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Date : 20150724


Dossier : IMM‑92‑14

Référence : 2015 CF 904

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

JAN JANETTE JOSEPH

RUDY MAXWELL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, présentée par Jan Janette Joseph et Rudy Maxwell [les demandeurs] en application due paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 10 décembre 2013 par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs présentée depuis le Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

I.                   Les faits

[2]               Jan Janette Joseph [la demanderesse principale] est née à Laborie, à Sainte‑Lucie, son pays de citoyenneté. Elle est arrivée au Canada le 14 mars 2002. Elle a rencontré son conjoint de fait, Rudy Clement Maxwell [le codemandeur], au Canada et ils ont emménagé ensemble en septembre 2003. Le codemandeur est lui aussi venu au Canada de Sainte‑Lucie, en mai 2002. Leur enfant, Rudy Joseph Maxwell Junior, est né au Canada en 2008 et souffre d’un autisme léger.

[3]               Le 6 décembre 2012, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le 10 décembre 2013, l’agent a rejeté leur demande. La Cour a accordé l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire le 8 avril 2015.

II.                La décision visée par le contrôle

[4]               L’agent a observé que les demandeurs n’avaient fait aucun effort pour régulariser leur situation au Canada pendant plus d’une décennie avant de présenter leur demande de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a souligné le caractère exceptionnel de la prise de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, a énoncé le critère auquel les demandeurs devaient satisfaire — à savoir l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils étaient contraints de présenter leur demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada —, et a renvoyé au paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent s’est ensuite penché sur les points précisés ci‑après.

A.                Le degré d’établissement

[5]               L’agent a fait remarquer que les demandeurs avaient démontré l’existence de liens solides au Canada, mais a souligné encore une fois leur défaut de régulariser leur situation au Canada pendant près de 11 ans avant de présenter leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Selon l’agent, le fait que les demandeurs ne s’étaient pas conformés à la Loi, en ce qu’ils avaient travaillé sans avoir obtenu de permis de travail et n’avaient tout mis en œuvre pour régulariser leur situation pendant une période de près de 11 ans, posait problème et diminuaient l’importance de leur degré d’établissement général au Canada.

[6]               L’agent a néanmoins observé que, dans la plupart des facettes de leurs vies, les demandeurs s’étaient vraiment efforcés de s’établir au Canada, mais qu’il était normal de s’attendre à ce que des gens qui sont au pays depuis environ 12 ans atteignent un tel degré d’établissement. Il a conclu qu’ils ne s’étaient pas établis au point d’être exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils étaient contraints de présenter leur demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. L’agent a accordé un certain poids au degré d’établissement.

B.                 L’intérêt supérieur de l’enfant

[7]               La principale préoccupation des demandeurs est que, à Sainte‑Lucie, leur enfant légèrement autistique ne pourra bénéficier des services d’orthophonie et de thérapie comportementale dont il a besoin parce qu’il n’y a pas, allèguent‑ils, d’institutions adéquates en mesure de répondre à ses besoins. Ils ont affirmé que la seule organisation à Sainte‑Lucie qui fournit des services aux enfants ayant des besoins spéciaux est le Child Development and Guidance Centre, qui n’offre pas de programmes de thérapie comportementale. L’agent a mené à cet égard et de manière indépendante une recherche sur Internet à l’aide des termes [traduction« autisme à Sainte‑Lucie », et il a obtenu plusieurs liens à des sites Internet ayant trait à l’autisme à Sainte‑Lucie, y compris un rapport de l’UNESCO sur l’éducation à Sainte‑Lucie en date de 2005‑2006, mis à la disposition du public. Le rapport de l’UNESCO signalait cinq établissements d’éducation spécialisée, dont trois qui s’adressaient spécifiquement aux personnes ayant des troubles d’apprentissage, incluant l’autisme.

[8]               L’agent a souscrit à l’observation des demandeurs selon laquelle il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’accompagner ses parents s’ils étaient renvoyés à Sainte‑Lucie.

[9]               S’agissant du degré d’établissement de l’enfant, l’agent a fait remarquer que les demandeurs avaient produit peu d’éléments de preuve concernant sa vie scolaire ou les relations qu’il avait commencé à établir à l’école. Il a conclu que la vie de l’enfant dans la communauté n’était pas ancrée au point que son départ du Canada avec les demandeurs nuirait à son intérêt supérieur. L’agent a fait observé que le programme [traduction« Moments en famille » de la Bibliothèque publique de Toronto, auquel participait l’enfant des demandeurs, semblait être une activité à laquelle les enfants peuvent prendre part avec leurs parents ou leurs aidants familiaux, mais dont le but n’était pas nécessairement le développement de relations sociales avec d’autres enfants. L’agent a souligné que les demandeurs n’avaient fourni aucun élément de preuve démontrant qu’il n’y avait pas de tels programmes axés sur la lecture et destinés aux jeunes enfants à Sainte‑Lucie.

[10]           S’agissant de l’inexistence de services de santé, l’agent a fait remarquer que, exception faite de l’autisme léger de leur fils, les demandeurs n’avaient signalé aucun autre problème de santé chez lui. Ils ont fait valoir qu’il y a une grave pénurie de services pour les personnes souffrant de déficiences, qu’il est généralement difficile d’avoir accès à des soins de santé et que cette situation aurait des conséquences disproportionnées sur leur enfant. L’agent a conclu que ces affirmations relevaient de la conjecture parce que les demandeurs n’avaient pas signalé que leur fils avait d’autres problèmes de santé. En somme, il a conclu que l’intérêt supérieur de l’enfant des demandeurs ne serait pas compromis s’il devait accompagner ses parents à Sainte‑Lucie.

[11]           S’agissant de l’intérêt supérieur de la filleule de la demanderesse principale, après avoir pris en considération la jurisprudence citée par le conseil des demandeurs, l’agent a reconnu que la demanderesse principale jouait un rôle dans la vie de sa filleule et qu’une séparation serait difficile pour cette dernière, car elle semble avoir établi un lien affectif avec la demanderesse à la suite de leurs interactions quotidiennes. Toutefois, l’agent a souligné que la demanderesse principale n’avait pas assumé le rôle de principale dispensatrice de soins pour sa filleule, même si elle avait assurément joué un rôle d’appoint. Il a conclu que le départ de la demanderesse principale du Canada aurait des conséquences défavorables sur la vie de sa filleule, mais que ces conséquences défavorables pourraient être atténuées au moyen de la technologie moderne.

[12]           L’agent a reconnu que, de manière générale, le Canada offre un mode de vie et des perspectives d’avenir qui sont considérés comme étant préférables à ceux que Sainte‑Lucie peut offrir, mais il a indiqué que le fils des demandeurs est encore assez jeune et dépend encore principalement de ses parents pour subvenir à ses besoins. L’agent a reconnu que le fils des demandeurs est établi au Canada dans une certaine mesure, mais à son avis il n’était pas intégré à la société canadienne au point où son départ à Sainte‑Lucie pour vivre avec ses parents compromettrait son bien‑être.

C.                 Les risques et la situation défavorable dans le pays

[13]           L’agent a examiné la crainte de la demanderesse principale que sa communauté découvre qu’elle avait été agressée physiquement et sexuellement par le passé et qu’elle soit, en conséquence, exposée à l’humiliation et à la discrimination si elle retournait à Sainte‑Lucie. De plus, la demanderesse principale a allégué craindre des représailles de la part de son agresseur si les allégations de mauvais traitements étaient rendues publiques.

[14]           L’agent a admis que la demanderesse principale avait été agressée physiquement par sa famille et qu’elle avait été agressée sexuellement. Toutefois, il a fait remarquer que la demanderesse principale n’avait fourni aucune précision au sujet de l’agression sexuelle, par exemple, l’identité de l’agresseur, l’âge qu’elle avait à l’époque, la période au cours de laquelle elle a été victime d’agressions ou s’il s’agissait d’un seul incident.

[15]           L’agent a souligné que la seule indication que la demanderesse principale avait tenté d’obtenir un soutien psychologique était sa démarche auprès de sa travailleuse sociale (laquelle est partie en congé de maternité en novembre 2012); la demanderesse principale n’avait pas démontré qu’elle avait tenté d’obtenir d’autres services de soutien psychologique. De plus, l’agent a renvoyé à un document du Département d’État des États‑Unis dans lequel l’auteur signalait l’existence de services de soutien psychologique à Sainte‑Lucie.

[16]           L’agent a signalé que la demanderesse principale n’avait pas fait appel aux services de soutien psychologique même lorsqu’elle en avait la possibilité, et a fait remarquer que, depuis son arrivée au Canada en 2002, plus de 11 ans s’étaient écoulés avant qu’elle ne tente d’obtenir un soutien psychologique. De plus, il a conclu qu’elle avait fourni peu d’éléments de preuve pour établir qu’elle éprouverait des difficultés sur le plan psychologique si elle retournait à Sainte‑Lucie. L’agent a conclu qu’il existe des services de soutien psychologique à Sainte‑Lucie et, en outre, que même si l’allégation concernant l’indisponibilité des services de soutien psychologique à Sainte‑Lucie était vraie, cet argument était théorique parce que, d’après la preuve, la demanderesse principale n’a pas semblé faire d’efforts pour recourir à une telle thérapie même lorsqu’elle en avait la possibilité.

[17]           L’agent a signalé que la demanderesse principale avait fourni peu d’éléments de preuve démontrant que quelqu’un savait qu’elle avait été victime de mauvais traitements; de plus, peu d’éléments de preuve établissaient comment quelqu’un pourrait apprendre ce qui lui était arrivé par le passé. Compte tenu du peu de précisions fournies par les demandeurs concernant l’agression sexuelle contre la demanderesse principale, l’agent a conclu qu’il était difficile d’évaluer la probabilité que cette agression fasse l’objet de potins au sein de la communauté ou que, en raison de cette agression, la demanderesse principale soit exposée à l’humiliation. L’agent a conclu que la demanderesse principale ne serait pas exposée à des difficultés excessives en raison de ce facteur.

D.                Autres facteurs pris en considération

[18]           S’agissant du rapport psychologique indiquant que la demanderesse principale serait de nouveau traumatisée du fait d’être exposée une deuxième fois aux adultes et aux endroits associés à son expérience traumatisante, l’agent a souligné qu’elle avait présenté peu d’éléments de preuve démontrant que ce problème persisterait si elle s’installait tout simplement dans un autre secteur de Sainte‑Lucie. Il a accordé un certain poids au fait qu’il existait une solution pour la demanderesse principale.

[19]           De plus, l’agent a constaté que le rapport psychologique ne contient aucun renvoi à l’agression sexuelle subie par la demanderesse principale, et que cette dernière n’avait fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles ce sujet n’avait pas été abordé avec le psychologue. De l’avis de l’agent, cela posait problème.

[20]           À la lumière de ce qui précède, l’agent a accordé un certain poids au degré d’établissement des demandeurs, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de leur fils canadien, mais a conclu que leur degré d’établissement ne justifiait pas la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaires. Il a conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec ses parents, un point que les demandeurs avaient eux‑mêmes avancé dans leurs observations, et que, en ce qui a trait à l’autisme de l’enfant, cet intérêt supérieur ne serait pas compromis étant donné qu’il existe des organisations à Sainte‑Lucie qui offrent des services aux enfants autistes. L’agent a conclu que l’intérêt supérieur de la filleule et les craintes de la demanderesse principale liées à son retour à Sainte‑Lucie ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Pour ce qui est des difficultés à trouver du travail, l’agent a observé qu’il s’agissait d’un risque généralisé qui touchait tout le monde à Sainte‑Lucie et que les demandeurs avaient acquis de nouvelles compétences durant leur séjour au Canada, ce qui leur conférerait quelques avantages à Sainte‑Lucie. Il a conclu que les facteurs mentionnés ci‑dessus, pris individuellement ou collectivement, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, ne démontraient pas que la demanderesse principale et les membres de sa famille seraient exposées à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada. L’agent a conclu que les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas une dispense suivant le paragraphe 25(1) de la LIPR et, par conséquent, a rejeté la demande.

III.             Les questions en litige

[21]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

A.                L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement des demandeurs?

B.                 L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale du fait qu’il s’est fié à une preuve extrinsèque découlant de recherches indépendantes sans en aviser les demandeurs, ou a‑t‑il agi de manière erronée ou déraisonnable dans son examen de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’allégation d’agression sexuelle?

IV.             La norme de contrôle

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle applicable lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Selon la jurisprudence, la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent concernant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana], au paragraphe 18. Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué comment doit procéder une cour de révision qui applique la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23]           La présente affaire soulève aussi une question d’équité procédurale, qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux paragraphes 53 à 55. Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué comment doit procéder une cour de révision qui applique la norme de la décision correcte :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

V.                Les observations des parties et l’analyse

A.                L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation du degré d’établissement des demandeurs?

[24]           Tout d’abord, je ferai remarquer que l’agent a signalé à raison que la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire constitue une mesure exceptionnelle. La prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas un régime d’immigration parallèle ou distinct. Le régime d’immigration régulier régit les personnes telles que les demandeurs. C’est seulement dans des cas exceptionnels qu’il y a lieu d’accorder la dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour suprême du Canada a confirmé la nature exceptionnelle des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3 [Chieu], au paragraphe 64, où elle a affirmé qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire « est essentiellement un plaidoyer auprès de l’exécutif en vue d’obtenir un traitement spécial qui n’est même pas explicitement envisagé par la [LIPR] ». Dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125 [Legault], au paragraphe 16, la Cour d’appel fédérale a confirmé à son tour, en prenant appui sur l’arrêt Chieu de la Cour suprême du Canada, que la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire qui

[...] s’inscrit dans un régime légal en vertu duquel « [l]es non‑citoyens n’ont pas de droit d’entrer ou de s’établir au Canada », où « [e]n règle générale, l’immigration est un privilège, et non un droit » (Chieu, para. 57) et dans lequel « la Loi traite les citoyens différemment des résidents permanents, qui à leur tour sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, lesquels sont traités différemment des détenteurs de visas et des résidents illégaux. C’est un aspect important du régime législatif que différentes catégories de personnes soient traitées différemment, avec les adaptations voulues selon les différents droits et les différentes situations des personnes faisant partie de ces groupes » (Chieu, para. 59).

[25]           La Cour d’appel fédérale a souscrit à cette conclusion et a affirmé dans l’arrêt Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy], au paragraphe 47, que le critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » est le bon critère à appliquer aux fins du paragraphe 25(1) de la LIPR parce qu’il exprime « en termes concis le type de facteurs exceptionnels qui appellent une dispense sous le régime de la Loi ». En d’autres termes, « [c]onsidéré au regard du contexte global de la Loi, le paragraphe 25(1) est une disposition d’exception » : Kanthasamy, au paragraphe 40.

[26]           Il convient également de souligner que le contrôle judiciaire n’est pas un appel de la décision de l’agent. De plus, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve dont disposait l’agent, comme le lui demandent à de nombreux égards les demandeurs : Giannaros c Canada (Ministre du Développement social), 2005 CAF 187, au paragraphe 12.

[27]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur dans son évaluation de leur degré d’établissement parce qu’il s’en est tenu indûment aux faits incontestés selon lesquels ils travaillaient tous les deux au Canada sans permis de travail et n’avaient apparemment pas payé d’impôts depuis plus de dix ans. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, il était raisonnablement loisible à l’agent de prendre en considération la décision des demandeurs de rester au Canada et de tenir compte de leur choix de rester ici sans obtenir les autorisations requises par la LIPR. De plus, il semble qu’ils aient agi ainsi sans payer d’impôts, même s’ils travaillaient tous les deux. À mon avis, il était raisonnablement loisible à l’agent de tenir compte de ces faits dans l’évaluation de leur degré d’établissement.

[28]           La durée du séjour illégal et de la participation illégale à l’économie sont des faits pertinents que l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire peut prendre en considération selon la jurisprudence bien établie de la Cour, jurisprudence que les demandeurs me demandent d’ignorer ou de rejeter. Je ne suis disposé à faire ni l’un ni l’autre. Dans sa jurisprudence de longue date, la Cour approuve expressément la prise en considération de la longueur du séjour illégal par l’agent chargé de se prononcer sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Voir, par exemple, le jugement Millette c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2012 CF 542, au paragraphe 41, où le juge Russell a confirmé le jugement du juge Nadon comme suit :

[41]      Comme il l’indique clairement dans sa décision, l’agent savait que la demanderesse était au Canada depuis plus de 15 ans et il s’est intéressé particulièrement aux années postérieures au rejet de sa demande d’asile. La demanderesse ne peut pas s’attendre à bénéficier des années antérieures alors qu’elle vivait et travaillait au Canada illégalement. S’il en était autrement, une personne qui réussit à demeurer ici illégalement serait mieux placée qu’une personne qui a respecté le système. Comme le juge Nadon l’a souligné dans Tartchinska c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 373 (CF), aux paragraphes 21 et 22 :

Chose plus importante, les directives ne laissent certainement pas entendre qu’un demandeur doit devenir autonome à tout prix et sans égard aux moyens. Par conséquent, je ne partage pas l’avis des demandeurs selon lequel [traduction] « il n’est pas pertinent de savoir si l’autonomie a été atteinte avec ou sans permis de travail ». À mon avis, la provenance de l’autonomie de l’intéressé est très pertinente; autrement, n’importe qui pourrait demander une dispense en se fondant sur l’autonomie, même si celle‑ci découle d’activités illégales. Je comprends qu’en l’espèce, les demandeurs ont travaillé honnêtement, quoique illégalement. Pourtant, les demandeurs ont sciemment tenté de contourner le système lorsqu’ils ont décidé de continuer à travailler sans autorisation. En effet, malgré le fait que les demandeurs ont été avisés à leur première entrevue qu’ils n’étaient pas autorisés à travailler et qu’ils devraient cesser de le faire, rien n’indiquait que les demandeurs avaient cessé de travailler au moment de la deuxième entrevue. En outre, leur avocat les avait prévenus des risques qu’ils couraient à travailler sans permis de travail ainsi que du prétendu avantage de démontrer l’autonomie (sans se soucier de sa provenance), et ils ont choisi de rester au Canada et d’y travailler illégalement.

Je crois comprendre que les demandeurs espéraient que le temps qu’ils passaient au Canada malgré la mesure d’interdiction de séjour contre eux pourrait leur être avantageux dans la mesure où ils pourraient démontrer qu’ils se sont bien adaptés à ce pays. Toutefois, à mon avis, les demandeurs ne peuvent ni ne doivent être « récompensés » pour avoir passé du temps au Canada alors qu’en fait, ils n’avaient pas le droit de le faire. Dans le même ordre d’idée, on doit légalement chercher à être autonome, et un demandeur ne doit pas pouvoir invoquer ses actes illégaux pour revendiquer par la suite un avantage comme une dispense ministérielle. Enfin, je souligne l’évidence même : le but de la dispense, en l’espèce, était de soustraire les demandeurs à l’exigence de devoir présenter leur demande de statut depuis l’étranger, et non de les dispenser d’autres dispositions législatives, comme l’exigence d’un permis de travail valide.

[Non souligné dans l’original.]

[29]           Les conclusions concordantes de la Cour dans ces deux affaires s’appliquent presque mot à mot à l’espèce. À mon avis, les demandeurs ne peuvent s’attendre à bénéficier des années pendant lesquelles ils ont vécu et travaillé au Canada illégalement. Vivre plus longtemps dans la clandestinité au Canada ne donne pas droit aux personnes qui y séjournent illégalement d’en tirer avantage lorsqu’elles présentent une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Retenir cet argument aurait pour effet d’encourager ceux qui sont au Canada illégalement à y rester sans régulariser leur situation, car plus ils attendraient, plus leur situation leur permettrait de bénéficier des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Retenir l’argument des demandeurs pourrait encourager ceux qui ne sont pas encore au Canada à y venir et à y vivre clandestinement le plus longtemps possible, comme dans la présente affaire. Ceux qui méprisent les lois canadiennes et refusent de s’y conformer ne peuvent bénéficier, grâce à leur inconduite, d’une meilleure situation que celle des gens qui respectent les lois et le régime d’immigration du Canada.

[30]           Les demandeurs soutiennent que l’agent doit faire preuve de compassion et ne devrait pas reprocher le fait de vivre illégalement au Canada aux personnes qui, étant dans cette situation, présentent une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Ils affirment, en d’autres termes, qu’il ne faudrait pas refuser une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour les raisons mêmes qui les ont motivés à présenter une telle demande en premier lieu (à savoir, une situation irrégulière qui dure depuis de nombreuses années). Bien que cet argument puisse sembler avoir une certaine validité dans l’abstrait, il s’effondre à la lumière des faits de l’espèce. Chaque affaire doit être examinée de manière indépendante et en fonction des circonstances qui lui sont propres. Dans certains cas, le fait de la situation irrégulière ne constituera pas un obstacle important à la prise de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, bien qu’il puisse s’agir d’un facteur raisonnablement pertinent. En l’espèce toutefois, les demandeurs n’ont pas modifié leur conduite pendant plus d’une décennie. L’agent a conclu que leur conduite [traduction« diminuait l’importance de leur degré d’établissement général au Canada ». À la lumière des circonstances de l’espèce, à mon humble avis, la conclusion de l’agent était certainement raisonnable compte tenu des faits de l’espèce, et les demandeurs n’ont pas de motif raisonnable de la contester.

[31]           Les demandeurs allèguent aussi qu’ils ne pourraient pas présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada parce qu’ils ne seraient pas admis au Canada. Outre le fait que cet argument bouleverse le régime établi par la LIPR, aucun élément de preuve n’appuyait ce point. Ils ne peuvent se plaindre des résultats que prévoit l’application de la LIPR.

[32]           Pour ce qui est de leur défaut apparent de payer l’impôt sur le revenu fédéral et provincial que tous les autres résidants du Canada sont tenus de payer, il m’a été signalé qu’il faut avoir un numéro d’assurance sociale pour payer de l’impôt. Il semble que les demandeurs adultes n’aient pas demandé de numéros d’assurance sociale. Toutefois, les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve à ce sujet. À mon avis, l’obligation légale de payer de l’impôt sur le revenu est une autre raison pour laquelle les personnes qui sont ici clandestinement devraient faire des démarches sans tarder pour régulariser leur situation si elles souhaitent rester.

[33]           Dans l’ensemble, la conclusion de l’agent selon laquelle la situation illégale des demandeurs [traduction« diminuait l’importance » de leur degré d’établissement était raisonnable au regard des faits et appartient aux issues possibles acceptables, conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[34]           Les demandeurs allèguent en outre que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le degré d’établissement qu’ils avaient atteint correspondait aux attentes normales de tout agent à cet égard : [traduction« Je m’attends à ce que la demanderesse se soit établie dans une certaine mesure : à ce qu’elle se trouve un emploi, s’implique dans la communauté et se fasse des amis pendant qu’elle se trouve au Canada. » Il est allégué que, dans cette analyse, l’agent n’a pas examiné les circonstances uniques des demandeurs, qu’il n’a pas expliqué pourquoi il est arrivé à cette conclusion, et n’a pas établi de liens entre la décision et les faits. En toute déférence, je ne suis pas d’accord cette fois non plus. Il est bien établi que les agents chargés de se prononcer sur les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas tenus de revenir sur chaque élément de preuve ou d’exposer chaque étape de leur raisonnement : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16. Au contraire, ils disposent d’une assez grande latitude dans leur analyse qui, comme le conseil des demandeurs en a convenu, est assujettie non pas au critère de la décision correcte, mais à celui de la décision raisonnable. À cet égard, les demandeurs s’opposent simplement aux motifs de l’agent et au poids qu’il a accordé aux éléments de preuve et aux observations qu’ils lui ont présentés. Comme je l’ai signalé précédemment, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve. Je signale que l’agent a en fait accordé [traduction« un certain poids » aux observations des demandeurs. À mon avis, ce motif de contrôle doit être rejeté; les conclusions de l’agent sont raisonnables au regard des faits et appartiennent aux issues possibles acceptables, conformément à l’arrêt Dunsmuir.

[35]           Enfin, pour ce qui est du caractère raisonnable de la décision de l’agent, l’argument des demandeurs portant que les motifs de l’agent sont insuffisants ou que la preuve n’a pas été examinée m’apparaît dénué de fondement. Les motifs me permettent de comprendre pourquoi l’agent a rendu sa décision et me permettent de juger si cette décision appartient aux issues acceptables : Newfoundland Nurses. À mon avis, la décision de l’agent est justifiée, transparente et intelligible. Elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir.

B.                 L’agent a‑t‑il manqué à l’équité procédurale du fait qu’il s’est fié à une preuve extrinsèque découlant de recherches indépendantes sans en aviser les demandeurs, ou a‑t‑il agi de manière erronée ou déraisonnable dans son examen de l’intérêt supérieur de l’enfant et de l’allégation d’agression sexuelle?

(1)               Le manquement à l’équité procédurale

[36]           L’agent a effectué des recherches indépendantes en réponse à l’argument des demandeurs portant que leur fils légèrement autistique n’aurait pas accès à Sainte‑Lucie au même genre et à la même qualité de thérapies du langage, de l’apprentissage et du comportement qui existent au Canada, et portant que les services pour les enfants ayant des besoins spéciaux sont très restreints à Sainte‑Lucie et ne peuvent répondre aux besoins de leur fils. Au moyen d’une recherche élémentaire sur Internet, l’agent a relevé de la documentation accessible au public qui contredisait les observations des demandeurs.

[37]           Les personnes qui présentent une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ont le fardeau d’établir le bien‑fondé de leur demande. Les demandeurs disposaient de conseillers professionnels lorsqu’ils ont présenté leurs observations. Ils ont affirmé que leur fils, qui souffre d’un autisme léger, ne pourrait pas recevoir le traitement dont il avait besoin à Sainte‑Lucie. En réponse à cette affirmation, l’agent a effectué une recherche très élémentaire sur Internet, en tapant les mots [traduction« autisme à Sainte‑Lucie ». Il a relevé un rapport de l’UNESCO en date de 2005‑2006 (soit sept ans avant la présentation de la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire). Ce rapport de l’UNESCO signalait cinq établissements d’éducation spécialisée, tous à Sainte‑Lucie, dont trois qui s’adressaient spécifiquement aux personnes ayant des troubles d’apprentissage, incluant l’autisme.

[38]           Bien que l’équité procédurale doive être examinée selon la norme de la décision correcte, les critères élaborés relativement à la preuve extrinsèque admissible comportent un élément objectif, à savoir un élément de raisonnabilité. Un critère servant à décider ce qui constitue une preuve extrinsèque admissible consiste à se demander si l’information était suffisamment connue des demandeurs ou si ceux‑ci pouvaient « raisonnablement y avoir accès » : Azida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1163, aux paragraphes 18 et 19. Après avoir adopté ce critère pour répondre à la question de savoir si les demandeurs pouvaient raisonnablement avoir accès à la documentation, je n’ai aucune hésitation à conclure que ceux‑ci pouvaient raisonnablement avoir accès au rapport de l’UNESCO de 2005 au moment où ils ont déposé leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 2013. Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve qui permet de tirer une conclusion différente.

[39]           En réponse, les demandeurs invoquent le jugement Arteaga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 778 [Arteaga], au paragraphe 24, où la Cour a statué que les renseignements « inédits et importants » auxquels le demandeur ne pouvait pas « raisonnablement s’attendre » doivent faire l’objet d’une divulgation. Je tiens là encore à souligner que ce critère comporte un élément objectif de raisonnabilité. L’adoption de ce critère mène à la même conclusion et ce, pour plusieurs motifs. Premièrement, j’estime que les renseignements relevés au moyen de la recherche élémentaire de l’agent sur Internet n’étaient pas inédits parce que le rapport de l’UNESCO remontait à plus de sept ans. Deuxièmement, les demandeurs auraient pu effectuer la même recherche; le fardeau d’établir le bien‑fondé de leur demande de mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire leur incombait. Enfin, les demandeurs pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que l’agent chargé de statuer sur leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire fasse une recherche élémentaire sur Internet en réponse à leur allégation selon laquelle leur fils n’aurait pas accès aux soins dont il a besoin à Sainte‑Lucie. Par conséquent, la décision résiste également au critère exposé dans le jugement Arteaga.

[40]           Dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs ont déposé une preuve par affidavit indiquant qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de recourir à certains des programmes relevés par l’agent. En réponse à l’objection de l’avocat du défendeur contre cette nouvelle preuve, le conseil des demandeurs a affirmé que la nouvelle preuve avait été déposée dans le seul but de réfuter tout argument de la futilité que le défendeur pourrait soulever. Je conviens qu’il aurait fallu produire cette information au moment du dépôt de leur demande initiale. La Cour ne peut admettre à titre de « nouvelle preuve » des éléments de preuve que les demandeurs auraient pu communiquer au moment où ils ont présenté leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Je ne tire aucune conclusion relative à la futilité.

[41]            À mon avis, l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale lorsqu’il a effectué une recherche indépendante sur Internet et s’est fondé sur les résultats de cette recherche.

(2)               L’intérêt supérieur de l’enfant et l’agression sexuelle

[42]           S’agissant de l’intérêt supérieur de l’enfant, les demandeurs ont formulé de nombreuses observations. Ils ont soutenu que l’agent n’avait pas expressément abordé leurs arguments se rapportant à la discrimination contre leur fils. Toutefois, la Cour suprême du Canada a jugé que les décideurs — tels les agents chargés de statuer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire — ne sont pas tenus d’aborder chaque question, chaque élément de preuve et chaque argument qui leur ont été présentés : voir, cette fois encore, Newfoundland Nurses. À mon avis, le défaut de fournir des motifs à cet égard ne justifie pas le contrôle judiciaire.

[43]           Les demandeurs ont soutenu que l’agent avait examiné l’intérêt supérieur de l’enfant de manière erronée ou déraisonnable parce qu’il avait tenu pour acquis que l’enfant resterait avec eux. Toutefois, l’agent a procédé ainsi à cause de ce que les parents lui avaient dit expressément : ils ont affirmé que s’ils étaient contraints de quitter le Canada, ils emmèneraient leur fils avec eux. Par conséquent, à mon avis, l’agent a procédé de façon raisonnable dans son examen de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte du renvoi de ses parents, comme les demandeurs le lui avaient demandé.

[44]           Les demandeurs affirment ensuite que l’agent aurait dû se livrer à un examen plus approfondi de l’intérêt supérieur de l’enfant en tenant également pour acquis qu’ils resteraient au Canada. Or, cette analyse ne saurait être concluante puisqu’elle serait presque toujours en faveur de rester au Canada : voir Jaramillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 744, au paragraphe 71, citant Vasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 91, au paragraphe 43; Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 5; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292, au paragraphe 28; Yue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 717, au paragraphe 9; Ramotar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 362, au paragraphe 37; Miller c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1173, aux paragraphes 25 et 28.

[45]           Dans l’ensemble, j’estime que l’agent a pondéré de manière raisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant en fonction des autres facteurs dans son examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

(3)               L’agression sexuelle

[46]           J’estime que l’agent a répondu de manière raisonnable aux questions soulevées par la demanderesse principale se rapportant à l’agression sexuelle et à la possibilité que la communauté découvre que cette agression a eu lieu, ainsi qu’à la question du soutien psychologique, compte tenu de la documentation très restreinte présentée en l’espèce, comme je l’ai signalé ci‑dessus.

VI.             Question certifiée et questions liées à la procédure

[47]           Faisant valoir que la Cour suprême du Canada a maintenant entendu les arguments des parties dans l’appel du jugement Kanthasamy, les demandeurs me prient soit de reporter mon jugement dans l’attente du jugement de la Cour suprême du Canada ou, de façon subsidiaire, de certifier une question à l’intention de la Cour d’appel fédérale. Ils souhaitent que leur dossier soit toujours en traitement dans le système judiciaire en attendant l’issue de l’affaire Kanthasamy, afin d’être en mesure de bénéficier de ses répercussions si jamais la Cour suprême devait faire droit à l’appel. Ils soutiennent que la Cour suprême se prononcera [traduction« sous peu », car les arguments ont été entendus en avril 2015 et le jugement a été mis en délibéré. De façon plus réaliste, ils affirment que le jugement pourrait être rendu en octobre 2015. Il est bien connu qu’il faut en moyenne six mois à la Cour suprême pour rendre une décision; certains appels prennent moins de temps, d’autres en prennent beaucoup plus.

[48]           Les demandeurs affirment qu’ils ne demandent pas un ajournement.

[49]           Je ne suis pas disposé à reporter le prononcé du jugement. Un tel report pourrait être d’une durée de trois ou quatre mois, mais il pourrait également durer six mois ou plus. Demander le report du jugement revient à demander un ajournement et mène ouvertement à une audience en deux parties. Cela ne cadre pas avec mon devoir de rendre des décisions sur les affaires au moment où elles se présentent. Le droit que doit appliquer notre Cour est exposé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanthasamy, qui demeure le point de référence tant que la Cour suprême du Canada n’aura pas décidé autrement.

[50]           Bien que les demandeurs aient demandé que je certifie une question, ils n’ont pas soumis de version préliminaire de la question à cette fin. Il aurait fallu que la version préliminaire de la question ait été signifiée et déposée avant l’audience. Cela dit, j’ai accordé aux demandeurs un délai supplémentaire de deux jours, ainsi qu’un délai de la même durée pour la réplique du défendeur.

[51]           Les demandeurs me prient de certifier les questions suivantes; ils me signalent qu’il s’agit des mêmes questions soulevées devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kanthasamy :

[traduction]

Lorsqu’ils examinent des motifs d’ordre humanitaire suivant l’article 25 de la LIPR, les agents d’immigration entravent‑ils illégalement l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire et commettent‑ils une erreur de droit lorsqu’ils exigent que les demandeurs démontrent qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils étaient contraints de quitter le Canada et de présenter leur demande de résidence permanente depuis l’étranger?

La norme adoptée par la Commission d’appel de l’immigration [sic] dans la décision Chirwa – soit la question de savoir si les faits établis par la preuve sont de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne, dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial – constitue un critère plus approprié pour l’examen des motifs d’ordre humanitaire suivant l’article 25 de la LIPR?

[52]           À mon humble avis, il s’agit d’une reformulation des questions déjà soumises à la Cour d’appel fédérale dans le cadre de l’affaire Kanthasamy, questions que la Cour d’appel fédérale a examinées et auxquelles elle a répondu par la négative. Plus précisément, la Cour d’appel fédérale a examiné et rejeté le critère exposé dans la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338 (CAI). Étant donné que la Cour d’appel fédérale a déjà répondu à ces questions et que la décision de cette dernière lie notre Cour, les questions ne seront pas certifiées.

VII.          Conclusions

[53]           Avec le recul et après avoir lu la décision dans son intégralité comme je suis tenu de le faire, j’estime que les motifs de décision sont justifiés, transparents et intelligibles. Je conclus que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judicaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, qu’aucune question n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑92‑14

 

INTITULÉ :

JAN JANETTE JOSEPH, RUDY MAXWELL c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 juillet 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 24 juillet 2015

 

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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