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Date : 20150806


Dossier : IMM-6394-14

Référence : 2015 CF 951

 [TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 août 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

AMIR REZVANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 8 juin 2012 (la décision), par laquelle un agent des visas (l’agent) a refusé la demande de résidence permanente du demandeur au titre du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral). Le demandeur soutient que cette décision devrait être infirmée parce que, d’une part, l’agent n’a pas respecté les principes d’équité procédurale en ne lui permettant pas de répondre à certaines préoccupations en matière de crédibilité et, d’autre part, elle est déraisonnable puisque l’agent n’a pas apprécié adéquatement la preuve.

[2]               La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.          Contexte

[3]               Le demandeur, M. Amir Rezvani, est un citoyen de l’Iran. Il a demandé le statut de résident permanent au Canada en 2010 sur le fondement de son expérience en tant que directeur financier et comptable, professions inscrites au système de Classification nationale des professions (la CNP) sous les codes 0111 et 1111, respectivement. À la suite de l’examen de la demande, le bureau de réception centralisée de Sydney, en Nouvelle‑Écosse, a recommandé que la demande soit renvoyée au bureau des visas à l’étranger pour qu’une décision définitive soit rendue sur la question de l’admissibilité. Une demande complète, comprenant notamment des lettres d’emploi et diplômes, a été présentée au bureau des visas le 12 février 2011 ou vers cette date.

[4]               La décision initiale a été rendue le 8 juin 2012, mais, selon le dossier, le demandeur n’a pas reçu la lettre l’en avisant. En 2014, le demandeur a envoyé une mise à jour de sa demande pour y inclure son fils qui venait de naître. Le bureau des visas lui a fait parvenir la décision qui avait été rendue en 2012 et le demandeur l’a reçue le 4 juillet 2014. L’avocate du demandeur a demandé la réouverture du dossier afin de déposer des preuves supplémentaires. Le bureau des visas a rejeté la demande. Le demandeur a donc déposé une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire le 2 septembre 2014.

II.        La décision de l’agent

[5]                L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’il avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal de la CNP pour les professions en cause. Il était mentionné dans la décision que les documents d’emploi présentés par le demandeur ne contenaient qu’une vague description des fonctions du poste qu’il aurait occupé, et que la description des fonctions exercées, faite par le demandeur, était en grande partie copiée directement de la CNP, ce qui diminuait la crédibilité globale de l’expérience professionnelle du demandeur. Par conséquent, compte tenu des renseignements dont il disposait, l’agent n’était pas convaincu que la demande était recevable au titre de la catégorie des directeurs financiers ou des comptables.

[6]               Les notes inscrites au Système mondial de gestion des cas (le SMGC) révèlent que les documents d’emploi soumis par le demandeur contenaient beaucoup de jargon propre aux entreprises et que la description des fonctions n’était pas toujours claire. Selon les notes, ni le demandeur ni les entreprises n’ont fourni une explication, et l’agent a estimé que l’expérience professionnelle du demandeur s’apparentait davantage à celle d’un commis aux écritures qu’à celle d’un directeur financier ou d’un comptable. La demande a donc été refusée.

III.       Les observations des parties

A.                 Les observations du demandeur

[7]                Le demandeur allègue que, lorsque les doutes de l’agent des visas visent la crédibilité de la preuve, par opposition à son caractère suffisant, il faut donner au demandeur la possibilité de dissiper ces doutes (Fang c Canada (MCI), 2014 CF 196, au paragraphe 9 [Fang]; Rukmangathan c Canada (MCI), 2004 CF 284, aux paragraphes 22 et 38 [Rukmangathan]; Talpur c Canada (MCI), 2012 CF 25, au paragraphe 21 [Talpur]; Madadi c Canada (MCI), 2013 CF 716, au paragraphe 6 [Madadi]). Cette obligation existe même à l’étape de l’évaluation initiale du dossier par un agent des visas (Kumar c Canada (MCI), 2010 CF 1072, au paragraphe 29 [Kumar]).

[8]               Le demandeur affirme que l’agent a clairement indiqué qu’il avait des doutes au sujet de la crédibilité des descriptions données par le demandeur concernant les fonctions qu’il avait exercées. L’agent était donc tenu d’informer le demandeur de toute préoccupation quant à la crédibilité des renseignements contenus dans sa demande (Patel c Canada (MCI), 2011 CF 571, aux paragraphes 20 et 22 [Patel]; Liao c Canada, [2000] ACF n1926, au paragraphe 17). Outre l’information copiée de la CNP, le demandeur a présenté des lettres d’emploi provenant d’employeurs actuels et anciens qui décrivaient ses fonctions, et l’agent n’avait aucune raison de conclure que les preuves étaient insuffisantes ou peu crédibles. Le demandeur soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de répondre aux préoccupations concernant la crédibilité de la preuve fournie (Hassani c Canada (MCI), 2006 CF 1283, au paragraphe 24 [Hassani]).

[9]               Le demandeur soutient en outre que lorsqu’un décideur passe sous silence des éléments de preuve pertinents, il est possible d’inférer qu’il ne les a pas examinés ou qu’il n’en a pas tenu compte (Cepeda-Gutierrez c Canada (1998), 157 FTR 35, au paragraphe 17). Le demandeur allègue que l’agent n’a tenu compte ni de ses diplômes ni des renseignements qui se trouvaient dans les lettres d’emploi, lesquelles contenaient des détails pertinents sur les fonctions qu’il avait exercées dans ses postes divers. L’agent a donc omis de tenir compte d’éléments de preuve qui auraient dissipé ses doutes au sujet des fonctions exercées par le demandeur dans les postes qu’il avait occupés. Le demandeur affirme en outre que l’argument écrit présenté par le défendeur est une tentative interdite de compléter les motifs de l’agent par sa propre analyse des lettres d’emploi (Qi c Canada (MCI), 2009 CF 195, au paragraphe 35).

[10]           Dans son mémoire des arguments, le demandeur sollicite également une prorogation de délai au motif qu’il n’a reçu la lettre de refus que le 4 juillet 2014 et qu’il a déposé sa demande dans les 60 jours suivant la réception de la lettre. Toutefois, comme le demandeur a déclaré qu’il n’avait pris connaissance de la lettre de refus que le 4 juillet 2014 et qu’il a déposé sa demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire dans les 60 jours après avoir pris connaissance de la décision, le 2 septembre 2014, il ne me paraît pas nécessaire de proroger le délai en vertu de la loi (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, alinéa 72(2)b)). Quoi qu’il en soit, l’avocate du défendeur a souligné à l’audience qu’étant donné que l’autorisation avait été accordée dans la présente demande, le défendeur ne soulève aucune question litigieuse en ce qui concerne la présentation de la demande en temps opportun.

B.                 Les observations du défendeur

[11]           Le défendeur allègue premièrement qu’il n’y a eu aucune violation des principes d’équité procédurale. Le rôle des agents consiste à évaluer les demandes de visa en tenant compte des renseignements et des éléments de preuve dont ils disposent, et ils n’ont aucune obligation générale de demander des détails ou des renseignements additionnels si les éléments preuve ne sont pas suffisants (Madan c Canada (MCI) (1999), 172 FTR 262, au paragraphe 6). Le défendeur prétend que, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agent n’a tiré aucune conclusion en matière de crédibilité. L’agent a plutôt décidé que le demandeur avait repris les termes de la CNP plutôt que de décrire son poste dans ses propres mots. Il a tenu compte de ce fait et a estimé que les éléments de preuve fournis par le demandeur n’étaient pas suffisants, ce qui ne constitue pas une conclusion sur la crédibilité (Kamchibekov c Canada (MCI), 2011 CF 1411 [Kamchibekov]).

[12]           Dans le même ordre d’idées, le défendeur est d’avis que l’agent n’a pas contesté la crédibilité ou l’authenticité des lettres d’emploi, mais plutôt leur manque de spécificité. L’agent n’avait par conséquent aucune obligation additionnelle en matière d’équité procédurale (Obeta c Canada (MCI), 2012 CF 1542, au paragraphe 25 [Obeta]; Singh c Canada (MCI), 2009 CF 620, au paragraphe 7; Dhillon c Canada (MCI), 2009 CF 614, au paragraphe 30; Qin c Canada (MCI), 2002 CFPI 815, au paragraphe 7). Le défendeur allègue également que, même lorsque l’agent mentionne la crédibilité, il ne peut y avoir de devoir d’équité s’il appert que les doutes de l’agent visaient surtout le caractère adéquat de la preuve présentée par le demandeur (Gharialia c Canada (MCI), 2013 CF 745, aux paragraphes 21 et 22 [Gharialia]). Un doute au sujet de l’expérience professionnelle pertinente est une question qui découle directement des exigences de la loi (Kamchibekov, aux paragraphes 25 à 27; Rukmangathan, au paragraphe 23).

[13]            Le défendeur soutient que le devoir d’équité à l’égard des demandeurs de visa se situe au bas de l’échelle et qu’il appartient à ces derniers de fournir une demande complète (Tahereh c Canada (MCI), 2008 CF 90, au paragraphe 12 [Tahereh]; Khan c Canada (MCI), 2001 CAF 345, aux paragraphes 31 et 32 [Khan]; Chiau c Canada (MCI), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41 (CAF); Obeta, au paragraphe 25). En l’espèce, il n’existait aucune obligation en matière d’équité procédurale, d’autant plus que la demande a été refusée à l’étape de l’évaluation de son admissibilité (Chadha c Canada (MCI), 2013 CF 105, au paragraphe 38; Kamchibekov, aux paragraphes 17, 18 et 26).

[14]           La thèse du défendeur est essentiellement que l’agent a correctement pris en compte tous les éléments de preuve. L’agent a examiné les lettres d’emploi présentées par le demandeur et a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour démontrer que le demandeur avait exercé les fonctions de directeur principal et de comptable, décrites dans l’énoncé principal des professions, qu’il prétendait avoir exercées. Les fonctions décrites dans les lettres d’emploi s’apparentaient davantage à celles d’un commis aux écritures. Le défendeur soutient également que les études du demandeur ne permettaient de tirer aucune conclusion en ce qui concerne l’expérience professionnelle requise. L’agent devait plutôt tenir compte des tâches effectuées. L’agent a l’expertise pour évaluer si le demandeur possède l’expérience professionnelle nécessaire, et le demandeur n’a pas déposé une preuve suffisante pour convaincre l’agent qu’il avait les qualifications requises (Buttar c Canada (MCI), 2010 CF 984 [Buttar]; Bhatia c Canada (MCI), 2012 CF 1278; Bighashi c Canada (MCI), 2013 CF 1110).

IV.       Norme de contrôle

[15]            Le demandeur soutient que les questions d’équité procédurale doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Canada (MCI) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]), et que la norme de la décision raisonnable est applicable aux questions qui font intervenir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et aux questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a affirmé que l’omission de prendre en compte une preuve importante est une erreur de droit et que la norme de contrôle applicable à cet égard est celle de la décision correcte (Ozdemir c Canada (MCI), 2001 CAF 331, au paragraphe 7; Uluk c Canada (MCI), 2009 CF 122, au paragraphe 16). Toutefois, j’ai cru comprendre à l’audience que l’avocate du demandeur a confirmé que la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il a été correctement tenu compte de la preuve dans la décision est celle de la décision raisonnable.

[16]           Le défendeur affirme que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable parce que la question de savoir si un demandeur a exercé les fonctions qu’exige son poste, dans le contexte d’une demande au titre des travailleurs qualifiés, est d’abord une question de fait (Dunsmuir, au paragraphe 47; Tiwana c Canada (MCI), 2008 CF 100, au paragraphe 12 [Tiwana]; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 17 et 18).

[17]           À mon avis, la question d’équité procédurale soulevée par le demandeur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Khosa, au paragraphe 43) et celle de savoir s’il a été correctement tenu compte de toute la preuve dans la décision, selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 47; Kamchibekov, aux paragraphes 12 et 13; Obeta, aux paragraphes 13 et 14).

V.         Les questions en litige

[18]           Compte tenu des arguments des parties, la présente demande soulève les questions suivantes :

1.                  Y‑a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

2.                  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

VI.       Analyse

A.         Y‑ a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[19]           Selon la jurisprudence applicable, dans les affaires portant sur la décision d’un agent des visas concernant une demande de résidence permanente, le devoir d’équité de l’agent est généralement situé au bas de l’échelle. Cela s’explique par l’absence d’un droit à la résidence permanente reconnu par la loi, le fait que c’est au demandeur qu’il incombe d’établir son admissibilité, le fait que les répercussions sur le demandeur sont moins graves que dans une affaire où il y a perte d’un avantage, et l’intérêt public à contrôler les coûts administratifs (Tahereh, au paragraphe 12; Khan, aux paragraphes 39 et 40).

[20]           En ce qui concerne l’équité procédurale requise dans le cas d’une demande de résidence permanente, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la jurisprudence a également établi que l’agent des visas a l’obligation d’aviser le demandeur de ses doutes lorsque ceux-ci portent sur d’autres facteurs que le caractère suffisant de la preuve, notamment sur la crédibilité ou l’authenticité des éléments de preuve présentés (Fang, au paragraphe 19; Rukmangathan, aux paragraphes 22 et 28; Talpur, au paragraphe 21; Madadi, au paragraphe 6; Kumar, au paragraphe 29; Hassani, au paragraphe 24).

[21]           Toutefois, il est également vrai que le demandeur a le fardeau de présenter une demande complète. Il n’est pas nécessaire de communiquer au demandeur les préoccupations quant au caractère suffisant de la preuve, étant donné qu’il fait partie de la responsabilité initiale du demandeur de présenter une demande complète. Dans Obeta, affaire dans laquelle l’agent des visas avait constaté que les fonctions énumérées dans les lettres d’emploi avaient été copiées directement des fiches de la CNP correspondant aux codes pertinents, le juge Boivin s’est exprimé en ces termes, au paragraphe 25 :

Le demandeur a l’obligation de présenter une demande qui non seulement est « complète », mais aussi pertinente, convaincante et sans ambiguïté (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 526, [2012] ACF no 548; décision Kamchibekov, précitée, au paragraphe 266). Malgré la distinction que tente d’établir le demandeur entre le caractère suffisant et l’authenticité des renseignements, il n’en demeure pas moins qu’une demande complète est, en réalité, insuffisante si les renseignements qu’elle renferme sont dénués de pertinence, non probants ou ambigus. [Non souligné dans l’original]

[22]           En l’espèce, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté une preuve suffisante pour établir qu’il avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal de la CNP pour la profession pertinente. L’agent est parvenu à cette conclusion en se fondant sur les documents d’emploi présentés par le demandeur, qui, selon l’agent, ne contenaient qu’une vague description des fonctions de l’emploi, ainsi que sur la description des fonctions exercées fournie par le demandeur lui-même, qui était souvent une reproduction mot à mot de la CNP. Cette situation s’est produite dans l’affaire Kamchibekov, et le juge Pinard a déclaré ce qui suit à cet égard, au paragraphe 15 de la décision :

Selon le Bulletin opérationnel 120 – 15 juin 2009, Demandes de travailleurs qualifiés (fédéral) – Procédures aux bureaux des visas, les descriptions de tâches qui reproduisent littéralement la formulation de la CNP doivent être considérées comme intéressées. Les agents des visas à qui l’on soumet de tels documents ont le droit de se demander si ceux-ci décrivent avec exactitude l’expérience du demandeur. Quand un document ne comporte pas assez de précisions pour permettre sa vérification ni une description crédible, on considérera que le demandeur n’a pas produit assez de preuves pour établir son admissibilité : l’agent des visas doit rendre une décision définitive et, si les éléments de preuve sont insuffisants, c’est une décision défavorable au sujet de l’admissibilité qu’il convient de rendre.

[23]           Dans la décision Kamchibekov, la description des fonctions que le demandeur prétendait avoir exercées était une reproduction mot à mot de la description des fonctions dans la CNP. L’analyse du juge Pinard concernant la question de savoir si l’affaire soulevait une question d’équité procédurale se trouve aux paragraphes 25 à 28 :

[25]      Subsidiairement, le demandeur soutient que même si les motifs de l’agent sont suffisants, ce dernier a manqué à son obligation d’équité en ne procédant pas à un entretien, le privant ainsi du droit de dissiper les doutes de l’agent quant à la véracité de la demande, ce qui est le motif pour lequel sa demande a été rejetée. Comme l’a défini le demandeur, l’obligation d’équité de l’agent obligeait ce dernier à donner au demandeur la possibilité de dissiper les doutes qu’il avait (Olorunshola c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1056 [Olorunshola]). À l’inverse, le défendeur souligne le contexte dans lequel la décision a été rendue : à ce stade de l’admissibilité, un préavis n’est pas une exigence de l’équité procédurale et le demandeur n’avait pas droit à un compte rendu ou à un entretien pour corriger sa demande lacunaire (Kaur c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 442 [Kaur]).

[26]           Selon Kaur, l’équité procédurale n’obligeait pas l’agent des visas à aviser la demanderesse (dans cette affaire) de l’insuffisance des documents qu’elle avait fournis : il lui incombait de présenter une preuve suffisante à l’appui de sa demande (Kaur, au paragraphe 9), La demanderesse n’avait pas droit à une entrevue pour corriger ses propres omissions (Kaur, au paragraphe 9). De plus, lorsque les réserves d’un agent des visas découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, cet agent n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre (Kaur, au paragraphe 11; Rukmangathan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 284, au paragraphe 23). Une expérience professionnelle pertinente est une question qui découle du règlement: un agent des visas n’est pas tenu de faire part de ses préoccupations au sujet de l’expérience professionnelle du demandeur ((Kaur, au paragraphe 12). En fin de compte, l’agent des visas n’est pas tenu de pousser ses investigations plus loin si la demande du demandeur est ambiguë : « le demandeur n’a aucun droit à l’entrevue pour cause de demande ambiguë ou d’insuffisance des pièces à l’appui » (Kaur, au paragraphe 10; Sharma c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 786, au paragraphe 8 [Sharma]; Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 152 FTR 316, au paragraphe 4). L’imposition d’une telle exigence équivaudrait à exiger que l’agent des visas donne préavis d’une conclusion défavorable au sujet de l’admissibilité (Sharma, au paragraphe 8).

[27]           En l’espèce, l’agent n’avait pas à tenir une entrevue ou à aviser le demandeur de ses doutes au sujet de la reproduction des fonctions énumérées dans la CNP, comme dans Kaur. Comme l’a indiqué la juge Danièle Tremblay-Lamer, au paragraphe 14:

La demanderesse a semblé avoir copié la description de ses propres tâches de la Classification nationale des professions, ce qui ne l’a pas aidée. Ainsi, il était loisible à l’agent des visas, compte tenu du peu d’éléments de preuve dont il était saisi, de conclure que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait une expérience professionnelle suffisante à l’égard de la profession déclarée et de rejeter sa demande pour ce motif

[28]           L’agent n’a donc pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

[24]           Par conséquent, lorsqu’une description des fonctions reproduit littéralement la CNP, l’agent des visas est en droit de conclure que la preuve est insuffisante pour établir l’admissibilité. En l’espèce, même si l’agent a utilisé le mot [traduction] « crédibilité » dans la décision, il semble avoir tiré une conclusion sur le caractère suffisant de la preuve, étant donné que cette interprétation appuie la conclusion globale que les éléments de preuve présentés par le demandeur n’étaient pas suffisants pour établir qu’il avait exercé les fonctions décrites dans l’énoncé principal de la profession. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, même si l’agent a utilisé le terme « crédibilité », les conclusions de l’agent ne visaient pas véritablement la crédibilité, mais le caractère suffisant de la preuve, comme dans l’affaire Gharialia (voir les paragraphes 21 et 22). Il n’y a eu aucun manquement aux principes d’équité procédurale puisque le demandeur avait le fardeau de présenter une demande complète.

[25]           L’exigence de l’expérience professionnelle pertinente découle de la loi, et l’agent n’était donc pas tenu d’aviser directement le demandeur de ses préoccupations au sujet de cet aspect de la demande (Kamchibekov, aux paragraphes 25 à 27; Rukmangathan, au paragraphe 23).

[26]           On peut établir une distinction entre l’affaire Patel, sur laquelle se fonde le demandeur, et celle qui nous occupe. Il ressort clairement des motifs du juge O’Keefe, aux paragraphes 26 et 27, qu’il a conclu que l’agente des visas considérait comme frauduleuse la lettre d’emploi, dans laquelle on avait directement copié la description de la CNP. Cette affaire soulevait donc une question de crédibilité ou d’authenticité plutôt que de caractère suffisant de la preuve. À l’audience, le demandeur a également insisté sur la décision Madadi. Toutefois, dans cette affaire également, la Cour a conclu que l’agent des visas avait rejeté la demande sur le fondement de la crédibilité de la lettre de l’employeur.

[27]           Je conclus donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale de la part de l’agent qui a traité la demande de résidence permanente du demandeur.

B.         La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[28]           À mon avis, l’appréciation de la preuve par l’agent n’était pas déraisonnable. En effet, il ressort clairement de la lettre de rejet de la demande qu’a fait parvenir l’agent au demandeur ainsi que des notes du SMGC que l’agent a bien tenu compte des lettres d’emploi présentées par le demandeur. L’agent mentionne les [traduction] « documents d’emploi » et les [traduction] « lettres » des entreprises pour lesquelles le demandeur avait travaillé, ce qui démontre qu’il en a tenu compte pour évaluer la demande.

[29]           L’agent a déclaré que les documents d’emploi contenaient du [traduction] « jargon propre aux entreprises », que [traduction] « le sens des fonctions décrites n’était pas toujours clair » et que [traduction] « les documents d’emploi ne contenaient qu’une vague description des fonctions d’emploi [du demandeur] ». Se fondant sur sa compréhension des lettres fournies, l’agent a conclu que [traduction] « l’expérience [du demandeur] s’apparente davantage à celle d’un commis aux écritures qu’à celle d’un comptable ou d’un directeur financier ». Après examen des lettres d’emploi, je juge qu’il était loisible à l’agent de conclure que les fonctions décrites ressemblaient davantage à celles d’un commis aux écritures qu’à celles d’un comptable ou d’un directeur financier.

[30]           À l’audience, l’avocate du demandeur a également renvoyé la Cour au curriculum vitae du demandeur qui figurait parmi les pièces présentées à l’agent. Le demandeur soutient que l’agent n’a tenu compte que de son formulaire de demande, lequel, selon l’agent, contenait une description de ses fonctions qui reprenait littéralement celle de la CNP. L’agent n’a pas mentionné le curriculum vitae qui explique le « jargon » figurant dans les lettres d’emploi qui, selon les notes du SMGC, n’était expliqué nulle part. Toutefois, après examen, je constate que le curriculum vitae contient essentiellement les mêmes renseignements que le formulaire de demande et reprend en grande partie les termes utilisés dans la CNP. J’estime donc que cet argument est sans fondement.

[31]           L’agent des visas possède l’expertise nécessaire pour évaluer l’expérience professionnelle du demandeur et il faut faire preuve de retenue à l’égard de sa décision (Buttar, au paragraphe 9; Tiwana, au paragraphe 12). En l’espèce, l’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour étayer une conclusion que les fonctions du demandeur étaient celles d’un directeur financier ou d’un comptable. Il s’agit d’une conclusion raisonnable qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

VII.     Conclusions

[32]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les avocates ont été consultées sur la question de savoir si l’une d’elles souhaitait présenter à la Cour une question à certifier aux fins d’appel, mais ni l’une ni l’autre n’a formulé une telle question.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6394-14

INTITULÉ :

AMIR REZVANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 juillet 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 6 août 2015

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

POUR LE DEMANDEUR

Marina Stefanovic

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adrienne Smith

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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