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Date : 20150717


Dossier : IMM-4821-14

Référence : 2015 CF 880

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2015

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

WILFRID GUY CÉSAR NGUESSO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 14 avril 2014 par le sous-ministre adjoint délégué par intérim (le sous-ministre), au terme de laquelle il a rejeté une demande de permis de séjour temporaire (PST) formulée par M. Wilfrid Guy César Nguesso (le demandeur).

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur est citoyen de la République du Congo. Il est marié à une citoyenne canadienne depuis 1999 et le couple a six enfants qui détiennent tous la citoyenneté canadienne. Au moment pertinent, quatre des six enfants du couple résidaient au Canada avec leur mère. Le demandeur est également résident de la France où il détient un permis de résident valide jusqu’en 2022.

[3]               Le 27 décembre 2006, le demandeur a déposé une demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial qui incluait une demande de parrainage de son épouse au Service de l’immigration de l’ambassade du Canada à Paris (le Service de l’immigration). Après un long processus qu’il n’est pas nécessaire de détailler aux fins de la présente décision, la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée par une agente d’immigration le 20 décembre 2013. Au terme de cette décision, le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour criminalité organisée en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et sa demande de résidence permanente a été refusée.

[4]               Entre 2003 et 2014, le demandeur a obtenu de nombreux visas de résident temporaire (VRT) à entrées multiples. Toutefois, suite à la déclaration d’interdiction de territoire du demandeur et au refus de sa demande de résidence permanente, son VRT, qui était valide jusqu’au 29 septembre 2014, a été annulé.

II.                La demande de PST

[5]               Le 20 février 2014, le demandeur a fait une demande de PST en vertu de l’article 24 de la LIPR afin de rendre visite à sa famille au Canada malgré son interdiction de territoire.

[6]               La délivrance d’un PST est régie par le paragraphe 24(1) de la LIPR qui se lit comme suit :

24. (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

24. (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[7]               Au soutien de sa demande, le demandeur a déposé plusieurs affidavits, dont un souscrit par son épouse. La demande était principalement fondée sur les besoins particuliers de l’épouse du demandeur et de leurs deux plus jeunes enfants et sur l’absence de risque que le demandeur présentait pour les citoyens canadiens.

[8]               Dans son affidavit, l’épouse du demandeur, qui est pasteure et étudiante à l’Université Acadia en théologie évangélique, a déclaré que le demandeur avait prévu leur rendre visite à partir du 18 janvier 2014 jusqu’en avril 2015, et que lorsque sa demande de résidence permanente a été refusée, elle a dû annuler sa session d’hiver. Elle a aussi affirmé souffrir de « thyroïde » et indiqué qu’elle prenait de la médication tous les jours et qu’elle devait éviter le stress en raison de sa condition. L’épouse du demandeur a déposé une note de son médecin dans laquelle ce dernier a attesté qu’elle suivait un traitement pour contrôler un type d’hypothyroïdisme.

[9]               L’épouse du demandeur a aussi affirmé que la présence et l’aide de son mari étaient nécessaires tant pour les enfants que pour elle-même. Elle a indiqué que les deux plus jeunes enfants, des jumeaux, avaient particulièrement besoin du soutien et de l’autorité de leur père, puisque l’un d’eux a des difficultés organisationnelles qui requièrent un suivi en ergothérapie, alors que l’autre est un enfant agité et parfois agressif qui requiert un suivi en pédopsychiatrie. Le demandeur a déposé un rapport d’évaluation en ergothérapie concernant l’un des enfants dans lequel l’ergothérapeute a constaté des difficultés de motricité fine et recommandé un suivi en ergothérapie pour développer la motricité et la coordination de l’enfant. Concernant le deuxième enfant, le demandeur a déposé des échanges de correspondance avec les professeurs d’école indiquant qu’il avait un comportement perturbant en classe et recommandant un suivi psychologique. À la signature de l’affidavit de l’épouse du demandeur, ils étaient en attente d’un rendez-vous avec un pédopsychiatre.

[10]           Le demandeur a aussi déposé des affidavits souscrits par la sœur et la cousine de son épouse. Ces dernières ont affirmé que les jumeaux étaient assez hyperactifs et que seul le demandeur arrivait à les calmer.

[11]           Le demandeur a également déposé un certificat de la police congolaise qui atteste qu’il ne fait l’objet d’aucune accusation ou condamnation criminelle. Il a également affirmé, dans sa demande de PST, que ses séjours antérieurs au Canada avaient toujours été conformes à la loi et qu’il ne présentait aucun risque à la sécurité ou la santé des Canadiens.  

III.             Le traitement de la demande et la décision

A.                Le traitement de la demande de PST

[12]           La demande de PST a d’abord été traitée par M. Rénald Gilbert, ministre conseiller au Service de l’immigration.

[13]           Le 13 mars 2014, M. Gilbert a envoyé un courriel à la Direction générale du règlement des cas (la Direction générale) à Ottawa, dans lequel il a résumé le dossier du demandeur et recommandé que la demande de PST soit refusée. Le courriel était accompagné de divers documents, dont la décision du 20 décembre 2013 rejetant la demande de résidence permanente du demandeur et les notes que l’agente d’immigration avait prises lors de l’entrevue du demandeur du 25 septembre 2012. Le contenu de ce courriel a été entré dans le Système mondial de gestion de cas (les notes SMGC) le 13 mars 2014.

[14]           Le dossier a ensuite été examiné par un agent de la Direction générale qui a préparé un rapport daté du 11 avril 2014 qui contenait une recommandation à l’intention du sous-ministre. La Direction générale a recommandé le rejet de la demande de PST du demandeur au motif que les considérations d’ordre humanitaire, plus particulièrement celles concernant l’intérêt supérieur des enfants, ne constituaient pas des raisons impérieuses et suffisantes pour permettre l’entrée du demandeur au Canada.

[15]           La Direction générale a considéré le fait que le demandeur alléguait que sa présence au Canada était indispensable à la vie familiale, principalement en raison des difficultés de son épouse et des deux plus jeunes enfants, mais qu’aucune preuve médicale, psychologique ou autre, n’avait été déposée au soutien des allégations. Elle a également noté que le demandeur ne résidait pas avec son épouse et leurs quatre enfants depuis environ huit ans et qu’il n’avait soumis aucune preuve témoignant du maintien de son implication familiale lorsqu’il est à l’extérieur du Canada. Elle a en conclu qu’il était peu probable que la présence du demandeur soit indispensable à la vie familiale.

[16]           La Direction générale a aussi jugé que rien au dossier n’indiquait qu’il serait impossible pour les quatre enfants du demandeur qui résident au Canada de visiter le demandeur en France. Elle a noté que le demandeur invoquait qu’il lui serait impossible de voir ses enfants à l’extérieur des vacances scolaires sans toutefois fournir des justifications. La Direction a reconnu qu’il était plus difficile pour de jeunes enfants de voyager, mais que ce n’était pas impossible et qu’un PST devait être justifié par des circonstances exceptionnelles et non pour des raisons de commodité.

[17]           La Direction générale a conclu que l’examen des circonstances ne permettait pas de conclure qu’il existait des raisons impérieuses et suffisantes pour autoriser la délivrance d’un PST. Elle a ajouté que refuser la délivrance d’un PST dans les circonstances était compatible avec l’un des objectifs de la LIPR, soit celui de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et par l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou qui constituent un danger pour la sécurité, tel qu’énoncé à l’alinéa 3(1)i) de la LIPR.

[18]           La dernière section du rapport contient deux énoncés à l’intention du décideur. Le sous-ministre a coché la case à côté de l’assertion suivante : « J’ai examiné tous les documents devant moi, et j’ai décidé de ne pas délivrer un permis temporaire à M. Nguesso ». Le sous-ministre a signé le rapport de recommandation le 14 avril 2014.

B.                 La décision contestée

[19]           Dans une courte lettre, le sous-ministre a informé le demandeur que sa demande de PST était refusée parce que les motifs invoqués étaient insuffisants.

[20]           On retrouve, au SMGC, les notes entrées par le sous-ministre le 16 avril 2014 qui détaillent son raisonnement.

[21]           Le sous-ministre a souligné au départ que la délivrance d’un PST est un outil discrétionnaire qui permet l’entrée au Canada à une personne autrement inadmissible et qui est utilisé dans des circonstances exceptionnelles. Il a noté que la demande reposait essentiellement sur l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.

[22]           Il a indiqué que le demandeur évoquait des raisons médicales et psychologiques concernant son épouse et certains de ses enfants, mais il a jugé qu’il n’avait fourni aucune information ou évaluation indépendante au soutien de ses allégations. Il a ajouté que rien n’indiquait que les problèmes en cause étaient liés à une séparation avec le père.

[23]           Le sous-ministre a ajouté que le fait de vivre dans deux pays différents semblait être le choix de la famille et que le demandeur semblait voyager fréquemment.

[24]           Le sous-ministre a relevé l’assertion du demandeur selon laquelle s’il n’obtenait pas de PST, il ne pourrait voir ses enfants que durant les vacances scolaires. Il a jugé à cet égard que même s’il pourrait être souhaitable de préserver la cellule familiale traditionnelle, le fait que des familles vivent dans des pays différents était de plus en plus fréquent et que ce modèle semblait avoir été le choix de la famille du demandeur. Il a estimé que la famille du demandeur pourrait aller le visiter en France, que des vols entre le Québec et la France sont fréquents et que le demandeur semblait avoir les moyens financiers pour permettre à sa famille de voyager en France sur une base régulière. Il a ajouté que la famille du demandeur se retrouverait dans une situation semblable à celle vécue par de nombreuses familles et que le refus de délivrer un PST n’entraînerait pas une séparation permanente ou définitive de la famille.

[25]           Il a conclu qu’étant donné le sérieux des allégations qui pesaient contre le demandeur relativement à son inadmissibilité, le caractère exceptionnel de l’émission et la révision complète du dossier, y incluant un examen attentif de la recommandation qui lui avait été soumise (celle du 11 avril 2014), il considérait que les intérêts supérieurs des enfants ne l’emportaient pas sur l’inadmissibilité du demandeur.

C.                 La divulgation des motifs de la décision

[26]           La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été déposée le 13 juin 2014, et elle incluait une demande en vertu de la règle 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 pour obtenir les motifs de la décision.

[27]           Le 26 juin 2014, une agente d’immigration a acheminé au demandeur une copie de l’avis de décision du sous-ministre à laquelle elle a joint des notes SMGC et indiqué que ces notes faisaient partie des motifs de la décision. L’extrait du SMGC contenait les notes du 16 avril 2014 rapportant les motifs de la décision du sous-ministre et le courriel du 13 mars 2014 envoyé par M. Gilbert à la Direction générale. La recommandation de la Direction générale du 11 avril 2014 que le sous-ministre a signée ne se trouvait toutefois pas dans les documents acheminés au demandeur. Cette recommandation a été acheminée au demandeur le 21 juillet 2014, après que sa procureure eut insisté pour l’obtenir.

IV.             Questions en litige

[28]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.                  L’équité procédurale a-t-elle été respectée ?

2.                  Le décideur a-t-il commis des erreurs de droit qui justifient l’intervention de la Cour ?

3.                  La décision du sous-ministre est-elle raisonnable ?

V.                Les normes de contrôle applicables

[29]           La norme de révision applicable lorsque l’équité procédurale est en cause est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, [2009] 1 RCS 339 ; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79, [2014] 1 RCS 502). La question qui se pose en la matière n’est pas tant celle de savoir si la décision est correcte, mais si le processus suivi par le décideur a été équitable (Majdalani v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2015 FC 294 au para 15 , [2015] FCJ No 459; Krishnamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1342 au para 13, [2011] ACF no 1643 [Krishnamoorthy] ; Pusat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 428 au para 14, [2011] ACF no 541).

[30]           Quant à l’interprétation faite par le sous-ministre de l’article 24 de la LIPR, je suis d’avis qu’elle devrait être révisée selon la norme de la décision raisonnable.

[31]           Le sous-ministre devait interpréter l’expression « s’il estime que les circonstances le justifient » que l’on retrouve au paragraphe 24(1) de la LIPR, soit une disposition de sa loi habilitante dont il a une connaissance approfondie. Dans Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36 aux para 49-50, [2013] 2 RCS 559 et Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40 aux para 55-62, [2014] 2 RCS 135, la Cour suprême a appliqué la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions d’interprétation de la loi habilitante du décideur administratif ou de lois intimement liées à ses fonctions dans des contextes non juridictionnels. En l’espèce, rien ne m’amène à penser que cette présomption devrait être écartée. Le sous-ministre devait rendre une décision hautement discrétionnaire et, pour ce faire, il devait interpréter une disposition dont il a une connaissance approfondie.

[32]           Quant à l’appréciation faite par le sous-ministre des circonstances invoquées par le demandeur au soutien de sa demande de PST, elle est révisable selon la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Il est d’ailleurs bien établi que l’octroi d’un permis de séjour temporaire est une décision hautement discrétionnaire qui justifie l’application de la norme de la décision raisonnable (Martin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 422 aux para 23-24, [2015] ACF no 438 [Martin] ; Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 667 au para 18, [2011] ACF no 839; Afridi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 193 au para 16, [2014] ACF no 194 [Afridi] ; Shabdeen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 303 au para 13, [2014] ACF no 327 [Shabdeen] ; Marques c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 376 au para 20, [2010] ACF no 424 [Marques]; Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 784 au para 9, [2008] ACF no 985 [Ali] ; Nasso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1003 au para 12, [2008] ACF no 1248 [Nasso]).

[33]           Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attarde « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47).

VI.             Analyse

A.                L’équité procédurale

[34]           Le demandeur invoque trois violations spécifiques à l’équité procédurale: le défaut de divulguer les recommandations du 13 mars 2014 et du 11 avril 2014 avant la prise de décision ; le défaut de divulguer le rapport de l’Agence des Services Frontaliers du Canada (l’ASFC) du 1er novembre 2012 avant la prise de décision; et une approche biaisée qui soulève une crainte raisonnable de partialité.

(1)               La non-divulgation des recommandations internes et du rapport de l’ASFC

[35]           Je traiterai dans un premier temps du défaut de divulguer les recommandations internes et le rapport de l’ASFC.

[36]           Le demandeur soutient qu’en l’espèce, le degré d’équité procédurale auquel il avait droit était élevé en raison des conséquences importantes pour lui et sa famille qui découlent du refus du sous-ministre de lui délivrer un PST. Il soumet que les facteurs de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193 [Baker] militent en faveur de protections procédurales rigoureuses. Plus particulièrement, il invoque l’importance de la décision pour les personnes visées, l’absence d’un droit d’appel et les attentes légitimes créées par la section 8 du Guide OP1. Il souligne que cette décision l’empêche de venir visiter son épouse et ses enfants au Canada et de leur offrir le soutien dont ils ont besoin et qu’elle force ces derniers à quitter le Canada pour le voir.

[37]           Les défendeurs, pour leur part, soumettent que les obligations d’un décideur en matière d’équité procédurale, dans le contexte du traitement d’une demande de PST, sont peu exigeantes et se situent à l’extrémité inférieure du registre puisque la procédure n’est pas contradictoire, la décision est hautement discrétionnaire et les conséquences de la décision sur la famille sont atténuées par la grande mobilité et les ressources financières de la famille. Les défendeurs avancent qu’il faut également considérer que le traitement d’une demande pour un PST doit pouvoir être fait dans de courts délais.

[38]           Dans Baker, aux paragraphes 21 et 33, la Cour suprême du Canada a rappelé que le contenu de l’équité procédurale est variable, flexible et qu’il doit être contextualisé. Au paragraphe 30, la Cour a noté « [qu’] au cœur de cette analyse, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, les personnes dont les intérêts étaient en jeu ont eu une occasion valable de présenter leur position pleinement et équitablement ». La Cour n’a pas dicté le contenu de l’obligation d’équité, mais elle a identifié des facteurs qui servent de guide pour déterminer l’étendue de l’obligation dans un contexte donné. Ces facteurs ont été résumés dans Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48, [2004] 2 RCS 650 au para 5 :

Le contenu de l'obligation d'équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l'organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l'organisme public; (3) l'importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l'organisme : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. […]

[39]           J’estime que les circonstances en l’espèce militent en faveur d’une obligation d’équité qui est un peu plus élevée que celle correspondant à l’extrémité inférieure du registre, mais moins élevée que celle applicable lorsque la décision en cause concerne un avis de danger ou une déclaration d’interdiction de territoire.

[40]           La décision d’émettre ou non un PST est hautement discrétionnaire et le fardeau de démontrer des circonstances justifiant l’émission d’un PST appartient au demandeur. De plus, dans certaines circonstances, la décision concernant une demande de PST doit pouvoir être rendue rapidement et une telle décision n’emporte pas de conséquences permanentes. Ces facteurs militent en faveur d’une obligation d’équité peu élevée.

[41]           Les commentaires du juge Evans dans Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345 au para 32, [2001] ACF no 1699, bien qu’ils aient été émis dans le contexte d’une demande de visa, m’apparaissent applicables en matière de PST :

32        Finalement, lorsqu'elle fixe le contenu du devoir d'équité qui s'impose pour le traitement des demandes de visas, la Cour doit se garder d'imposer un niveau de formalité procédurale qui risque de nuire indûment à une bonne administration, étant donné le volume des demandes que les agents des visas doivent traiter. La nécessité pour l'État de maîtriser les coûts de l'administration et de ne pas freiner le bon déroulement du processus décisionnel doit être mise en parallèle avec les avantages d'une participation de l'intéressé au processus.

[42]           Toutefois, le contexte particulier du présent dossier milite en faveur d’un degré d’équité plus élevé que le degré minimal en raison de l’impact que le refus d’un PST a sur la famille du demandeur, soit l’impossibilité pour le demandeur d’entrer au Canada pour visiter son épouse et ses enfants. Cet impact est par ailleurs atténué en partie par la mobilité de la famille et les moyens financiers du demandeur et parce que  le refus d’émettre un PST n’entraîne pas une séparation définitive de la famille. De plus, le demandeur peut toujours soumettre de nouvelles demandes de PST.

[43]           La Cour a été saisie à plusieurs reprises de dossiers dans lesquels la violation à l’équité procédurale alléguée concernait, comme en l’espèce, l’omission de divulguer des documents ou des renseignements avant la prise de décision.

[44]           Dans Haghighi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 407 aux para 26-28, [2000] ACF no 854 (CA) [Haghighi], la Cour d’appel fédérale devait déterminer si un agent d’immigration qui traitait une demande de dispense pour motifs humanitaires fondée en partie sur une crainte de persécution, avait violé l’équité procédurale en omettant de divulguer un rapport concernant une évaluation des risques avant renvoi préparé par un autre agent. La Cour a préconisé une approche qui prend en considération divers éléments dont la nature de la décision et l’impact possible du document en cause sur la décision pour déterminer si la divulgation du document était requise pour permettre au demandeur de participer de façon significative au processus décisionnel.

[45]           La Cour d’appel fédérale a été invitée à nouveau à se prononcer sur l’obligation de divulguer certains documents avant qu’une décision ne soit rendue dans Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49, [2001] 3 CF 3 [Bhagwandass], mais cette fois, dans le contexte d’un avis de danger pour le public. Les documents en cause, qui n’avaient pas été divulgués, étaient des rapports internes préparés par des fonctionnaires, lesquels comprenaient une analyse du dossier et une recommandation négative à l’intention du ministre. La Cour a traité des principes énoncés dans Haghighi et insisté sur le caractère contradictoire de la procédure propre à l’émission d’un avis de danger pour le public :

22        L'arrêt Haghighi établit également que lorsqu'on cherche à déterminer si l'obligation d'équité exige la communication à l'avance d'un rapport interne du Ministère sur lequel le décideur s'appuiera pour rendre une décision discrétionnaire, la question ne consiste pas à savoir si le rapport constitue ou contient la preuve de faits inconnus de la personne touchée par la décision, mais bien à savoir si la communication du rapport est requise pour que cette personne ait une possibilité raisonnable de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. Les facteurs qui peuvent être pris en considération à cet égard sont notamment: (i) la nature et l'effet de la décision dans le cadre du régime législatif; (ii) la question de savoir si, en raison de l'expertise de l'auteur du rapport ou d'autres circonstances, le rapport aura probablement une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour "équilibrer les chances"; (iii) le préjudice qui pourrait vraisemblablement découler d'une décision fondée sur une mauvaise compréhension ou sur un examen erroné des faits pertinents; (iv) la mesure dans laquelle la communication à l'avance du rapport permettrait d'éviter le risque qu'une décision mal fondée soit rendue; (v) les coûts que la communication à l'avance pourrait entraîner, dont ceux liés aux retards dans le processus de prise de décision.

[…]

31        Enfin, la Couronne soutient que la procédure de l'avis de danger n'est pas contradictoire et que, pour ce motif, l'obligation d'équité du ministre n'existe qu'à un faible degré. Je ne peux pas accepter cet argument. Il me semble au contraire que la procédure de l'avis de danger adoptée par le ministre laisse voir la nécessité d'une norme d'équité plus exigeante que la norme applicable aux décisions prises aux termes du paragraphe 114(2). Cela est dû au fait que la procédure est contradictoire dès ses débuts et qu'elle le demeure jusqu'à la fin. Dans la présente affaire, la procédure a commencé par la lettre d'intention du 19 juin 1998 informant M. Bhagwandass qu'un fonctionnaire du Ministère croyait qu'un avis de danger s'imposait. Cette lettre mentionne les observations, les arguments et la preuve qui sont pris en considération par le ministre, lesquels constituent manifestement les attributs d'un processus contradictoire. La dernière étape de la procédure, avant la prise de la décision, a été la présentation au délégué du ministre du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre. Étant donné le contenu et l'objet apparent de ces documents, ceux-ci peuvent à juste titre être qualifiés d'outils de plaidoirie par lesquels les fonctionnaires du ministère recommandent la délivrance d'un avis de danger et énoncent les faits pour lesquels ils croient que cette recommandation est justifiée. Il ressort, on ne peut plus clairement, des documents que les fonctionnaires du ministère s'étaient ligués contre M. Bhagwandass. Il ne faut pas les critiquer pour cela. Ils se sont manifestement fait demander leur avis et ils avaient le droit de l'exprimer. Mais le fait de qualifier la procédure de non contradictoire n'est tout simplement pas compatible avec la preuve.

[Je souligne]

[46]           Dans Chu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 113 au para 10, [2001] ACF no 554, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 28647 (11 juin 2001), la Cour d’appel fédérale s’est à nouveau prononcée sur l’obligation de divulguer un rapport interne contenant une recommandation qui avait été préparé par des fonctionnaires dans le contexte d’un avis de danger ; elle a appliqué les principes énoncés dans Bhagwandass et ré-insisté sur la procédure propre à un avis de danger.

[47]           Ces principes ont aussi été appliqués dans le contexte de décisions concernant des demandes de résidence permanente et d’interdiction de territoire. Dans plusieurs cas, les documents en cause concernaient des rapports défavorables de l’ASFC ou du Service canadien du renseignement de sécurité. L’affaire Mekonen c Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2007 CF 1133, [2007] ACF no 1469 est souvent citée comme étant une décision clé en la matière. Dans cette affaire, un agent de visas avait refusé une demande de résidence permanente et déclaré le demandeur interdit de territoire pour des raisons de sécurité. L’agent n’avait pas divulgué certains documents avant de prendre sa décision, dont un rapport de l’ASFC qui fournissait des éléments de preuve à l’appui d’une interdiction et certains renseignements de source ouverte. La juge Dawson a résumé comme suit les critères appliqués dans Haghighi et Bhagwandass :

12        La teneur de l'obligation d'équité est variable et dépend du contexte; il ne s'agit pas d'une notion abstraite ou absolue. Dans deux arrêts, Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bhagwandass, [2001] 3 C.F. 3 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si l'obligation d'équité exigeait d'un agent qu'il divulgue, à des fins de commentaires, à la personne visée par sa décision un rapport qu'il avait reçu. La question a été soulevée dans l'affaire Haghighi dans le cadre d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire présentée au Canada et dans l'affaire Bhagwandass dans le cadre d'un avis de danger. Dans les deux cas, la Cour a appliqué cinq facteurs pour décider si la divulgation du rapport en cause était requise afin de donner à la personne concernée la possibilité raisonnable de participer d'une manière significative au processus de prise de décision. Ces facteurs sont les suivants :

(1) la nature et l'effet de la décision dans le cadre du régime législatif;

(2) la question de savoir si, en raison de l'expertise de l'auteur du rapport ou d'autres circonstances, le rapport aura probablement une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour "équilibrer les chances";

(3) le préjudice qui pourrait vraisemblablement découler d'une décision fondée sur une mauvaise compréhension ou sur un examen erroné des faits pertinents;

(4) la mesure dans laquelle la communication à l'avance du rapport permettrait d'éviter le risque qu'une décision mal fondée soit rendue;

(5) les coûts que la communication à l'avance pourrait entraîner, dont ceux liés aux retards dans le processus de prise de décision.

[48]           Appliquant ces principes, la juge Dawson a principalement insisté sur le fait qu’une décision relative à l’interdiction de territoire n’impliquait pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et que le caractère objectif de la décision et l’absence de procédure d’appel jouaient en faveur d’une obligation d’équité étendue. Relativement au facteur lié au degré d’influence que le rapport était susceptible d’avoir sur le décideur, elle a conclu comme suit :

19        Le contenu et l'objectif du mémoire de l'ASFC m'amènent à la conclusion qu'il a servi d'outil d'assistance judiciaire destiné, selon les termes de la Cour d'appel fédérale dans Bhagwandass, « à avoir une influence telle sur le décideur que la communication à l'avance est requise pour "équilibrer les chances" ».

[49]           Ces mêmes critères ont été appliqués dans des circonstances similaires dans divers jugements de notre Cour et dans la majorité des dossiers, la nature des renseignements contenus dans les documents et l’influence qu’ils ont eue sur le décideur ont été des facteurs déterminants (Krishnamoorthy au para 37).

[50]           Le demandeur soutient qu’en l’espèce, le défaut de lui communiquer la recommandation négative de la Direction générale, datée du 11 avril 2014, a violé l’équité procédurale. Il soumet que la recommandation négative était un « outil d’assistance judiciaire » en ce qu’elle était destinée à avoir une influence telle sur le sous-ministre que sa communication préalable était nécessaire pour lui assurer une possibilité raisonnable de participer au processus décisionnel. Le demandeur souligne que le sous-ministre s’est appuyé lourdement sur la recommandation, allant même jusqu’à l’adopter dans ses motifs, et que le texte de la recommandation soulevait certains doutes (contradictions entre les notes d’entrevue et la demande de permis de séjour temporaire minant sa crédibilité, absence de preuve sur son implication familiale, procédures en France dans le dossier des « biens mal acquis »), auxquels il n’a pas eu l’opportunité de répondre. Le demandeur soutient que la recommandation ne contient pas un simple résumé des faits, mais inclut une analyse qui passe sous silence des faits et des arguments importants concernant le contexte de l’interdiction de territoire.

[51]           Le demandeur ajoute que si la recommandation lui avait été communiquée, il aurait pu faire des observations et soulever des arguments à l’encontre des prémisses de la recommandation, par exemple le fait que la décision d’interdiction de territoire faisait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Il aurait également pu dissiper les doutes suscités dans l’esprit du sous-ministre, notamment ceux découlant des contradictions alléguées concernant ses séjours au Canada et son implication dans la vie familiale. Le demandeur avance que la divulgation de la recommandation lui aurait également permis de soulever ses craintes quant à l’approche biaisée qui a été adoptée dans le traitement de sa demande.

[52]           Le demandeur allègue également que la recommandation formulée le 13 mars 2014 par M. Gilbert, qui a été à la base de la recommandation du 11 avril 2014, aurait également dû lui être communiquée, et ce, d’autant plus que cette recommandation passait sous silence le rapport de l’ASFC du 1er novembre 2012 qui lui était favorable. Ce rapport aurait été utile dans l’examen de la gravité de l’interdiction de territoire que devait faire le sous-ministre, et ce, aux fins de  balancer l’intérêt supérieur des enfants du demandeur et l’interdiction de territoire.

[53]           Je considère que la communication de la recommandation du 13 mars 2014 préparée par M. Gilbert n’est pas réellement en cause. D’abord, cette recommandation était adressée à la Direction générale et non au sous-ministre et il n’y a aucune preuve que le sous-ministre en a même pris connaissance. C’est plutôt le rapport du 11 avril 2014 contenant l’analyse et la recommandation de la Direction générale qui a été acheminé au sous-ministre qui est en cause.

[54]           Les défendeurs soutiennent que ce rapport fait partie des motifs de la décision rendue par le sous-ministre (Miller c Canada (Solliciteur général), 2006 CF 912 au para 63, [2006] ACF no 1164) et que, par conséquent, il n’avait pas à être communiqué à l’avance au demandeur. Je ne partage pas ce point de vue. J’estime que le fait que le rapport, y incluant la recommandation qu’il contient, puisse être considéré comme faisant partie des motifs de la décision du sous-ministre ne règle pas la question relative à l’obligation qu’avait, ou n’avait pas, le sous-ministre de le communiquer au demandeur avant de rendre une décision. Comme l’a indiqué la juge Sharlow dans Bhagwandass, au para 34, dans un contexte où un argument similaire était invoqué, au moment où il a été émis, le rapport de la Direction générale ne pouvait pas constituer les motifs d’une décision qui n’avait pas encore été rendue.

[55]           La question consiste plutôt à déterminer si la divulgation de ce rapport était requise pour permettre au demandeur de participer, de façon significative, au processus décisionnel.

[56]           Dans un premier temps, il faut conserver à l’esprit que le sous-ministre devait rendre une décision hautement discrétionnaire, dont la nature et les effets sont moins importants qu’une décision concernant, par exemple, un avis de danger ou une interdiction de territoire.

[57]           Il appert par ailleurs de la décision rendue par le sous-ministre que l’analyse et la recommandation de la Direction générale ont eu une influence sur sa décision. Il a d’ailleurs indiqué dans sa décision avoir analysé l’ensemble des circonstances, y incluant la recommandation qu’il a signée. Dans ce contexte, je considère que le rapport de la Direction générale a constitué un outil d’assistance judiciaire.

[58]           J’estime toutefois que sa divulgation préalable au demandeur n’était pas requise, et ce, pour les raisons suivantes.

[59]           D’abord, le rapport ne renvoie à aucun rapport, document ou renseignement qui étaient inconnus du demandeur ou encore à des sources d’information inconnues du demandeur. L’analyse et la recommandation de la Direction générale sont fondées essentiellement sur la décision du 20 décembre 2013 ayant rejeté la demande de résidence permanente du demandeur, sur les notes de l’entrevue conduite par l’agente d’immigration le 25 septembre 2012, et sur les affidavits et la preuve documentaire déposés par le demandeur au soutien de sa demande de PST.

[60]           Ensuite, le demandeur devait s’attendre à ce que ces documents soient consultés, et ce, même s’ils émanaient d’un autre dossier. Le bien-fondé de l’interdiction de territoire du demandeur n’était pas directement en cause dans la cadre du traitement de la demande de PST, mais l’interdiction de territoire constituait la « circonstance » donnant ouverture à une demande de PST. Autrement dit, l’interdiction était la raison d’être et la condition essentielle de la demande de PST ; sinon, le demandeur aurait pu simplement faire une demande de VRT. Dans ce contexte, le sous-ministre pouvait consulter la décision du 20 décembre 2013 et les notes de l’entrevue, et le demandeur ne pouvait raisonnablement en être surpris. Je considère que le sous-ministre pouvait s’y référer sans devoir en aviser le demandeur pour lui permettre de soumettre des observations.

[61]           Je suis également d’avis que les principes élaborés par la jurisprudence, concernant la divulgation de documents et renseignements doivent, en l’espèce, être envisagés à la lumière de l’obligation qui incombe au demandeur d’établir son droit à un PST.

[62]           J’estime que la jurisprudence développée en matière de visa, qui reconnaît clairement que le fardeau appartient au demandeur de soumettre des éléments de preuve suffisants au soutien de sa demande, est transposable en matière de PST. Cette jurisprudence a établi qu’il n’appartient pas à l’agent d’informer le demandeur de l’insuffisance de sa preuve ou de lui donner l’occasion de répondre aux préoccupations qui découlent d’une demande qui manque de clarté, qui est incomplète où dont les éléments de preuve sont insuffisants. L’obligation d’équité peut, par ailleurs, exiger que l’agent communique ses préoccupations au demandeur et lui donne une occasion d’y répondre lorsqu’elles découlent de la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des éléments de preuve soumis par le demandeur ou lorsqu’elles découlent de renseignements dont le demandeur n’a pas pu avoir connaissance. L’obligation d’équité ne s’étend toutefois pas un devoir de fournir au demandeur un résultat intermédiaire ou une occasion de bonifier une demande qui est incomplète ou qui n’est pas suffisamment étayée. Le juge Mosley a bien énoncé ces paramètres dans Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 aux para 22-23, [2004] ACF no 317 :

22        Il est bien établi que, dans le contexte des décisions d'un agent des visas, l'équité procédurale exige que le demandeur ait la possibilité de répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l'agente des visas s'est fondée et qu'il soit informé des préoccupations que l'agente a à cet égard : Muliadi, précité. À mon avis, le fait que la Cour d'appel fédérale a souscrit, dans l'arrêt Muliadi, précité, aux remarques que lord Parker avait faites dans la décision In re H.K. (An Infant), [1967] 2 Q.B. 617, montre que l'obligation d'équité peut exiger que les fonctionnaires de l'Immigration informent les demandeurs des questions suscitées par leur demande, pour que ceux-ci aient la chance d'"apaiser" leurs préoccupations, même lorsque ces préoccupations découlent de la preuve qu'ils ont soumises. D'autres décisions de la présente cour étayent cette interprétation de l'arrêt Muliadi, précité. Voir, par exemple, Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 705 (1re inst.), John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 350 (1re inst.) (QL) et Cornea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 30 Imm. L.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), où il a été statué qu'à l'entrevue, l'agent des visas doit informer le demandeur de l'impression défavorable que lui donne la preuve que celui-ci a soumise.

23        Toutefois, ce principe d'équité procédurale ne va pas jusqu'à exiger que l'agent des visas fournisse au demandeur un "résultat intermédiaire" des lacunes que comporte sa demande : Asghar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1091 (1re inst.) (QL), paragraphe 21, et Liao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1926 (1re inst.) (QL), paragraphe 23. L'agent des visas n'est pas tenu d'informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l'ancienne Loi et de son règlement d'application : Yu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 36 F.T.R. 296, Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 151 F.T.R. 1 et Bakhtiania c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1023 (1re inst.) (QL).

[Je souligne]

[Voir également Chawla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 434 au para 14, [2014] ACF no 451 ; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 678 aux para 17-18, [2014] ACF no 745 ; Hussaini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 289 au para 10, [2013] ACF no 318.]

[63]           La juge Snider a repris ces principes dans Baybazarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, [2010] ACF no 930 dans un contexte où l’information qui n’avait pas été communiquée au demandeur était contenue dans un rapport de l’ASFC. Elle s’est exprimée comme suit :

11        D'abord et avant tout, il incombe au demandeur d'établir son droit à un visa. Le demandeur a la responsabilité de produire l'information nécessaire au traitement de sa demande. L'agent n'a pas l'obligation d'informer le demandeur de ses réserves qui découlent directement des exigences de la loi. L'agent n'est pas tenu non plus de fournir au demandeur un "résultat intermédiaire" des lacunes que comporte sa demande. Voir Rukmangathan, précitée, au paragraphe 23; Nabin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 200, [2008] A.C.F. no 250, au paragraphe 7; Rahim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1252, 58 Imm. L.R. (3d) 80, au paragraphe 14.

12        Ensuite, l'agent doit informer le demandeur a) s'il a des doutes quant à la crédibilité, à l'exactitude ou à l'authenticité des renseignements fournis (voir Nabin, précitée, au paragraphe 8); b) s'il s'est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques (voir Rukmangathan, précitée, au paragraphe 22; Nabin, précitée, au paragraphe 8; Mekonen, précitée, au paragraphe 4). Cette obligation vise à ce que le demandeur ait une occasion équitable et raisonnable de savoir ce qui lui est reproché et de dissiper les doutes.

[Je souligne]

[Voir également Enriquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1091 aux para 26-27,  [2012] ACF no 1177 ; Krishnamoorthy aux para 37-38.]

[64]           En l’espèce, le rapport de la Direction générale relève certaines contradictions entre les déclarations du demandeur lors de l’entrevue du 25 septembre 2012 et celles incluses dans sa demande de PST, notamment concernant la fréquence des visites du demandeur au Canada, mais je considère que  ces contradictions n’ont pas été déterminantes dans l’analyse du dossier puisqu’il n’était pas contesté que le demandeur passait plus de temps à l’extérieur du Canada qu’à l’intérieur du Canada. L’autre contradiction concernant le changement de lieu du siège social de la Socotram était aussi mineure.

[65]           De plus, une lecture des éléments pris en considération par la Direction générale révèle qu’elle a principalement fondé sa recommandation sur le fait qu’elle jugeait que les éléments invoqués et la preuve soumise par le demandeur étaient insuffisants pour justifier l’émission d’un PST. Il ressort du rapport que la Direction générale a considéré que le demandeur n’avait pas soumis de preuves suffisantes, au soutien de son allégation que son épouse et deux de ses enfants avaient des problèmes de santé qui requerraient sa présence et de son allégation qu’il participait activement au quotidien de la famille lorsqu’il était à l’extérieur du Canada.

[66]           Enfin, la recommandation ne contient aucune préoccupation nouvelle à laquelle le demandeur aurait dû avoir l’occasion de répondre pour participer de façon significative au processus décisionnel.

[67]           Je conclus donc que le rapport de la Direction général ne contenait aucun fait ou renseignement dont le demandeur n’avait pas connaissance. Dans Ulybin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 629, [2013] ACF no 661, une demande de résidence permanente avait été refusée au motif que le demandeur avait été déclaré coupable, en Espagne, d’infractions en lien avec un accident de la construction entraînant la mort d’un travailleur. Le principal enjeu était l’équivalence des infractions en droit canadien, et le demandeur avait présenté des observations très détaillées sur cette question. Dans ce contexte, la juge Snider a estimé que le défaut de divulguer un avis d’un conseiller juridique de l’Administration centrale à Ottawa ne constituait pas une violation de l’équité procédurale parce que le demandeur avait eu l’opportunité de participer pleinement au processus décisionnel et le décideur n’avait pas l’obligation de fournir un « résultat intermédiaire ». La juge Snider s’est exprimée comme suit :

26        Bien que l'avis de l'AC puisse avoir joué un rôle important dans la décision de l'agent, l'agent n'a pas violé l'équité procédurale en omettant de le communiquer. L'obligation d'équité se situe à l'extrémité inférieure du registre dans le contexte des demandes de visa (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 345, [2002] 2 CF 413, aux paragraphes 30 à 32). De plus, l'avis de l'AC était fondé sur la preuve documentaire et sur les observations juridiques fournies par le demandeur. Bien que l'équité puisse exiger la communication lorsque l'agent tire certaines conclusions fondées sur des renseignements extrinsèques, l'obligation de l'agent ne s'étend pas à fournir un "résultat intermédiaire" en fonction des renseignements produits par le demandeur (Ronner c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 817, [2009] A.C.F. no 923, aux paragraphes 43 à 45).

[Je souligne]

[68]           J’estime que ces principes sont applicables en l’espèce. Exiger la communication préalable du rapport de la Direction générale aurait été l’équivalent d’exiger la communication d’un résultat intermédiaire. Je suis d’avis que le sous-ministre n’avait pas l’obligation de fournir au demandeur une opinion préliminaire sur la suffisance de la preuve qu’il a soumise au soutien de sa demande de PST.

[69]           Je fais également miens les propos du juge Phelan dans Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489 au para 9, [2008] ACF no 623 :

9          Il est de droit constant que le demandeur a le fardeau d'établir le bien-fondé de sa cause. De façon générale, un demandeur a une seule occasion d'établir le bien-fondé de sa cause, ce qui ne devrait pas donner lieu à une sorte de récit en développement qui évolue de réponse en sur-réponse et ainsi de suite.

[70]           De plus, la jurisprudence n’exige pas qu’un décideur envoie une version préliminaire de sa décision à la personne qui sera touchée par celle-ci (Monemi c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1648 au para 17, [2004] ACF no 2004 ; Mia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1150 au para 11 , [2001] ACF no 1584; Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266 aux para 16-17, [2002] ACF no 341; Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 389 aux para 11-12, 18 [2002] ACF no 503).

[71]           Je traiterai maintenant du rapport de l’ASFC daté du 1er novembre 2012.

[72]           Le demandeur soutient que ce rapport, révélé lors du dépôt du dossier certifié du tribunal dans le dossier IMM-1144-14, aurait aussi dû lui être communiqué afin qu’il puisse le commenter avant que le sous-ministre ne rende sa décision. Le demandeur soumet que ce rapport, qui concluait que la preuve était insuffisante pour soutenir une conclusion qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, était pertinent pour apprécier la gravité relative de l’interdiction de territoire et toutes les circonstances pertinentes au traitement de la demande de délivrance d’un PST.

[73]           Avec égards, je considère que le rapport préparé par l’ASFC le 1er novembre 2012 n’était pas un document pertinent aux fins du traitement de la demande de PST et, par conséquent, il n’avait pas à être communiqué au demandeur avant qu’une décision concernant sa demande de PST ne soit rendue.

[74]           D’abord, tel que je l’ai déjà indiqué, le sous-ministre n’avait pas à trancher à nouveau la question de l’interdiction de territoire, ni à remettre en question la décision rendue par l’agente d’immigration le 20 décembre 2013 et ce même si le demandeur entendait contester cette décision. Au moment où la demande de PST a été traitée, la décision déclarant le demandeur interdit de territoire avait plein effet. Le sous-ministre devait par ailleurs considérer la nature de l’interdiction de territoire, mais pour ce faire, il était approprié et suffisant qu’il se fie à la décision de l’agente qui avait prononcé l’interdiction de territoire. Il n’était pas nécessaire que le sous-ministre considère de façon exhaustive la preuve qui avait déjà été analysée par l’agente d’immigration. Cela aurait créé un dédoublement inutile du travail et un risque de rendre des décisions contradictoires sur l’interdiction de territoire.

[75]           D’autre part, ce rapport a été préparé par une agence partenaire en novembre 2012, soit plus d’un an avant la décision de décembre 2013 qui a déclaré le demandeur interdit de territoire et avant que le demandeur soumette les documents additionnels requis par l’agente d’immigration. De plus, l’agente d’immigration ne s’est pas fondée sur ce rapport pour rendre sa décision déclarant le demandeur interdit de territoire. Je ne vois donc pas en quoi ce document était utile aux fins du traitement de la demande de PST. Je suis donc d’avis qu’il n’avait pas à être divulgué au demandeur.

[76]           Il est également clair que le sous-ministre ne s’est pas appuyé sur ce rapport pour rendre sa décision. Il n’avait donc aucune obligation de communiquer ce rapport au demandeur.

(2)               La crainte raisonnable de partialité

[77]           Le demandeur soutient que plusieurs éléments dans le traitement de son dossier soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

[78]           À cet égard, il avance que l’omission de lui divulguer les deux recommandations internes démontre une approche biaisée et soulève une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur souligne également que le rapport de l’ASFC, qui n’était pas dans le dossier certifié du tribunal, aurait dû faire partie des documents remis au sous-ministre parce qu’il aurait été utile pour bien balancer la gravité relative de l’interdiction de territoire et l’intérêt supérieur de ses enfants.

[79]           Le demandeur soumet également que les recommandations du 13 mars 2014 et du 11 avril 2014 se limitent à mentionner les éléments négatifs, ce qui démontre une approche biaisée. Il soutient que la recommandation présente un historique tronqué et omet des faits pertinents pour expliquer l’ensemble des circonstances. Il soutient qu’il était essentiel que le sous-ministre soit informé de l’ensemble des circonstances, y incluant les circonstances favorables, compte tenu de l’importance de la décision en cause pour le demandeur et sa famille et des importantes conséquences qui découlent d’une décision négative.

[80]           Le demandeur ajoute que l’approche biaisée ressort également de l’envoi d’un dossier incomplet. Le demandeur, qui a demandé les motifs de la décision, a d’abord reçu la recommandation du 13 mars 2014, alors que celle qui fait partie des motifs est celle du 11 avril 2014. Le demandeur souligne également que les avocats du défendeur avaient prétendu que les notes SMGC étaient « complètes », alors que la recommandation du 11 avril 2014 n’avait pas été fournie, et que son contenu diffère de la recommandation du 13 mars 2014 qui était retranscrite dans les notes du SMGC.

[81]           Le demandeur ajoute qu’un courriel entre M. Gilbert et l’agente d’immigration qui a rendu la décision d’inadmissibilité, en date du 21 février 2014, qui a été inclus dans le dossier certifié du tribunal, soulève également une approche biaisée. Dans ce courriel, que M. Gilbert a acheminé à plusieurs personnes, il demande qu’un appel conférence soit fixé pour « parler de stratégie ».

[82]           Il n’y a aucun doute que l’équité procédurale requiert que les décisions soient rendues par un décideur qui est impartial (Baker au para 45). Le critère pour établir la crainte raisonnable de partialité a été exposé par le juge de Grandpré, dissident dans l’arrêt Committee for Justice & Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369 à la p 394, 68 DLR (3d) 716:

40        […] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander "à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?"

[83]           L’impartialité d’un décideur se présume et la crainte de partialité doit être fondée sur des éléments tangibles. J’endosse à cet égard les propos de la juge Layden-Stevenson dans Ayyalasomayajula c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 248 aux para 14-15, [2007] ACF no 320:

14        En bref, affirmer que l'attitude d'un décideur suscite une crainte raisonnable de partialité requiert davantage qu'une allégation en ce sens. La preuve que j'ai devant moi ne justifie pas une crainte raisonnable de partialité.

15        En l'absence d'une preuve contraire, il faut présumer qu'un décideur agira d'une manière impartiale : arrêt Zündel c. Citron, [2000] 4 C.F. 225 (C.A.), autorisation de pourvoi refusée, [2000] C.S.C.R. no 322. Même dans le contexte d'audiences de nature judiciaire, la crainte de partialité doit être raisonnable et doit être ressentie par des personnes raisonnables et sensées qui ont réfléchi à la question et obtenu les renseignements nécessaires. La question est la suivante : à quelle conclusion arriverait une personne informée, après avoir considéré l'affaire d'une manière réaliste et pragmatique, et après l'avoir examinée dans tous ses détails? Les motifs de crainte doivent être substantiels, et le critère ne devrait pas dépendre d'une conscience par trop susceptible ou scrupuleuse. Une réelle probabilité de partialité doit être démontrée, et un simple soupçon ne suffira pas : Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369.

[84]           En l’espèce, rien ne permet de conclure à une crainte raisonnable de partialité de la part du sous-ministre ou de tout autre intervenant au dossier.

[85]           Tel que je l’ai mentionné, je considère que le sous-ministre n’avait pas à communiquer au demandeur les recommandations du 13 mars 2014 et du 11 avril 2014, pas plus que le rapport de l’ASFC. Par conséquent aucune crainte de partialité ne peut découler de l’omission de divulguer ces documents au demandeur avant la prise de décision.

[86]           Tel qu’indiqué précédemment, je suis également d’avis que le rapport de l’ASFC n’était pas un document pertinent aux fins du traitement de la demande de PST. Par conséquent, le fait que le sous-ministre n’ait pas eu connaissance de ce rapport ou, s’il en a eu connaissance, qu’il ait omis d’en traiter dans sa décision, ne soulève pas de crainte raisonnable de partialité et ne démontre pas une approche biaisée.

[87]           Quant à l’envoi d’un dossier incomplet, il est vrai que c’est la recommandation interne du 13 mars 2014 et non celle du 11 avril 2014, qui a d’abord été transmise au demandeur. Toutefois, rien ne permet de conclure que cette omission était le fruit d’un désir de cacher de l’information au demandeur ou un refus de lui communiquer l’ensemble des informations pertinentes. Le dossier laisse plutôt à penser que les procureurs du défendeur ont cru, au départ, que les deux recommandations étaient un seul et même document.

[88]           Quant au courriel envoyé par M. Gilbert à l’agente d’immigration dans lequel il propose une conférence téléphonique pour « parler de stratégie », cet élément n’est pas suffisant pour soulever une crainte raisonnable de partialité parce qu’il n’y a aucune indication permettant de conclure que le sous-ministre a eu connaissance de ce courriel ni de preuve quant à  la teneur des échanges ultérieurs entre M. Gilbert et l’agente d’immigration.

[89]           J’estime également que la Direction générale et le sous-ministre n’ont pas présenté une version tronquée des faits et des circonstances qui étaient pertinents dans l’analyse de la demande de PST du demandeur.

[90]           Je conclus donc que l’équité procédurale n’a pas été violée en l’espèce, que le processus suivi a été équitable et ne soulève aucune crainte de partialité et que le demandeur a eu l’occasion de participer de manière significative au processus décisionnel.

B.                 Erreurs de droit

[91]           Le demandeur soumet que le sous-ministre a commis trois erreurs de droit.

[92]           Comme première erreur, il avance que le sous-ministre lui a imposé une norme trop exigeante en requérant qu’il démontre des « circonstances exceptionnelles » et des « raisons impérieuses et suffisantes » pour justifier la délivrance d’un PST, alors que le texte de l’article 24 de la LIPR indique simplement qu’un PST est délivré si l’agent « estime que les circonstances le justifient ». Le demandeur invoque Rodgers c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1093 au para 10, [2006] ACF no 1378 [Rodgers]. Le demandeur soutient donc que le sous-ministre lui a imposé un fardeau plus élevé que ce qui est requis par le libellé de la loi.

[93]           Il ressort clairement du libellé du paragraphe 24(1) de la LIPR qu’il s’agit d’un régime d’exception et tel que je l’ai mentionné précédemment, il est bien établi que l’émission d’un PST est une décision qui est hautement discrétionnaire (Afridi, au para 16 ; Stordock c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 16 au para 9, [2013] ACF no 7 [Stordock]; Farhat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1275 au para 16, [2006] ACF no 1593 [Farhat]).

[94]           Je suis d’avis que Rodgers ne peut servir de précédent concernant la norme applicable pour déterminer si des circonstances justifient l’émission d’un PST, puisque les commentaires du juge von Finckenstein, au paragraphe 10 du jugement, se limitaient à faire une distinction entre l’analyse des circonstances qui justifient l’émission d’un PST par opposition à l’analyse plus approfondie des circonstances humanitaires que commande l’article 25 de la LIPR.

[95]           Par ailleurs, la jurisprudence a clairement reconnu que l’application du critère requérant la démonstration de circonstances exceptionnelles et impérieuses est conforme aux objectifs de l’article 24 de la LIPR et ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[96]           Dans Farhat, au para 22, le juge Shore a traité comme suit des objectifs du régime propre aux PST :

[22]      On vise avec l’article 24 de la LIPR à rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne dans certains cas la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des « raisons impérieuses » pour qu’il soit permis à un étranger d’entrer ou de demeurer au Canada malgré l’interdiction de territoire ou l’inobservation de la LIPR. Fondamentalement, le permis de séjour temporaire permet aux agents d’intervenir dans des circonstances exceptionnelles tout en remplissant les engagements sociaux, humanitaires et économiques du Canada. (Guide de l’immigration, ch. OP 20, section 2; pièce B de l’affidavit d’Alexander Lukie; Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) c. Hardayal, [1978] 1 R.C.S. 470 (QL).)

[97]           Le critère des « raisons impérieuses » a depuis été confirmé par la jurisprudence de cette Cour, notamment dans Nasso aux para 13-15 et Stordock, au para 9. Dans Nasso, le juge Zinn a précisément traité du même argument que soulève le demandeur – soit que cette norme est trop exigeante eu égard au texte du paragraphe 24(1) de la LIPR – et il a conclu que l’agent avait appliqué le bon critère :

[13]      M. Nasso soutient que l'agent a commis une erreur dans son interprétation du paragraphe 24(1) de la Loi en l'interprétant comme s'il incluait l'exigence qu'il y ait un "besoin impérieux" démontré par un demandeur avant que l'exception lui soit accordée. […]

[14]      Le demandeur soutient que, bien que l'interprétation de l'agent soit cohérente avec les lignes directrices du guide IP 1 -- Permis de séjour temporaires, elle crée au paragraphe 24(1) de la Loi une exigence plus grande que l'exigence précisée à ce paragraphe selon laquelle l'agent délivre le permis si "les circonstances le justifient".

[15]      Je ne suis pas convaincu qu'il y ait quelque mauvaise interprétation que ce soit du paragraphe 24(1), comme le demandeur le soutient. Comme le juge Shore l'a noté dans la décision Farhat, l'article 24 de la Loi permet, dans des "circonstances exceptionnelles", aux agents de rendre moins sévères les conséquences qu'entraîne la stricte application de la Loi. Il me semble qu'un demandeur qui ne peut pas convaincre l'agent de ses obligations ou, si j'utilise les termes de la décision contestée, de son besoin impérieux d'entrer au Canada, ne peut pas établir que les circonstances justifient la délivrance du permis. En d'autres termes, pour se voir accorder un PST dans ces circonstances exceptionnelles, il faut au moins démontrer qu'on a plus qu'une envie ou un désir d'entrer au Canada -- il faut démontrer bien plus -- autrement, ce ne sont pas des circonstances exceptionnelles. Lorsque le demandeur soutient qu'il a besoin d'entrer au Canada pour des raisons d'affaires, alors il devrait pouvoir établir que ces affaires ne peuvent pas être traitées ou conclues à partir de son propre pays, mais qu'elles nécessitent sa présence au Canada. Selon moi, c'est cela un besoin impérieux. Par conséquent, je conclus que l'agent n'a pas mal interprété les exigences du paragraphe 24(1) de la Loi.

[Je souligne]

[98]           D’ailleurs, ce critère figure toujours au Guide de l’immigration OP 20 – Permis de séjour temporaire (PST), disponible en ligne au http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/outils/temp/permis/admissibilite.asp:

Qui est admissible à un PST?

Il est possible de délivrer un PST à un étranger qui, selon l’agent, est interdit de territoire ou ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 24(1) de la LIPR.

Un PST est délivré à la discrétion de l’autorité déléguée et peut être annulé en tout temps. L’autorité déléguée déterminera :

•s’il existe un motif impérieux justifiant la nécessité d’accorder à l’étranger le droit d’entrer ou de rester au Canada;

•si la présence de l’étranger au Canada l’emporte sur tout risque qu’il pourrait présenter pour les Canadiens ou la société canadienne.

[Je souligne]

[99]           Ces guides n’ont pas force de la loi, mais ils peuvent être utiles (Afridi, au para 18; Martin, au para 28; Shabdeen, aux para 16-17).

[100]       Le demandeur a d’ailleurs bien compris qu’il s’agissait du critère applicable puisque dans sa demande de PST, il a invoqué qu’il existait des raisons impérieuses, qu’il a ensuite détaillées, qui l’obligeaient à continuer de séjourner au Canada avec son épouse et ses enfants. Je suis donc d’avis que le sous-ministre a donné au paragraphe 24(1) de la LIPR une interprétation conforme à la jurisprudence et que son interprétation de la norme des « circonstances qui justifient » l’émission d’un PST n’était pas déraisonnable. J’arriverais à la même conclusion même si l’interprétation du paragraphe 24(1) de la LIPR devait être révisée selon la norme de la décision correcte, puisque j’estime que le sous-ministre n’a commis aucune erreur de droit au niveau de la norme générale applicable aux demandes de PST.

[101]       Deuxièmement, le demandeur soutient que le sous-ministre aurait dû analyser l’intérêt de ses enfants et de son épouse en considérant leur droit constitutionnel de demeurer au Canada selon l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11[la Charte] et sous la Convention relative aux droits de l’enfant, Rés AG 44/25, DOC off AG NU, 44e sess, Doc NU A/RES/44/25 (1989) et que l’obligation de quitter le Canada pour voir le demandeur compromet ou limite ce droit de demeurer au Canada. Le demandeur soutient que le sous-ministre a erré en omettant d’aborder la question des droits constitutionnels de ses enfants et de son épouse dans sa décision et du préjudice qui découle d’une décision négative  qui compromet leur droit de demeurer au Canada. Le demandeur avance également que les principes élaborés dans Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 aux para 54-57, [2012] 1 RCS 395 s’appliquent, et que le sous-ministre a omis de considérer leur droit protégé par la Charte et de mettre en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte et les objectifs de la LIPR.

[102]       Je considère, avec égards, que les droits constitutionnels de l’épouse et des enfants du demandeur ne sont pas en cause dans la présente affaire. L’épouse du demandeur et leurs enfants canadiens bénéficient des droits conférés à l’article 6 de la Charte, et plus particulièrement celui de demeurer au Canada. Le demandeur, pour sa part, n’a aucun droit d’entrer ou de demeurer au Canada. Il invoque toutefois que son interdiction de territoire et le refus de lui délivrer un PST compromettent le droit de ses enfants et de son épouse de demeurer au Canada parce qu’ils seront contraints de sortir du Canada pour pouvoir passer du temps avec lui. Le demandeur n’a cité aucune autorité qui appuie l’assertion suivant laquelle le droit des enfants ou de son épouse de demeurer au Canada inclut celui de permettre au demandeur de séjourner au Canada pour qu’il puisse les visiter.

[103]       Je considère que les commentaires du juge Décary, alors qu’il écrivait pour la Cour d’appel fédérale dans Langner c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 469 aux para 7-9, 97 FTR 118, s’appliquent en l’espèce, et ce, même s’ils ont été émis dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une mesure de renvoi concernant des étrangers dont les enfants étaient nés au Canada :

7          Quand bien même la Charte se serait appliquée, nous cherchons en vain de la violation de quel droit ou de quelle liberté protégée par la Charte les appelants pourraient se plaindre. Les parents appelants n'ont aucun droit, en vertu de la Charte, de demeurer au Canada, l'ordonnance d'expulsion prononcée contre eux étant parfaitement compatible avec les exigences de la Charte. Les enfants appelants n'ont aucun droit, en vertu de la Charte, d'exiger du gouvernement canadien qu'il n'applique pas à leurs parents les sanctions prévues pour la violation des lois canadiennes en matière d'immigration.

8          Les droits et libertés des enfants appelants qui sont associés à leur citoyenneté canadienne (article 6 de la Charte) ne sont pas en cause. Quelle que soit la décision prise par leurs parents, les enfants conserveront leur citoyenneté canadienne et n'auront de contraintes, dans l'exercice des droits et libertés associées à celle-ci, que celles que les parents imposeront dans l'exercice de leur autorité parentale. Si les parents choisissent d'emmener les enfants en Pologne et si d'autres membres de la famille étaient d'avis que semblable décision n'était pas prise dans l'intérêt des enfants, le droit des enfants de demeurer au Canada pourrait faire l'objet d'un débat privé au terme duquel les tribunaux canadiens seraient appelés à juger si la décision des parents est contraire aux intérêts des enfants.

[104]       J’estime donc que le sous-ministre n’a pas erré en ne traitant pas des droits constitutionnels de l’épouse et des enfants du demandeur.

[105]       Il faut conserver à l’esprit que l’article 24 de la LIPR accorde un pouvoir hautement discrétionnaire au ministre et qu’il ne prévoit pas de facteurs précis à considérer contrairement, par exemple, à l’article 25 qui prévoit expressément que l’intérêt supérieur de l’enfant touché doit être considéré (Afridi, au para 21). En revanche, l’intérêt d’un ou de plusieurs enfants peut certainement faire partie des circonstances invoquées au soutien d’une demande de PST et, le cas échéant, le défaut de traiter de l’intérêt d’enfants en cause pourrait être envisagé sous l’angle de l’erreur de droit (Ali, aux para 12-13).

[106]       En l’espèce, il ressort de la décision du sous-ministre qu’il a considéré l’intérêt des enfants du demandeur, leurs liens affectifs avec le demandeur, la séparation et l’effet qu’un refus d’émettre un PST aurait sur eux. Il n’était pas nécessaire qu’il souligne explicitement le droit de l’épouse et des enfants du demandeur de demeurer au Canada, qui n’est pas directement affecté par la décision. La question qui se pose a davantage trait au caractère raisonnable de l’appréciation que le sous-ministre a fait des circonstances invoquées par le demandeur, y incluant l’intérêt et l’impact de la décision sur ses enfants et son épouse. J’y reviendrai plus loin.

[107]       Comme troisième erreur de droit, le demandeur soutient que le sous-ministre a erré en invoquant l’alinéa 3(1)i) de la LIPR, qui n’était pas en cause puisque le demandeur ne représente aucun danger pour les Canadiens.

[108]       L’alinéa 3(1)i) de la LIPR se lit comme suit :

Objet en matière d’immigration

Objectives — immigration

3. (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

3. (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

[…]

[…]

i) de promouvoir, à l’échelle internationale, la justice et la sécurité par le respect des droits de la personne et l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité;

(i) to promote international justice and security by fostering respect for human rights and by denying access to Canadian territory to persons who are criminals or security risks; and

[109]       D’abord, ce n’est pas le sous-ministre lui-même qui a cité cette disposition, mais plutôt la Direction générale, dans sa recommandation du 11 avril 2014. Bien que le défendeur soutienne que la recommandation fait partie des motifs de la décision du sous-ministre, le sous-ministre a rendu ses propres motifs dans lesquels il a indiqué avoir procédé à une révision complète du dossier, y incluant la recommandation du 11 avril 2014 qu’il a signée le 14 avril 2014. Par ailleurs, en apposant sa signature dans la dernière section de la recommandation, le sous-ministre ne faisait pas nécessairement siens tous les éléments contenus dans l’analyse faite par la Direction générale. Tel que je l’ai mentionné, à la fin de la recommandation, il a coché l’assertion suivante : « J’ai examiné tous les documents devant moi, et j’ai décidé de ne pas délivrer un permis de séjour temporaire à M. Nguesso » et ensuite il a apposé sa signature. Il n’a pas attesté qu’il entérinait tout un chacun des mots utilisés dans la recommandation.

[110]       À tout événement, je considère que la référence à cette disposition ne constituait pas une erreur de droit. La Direction générale a mentionné que le refus de délivrer un PST au demandeur était compatible avec l’un des objectifs de la LIPR, soit celui énoncé à l’alinéa 3(1)i) de la LIPR. Cet énoncé n’est pas inexact compte tenu du fait que lorsque la demande de PST du demandeur a été traitée, il avait effectivement été déclaré inadmissible parce que l’agente d’immigration avait des motifs raisonnables de croire qu’il s’était livré à des activités de criminalité organisée. La déclaration d’interdiction de territoire pour criminalité organisée n’exige pas que la personne en cause ait été déclarée coupable de crimes. À tout événement, cette référence ne constitue pas le cœur de la décision rendue par le sous-ministre et ce que le demandeur conteste réellement, ce n’est pas tant la référence à cet alinéa de la LIPR, mais plutôt les facteurs considérés par le sous-ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sous l’article 24 de la LIPR.

C.                 Caractère déraisonnable de la décision

[111]       Le demandeur soumet que la décision du sous-ministre est déraisonnable parce qu’elle dénature les raisons pour lesquelles le demandeur a demandé un PST. Il ajoute que le sous-ministre a ignoré la preuve en concluant que la famille avait fait un choix de vivre séparément alors que la famille cherchait justement à se réunir afin de ne pas aggraver une situation déjà fragile. Il reproche également au sous-ministre d’avoir ignoré la preuve relative à son implication familiale ainsi que la note médicale concernant son épouse de même que les autres documents concernant les difficultés et les besoins particuliers des enfants. Il soutient également que tant la loi, la jurisprudence et le bon sens indiquent que l’absence du père aura un impact négatif sur les enfants.

[112]       Il soutient de plus que le sous-ministre n’a pas accordé l’importance nécessaire aux droits des enfants de vivre et de demeurer au Canada, ni considéré le préjudice découlant de l’obligation  de quitter le Canada pour voir leur père.

[113]       Finalement, le demandeur argumente que le sous-ministre s’est appuyé lourdement sur son interdiction de territoire alors que celle-ci est contestée devant cette cour, et qu’il n’a pas d’antécédents criminels et ne fait pas l’objet d’accusations criminelles. Il souligne de plus que le sous-ministre a omis de considérer le fait que sa présence ne constitue pas un danger pour les Canadiens.

[114]       L’analyse du caractère raisonnable de la décision doit être faite en tenant compte des paramètres élaborés dans Dunsmuir. Dans Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 au para 99, [2014] ACF no 472, la Cour d’appel fédérale a rappelé les limites de l’intervention de la Cour :

99        Lorsqu'elle effectue un examen selon la norme de la raisonnabilité de conclusions de fait telles que celles-ci, la Cour n'a pas pour mission d'apprécier de nouveau les éléments de preuve versés aux débats. Elle doit alors plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire tel que sa compétence, reposant sur la primauté du droit, est engagée, comme l'absence totale de recherche des faits, le défaut, lors d'une telle recherche, de respecter une exigence expresse de la loi, le caractère illogique ou irrationnel du processus de recherche des faits ou l'absence de tout fondement acceptable à la conclusion de fait tirée (Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487, aux paragraphes 44 et 45; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l'industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la page 669).

[115]       Je considère que la décision du sous-ministre possède tous les attributs de la raisonnabilité et que le demandeur soulève essentiellement un désaccord avec l’appréciation qu’a faite le sous-ministre de la preuve et des arguments qu’il a invoqués au soutien de sa demande de PST.

[116]       Tel que mentionné précédemment, la décision de délivrer un PST est une décision hautement discrétionnaire qui requiert des circonstances exceptionnelles et qui doit être analysée à la lumière des circonstances de chaque dossier.

[117]       Je considère que le sous-ministre a traité des circonstances qui étaient pertinentes en l’espèce. Il a clairement considéré les principaux motifs invoqués par le demandeur, soit les besoins particuliers de son épouse et de ses enfants, son implication familiale et l’impact d’une décision négative sur la famille.

[118]       Je considère qu’il n’était pas déraisonnable pour le sous-ministre de conclure que la preuve soumise par le demandeur était insuffisante, notamment celle relative à la condition médicale de son épouse et aux besoins particuliers de ses enfants.

[119]       Concernant la preuve médicale et psychologique, le sous-ministre n’a pas mentionné précisément la note médicale concernant la condition de l’épouse du demandeur ou la correspondance avec les professeurs d’école d’un des enfants qui recommandaient un suivi en psychologie. Cependant, ces éléments ne démontrent pas en quoi la présence du demandeur au Canada serait nécessaire. La note médicale de Mme Mengue ne soutient pas son affirmation qu’elle doit éviter le stress, et ne laisse pas supposer que sa condition médicale nécessite un soutien particulier de ses proches. De façon semblable, le rapport d’ergothérapie concernant l’un des enfants fait état de certaines difficultés, mais il ne démontre pas en quoi la présence du demandeur est nécessaire. La présence du père serait sans doute souhaitable pour tous les enfants, mais nous sommes bien loin d’une situation comme dans Martin par exemple, où la demanderesse devait s’occuper quotidiennement d’une jeune fille diabétique insulinodépendante ou dans Shabdeen, où la présence des parents auprès de leur fille autiste était nécessaire alors qu’elle devait suivre des évaluations psychiatriques nécessitant leur implication directe et leur consentement. Dans le présent dossier, il était raisonnable de conclure qu’aucune preuve indépendante n’appuyait les motifs médicaux invoqués.

[120]       Je conviens, par ailleurs, que si la famille a fait un choix en 2006 de vivre dans deux pays, il s’agissait probablement d’un choix qui a été fait en présumant que le demandeur pourrait rendre visite à sa famille sur une base régulière pendant que sa demande de résidence permanente était en cours de traitement. Le commentaire du sous-ministre, relativement au choix de la famille de résider dans deux pays différents, m’apparaît donc exagéré et incomplet, mais ceci n’est pas suffisant pour rendre la décision déraisonnable, parce que le sous-ministre a traité amplement de l’effet réel de la séparation sur la famille. Or, la preuve concernant l’implication du demandeur dans le quotidien familial et la nécessité qu’il soit davantage présent pour soutenir son épouse et ses enfants, était limitée. Les affidavits de l’épouse du demandeur, de la mère de cette dernière, de sa sœur et de sa cousine, notent en termes généraux que le demandeur est un bon père qui assure un suivi éducatif des enfants, qu’il les visite régulièrement et que les jeunes garçons, surtout, attendent impatiemment ses visites. Dans la recommandation du 11 avril 2014, il est noté que « [v]u le peu de temps réellement passé au Canada et l’absence totale de preuve démontrant que le requérant maintenait son implication familiale lorsqu’il était hors du Canada, il apparaît peu probable qu’il intervenait dans les activités de la vie quotidienne du foyer et que la présence de M. Nguesso au Canada soit indispensable à la vie familiale. » Cette conclusion me paraît raisonnable puisque les affidavits n’offrent aucune indication précise de l’implication du demandeur à la vie familiale lorsqu’il est à l’extérieur du Canada, ni de la fréquence et la longueur de ses visites au Canada. Les affidavits ne donnent pas davantage de précisions relativement à l’implication réelle du demandeur dans le quotidien familial et le soutien qu’il apporte à son épouse et à leurs enfants lorsqu’il est au Canada.

[121]       La preuve démontre également que le demandeur dispose de moyens financiers suffisants pour permettre à ses enfants et à son épouse de le visiter à l’extérieur du Canada sur une base assez régulière, et ce, même si la fréquence des visites peut être limitée parce que les enfants vont à l’école.

[122]       La jurisprudence a reconnu que le décideur qui traite une demande de PST n’est pas tenu de faire une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant aussi exhaustive que celle requise dans le cadre d’une demande pour considérations humanitaires (Afridi, au para 21; Marques, au para 29; Stordock, au para 11 ; Farhat, au para 36).

[123]       Je considère qu’en l’espèce,  le sous-ministre a considéré l’intérêt des enfants du demandeur à la lumière du critère requis pour émettre un PST et de la preuve soumise par le demandeur.

[124]       Enfin, le demandeur estime que le décideur a omis de faire une analyse de la dangerosité, concept distinct de l’interdiction de territoire, alors qu’il a allégué dans sa demande qu’il ne pose aucun danger à la sécurité des Canadiens.

[125]       Je reconnais qu’une personne ne pose pas nécessairement un danger pour la sécurité du simple fait qu’elle est interdite de territoire. Toutefois, la question de savoir si le décideur aurait dû considérer un élément donné dépend de son importance relative dans le contexte particulier du dossier. En l’espèce, le cœur de la demande de PST était basé sur les besoins particuliers de l’épouse et des enfants du demandeur et sur la nécessité qu’il puisse visiter sa famille pour leur offrir le soutien dont ils ont besoin. Comme le sous-ministre a jugé que la preuve soumise par le demandeur à cet égard était insuffisante, il n’était pas essentiel qu’il poursuive davantage l’analyse pour considérer l’absence de danger que le demandeur posait pour les citoyens canadiens.

[126]       J’estime donc que les conclusions du sous-ministre ont un fondement acceptable dans la preuve, que sa décision n’est pas arbitraire ou irrationnelle et que sa décision fait partie des issues possibles acceptables (Dunsmuir, au para 47).

[127]       L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

VII.          Question à certifier

[128]       Les défendeurs ont suggéré que la question suivante soit certifiée :

Relativement à une demande de permis de séjour temporaire (PST), en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, pour observer le principe d’équité procédurale, le texte d’une recommandation au décideur doit-il être communiqué au demandeur de PST pour lui permettre de faire des observations, avant que la décision disposant de sa demande ne soit prise ?

[129]       Le demandeur a soutenu, pour sa part, qu’aucune question ne devrait être certifiée et que la question suggérée par le défendeur n’était pas appropriée.

[130]       L’alinéa 74(d) de la LIPR prescrit le critère pour qu’une question soit certifiée, soit que l’affaire soulève une question grave de portée générale. Il est bien établi qu’une question ne devrait être certifiée que s’il s’agit d’une question grave de portée générale qui transcende les intérêts des parties au litige et qui est déterminante quant à l’issue de l’appel (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage (1994), 176 NR 4 au para 4 , [1994] ACF no 1637; Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89 au para 11, [2004] ACF no 368 ; Lai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 FCA 21 au para 4, [2015] ACF no 125).

[131]       Bien que la question relative à l’étendue de l’équité procédurale doit être contextualisée,  je considère que la question proposée soulève tout de même une question importante qui transcende l’intérêt des parties au présent dossier et qui serait déterminante quant à l’issue de l’appel. En effet, le présent dossier soulève la question de savoir si un rapport interne devrait être divulgué au préalable, dans le contexte d’une demande de PST, lorsqu’il contient une recommandation interne défavorable fondée sur des faits, des contradictions et des éléments qui émanent d’un autre dossier impliquant le demandeur et dont le demandeur a une connaissance. Je considère que cette question transcende les intérêts des parties et se prête à une certaine approche générique parce qu’elle met en cause la question de savoir si une recommandation interne peut être considérée comme un « résultat intermédiaire » lorsqu’elle est fondée sur des renseignements et des faits dont le demandeur avait connaissance, mais qui émanaient d’un autre dossier.

[132]       J’estime toutefois que la question proposée par les défendeurs est trop générale et la reformulerais de la façon suivante :

L’obligation d’équité qui incombe au décideur qui traite une demande de permis de séjour temporaire en vertu du paragraphe 24(1) de la LIPR inclut-elle l’obligation de communiquer au demandeur une recommandation interne pour qu’il puisse soumettre des observations avant qu’une décision soit rendue, lorsque la recommandation contient une analyse qui est fondée sur la preuve qui avait été considérée dans le cadre de la décision ayant déclaré le demandeur interdit de territoire et sur la preuve déposée par le demandeur au soutien de la demande de PST ?


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question suivante est certifiée :

L’obligation d’équité qui incombe au décideur qui traite une demande de permis de séjour temporaire en vertu du paragraphe 24(1) de la LIPR inclut-elle l’obligation de communiquer au demandeur une recommandation interne pour qu’il puisse soumettre des observations avant qu’une décision soit rendue, lorsque la recommandation contient une analyse qui est fondée sur la preuve qui avait été considérée dans le cadre de la décision ayant déclaré le demandeur interdit de territoire et sur la preuve déposée par le demandeur au soutien de la demande de PST ?

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4821-14

 

INTITULÉ :

WILFRID GUY CÉSAR NGUESSO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Johanne Doyon

Patil Tutunjian

 

Pour le demandeur

 

Normand Lemyre

Pavol Janura

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon & Associés Inc.

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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