Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150724


Dossier : IMM‑7538‑14

Référence : 2015 CF 913

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

MATHIRAJ THIRUCHELVAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Thiruchelvam[le demandeur], citoyen du Sri Lanka, sollicite le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR ou la Loi], d’une décision rendue par un agent d’immigration [l’agent] par laquelle ce dernier a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

[2]               La question principale est celle de déterminer si l’agent a tiré une conclusion défavorable déterminante quant à la crédibilité du demandeur sans convoquer d’audience comme l’exige l’alinéa 113b) de la LIPR.

[3]               Bien que la question de la norme de contrôle applicable à l’égard de la décision d’un agent chargé d’une demande d’ERAR de tenir une audience ait fait l’objet d’un certain débat au sein de la Cour, j’estime que, selon la jurisprudence récente, la norme déférente du caractère raisonnable s’applique (Kulanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, au paragraphe 20, Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 837, au paragraphe 6; Bicuku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 339, aux paragraphes 16 à 20; Ponniah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 386, au paragraphe 24; Mosavat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 647, au paragraphe 9).

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. J’estime que la tenue d’une audience n’aurait rien changé vu les raisons de l’agent de rejeter la preuve du demandeur selon laquelle il aurait été arrêté, détenu et torturé à trois occasions entre novembre 2012 et mars 2013 avant de s’enfuir le 19 mars 2013 après avoir eu des problèmes liés au fait de se présenter aux autorités.

[5]               Le demandeur a fourni une preuve personnelle directe soutenant qu’il avait été arrêté et torturé par les autorités de l’État à trois occasions. Cette preuve a été corroborée par des lettres d’un médecin sri lankais et d’un médecin canadien affirmant que les cicatrices visibles sur le corps du demandeur concordaient avec le témoignage de ce dernier selon lequel il aurait été torturé.

[6]               De plus, les éléments de preuve présentés par le demandeur proviennent essentiellement de son père ou ont été rassemblés par son père auprès d’autres personnes dans le but de confirmer l’arrestation du demandeur et les allégations invoquées dans le contexte de sa détention auprès des autorités de l’État. Ces éléments de preuve ont été rejetés au motif qu’ils avaient une faible valeur probante. Le rejet de ces éléments de preuve constitue le deuxième fondement de la demande présentée par le demandeur. Toutefois, je souscris à l’analyse de l’agent à cet égard, et seule la nécessité de tenir une audience soulève une question sérieuse d’intérêt pour la Cour.

[7]               L’agent affirme qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve présentée, le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de prouver qu’il était raisonnablement probable que ses cicatrices lui aient été infligées contre son gré par ses tortionnaires au Sri Lanka ou qu’il soit une personne d’intérêt pour les autorités.

[8]               J’estime que la question déterminante en l’espèce est celle de savoir si la tenue d’une audience aurait changé l’issue. Il s’agit d’une décision éminemment contextuelle qui, en l’espèce, est appuyée par les motifs exhaustifs et détaillés qui l’accompagnent. Je conclus qu’il était inutile, selon le raisonnement de l’agent, de tenir une audience compte tenu de la preuve probante de contradictions formulées par le demandeur ainsi que du profil de ce dernier et de la façon dont il a été traité par les autorités de l’État, facteurs qui ont mené l’agent à conclure que le demandeur n’est pas une personne d’intérêt.

[9]               Vu la preuve objective concernant la situation dans le pays, l’agent a conclu que les cicatrices ne sont pas considérées en soi comme un risque à moins que la personne risque vraisemblablement d’être détenue et déshabillée lors d’un interrogatoire pour d’autres raisons. L’agent a jugé que la preuve présentée par le demandeur n’appuie pas une conclusion selon laquelle il serait détenu et dévêtu pendant un interrogatoire pour d’autres raisons à son retour au Sri Lanka, conditions dans lesquelles ses cicatrices seraient exposées.

[10]           La conclusion selon laquelle les autorités sri lankaises soupçonneraient ou accuseraient le demandeur d’être un kamikaze ayant échoué sa mission ou un combattant des TLET n’est pas, selon l’agent, étayée par la preuve. Ce dernier a conclu que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET sont particulièrement à risque, qu’elles sont détenues durant de longues périodes et que celles qui sont libérées entreprennent une réadaptation. À cet égard, le demandeur n’a pas été détenu durant une longue période et n’a pas entrepris une réadaptation, ce qui appuie la conclusion selon laquelle les autorités ne le considéreraient pas comme un partisan ou un membre des TLET. 

[11]           Le demandeur a également été libéré avec des conditions minimales liées à l’obligation de se présenter aux autorités. De plus, après une courte période, il n’a plus été tenu de se présenter aux camps militaires. Sa carte d’identité nationale lui a été remise après ses détentions. Il a été autorisé à quitter le Sri Lanka muni de son propre passeport sans aucun problème avec les autorités. Il n’a pas été interrogé, détenu ou dévêtu par les autorités avant son départ.

[12]           L’agent a conclu que le demandeur avait été lavé de tout soupçon d’être un partisan ou un membre des TLET et donc, qu’il n’était pas recherché et ne figurait pas sur la liste d’alertes de sécurité du gouvernement. Par conséquent, l’agent a conclu que le demandeur n’était pas une personne d’intérêt pour les autorités du fait d’un lien perçu ou réel avec les TLET et qu’il ne serait donc pas exposé à un risque à son retour au Sri Lanka.

[13]           En guise de conclusion finale, l’agent affirme que le demandeur n’a pas le profil d’une personne qui serait considérée comme une menace ou une personne d’intérêt à son retour et qu’il n’est pas personnellement exposé à un risque de persécution ou de préjudice au Sri Lanka en raison de son origine ethnique.

[14]           C’est l’effet cumulatif de ces éléments de preuve qui a mené l’agent à conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait pour établir qu’il avait été torturé. L’agent a jugé que ces éléments de preuve ne cadraient pas avec la preuve probante établissant la façon dont il avait été véritablement traité par les autorités et son profil en tant que personne qui ne présente aucun intérêt pour les autorités.

[15]           Finalement, la décision de tenir une audience revient à l’agent, et la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de cette décision. Je conclus que la décision de l’agent de ne pas tenir d’audience est raisonnable, étant donné qu’une telle audience ne serait d’aucune utilité vu la preuve objective contradictoire à laquelle l’agent a accordé une plus grande valeur probante par rapport à l’exposé circonstancié du demandeur.

[16]           La décision de l’agent appartient donc aux issues raisonnablement acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, elle est justifiée par des motifs intelligibles et transparents.

[17]           Dans les circonstances, la demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée;

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7538‑14

 

INTITULÉ :

MATHIRAJ THIRUCHELVAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUILLET 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

MATHIRAJ THIRUCHELVAM

 

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Krassina Kostadinov

Avocate

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MATHIRAJ THIRUCHELVAM

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.