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Date : 20150727

Dossier : T-1004-13

Référence : 2015 CF 919

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

TRANS-HIGH CORPORATION

demanderesse

et

HIGHTIMES SMOKESHOP AND GIFTS INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Trans-High Corporation (la demanderesse) cherche à faire déclarer Hightimes Smokeshop and Gifts Inc. (la défenderesse) coupable d’outrage au tribunal pour avoir désobéi au jugement du juge Manson daté du 26 novembre 2013 (Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2013 CF 1190 (Trans-High)). Le juge Manson avait statué que la défenderesse avait usurpé la marque de commerce de la demanderesse « HIGH TIMES » (enregistrement no LMC 243 868), en contravention aux articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi). Le juge avait également statué que la défenderesse avait appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse, en contravention à l’alinéa 7b) de la Loi.

[2]  Le juge Manson avait interdit de manière permanente à la défenderesse de vendre, de distribuer ou d’annoncer des produits ou des services en liaison avec la marque de commerce déposée de la demanderesse ou toute autre marque de commerce ou tout autre nom commercial qui pourrait vraisemblablement être confondu avec la marque de commerce de la demanderesse. La décision comportait également plusieurs ordonnances accessoires, et la Cour y accordait des dommages-intérêts et adjugeait les dépens à la demanderesse.

[3]  Bien qu’elle ait eu connaissance du jugement du juge Manson, la défenderesse a continué d’utiliser la marque de commerce et le nom HIGH TIMES sur l’enseigne de son magasin, sur ses reçus de ventes et sur des documents imprimés au moins jusqu’en mars 2015. À l’audience pour outrage au tribunal qui a eu lieu le 18 juin 2015, la défenderesse et Ameen Muhammad (aussi appelé Ameen Mohammad), son dirigeant et administrateur, ont chacun inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’accusation d’outrage. Les présents motifs concernent donc uniquement les sanctions et autres réparations appropriées.

I.  Contexte

[4]  La demanderesse est la propriétaire de la marque de commerce HIGH TIMES. Elle a commencé à employer la marque de commerce HIGH TIMES au Canada aux environs de 1982 et elle l’emploie encore aujourd’hui. L’entreprise de la demanderesse comprend la publication d’une revue mensuelle appelée High Times, qui [traduction] « s’intéresse à la contre‑culture, y compris, sans s’y limiter, aux utilisations médicale et récréative de la marijuana », ainsi que la vente de différents biens portant la marque de commerce HIGH TIMES (Trans-High, aux paragraphes 2 et 3).

[5]  La demanderesse a conclu plusieurs contrats aux fins de la distribution de la revue High Times et de biens portant la marque de commerce HIGH TIMES. La demanderesse exploite également un site Web, « www.hightimes.com », qui est accessible aux Canadiens et offre des biens à la vente depuis 1996 (Trans-High, aux paragraphes 3 et 4).

[6]  La défenderesse, la société ontarienne n1683193, autrefois appelée Hightimes Smokeshop and Gifts Inc., et maintenant appelée Stay High Live High Inc., a été constituée le 29 mars 2006. La défenderesse exploite un magasin de détail à Niagara Falls, en Ontario. L’âme dirigeante de la défenderesse est Ameen Muhammad (aussi appelé Ameen Mohammad), son dirigeant et administrateur (M. Muhammad).

[7]  Selon un enquêteur privé engagé par la demanderesse, la défenderesse vend une vaste gamme d’accessoires pour fumeurs et d’accessoires liés à la marijuana dans un local commercial d’environ 1 500 pieds carrés. L’enquêteur privé a qualifié le magasin de [traduction] « […] commerce de détail peu impressionnant et bas de gamme » (Trans-High, au paragraphe 6). Il semblerait que la défenderesse ait exploité dans le passé un site Web dont le nom de domaine était www.hightimesniagarafalls.com (Trans-High, au paragraphe 8).

[8]  Le 5 juin 2013, la demanderesse a déposé un avis de demande aux termes duquel elle demandait, entre autres choses, une injonction, un jugement déclaratoire et des dommages‑intérêts contre la défenderesse pour usurpation de marque de commerce et commercialisation trompeuse. Citant l’arrêt BBM Canada c Research in Motion Ltd, 2011 CAF 151, le juge Manson a autorisé la demanderesse à procéder par voie de demande sommaire (Trans-High, aux paragraphes 11 et 12). La défenderesse n’a pas déposé d’avis de comparution et n’a pas comparu lors de l’audition de la demande.

[9]  Le 26 novembre 2013, le juge Manson a statué que la défenderesse avait usurpé la marque de commerce HIGH TIMES et avait appelé l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse. Le juge Manson a interdit de manière permanente à la défenderesse de vendre, de distribuer ou d’annoncer des produits ou des services en liaison avec la marque de commerce déposée de la demanderesse ou toute autre marque de commerce ou tout autre nom commercial qui pourrait vraisemblablement être confondu avec la marque de commerce de la demanderesse, et il a accordé des dommages‑intérêts et adjuger les dépens à la demanderesse. Le texte intégral de l’ordonnance du juge Manson est joint à l’annexe A.

[10]  Suivant le prononcé du jugement du juge Manson, la demanderesse l’a fait signifier à la défenderesse et s’est assurée que les termes de l’ordonnance étaient portés à l’attention de M. Muhammad et de l’avocat de la défenderesse.

[11]  En mai 2014, il a été demandé à l’enquêteur privé de la demanderesse de vérifier si la défenderesse s’était conformée à l’ordonnance du juge Manson. L’enquêteur privé a alors découvert que la défenderesse continuait d’utiliser HIGH TIMES sur l’enseigne de son magasin, ses reçus d’achats, ses sites Web et ses documents publicitaires et promotionnels.

[12]  La demanderesse a alors fait signifier personnellement une autre lettre de mise en demeure et une autre copie du jugement du juge Manson à la défenderesse et à M. Muhammad. Les termes de l’ordonnance ont été expliqués aux employés du magasin, qui ont été informés que la demanderesse intenterait une procédure pour outrage si des mesures n’étaient pas prises pour se conformer à l’ordonnance au plus tard le 16 juin 2014.

[13]  L’avocat de la défenderesse a par la suite reconnu les termes du jugement du juge Manson, mais il a demandé qu’il soit donné à la défenderesse jusqu’au 31 juillet 2014 pour s’y conformer. Ce délai a expiré sans aucune indication de conformité ni aucune communication de la part de la défenderesse, de M. Muhammad ou de l’avocat. Le 4 août 2014, l’enquêteur privé de la demanderesse a rapporté que HIGH TIMES était encore utilisé sur des affiches, des reçus d’achats et des documents publicitaires et promotionnels au magasin de détail de la défenderesse.

[14]  Le 28 août 2014, le protonotaire Aalto a ordonné que la défenderesse et M. Muhammad comparaissent devant la Cour pour expliquer pourquoi ils ne devraient pas être condamnés pour outrage. Le texte intégral de l’ordonnance du protonotaire Aalto est joint à l’annexe B.

[15]  La défenderesse et M. Muhammad ont reçu signification à personne de l’ordonnance du protonotaire Aalto en septembre 2014 et ils ont été avisés de l’audience pour outrage au tribunal en novembre 2014. La demanderesse a offert de recommander de faire montre d’indulgence si la défenderesse se conformait immédiatement au jugement du juge Manson.

[16]  Le 22 janvier 2015, la demanderesse a de nouveau offert de faire montre d’indulgence envers la défenderesse si elle se conformait au jugement. Le 2 février 2015, les parties ont convenu de régler l’affaire à l’amiable et elles ont demandé à la Cour d’ajourner l’audience pour outrage au tribunal. La demande a été accordée par le juge Rennie, et l’entente des parties a été mise par écrit. Elle comportait les dispositions suivantes :

[TRADUCTION]

1  Un engagement de la part de la défenderesse à modifier son enregistrement social et son enregistrement de nom commercial par la suppression de la marque HIGH TIMES et un engagement à retirer la marque HIGH TIMES de la vue du public et de documents imprimés, et à cesser toute vente, distribution et annonce de produits ou de services comportant la marque HIGH TIMES, au plus tard le 12 février 2015.

2  Un engagement de la part de la défenderesse à retirer toute annonce portant le nom HIGH TIMES de son magasin de détail au plus tard le 4 mars 2015.

3  Un engagement de la part de la défenderesse à payer à la demanderesse 80 000 $ (représentant les 55 000 $ dus aux termes de l’ordonnance du juge Manson et une somme additionnelle correspondant aux frais supportés jusqu’à présent par la demanderesse dans le cadre de la procédure pour outrage au tribunal) en remettant un chèque certifié aux avocats de la demanderesse au plus tard le 17 février 2015.

4  Un engagement de la part de la défenderesse, aussi bien en qualité de société qu’en qualité d’individu, à inscrire un plaidoyer de culpabilité à l’égard de chacun des chefs d’outrage énumérés à l’annexe A de l’ordonnance de justification lors de toute audience subséquente d’outrage.

[17]  Si la défenderesse respectait toutes ces obligations, la demanderesse convenait de recommander des pénalités indulgentes lors de toute audience subséquente d’outrage.

[18]  Aux termes de l’entente à l’amiable, les paiements de la défenderesse étaient dus au plus tard le 17 février 2015. Cette date est passée sans qu’aucun paiement ni aucune communication ne soient reçus de la part de la défenderesse. La demanderesse a tenté de communiquer avec la défenderesse au moins cinq fois de février 2015 à mars 2015. À ce jour, il n’y a eu aucun paiement relativement aux dommages-intérêts, aux dépens découlant du jugement du juge Manson ou aux dépens découlant de la procédure en outrage.

[19]  La défenderesse a finalement retiré l’enseigne HIGH TIMES du magasin le 9 mars 2015.

II.  Question en litige

[20]  À l’audience sur l’outrage le 18 juin 2015, la défenderesse et M. Muhammad ont chacun inscrit des plaidoyers de culpabilité à l’égard des cinq chefs d’outrage au titre de l’article 466 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). La seule question à trancher est donc celle de la sanction et des autres mesures de réparation appropriées.

III.  Analyse

[21]  L’outrage comporte des aspects publics et des aspects privés. Un équilibre doit être établi entre l’application de la loi et la « clémence de la justice » (Canada (Revenu national) c Marshall, 2006 CF 788 (Marshall), au paragraphe 16). Une ordonnance pour outrage au tribunal est avant tout une déclaration qu’une partie a transgressé une ordonnance judiciaire (Pro Swing Inc c ELTA Golf Inc, 2006 CSC 52, au paragraphe 35). Toutefois, l’imposition de sanctions joue aussi un rôle important pour assurer la conformité (Montres Rolex SA c Balshin (1987), 12 FTR 70 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18).

[22]  Le pouvoir de la Cour d’imposer des sanctions à l’auteur d’un outrage au tribunal est régi par les articles 466 à 472 des Règles. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être exercé en conformité avec l’article 472 des Règles :

472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

 

472.  Where a person is found to be in contempt, a judge may order that:

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

 

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

 

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

 

(c) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

 

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

 

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

(f) the person pay costs.

[23]  La sanction appropriée en cas d’outrage peut être influencée par des circonstances aggravantes et atténuantes. Cela comprend « la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement » (Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Bremsak, 2013 CAF 214 (Bremsak), au paragraphe 35, citant Marshall, au paragraphe 16). Ces facteurs ne sont pas exhaustifs. Un juge dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour déterminer quelle est la sanction appropriée pour un outrage en fonction des faits particuliers de l’espèce (Bremsak, au paragraphe 36).

[24]    Quant aux autres circonstances atténuantes à prendre en compte, il faut rechercher si le contrevenant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité, s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance et s’il s’agit d’une première infraction (Tremaine c Canada (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 192, au paragraphe 24). Lorsqu’un contrevenant a violé des ordonnances judiciaires à répétition ou a refusé de s’excuser ou de prendre des mesures pour se conformer à l’ordonnance, il s’agit là de circonstances aggravantes. Lorsque l’auteur de l’outrage manifeste peu de remords ou aucuns remords pour les actes ayant mené à l’ordonnance d’outrage, la Cour peut imposer des sanctions plus sévères que lorsque des excuses ont été présentées (Apple Computer Inc c Minitronics of Can Ltd, [1988] 17 FTR 52 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 2 et 3).

[25]  Lorsque l’outrage est lié à une affaire de propriété intellectuelle, la dissuasion générale est une considération primordiale (Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 234 (Merck) au paragraphe 85, autorisation de pourvoi refusée, [2003] CSCR no 366; Louis Vuitton SA c Tokyo‑Do Enterprises Inc (1990), 37 CPR (3d) 8 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 23 et 24).

A.  Circonstances aggravantes

[26]  Les actes d’outrage en l’espèce sont graves aussi bien objectivement que subjectivement. Le comportement de la défenderesse défie l’autorité judiciaire de la Cour et mine la confiance du public dans l’administration de la justice. La défenderesse et M. Muhammad ont reçu signification à personne du jugement du juge Manson et ils savaient à ce moment-là que leurs actes étaient illicites. Ils ont ensuite omis de respecter le délai imposé par l’entente à l’amiable datée du 2 février 2015. Ces circonstances militent en faveur de sanctions importantes pour outrage.

[27]  Il a fallu à la défenderesse environ 15 mois pour modifier son enregistrement social et son enregistrement de nom commercial par la suppression de la marque HIGH TIMES, et environ 16 mois pour retirer l’affichage non conforme de son magasin. Le transfert du nom de domaine et le paiement des dommages-intérêts et des dépens n’ont pas encore eu lieu. La défenderesse n’a fourni aucune explication de son retard à se conformer à l’ordonnance du juge Manson. Ces circonstances militent également en faveur de sanctions importantes pour outrage.

[28]  La demanderesse a offert à répétition à la défenderesse d’user d’indulgence si la défenderesse se conformait au jugement, mais la défenderesse n’a fait que se défiler. Les demandes de prorogation de délai de la défenderesse et sa participation aux négociations en vue d’un règlement amiable semblent avoir été des efforts de mauvaise foi déployés pour éviter de se conformer à l’ordonnance du juge Manson. La sanction imposée doit avoir un effet dissuasif suffisant pour empêcher la défenderesse et d’autres sociétés de violer la Loi et les ordonnances de la Cour (Merck, au paragraphe 83).

B.  Circonstances atténuantes

[29]  Il semble que ce soit la première fois que la défenderesse et M. Muhammad se rendent coupables d’outrage, bien que ce ne soit pas la première fois qu’ils usurpent une marque de commerce dans le cours de leurs activités commerciales (voir Cheech Marin c Cheech Glass Ltd and Ameen Muhammad (17 novembre 2014), Toronto CV-14-506972 (C.S. Ont.); Martin Birzle c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc (24 janvier 2012), Toronto T-1602-11 (C.F. 1re inst.)). La défenderesse et M. Muhammad ont chacun inscrit des plaidoyers de culpabilité à l’audience sur l’outrage le 18 juin 2015, bien que M. Muhammad n’ait pas comparu en personne. L’absence de déclaration de culpabilité antérieure pour outrage et les plaidoyers de culpabilité sont des circonstances atténuantes.

[30]  La défenderesse n’a présenté aucun élément de preuve concernant sa capacité de payer, mais l’envergure et la nature des activités de la défenderesse doivent être prises en compte pour évaluer la sanction appropriée (Merck, au paragraphe 83). Il appert que l’entreprise de la défenderesse est relativement petite et rudimentaire, et cela peut être considéré comme une circonstance atténuante (Trans-High, au paragraphe 6).

[31]  Il n’y a rien qui montre que la défenderesse et M. Muhammad ont admis leur responsabilité ou se sont excusés pour leur violation continue des marques de commerce de la demanderesse, et aucunes excuses n’ont été présentées à la Cour si ce n’est tardivement et par l’entremise de leur avocat (Lyons Partnership, LP c MacGregor, [2000] ACF no 341 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 23). Il n’y a rien qui donne à penser que la défenderesse a omis de se conformer au jugement du juge Manson pour des motifs sincères ou consciencieux; il ne semble pas, par exemple, qu’elle se soit fiée à tort aux conseils de son avocat, comme cela avait été le cas dans l’affaire Baxter Travenol Laboratories of Canada Ltd c Cutter (Canada) Ltd, [1987] 2 CF 557 (CAF) (Baxter Travenol).

C.  Sanctions

[32]  La jurisprudence relève plusieurs objectifs, mais il n’y a pas qu’une seule bonne méthode lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la sanction ou la mesure de réparation appropriée en cas d’outrage (Bremsak, aux paragraphes 35 et 66). Comme point de départ, il est de pratique courante d’accorder des dépens raisonnables sur la base procureur-client à la partie qui demande l’exécution de l’ordonnance judiciaire (Telewizja Polsat SA c Radiopol Inc, 2006 CF 137 (Telewisja), au paragraphe 34). La question de savoir si la Cour devrait imposer des amendes additionnelles dépendra habituellement de la présence de circonstances aggravantes ou atténuantes (James Fisher & Sons plc c Pegasus Lines Ltd SA, 2002 CFPI 650 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 26).

[33]  L’emprisonnement peut être utilisé comme sanction en cas d’outrage pour traduire la gravité de l’infraction ou de la désobéissance persistante. La Cour doit faire particulièrement attention lorsqu’elle impose une peine d’emprisonnement dans le cas d’une première infraction (Winnicki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52, au paragraphe 20). La Cour peut imposer une peine suspendue ou différée pour encourager l’auteur d’un premier outrage à prendre certaines mesures prescrites pour faire amende honorable (9038-3746 Québec Inc c Microsoft Corporation, 2010 CAF 151 (Cerelli)).

[34]  Les sanctions imposées dans des affaires récentes de propriété intellectuelle de gravité comparable comprennent l’emprisonnement, des amendes, les dépens sur la base procureur‑client et des mesures coercitives comme des peines suspendues (Dursol-Fabrik Otto Durst GmbH & Co KG c Dursol North America Inc, 2006 CF 1115; Louis Vuitton Malletier, SA c Bags O`Fun Inc, 2003 CF 1335; Telewisja; Cerelli). En l’espèce, je suis convaincu que les sanctions appropriées pour l’outrage sont les dépens sur la base procureur-client, une amende et une peine d’emprisonnement suspendue pour M. Muhammad.

[35]  La demanderesse a fait preuve de diligence dans ses efforts visant à rectifier le comportement de la défenderesse qui constituait un outrage au tribunal, et cela justifie une adjudication de dépens sur la base procureur-client. La demanderesse n’aurait pas dû devoir supporter des frais pour faire respecter l’autorité de la Cour, et elle devrait donc être pleinement indemnisée des frais et des débours découlant de l’ordonnance de justifier rendue le 28 août 2014 et de l’audience sur l’outrage du 18 juin 2015. La demanderesse a calculé que ces frais et débours totalisaient 62 500 $, et la défenderesse n’a pas contesté cette évaluation à l’audience.

[36]   La défenderesse et M. Muhammad ont tous deux des antécédents d’usurpation de marques de commerce, et la dissuasion générale est une considération primordiale. Compte tenu d’autres affaires comparables, je conclus qu’une amende de 50 000 $, payable solidairement, est appropriée. Cette somme représente une amende de 10 000 $ pour chaque chef d’outrage énuméré dans l’ordonnance du protonotaire Aalto du 28 août 2014 (annexe B).

[37]  Si, dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, la défenderesse et M. Muhammad paient à la demanderesse les 55 000 $ dus en vertu de l’ordonnance du juge Manson (25 000 $ de dommages-intérêts et 30 000 $ de dépens) ainsi que les 62 500 $ de frais et débours résultant de l’audience de justification et de l’audience sur l’outrage, cette amende sera réduite à 10 000 $.

[38]  Si la présente ordonnance n’est pas exécutée dans les 30 jours, l’amende demeurera de 50 000 $ et M. Muhammad, en tant qu’administrateur et dirigeant de la défenderesse, sera emprisonné pendant une période de 14 jours et demeurera emprisonné jusqu’à ce qu’il fasse amende honorable pour l’outrage et que les sanctions soient payées. Il s’agit peut-être de la première fois que la défenderesse ou M. Muhammad est déclaré coupable d’outrage, mais cette mesure est justifiée par leurs antécédents d’usurpation de marques de commerce et leur non‑respect flagrant du jugement du juge Manson.

[39]  La demanderesse a demandé à la Cour d’envisager d’ordonner que l’amende lui soit payable directement. Il y a des précédents à l’appui de cette position, mais je refuse de rendre une telle ordonnance. La conduite de la défenderesse et de M. Muhammad qui a constitué un outrage, bien qu’elle ait eu des conséquences défavorables sur la demanderesse, est fondamentalement un affront à l’autorité de la Cour. La demanderesse a peut-être présenté une demande en dommages-intérêts contre la défenderesse pour l’usurpation continue de sa marque de commerce déposée, mais il n’est pas approprié que la Cour accorde des dommages-intérêts sous le couvert d’une amende pour outrage (Bremsak, aux paragraphes 68 et 69).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. Les dépens sont adjugés à la demanderesse pour la requête en justification devant le protonotaire Aalto et l’audience sur l’outrage sur la base procureur-client, et sont fixés à 62 500 $, payables solidairement par la défenderesse Hightimes Smokeshop and Gifts Inc. et son dirigeant et administrateur, Ameen Muhammad, aussi appelé Ameen Mohammad.

  2. 2. Hightimes Smokeshop and Gifts Inc. et son dirigeant et administrateur, Ameen Muhammad, aussi appelé Ameen Mohammad (collectivement, les auteurs de l’outrage) doivent payer solidairement une amende de 50 000 $.

  3. 3. Le paiement de l’amende ordonnée au paragraphe 2 qui précède est suspendu pour une période de 30 jours afin de permettre aux auteurs de l’outrage de faire amende honorable quant à tous les aspects pécuniaires de leur outrage à l’égard de l’ordonnance du juge Manson en versant, au moyen d’un paiement forfaitaire, les 55 000 $ dus en vertu de cette ordonnance (correspondant à 25 000 $ de dommages-intérêts et à 30 000 $ de dépens, ainsi qu’à tous les montants dus au titre des intérêts avant et après jugement) et les dépens de 62 500 $ visés au premier paragraphe de la présente ordonnance à la demanderesse au moyen d’un chèque certifié ou selon tout autre mode de paiement que la demanderesse pourrait exiger.

  4. Si des éléments de preuve convaincants sont présentés à la Cour selon lesquels ces paiements ont été faits dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, l’amende autrement imposée et payable au titre du paragraphe 2 sera réduite à 10 000 $.

  5. Si toutes les amendes et tous les dépens visés aux paragraphes 1 à 3 qui précèdent ne sont pas payés dans les 30 jours, Ameen Muhammad aussi appelé Ameen Mohammad pourra être emprisonné pour une période de 14 jours et demeurer emprisonné jusqu’à ce que le montant total des amendes et des frais soit payé.

  6. Si la demanderesse doit faire exécuter le paragraphe 5 de la présente ordonnance, il sera loisible à la demanderesse de demander un mandat d’incarcération à tout juge de la Cour fédérale, ex parte, et, si la Cour conclut à un manquement à une ou à plusieurs des dispositions de la présente ordonnance, Ameen Muhammad aussi appelé Ameen Mohammad sera incarcéré en conformité avec le paragraphe 5 de la présente ordonnance.

  7. Si toutes les amendes et tous les dépens visés aux paragraphes 1 à 3 qui précèdent ne sont pas payés dans les 30 jours, il sera loisible à la demanderesse de demander, ex parte, une ordonnance demandant au procureur général du Canada d’aider la Cour à amener Ameen Muhammad aussi appelé Ameen Mohammad devant la Cour afin qu’il puisse être interrogé sous serment au sujet des biens des auteurs de l’outrage. Lors de cet interrogatoire, si Ameen Muhammad aussi appelé Ameen Mohammad ne parvient pas à présenter des éléments de preuve convaincants démontrant que les auteurs de l’outrage ne sont pas actuellement capables de payer les amendes et les dépens visés aux paragraphes 1 à 3 et que toute incapacité de le faire ne découle pas de leurs propres actes délibérés ni de leur insouciance ou de leur négligence, il sera loisible à la demanderesse de demander l’imposition de sanctions additionnelles pour leur violation de la présente ordonnance.

  8. La Cour demeurera saisie de la présente affaire pour trancher toute question découlant des termes de la présente ordonnance.

 « Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


Annexe « A »

Jugement du juge Manson daté du 26 novembre 2013,

(Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2013 CF 1190)

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La défenderesse a :

    1. usurpé et est réputé avoir usurpé la marque de commerce HIGH TIMES de la demanderesse (enregistrement nLMC243,868), en violation des articles 19 et 20 de la Loi;

    2. appelé l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’elle a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux de la demanderesse, en violation de l’alinéa 7b) de la Loi.

    3. de vendre ou de distribuer des marchandises ou des services associés à la marque de commerce déposée HIGH TIMES de la demanderesse ou à toute autre marque de commerce ou tout autre nom commercial qui pourrait vraisemblablement être confondu avec la marque de commerce HIGH TIMES de la demanderesse, y compris toute marque ou tout nom qui comprend l’élément « HIGH TIMES » ou d’en faire la publicité;

    4.  d’appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à créer ou à vraisemblablement créer de la confusion au Canada, lorsqu’elle a commencé à y attirer l’attention du public, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et les marchandises, les services ou l’entreprise de la demanderesse en violation de l’alinéa 7b) de la Loi, en adoptant ou en utilisant les mots « HIGH TIMES » ou « HIGHTIMES » ou en en faisant la promotion en tant que partie de toute marque de commerce, de tout nom commercial, style commercial, métabalise (ou de tout autre outil ou dispositif de référencement Internet), dénomination sociale, nom d’entreprise, nom de domaine (y compris tout nom de domaine actif ou simple nom de domaine redirigé);

  2. La défenderesse et sa société mère, ses sociétés affiliées et filiales et toutes les autres sociétés et entreprises connexes et tous leurs agents, directeurs, employés, mandataires, successeurs et ayants droit respectifs et collectifs, ainsi que toute autre personne sur laquelle l’une quelconque des personnes susmentionnées exerce une autorité, se voient interdire de façon permanente :

    1. La défenderesse doit rendre ou détruire sous serment toute marchandise, tout emballage, toute étiquette et tout matériel de publicité en sa possession, en son pouvoir ou sous son contrôle, ainsi que toute matrice utilisée à ce titre, qui portent la marque de commerce HIGH TIMES de la demanderesse ou tout autre nom de marque de commerce ou nom commercial semblable au point de créer de la confusion ou qui est ou serait contraire au présent jugement, conformément à l’article 53.2 de la Loi;

    2. La défenderesse doit transmettre à la demanderesse ou à son avocat dans les trente (30) jours de la date de la présente ordonnance la propriété et tous les droits d’accès, d’administration et de contrôle touchant le nom de domaine « www.hightimesniagarafalls.com » ainsi que tout autre nom de domaine enregistré au nom de la défenderesse, contenant les mots « HIGH TIMES » ou « HIGHTIMES » ou toute autre marque de commerce semblable au point de créer de la confusion et doit autrement prendre toute autre mesure nécessaire pour exécuter un tel transfert en temps opportun, y compris enjoindre au registraire applicable de transférer le titre de propriété et tous les droits d’accès, d’administration et de contrôle touchant de tels noms de domaine à la demanderesse;

    3. La demanderesse se voit accorder des dommages‑intérêts de 25 000 $ en raison de l’usurpation de la marque de commerce et de la commercialisation trompeuse de la défenderesse, plus la TVH applicable, ainsi que des intérêts avant et après jugement conformément à la Loi sur les Cours fédérales;

    4. La demanderesse a droit aux dépens afférents à la demande, fixés à la somme forfaitaire de 30 000 $ et payables immédiatement par la défenderesse.

    « Michael D. Manson »

    Juge


    Annexe « B »

     

    Annexe « A » jointe à l’ordonnance de justifier du protonotaire Aalto datée du 28 août 2014

    (Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc (28 août 2014),

    Toronto T-1004-13)

    [traduction]

    Détails de la désobéissance

    1. QUE la défenderesse et son dirigeant et administrateur, M. Ameen Muhammad, aussi appelé Ameen Mohammad, ont, depuis la date à laquelle le jugement du juge Manson daté du 26 novembre 2013 a été porté à leur attention, utilisé la marque de commerce et le nom commercial HIGH TIMES ou des marques semblables au point de créer de la confusion dans l’exploitation d’un magasin de détail situé au 5851, avenue Victoria, à Niagara Falls, en Ontario, à savoir, sur l’affichage extérieur du magasin, sur des reçus émis pour des achats de marchandise, sur des documents publicitaires et promotionnels distribués par l’intermédiaire du magasin et sur des sites Web dont ils avaient le contrôle, en contravention au jugement du juge Manson.

    2. QUE la défenderesse a omis de rendre ou de détruire sous serment toute marchandise, tout emballage, toute étiquette et tout matériel de publicité en sa possession, en son pouvoir ou sous son contrôle qui portent la marque de commerce HIGH TIMES ou tout autre nom de marque de commerce ou nom commercial semblable au point de créer de la confusion, y compris les cartes de visite imprimées distribuées au magasin de détail susmentionné, en contravention au jugement du juge Manson.

    3. QUE la défenderesse a omis de transmettre à la demanderesse ou à son avocat la propriété et tous les droits d’accès, d’administration et de contrôle touchant le nom de domaine « www.hightimesniagarafalls.com » et a omis par ailleurs de prendre toute autre mesure nécessaire pour exécuter un tel transfert, en contravention au jugement du juge Manson.

    4. QUE la défenderesse n’a pas payé à la demanderesse la somme de 25 000 $ à titre de dommages-intérêts pour l’usurpation et la commercialisation trompeuse de la défenderesse, ainsi que les intérêts avant et après jugement, en contravention au jugement du juge Manson.

    5. QUE la défenderesse n’a pas payé à la demanderesse la somme de 30 000 $ pour les dépens de la demanderesse afférents à la demande, en contravention au jugement du juge Manson.

    « Kevin R. Aalto »

    protonotaire


    COUR FÉDÉRALE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    DOSSIER :

    T-1004-13

    INTITULÉ :

    TRANS-HIGH CORPORATION c HIGHTIMES SMOKESHOP AND GIFTS INC

    LIEU DE L’AUDIENCE :

    Toronto (ONtario)

    DATE DE L’AUDIENCE :

    LE 18 JUIN 2015

    ORDONNANCE ET MOTIFS :

    LE JUGE Fothergill

    DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

    LE 27 JUILLET 2015

    COMPARUTIONS :

    James Green

    Charlotte McDonald

    POUR LA DEMANDERESSE

    Alpesh Patel

    POUR LA DÉFENDERESSE

     

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

    Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l., s.r.l.

    POUR LA DEMANDERESSE

    AP LAW

    POUR LA DÉFENDERESSE

     

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