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Date : 20150520


Dossier : IMM-998-14

Référence : 2015 CF 650

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

YANG, XUE KE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Xue Ke Yang, a présenté une demande de contrôle judiciaire visant une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 27 janvier 2014, par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger (la décision). La demande est présentée aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR).

I.                   Le contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine qui habitait dans la ville de Guangzhou, dans la province du Guangdong.

[3]               Après avoir donné naissance à leur premier enfant, l’épouse du demandeur s’est fait implanter un dispositif intra-utérin. Elle est tout de même tombée enceinte et on l’a obligée à subir un avortement au printemps 2010.

[4]               Au début du mois de septembre de la même année, le demandeur s’est joint à une maison‑église catholique romaine, car il appuyait l’opposition de celle‑ci à l’avortement. Le demandeur a affirmé qu’il s’était fait dire que l’église prenait des précautions et n’éprouvait pas de problèmes avec le Bureau de la sécurité publique (BSP) depuis de nombreuses années.

[5]               Le demandeur a affirmé que le BSP a effectué une descente dans son église le 25 décembre 2010. Tout le monde s’est échappé et le demandeur est allé se cacher.

[6]               Deux jours plus tard, le BSP a effectué une perquisition chez lui. Son épouse a alors été interrogée et a été tenue de signer un mandat de perquisition. Le lendemain, le BSP est retourné chez le demandeur muni d’une assignation assortie d’un mandat d’arrestation pour le demandeur. Le BSP est également allé le chercher au domicile de sa belle-famille.

[7]               Le 3 mars 2011, le demandeur s’est rendu aux États-Unis avec l’aide d’un passeur. Il est arrivé au Canada le 25 mars 2011.

II.                La décision

[8]               La Commission a entre autres conclu que le demandeur n’était pas crédible lorsqu’il a affirmé que son épouse s’était fait demander de signer un mandat de perquisition, car il n’avait pas mentionné ce fait dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). La Commission a également jugé que l’assignation du BSP était un document frauduleux. Pour ces motifs, elle a conclu qu’il n’y avait pas eu de descente dans la maison‑église du demandeur et que celui‑ci n’était pas un fugitif recherché par le BSP.

[9]               Toutefois, la Commission a admis que le demandeur pratiquait son culte dans une maison‑église catholique en Chine et qu’il a continué de pratiquer sa religion au Canada.

[10]           En conséquence, la Commission s’est penchée sur la question de savoir si le demandeur risquait sérieusement d'être persécuté s’il retournait en Chine et continuait de pratiquer son culte dans une maison‑église catholique non enregistrée.

[11]           Comme la Commission ne disposait d’aucun élément de preuve révélant qu’il y avait eu des descentes dans des maisons-églises dans la province du Guangdong ou que des fidèles avaient été arrêtés ou mis à l’amende, elle a conclu que le demandeur, à son retour en Chine, aurait la liberté de culte dans l’église de son choix, car le risque de persécution des fidèles dans des maisons-églises dans la province du Guangdong était faible.

III.             Les questions en litige

[12]           Les deux questions en litige formulées ci‑dessous se posent dans ce contexte.

              i.      La décision est‑elle déraisonnable, car la Commission n’a pas tenu compte du risque de persécution du demandeur dans le cadre de la politique de l’enfant unique?

            ii.      La décision est‑elle déraisonnable, car la Commission n’a pas tenu compte des observations présentées par l’avocat du demandeur au sujet de la nature de la persécution du fait de la religion?

IV.             Première question en litige

[13]           J’estime qu’aucune erreur ne découle du fait que la Commission n’a pas examiné la question de savoir si le demandeur risquait d’être persécuté en lien avec la politique de l’enfant unique en vigueur en Chine, car le demandeur n’a pas mentionné cette politique parmi les motifs justifiant sa crainte de retourner en Chine. Il a appuyé sa demande d’asile sur des motifs religieux, ce que son avocat a confirmé dans ses observations finales. En l’espèce, la pertinence de la politique de l’enfant unique en vigueur en Chine tient uniquement au fait que c’est l’avortement qu’a subi son épouse qui a poussé le demandeur à se joindre à une maison‑église catholique romaine.

V.                Deuxième question en litige

[14]           Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, car la Commission n’a pas tenu compte des observations suivantes qu’a présentées son avocat à l’audience :

  • Malgré l’absence d’éléments de preuve sur des descentes ou des arrestations, le fait que le demandeur devrait pratiquer son culte dans une maison‑église catholique clandestine équivaut‑il à de la persécution, car il serait privé de son droit fondamental de pratiquer librement et ouvertement sa religion? (La première observation.)
  • Le fait que le demandeur devrait pratiquer son culte dans une maison‑église catholique clandestine, ce qui est illégal et considéré comme une menace politique, équivaut‑il à de la persécution, car il serait toujours exposé au risque d’être arrêté et détenu? (La deuxième observation.)

VI.             Les décisions sur lesquelles s’appuie le demandeur

[15]           Le demandeur s’appuie sur deux décisions rendues par le juge de Montigny en 2009. La première décision est Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1198 (Zhang). Dans cette affaire, la demanderesse pratiquait le christianisme dans une église clandestine dans la province d’Anhui, en Chine. Cependant, comme des documents révélaient que seulement six personnes avaient été arrêtées dans cette province, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu de descente dans l’église et que la demanderesse ne ferait pas l’objet d’une arrestation ni d’un emprisonnement.

[16]           Le juge de Montigny s’est penché sur cette conclusion au paragraphe 19 et en partie au paragraphe 20 de sa décision. Il s’est exprimé en ces termes :

[19] Le commissaire s’est concentré sur le nombre d’arrestations de chrétiens comme étant un indicateur de la possibilité de persécution et cela constitue à la fois une mauvaise interprétation et une erreur. Le nombre d’arrestations de chrétiens clandestins en Chine peut révéler la possibilité pour les membres de l’église de demeurer clandestins et de cacher leurs activités aux autorités. Cependant, le fait que les chrétiens clandestins sont en mesure de cacher leurs activités et d’éviter d’être détectés n’est pas pertinent pour trancher la question de savoir s’ils font l’objet de persécution en raison de leur religion et s’ils ne sont pas en mesure de pratiquer librement leur religion, conformément à leur croyance fondamentale. La Cour a clairement établi que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes :

Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en œuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion.

Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1813, 90 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 5.

[20]  Il ressort clairement de la jurisprudence que toute restriction significative de la possibilité pour la demanderesse de pratiquer sa religion comme elle le désire dans sa maison‑église, y compris une brève période de détention ou une amende, constitue certainement de la persécution du fait de la religion. Le fait qu’il est illégal d’appartenir à une église non enregistrée ou non parrainée par l’État en Chine tendrait donc à étayer une conclusion de persécution du fait de la religion. [...]

[17]           Toutefois, l’extrait de la décision Fosu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 1813; 90 F.T.R. 182 (C.F. 1re inst.) (Fosu), cité dans la décision Zhang ne comprenait pas la dernière phrase du paragraphe 5, qui indiquait que dans la décision Fosu, la Cour parlait d’un requérant qui était un Témoin de Jéhovah.

[18]           Dans la décision Fosu, le requérant provenait du Ghana. Le gouvernement de ce pays avait adopté une loi ayant pour effet de suspendre toutes les activités publiques des Témoins de Jéhovah et d’interdire l’ensemble de leurs services et de leurs réunions. La maison du requérant a été fouillée après que celui‑ci a rencontré un ami pour étudier la Bible. Des brochures religieuses ont été trouvées au cours de cette fouille. Le requérant a été arrêté, puis accusé d’avoir désobéi à un ordre du gouvernement et d’avoir fait des actes de sabotage pour nuire à la sécurité nationale du Ghana. J’estime qu’il convient de souligner que l’application de la loi, l’arrestation du requérant et les accusations qui ont été portées contre lui par la suite ont joué un rôle important dans la conclusion du juge Denault, à savoir que le requérant était victime de persécution fondée sur la religion et qu’il était confronté à des risques ultérieurs.

[19]           Peu après avoir rendu la décision Zhang, le juge de Montigny a rendu la décision Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1210 (Zhou). Celle‑ci concernait un demandeur qui avait pratiqué son culte dans une maison‑église chrétienne non enregistrée en Chine. La Commission a tout de même conclu que le demandeur ne risquerait pas d’être persécuté dans une église enregistrée. Le juge de Montigny a conclu que cette décision était viciée soit parce que la Commission avait mal compris les différences entre les maisons‑églises et les églises enregistrées, soit parce que la Commission croyait que ces différences n’avaient pas de conséquence.

[20]           Cependant, un autre aspect de la décision de la Commission a également été critiqué. À cet égard, le juge de Montigny s’est encore reporté à la décision Fosu, mais cette fois-là, il a inclu la référence aux Témoins de Jéhovah à la fin du paragraphe 5. Il s’est exprimé en ces termes au paragraphe 29 de la décision Zhou :

[29] Il me semble que la SPR a également erré en assimilant la possibilité d’une persécution religieuse au risque d’une rafle, d’une arrestation ou d’un emprisonnement. Cette manière de voir la liberté religieuse est très limitée et ne prend pas en compte la dimension publique de ce droit fondamental. S’il faut se cacher et prendre des précautions pour ne pas être vu lorsque l’on pratique sa religion, sous peine d’être harcelé, arrêté et reconnu coupable, je ne vois pas comment l’on peut dire qu’une personne est à l’abri de la persécution. Ainsi que l’écrivait la Cour dans la décision Fosu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 182, [1994] A.C.F. n° 1813 :

5. Il va de soi que le droit à la liberté de religion comprend aussi la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. Comme corollaire de cet énoncé, il me semble que la persécution du fait de la religion peut prendre diverses formes telles que l’interdiction de célébrer le culte en public ou en privé, de donner ou de recevoir une instruction religieuse, ou la mise en oeuvre de mesures discriminatoires graves envers des personnes du fait qu’elles pratiquent leur religion. En l’occurrence, j’estime que l’interdiction prononcée contre les Témoins de Jéhovah de se réunir pour la pratique de leur culte pouvait équivaloir à de la persécution. C’est précisément ce qu’avait à analyser la Section du statut.

[21]           Je ne suis pas convaincue que les décisions sur lesquelles s’appuie le demandeur sont utiles. J’en viens à cette conclusion, car dans les deux décisions, le juge de Montigny semble se préoccuper principalement des restrictions relatives à la dimension publique du culte. Dans les deux décisions, il a illustré sa préoccupation au moyen de la décision Fosu, qui se rapportait à des Témoins de Jéhovah pour qui le prosélytisme constitue un élément fondamental des pratiques religieuses.

[22]           Cependant, en l’espèce, le demandeur n’a pas déclaré que ses pratiques religieuses étaient limitées par le fait qu’il pratiquait son culte avec d’autres personnes en privé. Autrement dit, rien dans la preuve n’indique que sa religion comporte une dimension publique essentielle. Par exemple, il n’a pas affirmé que les pèlerinages faisaient partie intégrante de ses pratiques religieuses, bien qu’il ait participé à un pèlerinage au Canada.

[23]           Le juge de Montigny semblait aussi préoccupé par la possibilité que la Commission interprète mal le petit nombre d’arrestations et en vienne à la conclusion que les autorités toléraient ces activités, alors qu’en fait, les fidèles avaient simplement réussi à cacher leurs services. Il s’agit d’une préoccupation raisonnable dont la Commission peut tenir compte selon les faits propres à un cas précis. Cependant, en l’espèce, rien dans la preuve ne donne à penser qu’il y a eu des descentes ou des arrestations dans la province du Guangdong.

[24]           Enfin, il m’est impossible de souscrire à l’insinuation du juge de Montigny, à savoir que le simple fait que les maisons-églises soient illégales équivaut à de la persécution. À mon avis, les faits, y compris ceux se rapportant à l’application des lois et aux politiques gouvernementales, doivent être évalués dans l’objectif de trancher si le caractère illégal des maisons‑églises engendre réellement une possibilité sérieuse de persécution.

VII.          La preuve

[25]           Le demandeur a déclaré qu’un service dans une maison‑église comprend une prière en silence, une lecture de la Bible, une explication de la lecture, une discussion sur le témoignage des membres et une récitation du chapelet. Les fidèles ne peuvent pas chanter et doivent attendre la visite d’un prêtre pour communier. Toutefois, le demandeur n’a pas déclaré que ces éléments entravaient son culte.

[26]           Dans son FRP, le demandeur a expliqué qu’il avait été impressionné par [traduction] « l’atmosphère sainte qui entourait la maison‑église » et a déclaré qu’à sa deuxième visite, il avait reçu une Bible en guise de cadeau de bienvenue.

[27]           Rien dans la preuve ne laisse entendre qu’en raison du fait qu’il fréquentait une maison‑église, le demandeur ne pouvait pas pratiquer son culte conformément aux impératifs et aux principes de sa religion. De plus, il ressortait clairement de la preuve, du moins dans le cas du demandeur, que la nature illégale de la maison‑église et que les précautions prises pour éviter les descentes effectuées par le BSP n’avaient pas d’incidence sur l’atmosphère sainte de l’église.

VIII.       Analyse

A.                La première observation

[28]           En Chine, il est impossible de pratiquer un culte en public dans une église non enregistrée, c’est‑à‑dire que si le demandeur avait voulu pratiquer son culte en public, il se serait vu refuser cette liberté. Cependant, rien ne prouve que le demandeur voulait pratiquer son culte dans un lieu public ou devait le faire. Dans ces circonstances, la Commission n’était pas tenue de se pencher sur la première observation.

B.                 La deuxième observation

[29]           Il est clair en droit que l’évaluation de la question de savoir s’il existe une possibilité sérieuse de persécution dans l’avenir peut s’appuyer sur des éléments de preuve se rapportant à la conduite antérieure des agents de persécution éventuels. À mon avis, la tolérance à l’égard des maisons-églises et l’absence de descentes dans la province du Guangdong sont des éléments de preuve qui laissent entendre que, bien que les fidèles soient théoriquement exposés au risque d’être arrêtés et détenus, ce risque est faible.

[30]           J’estime que la Commission a examiné et rejeté la deuxième observation lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque.

IX.             Conclusion

[31]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée.

X.                Question certifiée

[32]           Le demandeur a posé la question suivante à porter en appel aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR :

Est‑il possible de dire qu’une personne n’est pas persécutée si elle ne peut pratiquer sa religion ouvertement, librement et conformément à ses convictions religieuses?

[33]           À mon avis, cette question ne peut être déterminante, car rien ne prouve que le demandeur n’est pas en mesure de pratiquer sa religion conformément à ses convictions religieuses. Par conséquent, cette question ne sera pas certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande est rejetée;

2.         La question n’est pas certifiée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-998-14

 

INTITULÉ :

YANG, XUE KE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Mark Rosenblatt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suranjana Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Rosenblatt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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