :

[32]      Je reconnais qu’il puisse être pertinent d’examiner les éléments de preuve relatifs aux faits survenus après un mariage pour déterminer si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR (Kaur Gill, précité, au paragraphe 8). Cela dit, de tels éléments de preuve ne sont pas nécessairement déterminants, et la SAI n’a pas nécessairement agi de façon déraisonnable en ayant omis de les examiner et de les analyser explicitement.

[33] Il en est ainsi parce que, alors que le présent est utilisé dans l’énoncé du critère de l’article 4 du Règlement selon lequel il faut évaluer si le mariage contesté « n’est pas authentique », le second critère commande une évaluation visant à déterminer si le mariage « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi » (non souligné dans l’original). Par conséquent, pour déterminer si ce dernier critère est rempli, il faut s’attarder aux intentions des époux au moment du mariage (…).

[Souligné dans l’original.]

[23]           Mme Akter conteste la conclusion de la SAI selon laquelle le mariage n’était pas authentique et avait été contracté par M. Shah principalement dans le but d’acquérir un statut sous le régime de la LIPR. Elle affirme qu’il importe de faire une distinction entre le but principal d’un mariage et le but principal du moment choisi pour le contracter. Elle fait remarquer que le moment d’un mariage peut en fait être choisi en fonction de questions d’immigration, mais que cela ne signifie pas que le mariage a été contracté principalement pour des motifs d’immigration. Elle affirme que la SAI a accordé [traduction« une importance indue au moment du mariage, à l’exclusion de tous les autres facteurs ».

[24]           Mme Akter ajoute que les indices qui ont convaincu la SAI que le mariage était authentique pour elle étaient également applicables à M. Shah. Par conséquent, elle fait valoir que la SAI aurait dû apprécier de nouveau la conclusion de l’agent des visas, selon laquelle M. Shah avait contracté le mariage principalement à des fins d’immigration, en tenant compte des événements qui se sont produits au cours des sept années du mariage.

[25]           Il ne revient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les facteurs que la SAI a pris en considération (Samad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 30 [Samad], aux paragraphes 21 et 32). Il était loisible à la SAI d’apprécier chaque facteur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et il lui était loisible de n’accorder aucun poids à n’importe quel facteur selon les circonstances (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292 [Ambat], au paragraphe 32).

[26]           En l’espèce, la SAI disposait d’une preuve éloquente de la malhonnêteté passée de M. Shah et de son recours abusif au système d’immigration du Canada. Il existait de nombreuses raisons objectives de douter des intentions de M. Shah quand il a contracté le mariage, y compris son entrée frauduleuse au Canada en 2005, le moment de la demande en mariage et le manque de franchise de M. Shah envers son épouse au sujet de sa situation en matière d’immigration. De plus, au cours de son entrevue au sujet de la première demande de parrainage, M. Shah a affirmé que le couple s’était dépêché de se marier au Canada et ne s’était pas épousé au Bangladesh (où sa famille réside) pour accélérer le traitement de sa demande d’ERAR. Pendant son entrevue à propos de la deuxième demande de parrainage, M. Shah a fait passer deux cousins pour ses frères dans l’espoir d’obtenir un statut, non seulement pour lui-même, mais aussi pour eux.

[27]           La conclusion de la SAI, selon laquelle le mariage peut avoir été authentique du point de vue de Mme Akter, mais ne pas avoir été authentique de la part de M. Shah, fait partie des issues possibles et acceptables. Elle confirme également que la SAI a comme il se devait tenu compte des intentions subjectives des époux (Dalumay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1179, au paragraphe 30).

[28]           Mme Akter a également allégué que la SAI avait omis de bien apprécier les motifs d’ordre humanitaire invoqués dans le cadre de l’appel. Toutefois, comme l’a fait observer le juge Phelan dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chen, 2014 CF 262, au paragraphe 14, si une personne n’est pas reconnue comme un membre de la catégorie « regroupement familial » en vertu du Règlement, la SAI ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire à l’égard des motifs d’ordre humanitaire.

[29]           En l’espèce, la décision de la SAI de déclarer que M. Shah n’était pas admissible au parrainage sous le régime du paragraphe 4(1) de la LIPR était suffisante pour trancher l’appel. Étant donné que j’ai conclu que cette décision est correcte, il n’est pas nécessaire d’examiner l’analyse des motifs d’ordre humanitaire que la SAI a effectuée. Je constate seulement que la décision de la SAI d’accorder ou de refuser la prise de mesures spéciales relève de ses compétences spécialisées et mérite un degré élevé de déférence. La Cour ne doit pas apprécier de nouveau la preuve dont la SAI était saisie ni substituer sa propre conception de l’affaire (Samad, aux paragraphes 21 et 32). L’ISE est seulement un des facteurs qui doivent être pris en considération (Ambat, au paragraphe 27).

[30]           La SAI a jugé que M. Shah était interdit de territoire pour fausses déclarations. Même si la Commission a estimé que l’ISE était un facteur positif, les antécédents d’abus commis par M. Shah envers le système d’immigration du Canada l’emportent sur tout motif d’ordre humanitaire. Il était raisonnablement loisible à la SAI de tirer cette conclusion.

VI.             Conclusion

[31]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Pierre Ballard, LL.L., traducteur agréé


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-5099-14

 

INTITULÉ :

RUNA AKTER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONtario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

lE 17 AOÛT 2015

 

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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