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Date : 20150728


Dossier : IMM‑5365‑14

Référence : 2015 CF 923

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

XIN LI YUAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur est un citoyen de la Chine qui est venu au Canada le 9 janvier 2009. Prétendant être un chrétien dont l’église clandestine avait fait l’objet d’une rafle de la part du Bureau de la sécurité publique (le BSP), il s’est vu accorder l’asile, le 4 mai 2011, par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR). Il est devenu résident permanent du Canada le 21 août 2012.

[2]               En novembre 2012, le demandeur a présenté une demande de passeport chinois, prétendument parce qu’il voulait quelque chose pour prouver son identité au cas où sa carte de résident permanent ne serait pas suffisante si jamais il voyageait à l’extérieur du Canada. Le passeport lui a été délivré le 14 janvier 2013, et il s’en est servi pour se rendre en Chine, le 23 mars 2013, afin d’organiser les funérailles de sa mère. Le demandeur est revenu au Canada le 23 avril 2013.

[3]               Le 23 octobre 2013, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a présenté à la SPR de la CISR une demande de constat de perte de l’asile du demandeur, conformément au paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Le ministre a allégué que le demandeur, par ses actes, s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine et que la situation dans le pays avait changé suffisamment pour faire en sorte que le demandeur ne craigne plus de retourner en Chine. Le 13 juin 2014, la SPR a convenu que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine au sens de l’alinéa 108(1)a) de la Loi et qu’il avait donc perdu son statut en tant que personne protégée. Cette perte de statut a également causé la perte de son statut de résident permanent en application de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi.

[4]               Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de constat de perte de l’asile, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi, et demande à la Cour d’annuler la décision de la SPR et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR. Il allègue en outre que la perte de son statut de résident permanent au titre de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi enfreint les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, c 11 (la Charte).

II.                Les questions en litige

[5]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle de la décision de la SPR?

2.                  La SPR aurait‑elle dû évaluer si le demandeur serait en danger en Chine?

3.                  La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine?

4.                  Les questions constitutionnelles devraient‑elles être tranchées?

5.                  Le cas échéant, l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi contrevient‑il à l’article 7 ou à l’article 12 de la Charte?

6.                  Si des droits garantis par la Charte sont violés, l’alinéa 46(1)c.1) est‑il sauvegardé par l’article premier de la Charte?

III.             Les conséquences de la perte de l’asile suivant l’alinéa 108(1)a)

[6]               Avant d’aborder les questions soulevées dans le cadre de la présente demande, il est utile de faire état des conséquences de la perte de l’asile suivant l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Une fois que l’asile est conféré au titre du paragraphe 95(1) de la Loi, il s’avère relativement simple pour les réfugiés d’obtenir la résidence permanente. Sous réserve de quelques conditions et exceptions, une personne peut devenir résidente permanente dans la mesure où « elle a présenté sa demande en conformité avec les règlements et qu’elle n’est pas interdite de territoire pour l’un des motifs visés aux articles 34 ou 35, au paragraphe 36(1) ou aux articles 37 ou 38 » (paragraphe 21(2) de la Loi). Jusqu’à récemment, le ministre n’a pas tenté, de manière générale, de cesser de protéger les réfugiés qui sont devenus résidents permanents, puisque la perte de l’asile n’avait pas d’incidence sur leur statut de résident permanent (Olvera Romero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 671, 26 Imm LR (4th) 123, aux paragraphes 80 à 83. Cette position a changé, cependant, lorsque l’article 18 et le paragraphe 19(1) de la Loi visant à protéger le système d'immigration du Canada, LC 2012, c 17 (la LVPSIC), sont entrés en vigueur le 15 décembre 2012 (Décret fixant au 15 décembre 2012 la date d’entrée en vigueur de certains articles de la loi, TR/2012-95, (2012) Gaz C II, 2982).

[7]               Maintenant, pour les réfugiés qui ont perdu l’asile au titre des alinéas 108(1)a) à d) de la Loi, l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi prévoit ce qui suit :

46. (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

46. (1) A person loses permanent resident status

[…]

c.1) la décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile;

(c.1) on a final determination under subsection 108(2) that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d);

[8]               Les anciens réfugiés qui ont perdu l’asile perdent les droits qu’ils avaient acquis en tant que résidents permanents, notamment « le droit d’entrer au Canada et d’y séjourner » (paragraphe 27(1) de la Loi). En tant qu’étrangers, ils ne peuvent pas travailler au Canada sans détenir un permis de travail (paragraphe 30(1) de la Loi; article 196 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement)). Ils risquent de perdre l’emploi qu’ils ont et pourraient même ne pas être en mesure de demander un permis de travail depuis le Canada (article 199 du Règlement). Ils perdront également probablement l’accès à de nombreux services sociaux, bien qu'ils puissent toujours recevoir les prestations de santé accordées aux demandeurs d’asile déboutés (voir Décret concernant le Programme fédéral de santé intérimaire, 2012, TR/2012-26, (2012) Gaz C II, 1135, article 1, sous l’expression « personne dont la demande d’asile a été rejetée »; Médecins canadiens pour les soins aux réfugiés c Canada (Procureur général), 2014 CF 651, 28 Imm LR (4th) 1).

[9]               Une autre conséquence de la perte de l’asile suivant l’alinéa 108(1)a) résulte du paragraphe 40.1(2) de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

40.1 […] (2) La décision prise, en dernier ressort, au titre du paragraphe 108(2) entraînant, sur constat des faits mentionnés à l’un des alinéas 108(1)a) à d), la perte de l’asile d’un résident permanent emporte son interdiction de territoire.

40.1 … (2) A permanent resident is inadmissible on a final determination that their refugee protection has ceased for any of the reasons described in paragraphs 108(1)(a) to (d).

[10]           Des personnes comme le demandeur font donc l’objet de procédures de renvoi en vertu de l’article 44 de la Loi. Si une mesure de renvoi est prise et devient exécutoire, alors « la mesure d[oit] être exécutée dès que possible » (paragraphe 48(2) de la Loi). Peu de choix s’offrent aux anciens réfugiés pour empêcher leur renvoi. Les décisions de constat de perte de l’asile ne peuvent faire l’objet d’un appel auprès de la Section d’appel des réfugiés de la CISR (alinéa 110(2)e) de la Loi), et une demande de contrôle judiciaire n’arrête pas automatiquement la procédure de renvoi.

[11]           En outre, le paragraphe 108(3) de la Loi assimile le constat de perte de l’asile au rejet de la demande d’asile. Cela signifie que les anciens réfugiés subissent d’autres conséquences prévues dans la Loi : selon le paragraphe 24(4), ils ne peuvent demander un permis de séjour temporaire pendant un an; selon l'alinéa 112(2)b.1), ils ne peuvent faire l’objet d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) pendant au moins un an (ou trois ans s’ils viennent d’un pays d'origine désigné); selon l’alinéa 25(1.2)c), ils ne peuvent demander une dispense pour considérations d’ordre humanitaire pendant un an, sauf s’ils sont visés par les exceptions énoncées au paragraphe 25(1.21).

IV.             La décision de la SPR

[12]           En accordant la demande de constat de perte de l’asile présentée par le ministre au motif que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine, la SPR s’est fondée sur certains passages du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut de réfugiés du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR), (Genève, HCR, 1992) (le Guide), et a signalé que le fait de se réclamer de nouveau de la protection d’un pays devait être (1) volontaire, (2) intentionnel et (3) effectif avant qu’il soit possible de justifier une demande de constat de perte de l’asile. La SPR a conclu que les trois conditions avaient été satisfaites relativement au demandeur. Aucune circonstance atténuante n’avait contraint le demandeur à demander un passeport chinois. Il a témoigné qu’il voulait le passeport à des fins d’identification, mais la SPR a fait observer qu’il détenait déjà une carte de résident permanent et qu’il n’avait jamais fait le moindre effort pour s’informer des solutions de rechange possibles auprès des représentants canadiens. Citant l’arrêt Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531, [2009] 1 RCF 49, au paragraphe 15 (Nsende), la SPR a décidé que la délivrance du passeport créait une présomption d’intention de la part du demandeur de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réfuté cette présomption et que, en utilisant son passeport pour retourner en Chine, il avait obtenu la protection de la Chine.

[13]           Selon la SPR, le fait que le demandeur soit allé en Chine pour organiser les funérailles de sa mère importait peu. L’avocate du demandeur avait comparé le retour en Chine à un exemple tiré du Guide du HCR, à savoir que le fait de rendre visite à un parent souffrant peut ne pas équivaloir au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays. Toutefois, la SPR a précisé que cette situation était signalée dans le contexte d’une personne voyageant avec des documents autres qu’un passeport. En voyageant muni d’un passeport authentique, le demandeur, de l’avis de la SPR, avait signalé sa présence aux autorités chinoises. En outre, la SPR n’a pas cru le demandeur lorsque celui‑ci a affirmé qu’il avait eu de l’aide lors de son départ de la Chine. Le demandeur a déclaré qu’il se cachait lorsqu’il était là‑bas, mais la SPR a fait observer qu’il « a[vait] tout de même habité dans la région urbaine où il vivait, il a[vait] révélé sa présence à divers membres de sa parenté et il n’a[vait] pas cherché à réduire la durée de son séjour ». La SPR a donc conclu que le demandeur « comptait donc implicitement sur la protection de la Chine » et qu’elle constatait la perte de l’asile du demandeur en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Puisque cette décision était suffisante pour accueillir la demande du ministre, la SPR a jugé inutile d’examiner si les raisons pour lesquelles le demandeur avait demandé l’asile avaient cessé d’exister (citant Cabrera Cadena c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 67, 408 FTR 1 (Cadena), au paragraphe 25).

V.                Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle?

[14]           Une analyse complète relative à la norme de contrôle applicable en ce qui a trait à l’interprétation que donne la SPR de l’alinéa 108(1)a) et à son application aux faits n’est pas nécessaire, puisque la jurisprudence a déjà établi de manière satisfaisante la norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 57 et 62).

[15]           La Cour a examiné les décisions de constat de perte de l’asile selon la norme de la décision raisonnable, non seulement en ce qui concerne l’interprétation que donne la SPR de l’alinéa 108(1)a), mais aussi pour l’application de celui‑ci aux faits (Canada (Sécurité publique et Protection civile c Bashir, 2015 CF 51 (Bashir), aux paragraphes 24 et 25; Nsende, au paragraphe 9; Cadena, au paragraphe 12). Par conséquent, la décision de la SPR ne devrait pas être annulée dans la mesure où les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16). La Cour ne peut ni soupeser à nouveau la preuve ni substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 59 et 61.

[16]           En ce qui a trait à la contestation constitutionnelle d’une disposition législative telle que l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, la norme de contrôle est généralement la décision correcte (Dunsmuir, au paragraphe 58; Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 RCS 395, au paragraphe 43). En l’espèce, cependant, la SPR n’a jamais rendu de décision au sujet de la constitutionnalité de l’alinéa 46(1)c.1), parce que cette disposition n’a jamais été contestée dans le cadre de l’instance devant la SPR. La question de savoir si la question constitutionnelle maintenant soulevée par le demandeur dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est régulièrement soumise à la Cour sera examinée ci‑dessous.

B.                 La SPR aurait‑elle dû évaluer si le demandeur serait en danger en Chine?

[17]           La SPR n’a pas examiné si le demandeur était exposé à un risque persistant en Chine. Celui‑ci soutient que la SPR avait la responsabilité de réévaluer le risque existant en Chine avant de faire le constat de perte de son asile. Citant l’arrêt Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 35 (QL), 179 NR 11 (CA) (Yusuf), au paragraphe 2, le demandeur affirme que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est ce qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention : le demandeur craint‑il avec raison, actuellement, d’être persécuté? De l’avis du demandeur, le défaut de la SPR de répondre à cette question viole le principe de non‑refoulement énoncé à l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 150, RT Can 1969 n° 6 (la Convention sur les réfugiés), et à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465 RTNU 85 (la Convention contre la torture). Le demandeur souligne qu’il n’a pas droit à un ERAR et l’absence d’une évaluation des risques à l’étape de la perte de l’asile l’expose ainsi au refoulement. Il critique également l’Agence des services frontaliers du Canada pour l’établissement d’un quota où 875 demandes relatives à la perte de statut ou à l’annulation sont déférées à la SPR chaque année, une politique qui, selon lui, contrevient aux obligations internationales du Canada.

[18]           Cependant, l’article 33 ne protège que les réfugiés, et la Convention sur les réfugiés [traduction] « conçoit le statut de réfugié comme un phénomène transitoire qui prend fin lorsqu’un réfugié peut se réclamer de nouveau la protection de son propre pays ou bénéficie d’autres formes de protection nationale durable » (James C Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. (Cambridge : Cambridge University Press, 2014), à la page 462). Cet objectif est énoncé à la section C de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, qui prévoit plusieurs situations où il y aura perte de l’asile :

C. Cette Convention cessera, dans les cas ci‑après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci‑dessus :

(1) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité; ou

(2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l’a volontairement recouvrée; ou

(3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité; ou

(4) Si elle est retournée volontairement s’établir dans le pays qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée; ou

(5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité;

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures;

(6) S’agissant d’une personne qui n’a pas de nationalité, si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle;

Étant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.

Dans la mesure où le demandeur est visé par l’une de ces dispositions, il n’est plus un réfugié et ne bénéficie plus de la protection de l’article 33 de la Convention sur les réfugiés. Le paragraphe 108(1) de la Loi met largement en évidence la section C de l’article premier, de sorte que la question est de savoir si cette section et son équivalent national peuvent s’appliquer seulement aux réfugiés qui ne sont exposés à aucun risque dans leur pays d’origine.

[19]           En ce qui concerne cette question, il est bon de revenir au Guide du HCR qui, en règle générale, « doit être considéré comme un ouvrage très pertinent dans l’examen des pratiques relatives à l’admission des réfugiés » (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, 128 DLR (4th) 213, au paragraphe 46, le juge La Forest est dissident, mais pas sur cette question (voir le paragraphe 119)). Le Guide du HCR avise (aux paragraphes 112 et 116) que les clauses de cessation doivent être interprétées et appliquées de manière restrictive parce que les réfugiés doivent être assurés « que leur statut ne sera pas constamment remis en question à la suite de changements de caractère passager – et non fondamental – de la situation existant dans leur pays d'origine » (voir Bashir, au paragraphe 44).

[20]           Même avec une interprétation stricte, néanmoins, je ne souscris pas à l’argument du demandeur selon lequel le risque doit être déterminé pour chaque motif relatif à la perte de l’asile. Rien dans le Guide n’appuie une telle interprétation. En outre, les deux derniers motifs traitent expressément du changement dans la situation du pays ou du risque, ce qui sous‑entend qu’un changement dans la situation en question n’est pas nécessaire pour que s’applique la perte de l’asile dans le cadre des quatre autres motifs. Chacun de ces autres motifs comporte des situations où un réfugié se soumet volontairement à une autre forme de protection, que ce soit celle de son ancien pays d’origine ou celle d’un autre pays. Comme l’affirment les auteurs de The Law of Refugee Status (à la page 464) :

[traduction]

La réfugiée peut décider de confier sa sécurité au pays d’origine en se réclamant de nouveau de son ancienne protection, en recouvrant sa nationalité ou en retournant s’établir dans le pays. Il est entendu que l’une ou l’autre de ces trois actions traduisent une détermination de la part de la réfugiée à confier son bien-être à son pays d’origine, un exercice d’autodétermination individuelle auquel ne peut qu’acquiescer le droit international.

[Non souligné dans l’original; renvois omis.]

[21]           Cela est entièrement conforme à la notion de protection des réfugiés. Le risque objectif n’est pas le seul critère pour la protection des réfugiés; un demandeur doit également éprouver « une crainte subjective d’être persécuté » (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 723, 103 DLR (4th) 1). Les conditions énoncées aux paragraphes 1), 2) et 4) de la section C de l’article envisagent des situations où il n’existe plus de crainte subjective et où il est approprié de ne plus assurer la protection du réfugié. Ainsi qu’il est mentionné dans le Guide du HCR (au paragraphe 116) : « Il va sans dire que si, pour une raison quelconque, un réfugié ne souhaite plus être considéré comme tel, il n'y aura pas lieu de continuer son statut de réfugié et de lui accorder la protection internationale. »

[22]           L’affaire Yusuf est la seule sur laquelle se fonde le demandeur pour étayer son interprétation de l’article 108, où la Cour d’appel fédérale a déclaré : « la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention […] : le demandeur du statut a‑t‑il actuellement raison de craindre d’être persécuté? » Cependant, il est malavisé que le demandeur s’appuie sur Yusuf. En effet, il ne s’agissait pas du tout d’un cas de perte de l’asile; il s’agissait plutôt de savoir si la protection devait être en fait accordée au réfugié. Cette affaire ne reposait que sur le principe selon lequel l’octroi de l’asile devait être de nature prospective. L’affaire Yusuf ne s’en tient qu’à cela. Dans la mesure où l’arrêt Yusuf fait référence au « changement de situation », cette observation ne pouvait s’appliquer qu’aux paragraphes 5) et 6) de la section C de l’article premier et n’a aucune incidence sur les autres motifs relatifs à la perte de l’asile.

[23]           Le demandeur soutient en outre que l’audience relative à la perte de l’asile tenue devant la SPR constitue sa dernière chance de voir tous les risques éventuels pris en considération. Il affirme qu’une mesure de renvoi conditionnelle a déjà été prise contre lui lorsqu’il est venu pour la première fois au Canada, que cette mesure est maintenant déclenchée par la décision de la SPR relative à la perte de l’asile et qu’il n’y a pas d’autres garde‑fous contre son renvoi. Manifestement, cela pourrait soulever des inquiétudes au regard de l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture qui interdit de refouler une personne là « où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ».

[24]           Cependant, les préoccupations du demandeur à cet égard ne sont pas fondées. Une mesure de renvoi conditionnelle a vraisemblablement été prise contre lui lorsqu’il est venu pour la première fois au Canada, mais « [l]a mesure de renvoi inexécutée devient périmée quand l’étranger devient résident permanent » (article 51 de la Loi). Ainsi, malgré le fait que l’article 40.1 de la Loi rend le demandeur interdit de territoire, il ne pouvait pas être expulsé tant que le processus de renvoi de l’article 44 n’était pas engagé. Il aurait droit à tous les garde-fous que ce processus pourrait ajouter (voir p. ex., Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2006] 1 RCF 3, aux paragraphes 26 à 42; mais voir aussi Nagalingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile) 2012 CF 1411, [2013] 4 RCF 455, aux paragraphes 29 à 34). Si une mesure de renvoi est prise, le demandeur aura toujours la possibilité de demander que le renvoi soit reporté, et certains risques visés par l’article 97 pourront alors être examinés (voir p. ex., Peter c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073, 31 Imm LR (4th) 169, aux paragraphes 149 à 175).

[25]           En conclusion, en ce qui concerne cette question, toute inquiétude donc au sujet du non‑refoulement n’a pas d’incidence sur les critères associés à la perte de l’asile. Le risque prospectif n’empêche pas la perte de l’asile au titre de l’alinéa 108(1)a) de la Loi (Balouch c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 765, aux paragraphes 19 et 20).

C.                 La SPR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a décidé que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine?

[26]           Les critères relatifs à la perte de l’asile, qui sont inscrits dans la Convention sur les réfugiés, sont repris à l’article 108 de la Loi. Le paragraphe 108(2) permet au ministre de faire une demande de constat de perte de l’asile pour n’importe quel fait mentionné au paragraphe 108(1) qui est ainsi libellé :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[27]           Le Guide du HCR (au paragraphe 119) établit trois critères relatifs au fait de se réclamer de nouveau de la protection d’un pays. Ces critères ont été adoptés par la Cour; donc « [l]e réfugié doit : 1) agir volontairement; 2) accomplir intentionnellement l’acte par lequel il se réclame de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; 3) obtenir effectivement cette protection » (Bashir, au paragraphe 46). La SPR a correctement circonscrit ces critères en l’espèce.

[28]           Après avoir circonscrit les trois critères, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur avait volontairement présenté une demande de passeport. Le demandeur prétend que son retour en Chine n’était pas volontaire parce qu’il devait prendre des mesures à la suite du décès de sa mère, mais cette affirmation n’a aucune incidence sur les raisons pour lesquelles il a fait une demande de passeport environ cinq mois avant le décès.

[29]           La SPR a ensuite appliqué la présomption selon laquelle une personne qui présente volontairement une demande de passeport de son pays d’origine a l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays. Le demandeur a tenté de réfuter cette présomption en affirmant qu’il voulait simplement une pièce d’identité et un moyen pour se rendre aux États‑Unis. Toutefois, la SPR a fait observer qu’il avait déjà une carte de résident permanent et qu’il n’avait pas besoin du passeport. Par conséquent, elle a conclu que le demandeur avait « seulement fait cette demande [de passeport] pour des raisons de commodité ».

[30]           La présomption relative à l’acquisition d'un passeport a été critiquée dans The Law of Refugee Status, parce qu’elle fait peser sur un réfugié le fardeau de [traduction] « réfuter une présumée prémisse, mais dans les faits très peu probable, selon laquelle l’obtention ou le renouvellement d’un passeport révélait l’intention du réfugié de renoncer au statut de réfugié en faveur de la protection du pays d’origine » (The Law of Refugee Status, à la page 468). Les auteurs estiment que [traduction] « lorsque la plupart des gens s’adressent aux autorités consulaires ou diplomatiques pour obtenir les documents nécessaires à des fins telles qu’un voyage, une inscription scolaire ou une accréditation professionnelle, ils le font simplement par habitude, sans penser aux répercussions juridiques de leur acte » (The Law of Refugee Status, à la page 465).

[31]           Peu importe le bien‑fondé de cet argument contre la présomption, celle‑ci est étayée par le Guide du HCR (au paragraphe 121), et a également reçu l'approbation judiciaire (Nsende, au paragraphe 14; Bashir, au paragraphe 59; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2015 CF 459, au paragraphe 42). Il était raisonnable pour la SPR de s’appuyer sur cette présomption et il est compréhensible que les explications données par le demandeur pour justifier ses actes n’aient pas permis de convaincre la SPR, à savoir qu’il n’avait pas l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de la Chine.

[32]           Quant au dernier critère relatif au fait de se réclamer effectivement de nouveau de la protection d’un pays, il est instructif de consulter le Guide du HCR qui énonce ce qui suit (au paragraphe 122) :

[…] Le cas le plus fréquent de réclamation de la protection du pays sera celui où le réfugié veut retourner dans le pays dont il a la nationalité. Il ne cessera pas d’être un réfugié du simple fait qu’il demande le rapatriement. En revanche, l’obtention d’une autorisation de rentrer dans le pays ou d’un passeport national aux fins de retourner dans le pays sera considérée, sauf preuve contraire, comme entraînant la perte du statut de réfugié. […]

[Non souligné dans l’original.]

[33]           En l’espèce, la SPR n’a pas conclu que le demandeur avait obtenu son passeport « aux fins de retourner » en Chine. Cependant, après que la mère du demandeur est décédée et que celui‑ci a utilisé son passeport pour retourner en Chine, la SPR a conclu qu’il « a[vait] effectivement obtenu la protection des autorités chinoises et qu’il répond[ait] ainsi à la troisième condition ». La SPR a formulé le raisonnement suivant :

[23]      […] l’intimé a non seulement recouru aux services et à l’aide de responsables chinois pour obtenir un nouveau passeport, comme il en a le droit en tant que citoyen de la Chine, mais […], en allant en Chine au moyen d’un passeport valide et sous sa véritable identité, il a sciemment alerté les autorités de sa présence. Comme il a été mentionné précédemment, le tribunal conclut que l’intimé n’a pas fourni d’éléments de preuve crédible attestant qu’il a cherché à éviter d’attirer l’attention des autorités, que ce soit au moment d’entrer en Chine ou de quitter le pays. Bien que l’intimé ait déclaré ne pas avoir habité chez lui et ne pas s’être beaucoup aventuré en public, il a tout de même habité dans la région urbaine où il vivait, il a révélé sa présence à divers membres de sa parenté et il n’a pas cherché à réduire la durée de son séjour. […] l’intimé comptait donc implicitement sur la protection de la Chine, bien qu’il ait obtenu l’asile parce qu’il disait craindre les agents de l’État.

[34]           Le demandeur se plaint du fait que la conclusion tirée par la SPR quant à la crédibilité, selon laquelle il n’avait pas pris de mesures pour éviter le contrôle des sorties, était déraisonnable en ce sens qu’elle reposait sur une conclusion concernant la plausibilité. Toutefois, l’appréciation par la SPR de la manière dont le demandeur a quitté la Chine ne repose pas du tout sur une conclusion concernant la plausibilité. La SPR a tout simplement conclu que le témoignage du demandeur était incohérent. Celui‑ci a d’abord affirmé que son ami l’avait aidé à quitter la Chine, puis il a mentionné par la suite qu’il s’agissait en fait d’un ami ou d’un parent de son oncle. Il a également affirmé qu’il n’a pas donné de précisions sur la façon dont il avait contourné le contrôle des sorties, mais il a mentionné ensuite qu’il pensait avoir été aidé par un représentant de l’aéroport. Il était raisonnable pour la SPR de ne pas croire le demandeur, compte tenu des incohérences et des ajouts. Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 43 : « les contradictions relevées dans la preuve, particulièrement dans le témoignage du demandeur d’asile, donneront généralement raison à la SPR de conclure que le demandeur manque de crédibilité ». La conclusion de la SPR quant à la crédibilité, selon laquelle le demandeur n’avait pas pris de mesures pour éviter le contrôle des sorties, était raisonnable.

[35]           Cependant, la conclusion de la SPR, à savoir que le demandeur s’était effectivement réclamé de nouveau de la protection de la Chine, contredisait ses autres conclusions de fait et, par conséquent, n’était pas raisonnable. D’une part, la SPR a ajouté foi au fait que le demandeur se cachait du BSP en vivant chez son cousin et en ne voyant que les membres de sa parenté, que le BSP était à sa recherche le jour des funérailles de sa mère et qu’il avait évité d’y assister, de peur que les agents du PSB ne le retrouvent là. Toutefois, elle a conclu, d’autre part, que le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection de la Chine, parce qu’il vivait dans le même voisinage et qu’il accueillait des visiteurs. Indépendamment du fait qu’il se cachait totalement ou non, le fait est cependant qu’il se cachait toujours.

[36]           Dans ces circonstances, une conclusion selon laquelle le demandeur s’était effectivement réclamé de nouveau de la protection de la Chine ne peut être justifiée et est déraisonnable. Comment pouvait‑il intentionnellement et effectivement se réclamer de nouveau de la protection de la Chine tout en évitant activement ‒ et tout en craignant ‒ les entités chargées de cette responsabilité? Comment quelqu’un qui craint d’être persécuté par l’État chinois peut‑il compter « implicitement sur la protection de la Chine » à l’encontre de ses propres fonctionnaires et de ses lois? Les conclusions de la SPR à cet égard étaient contradictoires et, par conséquent, déraisonnables. La décision de la SPR devrait donc être annulée sur ce fondement, et l’affaire renvoyée à la SPR, pour qu’elle rende une nouvelle décision.

D.                Les questions constitutionnelles devraient‑elles être tranchées?

[37]           La décision de la SPR relative à la perte de l’asile ayant été annulée, l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi ne s’applique plus au demandeur, sauf si la SPR, en rendant une nouvelle décision sur l’affaire, décide une fois de plus qu’il y a constat de perte de l’asile. La retenue judiciaire exige de ne pas faire de déclarations sur un point de droit constitutionnel dans les situations où cela est inutile (Ishaq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, 381 DLR (4th) 541, aux paragraphes 66 et 67). De telles déclarations au sujet de l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi, en l’espèce, sont inutiles, compte tenu de la conclusion ci-dessus, à savoir que la décision de la SPR devrait être annulée.

[38]           En outre, mis à part la retenue judiciaire, plusieurs raisons justifient le fait que les questions constitutionnelles soulevées par le demandeur ne doivent pas être examinées en l’espèce.

[39]           Premièrement, compte tenu de la faiblesse de la preuve, la présente affaire ne permet pas, en tout état de cause, de trancher les questions constitutionnelles. L’ensemble des éléments de preuve découle du dossier présenté à la SPR et l’affidavit du demandeur porte uniquement sur les événements ayant donné lieu à la demande de constat de perte de l’asile. Pratiquement aucun élément de preuve ne fait état de l’incidence personnelle qu’a eue sur le demandeur la perte du statut de résident permanent. Lors de l’audience devant la SPR, il a déclaré que son épouse et ses enfants étaient alors au Canada, de sorte que cela pouvait appuyer l’hypothèse voulant que, s’il était obligé de quitter le Canada, il serait séparé de sa famille. Cependant, il n’a pu préciser quel était le statut de sa famille au Canada, si son épouse et ses enfants étaient établis ici ou s’il lui était arrivé autre chose. A‑t‑il perdu son emploi? A‑t‑il pu obtenir un permis de travail? La perte du statut de résident permanent a‑t‑elle eu une incidence sur la qualité ou la fréquence des soins médicaux demandés par lui et sa famille? Une procédure de renvoi a‑t‑elle été engagée contre lui? Aucune réponse à ce genre de questions ne figure dans le dossier, ce qui veut dire que la plupart des questions constitutionnelles en l’espèce devraient être tranchées d’après des prédictions abstraites au sujet des conséquences probables découlant de la perte de la résidence permanente. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, aux pages 361 et 362, 61 DLR (4th) 385 :

Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées.  La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimé, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant simplement à ce que l’on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d’un tribunal qu’il examine une question comme celle‑ci dans un vide factuel. Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.

[40]           Deuxièmement, le demandeur n’a jamais soulevé de questions constitutionnelles devant la SPR en ce qui concerne l’alinéa 46(1)c.1). Les cours de révision ne trancheront pas en règle générale une question, « lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal administratif mais qu’elle ne l’a pas été » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 (Alberta Teachers), au paragraphe 23). Le fait que les questions constitutionnelles seraient probablement examinées selon la norme de la décision correcte ne change pas ce principe adopté dans l’arrêt Alberta Teachers (Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l'énergie), 2014 CAF 245 (Forest Ethics), aux paragraphes 37 à 58). En fait, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’il était primordial que les questions constitutionnelles soient soulevées en première instance afin d’obtenir les éclairages du tribunal et d’établir le fondement factuel même qui est absent de la présente affaire (Forest Ethics, aux paragraphes 42 à 45).

[41]           Cependant, cela suppose que la SPR aurait eu compétence pour examiner les questions constitutionnelles soulevées maintenant par le demandeur (Forest Ethics, au paragraphe 40). Le défendeur soutient que la SPR n’a compétence que pour l’application de l’article 108. Les effets collatéraux découlant de cette décision ne concernent pas la SPR, et celle‑ci n’a donc pas le pouvoir d’interpréter l’alinéa 46(1)c.1) ou de statuer sur sa constitutionnalité.

[42]           Dans des circonstances normales, cependant, l’argument selon lequel la SPR n’a pas compétence ne devrait pas dispenser les parties de l’obligation de soulever d’abord une question constitutionnelle devant la SPR. À l’instar de toutes les sections de la CISR, la SPR « a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence » (paragraphe 162(1) de la Loi (non souligné dans l’original)). En outre, « le tribunal administratif investi du pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative particulière sera présumé avoir le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition » (Nouvelle‑Écosse (Workers 'Compensation Board) c Martin; Nouvelle‑Écosse (Workers 'Compensation) c Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 RCS 504, au paragraphe 36). La question de savoir si la SPR a compétence pour examiner la constitutionnalité de l’alinéa 46(1)c.1) est donc essentiellement une question d’interprétation de loi, qui, habituellement, commande la déférence de la Cour (Alberta Teachers, aux paragraphes 30 et 34). En invitant la Cour à rendre cette décision maintenant, les parties contournent à tout le moins la SPR sur la question de la compétence; or, la SPR mérite d’être la première à avoir l’occasion de répondre à cette question, au même titre qu’à la question constitutionnelle (Forest Ethics, aux paragraphes 42 à 45).

[43]           Certes, la SPR a déjà examiné les mêmes questions et décliné compétence; elle a accepté essentiellement les arguments avancés par le défendeur en l’espèce (voir : Re X, 2014 CanLII 66637, aux paragraphes 19 à 25). Il peut sembler excessivement formaliste d’insister sur le fait qu’un plaideur doit d’abord soulever une question constitutionnelle auprès de la SPR, même s’il existe des précédents donnant à penser que la compétence peut être déclinée. Cependant, en l’absence d’une décision de la SPR, en l’espèce, relativement à ces questions, celles‑ci ne font pas partie de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire.

VI.             Les questions en vue de la certification

[44]           Le demandeur a proposé les questions suivantes en vue de la certification, à l’issue de l’audience en l’espèce :

[traduction]

1.         Lorsqu’elle est appelée à décider s’il faut accueillir une demande du ministre de constat de perte de l’asile au titre de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en fonction d’un comportement adopté dans le passé, la Commission peut‑elle accueillir la demande du ministre sans examiner, au moment de l’audience relative à la perte de l’asile, la question de savoir si la personne risque d’être persécutée en retournant dans son pays de nationalité?

2.         Est‑il inconstitutionnel, au titre de l’article 7 de la Charte, de révoquer la résidence permanente automatiquement, sans qu’un processus soit en place et sans qu’une évaluation des risques ait été effectuée pour les personnes dont la qualité de réfugié a déjà été reconnue?

[45]           Dans l’arrêt Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2014] 4 RCF 290, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[9]        Il est de droit constant que, pour être certifiée, une question doit i) être déterminante quant à l'issue de l’appel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. En corollaire, la question doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la cour d’instance inférieure, et elle doit découler de l’affaire, et non des motifs du juge […]

[46]           Puisque aucune question constitutionnelle n’a été examinée dans les motifs du jugement exposés ci‑dessus, la deuxième question proposée par le demandeur n’est manifestement pas appropriée aux fins de la certification.

[47]           En ce qui concerne la première question, bien qu’elle découle de l’affaire parce que la SPR n’a pas examiné, au moment de l’audience relative à la perte de l’asile, la question de savoir si le demandeur risquait d’être persécuté en retournant en Chine, elle n’a pas permis de trancher le litige : comme il a été mentionné précédemment, la décision de la SPR est déraisonnable en raison des conclusions contradictoires qu’elle a tirées.

VII.          Conclusion

[48]           La décision de la SPR était déraisonnable, puisque ses conclusions de fait contredisaient sa conclusion selon laquelle le demandeur s’était intentionnellement et effectivement réclamé de nouveau de la protection de la Chine. Par conséquent, la décision sera annulée, et l’affaire sera renvoyée à la SPR pour nouvelle décision. Il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si l’alinéa 46(1)c.1) de la Loi est constitutionnel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que : la demande de contrôle judiciaire est accueillie; l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision; aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5365-14

 

INTITULÉ :

XIN LI YUAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 28 juillet 2015

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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